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Journal des traducteurs
Translators’ Journal
Volume 61, numéro 1, mai 2016 Des zones d’incertitudes en traduction Sous la direction de Nicolas Froeliger, Lance Hewson et Christian Balliu
Sommaire (19 articles)
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Présentation : quelques incertitudes sur l’incertitude
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Les incertitudes du traduire
Lance Hewson
p. 12–28
RésuméFR :
L’incertitude est une valeur fondamentale de la traduction. Pourtant, peu de traductologues s’y sont intéressés. La cartographie des incertitudes proposée dans cet article montre clairement qu’elles peuvent se manifester tout au long de l’opération traduisante. Plusieurs aspects de cette opération et les divers acteurs qui y participent sont examinés. On s’intéresse, tout d’abord, au rôle du donneur d’ouvrage. On se penche sur les aléas de l’interprétation du texte source, et en particulier sur le double regard du traducteur. La contribution d’autres acteurs est évoquée, en particulier le rôle de l’auteur, et les éventuelles ingérences postérieures à la phase de révision de la traduction. On s’intéresse, enfin, aux destinataires du texte traduit, en exploitant la distinction entre le lecteur modèle et le lecteur empirique. Après ce regard critique sur les phases en amont et en aval de l’acte traductif proprement dit, les incertitudes liées aux choix traductifs sont explorées. Quelques paragraphes sont consacrés aux certitudes du traducteur. Deux conclusions ressortent de ces réflexions : il est clair que la traductologie se doit d’intégrer l’incertitude au sein de ses préoccupations ; enfin, ce phénomène bien connu des professionnels devrait être considéré comme un atout qui permet au traducteur de rester en état de vigilance.
EN :
Despite the fact that all translation necessarily involves a degree of uncertainty, translation theorists have show little interest in the phenomenon. The various types of uncertainty that may occur throughout the translation process are mapped out. Different aspects of the translation operation are examined, together with the various players involved, in particular the important role of the initiator, the more minor role of the author and the sometimes unpredictable decisions of the editor. The uncertainties that arise when interpreting the source text are investigated, as is the translator’s split vision between source and target. The role of the reader is also evoked, using the distinction between the model reader and the empirical reader. Attention is then focused on the various uncertainties that the translator must face when exploring the paraphrastic possibilities of reformulation in the target language. The translator’s certainties are also briefly examined. Two conclusions are drawn: the first concerns the need to devote more theoretical space to the question of uncertainty. The second underlines how this phenomenon – that professional translators have to deal with on a day to day basis – can be considered in a positive light, helping translators to remain alert during all the stages of their work.
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Skopos and (Un)certainty: How Functional Translators Deal with Doubt
Christiane Nord
p. 29–41
RésuméEN :
There are no rules for translation. Translation is a decision-making process, and each decision point involves uncertainty. In the following article, I would like to show how, from a skopos-theoretical perspective, a top-down procedure can at least reduce uncertainty to some degree. The top level is that of the translation brief, which determines the choice of translation type and form. This is a binary decision. A documentary translation usually “documents” the pragmatics of the source text, whereas an instrumental translation gets a pragmatics of its own, for example with regard to deixis. At the next level, the translator has to deal with cultural norms and conventions. Here, the decision becomes more complex because the brief may require the reproduction of some source-culture behaviours and the adaptation of others to target-culture conventions, both in documentary and instrumental translations. The next level is that of language. We may safely assume that most translations are expected to conform to the norms of the target-language system, but there may be cases where source-language norms have to be reproduced, for example in an interlinear translation for linguistic purposes. At the last two levels, the remaining doubts have to be resolved first in line with contextual restrictions and, ultimately, the translator’s personal preferences, if necessary.
FR :
La traduction ne connaît pas de règles. La traduction est un processus de prise de décisions, formé d’étapes dont chacune comporte une part d’incertitude. Dans l’article qui suit, j’entends montrer en quoi une procédure descendante peut au moins permettre de réduire cette incertitude dans une certaine mesure. Au sommet se trouve le cahier des charges, qui détermine la nature et la forme de la traduction. Il y a ici un choix binaire à faire entre traduction documentaire, qui met en valeur les aspects pragmatiques du texte source, et traduction instrumentale, qui met en oeuvre une pragmatique nouvelle, en réorganisant par exemple la deixis. L’échelon suivant est celui des normes et conventions culturelles. La décision devient alors plus complexe, car le cahier des charges peut appeler à reproduire certains comportements de la culture-source et parallèlement à en adapter d’autres aux conventions de la culture-cible – et cela qu’il s’agisse de traduction documentaire ou instrumentale. Le troisième échelon fait intervenir la langue. Certes, nous pouvons dans la plupart des cas nous attendre à ce que la traduction s’aligne sur les normes du système formé par la langue-cible. Certains cas peuvent néanmoins nécessiter de reproduire les normes de la langue-source, par exemple pour réaliser une traduction interlinéaire à des fins linguistiques. Les deux derniers niveaux supposent enfin de dissiper ce qui reste de doute, en prenant d’abord en compte les restrictions d’ordre contextuel et, in fine, les éventuelles préférences personnelles du traducteur.
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Traduire les sciences humaines. Auteur, traducteur et incertitudes
Michèle Leclerc-Olive
p. 42–59
RésuméFR :
Cet article se propose d’examiner la spécificité de la traduction des textes ayant des ambitions conceptuelles, qu’ils relèvent des sciences humaines et sociales ou de la philosophie. En effet, outre les problèmes que leur traduction partage avec la traduction littéraire, le travail sur les concepts à l’oeuvre dans ces textes requiert une attention et un engagement particuliers de la part du traducteur. Les recherches qui président à ses choix, et souvent reléguées aux coulisses de la science, soutiennent sa fonction auctoriale propre. La spécificité de cette pratique est analysée ici à la lumière de deux propositions théoriques : d’une part, la distinction entre concept thématique et concept opératoire, introduite par Eugen Fink, et, d’autre part, la distinction entre incertitude-nuance et incertitude-alternative qui nous vient de la philosophie de l’aléatoire. Rapprocher ces ressources catégorielles permet tout à la fois de documenter cette pratique traductive particulière et d’avancer quelques hypothèses sur la tâche du traducteur et sa responsabilité auctoriale dans ce champ particulier de la traduction. Les séquences argumentatives de l’article s’appuient sur des exemples empruntés à diverses expériences de traduction (notamment de George Herbert Mead, d’Aristote, du Coran et de Paul Ricoeur).
EN :
The purpose of this paper is to examine the specificity of the translation of texts dealing with abstract concepts, whether these texts come from social or human sciences or from philosophy. Indeed, besides common issues shared with literary translation, working on concepts in such texts requires from the translator particular attention and commitment. The investigations carried out by the translator to make his choices are often relegated behind the scientific scenes and support his own auctorial function. The specificity of this practice is analysed here in the light of two theoretical propositions: on the one hand, the distinction between thematic and operatory concepts, submitted by Eugen Fink. On the other, the distinction between shade-uncertainty and shift-uncertainty which comes from the philosophy of randomness. Bringing these category resources together allows all at once to clearly document this specific translational practice and to highlight some hypothesis about the task of the translator and his auctorial responsibility, in this particular translation field. The different argumentative stages of this paper are based on samples borrowed from some translation experiences (including translations of George Herbert Mead, Aristotle, The Qur’an and Paul Ricoeur).
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« … ce que je ne doute » : traduire à la Renaissance
Véronique Duché-Gavet
p. 60–77
RésuméFR :
L’exemple du passé peut sans nul doute aider à limiter les incertitudes qui compliquent l’acte de traduire. La Renaissance offre alors un terrain particulièrement propice à la comparaison. En effet, tandis que l’humanisme trouve son expression dans un afflux de traductions, tant de textes des Anciens que de textes contemporains, nombreuses sont les zones d’incertitude qui jalonnent le parcours des traducteurs de la Renaissance. Qu’elles soient d’ordre matériel, textuel, pragmatique ou linguistique, ces incertitudes se voient amplifiées par des considérations culturelles ou politiques, voire commerciales. L’incertitude gouverne enfin le genre même de la traduction, si proche de l’imitation, de la paraphrase ou de l’adaptation. Le présent article examine la posture des traducteurs dans la France du xvie siècle en analysant leurs discours sur la traduction tout comme leurs productions, et dégage les tactiques et stratégies déployées par ces traducteurs dans leur combat contre l’incertitude.
EN :
The example of the past can undoubtedly help limiting the uncertainty, which makes translating so difficult. The Renaissance offers a particularly interesting field for comparison. As humanism shows with its increase in translations, from ancient to contemporary texts, many are the hurdles that are scattered throughout the path of Renaissance translators. These difficulties, either material (dealing with the quality of the medium), textual (reliability of the source-text), pragmatical (absence of tools such as dictionaries, glossaries or grammars), or linguistic (bad knowledge of the source-language, absence of flexibility of the target-language), get accentuated by cultural, political or even commercial considerations. Finally ambiguity can be found in the very genre of translation, so close to imitation, paraphrase or adaptation. This article examines the position of French 16th century translators; it analyses their discourse on translation as well as their own translations and identifies the strategies they used in their fight against uncertainty.
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(Re)penser l’enseignement de la traduction professionnelle dans un master français : l’exemple des zones d’incertitudes en traduction médicale
Joëlle Popineau
p. 78–103
RésuméFR :
La traduction médicale hautement technique et rigoureuse occupe une place à part dans l’enseignement de la traduction (Balliu 2005) et demande une formation spécifique des apprenants et de leurs formateurs. Dans le master français de traduction de l’Université de Lorraine, cette formation prend appui sur les connaissances linguistiques et grammaticales acquises par nos apprenants dans les cursus de traduction générale. Les premières traductions médicales proposées portent sur la fiche médicament. Nous constatons que la première source d’incertitudes porte sur le vocabulaire spécialisé médical et que la seconde est liée à l’expression de la modalité, phénomène linguistique général. Les théories de la traduction traditionnellement enseignées en France dans les cursus universitaires généraux en langues (Vinay et Darbelnet 1958 ; Chuquet et Paillard 1989 ; Quivy 2010) sont appliquées à la traduction d’énoncés médicaux contenant des modaux et du lexique médical ; et il apparaît que ces zones d’incertitude persistent. Au-delà de la dimension linguistique incontournable dans l’enseignement de la traduction, les dimensions extralinguistiques, telles la recherche documentaire, la dimension communicative et la phraséologie médicale, jouent un rôle dans ce type de traduction professionnelle. Fortement réglementée dans sa rédaction, la fiche médicament est un document informatif, contenant des éléments scientifiques attestés par le milieu médical et s’adressant à un lectorat très large, quelquefois profane. L’approche fonctionnaliste (Nord 1997/2008) intègre ces dimensions et développe une stratégie traductionnelle basée sur la notion centrale de fonction du texte cible. Étudiée par les formateurs et enseignée à nos apprenants, cette approche particulièrement adaptée à la traduction médicale (Montalt et Gonzáles Davies 2007) permet de faire disparaître les incertitudes rencontrées en vocabulaire spécialisé médical et dans des énoncés contenant des modaux.
EN :
Medical translation is a highly technical type of professional translations: it has always held a special position (Balliu 2005) and requires a specific training for both learners and teachers. In the Master’s degree in translation offered at the University of Lorraine, France, the training programme of future translators is based on grammar and linguistics taught in general translation classes. The first medical translation carried out by students and examined in classes is a French notice de médicament, that is a PIL or a product monograph. We first find that students feel uncertain about the words to use as the document contains technical vocabulary. Moreover translating modals may lead to uncertainties in students’ minds and copies. Traditional translation theories taught in France (Vinay and Darbelnet 1958; Chuquet and Paillard 1989; Quivy 2010) applied to medical texts show that these uncertainty zones remain. Beyond grammar and vocabulary prerequisites, training in medical translation requires other extralinguistic trainings, such as specific trainings in documentary resources, communicative strategies and medical phraseology. A PIL is a highly regulated document, following medical norms and containing medically approved information; it is written for a broad readership with sometimes limited medical literacy. The functionalist approach (Nord 1997/2008) encompasses all these criteria and is based on the communicative core function of the target text. If this approach is explored by teachers and then taught to learners, uncertainty zones in medical vocabulary and modals disappear; moreover the functionalist approach is particularly well-suited to medical translations (Montalt and Gonzáles Davies 2007)
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La capacité d’assertion garantie ou la fin (provisoire) de l’incertitude
Michel Rochard
p. 104–116
RésuméFR :
L’incertitude fait partie intégrante du quotidien du traducteur professionnel. Elle découle de multiples imperfections du message original et de la capacité de compréhension immédiate de ce message par le traducteur. S’appuyant sur un exemple tiré d’un texte pragmatique, l’analyse portera sur la levée d’une incertitude par l’application de la théorie interprétative de la traduction (TIT) élaborée et développée par Danica Seleskovitch (1921-2001) et Marianne Lederer. Cette approche doit normalement permettre à un traducteur compétent de réunir les éléments propres à aboutir à une équivalence fonctionnelle entre l’original et la traduction. L’analyse mettra néanmoins en lumière certaines zones d’incertitudes inhérentes à la théorie interprétative. Il s’agit donc de proposer un enrichissement de cette école interprétative par les concepts et méthodes de la théorie de l’enquête de John Dewey, afin de lever ces incertitudes. En ce sens, loin de remettre en cause cette théorie et son caractère tout à fait opérationnel pour les professionnels de la traduction et de l’interprétation, cet article s’inscrit pleinement dans la réflexion intellectuelle autour des approches pragmatiques de la traduction voulue par les fondatrices de la TIT.
EN :
Uncertainty is part and parcel of the everyday for a professional translator. It stems from multiple flaws in the original message and the translator’s capacity to immediately understand this message. Using an example from a practical text, our analysis will deal with removing uncertainty by applying the Interpretive Theory of Translation developed by Danica Seleskovitch (1921-2001) and Marianne Lederer. By using the theory, a competent translator should normally be able to assemble all the information required to establish a functional equivalence between the original text and the translation. The analysis will nevertheless highlight some areas of uncertainty that are inherent to the Interpretive Theory itself in this respect. We therefore suggest enriching the Interpretive Theory with the concepts and methods of John Dewey’s Theory of Inquiry so as to resolve the uncertainties of the Interpretive Theory. Far from calling into question the theory and its completely workable aspect for translation and interpretation professionals, this article is thus part of the wider intellectual discussion on pragmatic approaches to translation that the founders of the Interpretive Theory of Translation sought to achieve.
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Variation dénominative et familiarité en tant que source d’incertitude en traduction médicale
Esperanza Alarcón-Navío, Clara Inés López-Rodríguez et Maribel Tercedor-Sánchez
p. 117–144
RésuméFR :
Les traducteurs sont souvent contraints de faire un choix parmi une multitude de variantes terminologiques ayant un signifié similaire. La variation dénominative, également dénommée variation terminologique, est source d’incertitude dans l’esprit du traducteur médical, tant sur le plan cognitif, que sur le plan des équivalences. L’incertitude est présente dès lors que le traducteur ne sait pas si le lecteur d’arrivée sera familiarisé avec la variante choisie dans sa traduction. Les défis soulevés par la variation suffisent à eux seuls à justifier la création d’outils adaptés aux besoins des traducteurs. VariMed est une base de données terminologiques axée sur les motivations cognitives et communicatives de la variation dénominative, et la manière dont elles se reflètent dans les variantes terminologiques d’un concept.
L’objectif de l’article consiste à explorer les zones d’ombre que recèle la traduction de la variation dénominative en traduction médicale sur le plan intralinguistique et interlinguistique dans le cadre des projets de recherche VariMed et CombiMed. Nous aborderons également la perception cognitive de la familiarité (Delgado 1988 ; Connine, Mullennix et al. 1990 ; Gómez Veiga, Carriedo López et al. 2010) chez les sujets profanes en tant que source complémentaire de doute de la part du traducteur. À cet effet, nous avons mené auprès d’étudiants en traduction une expérience basée sur des tests spontanés de production lexicale afin de connaître leur perception des termes les plus familiers à partir d’éléments extraits de la base de données VariMed. Les résultats de l’expérience ont permis de mieux définir les paramètres qui influencent la familiarité des sujets avec les mots et les termes et, de là, les choix lexicaux des traducteurs.
EN :
Translators often face the challenge of choosing among a plethora of terminological variants which have a similar meaning. Denominative variation, also known as terminological variation, causes uncertainty in the mind of the translator not only when looking for translation equivalents but also from a cognitive point of view. Uncertainty is also an issue when the translator is not sure whether the target audience will be familiar with the terminological variant s/he has chosen. Uncertainty is a real challenge for translators and researchers alike requiring the creation of terminological databases adapted to the needs of translators. VariMed is a terminological resource which focuses on the cognitive and communicative motivations of denominative variation, and their reflection in the terminological variants of a concept.
The aim of this paper is to explore the grey areas related to the translation of denominative variation in medical translation, a phenomenon taking place both at the intralinguistic and interlinguistic level within the framework of the research projects VariMed et CombiMed. We also study the cognitive phenomenon of familiarity (Delgado 1988; Connine, Mullennix et al. 1990; Gómez Veiga, Carriedo López et al. 2010) among non-experts as an additional source of doubt on the part of the translator. To this end, we experimentally studied which terminological variants trainee translators perceived as more familiar in spontaneous production tasks based on data from the VariMed database. The results of the experiment shed some light on the parameters that influence familiarity with words and terms, and thus, the lexical choices of translators.
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Doute et négociation : la perception des traducteurs professionnels
Isabelle Collombat
p. 145–164
RésuméFR :
Le présent article, qui porte sur la perception qu’ont les traducteurs et traductrices du doute et de la négociation dans leur pratique professionnelle, part du constat que l’intégration explicite des compétences dites « émotionnelles » dans la compétence globale du traducteur est encore embryonnaire, alors que les spécialistes de la notion de compétence en ont démontré le rôle central. De fait, la gestion du doute (rationnel comme personnel) et la négociation, qui ressortissent à la dimension interpersonnelle, sont omniprésentes dans l’exercice de la profession : mal gérée, la composante relationnelle peut constituer une source de difficultés obérant la compétence globale du traducteur en nuisant notamment à sa confiance en soi.
Les aspects concrets du doute et de la négociation dans la pratique de la traduction professionnelle y sont étudiés par l’intermédiaire d’un sondage effectué auprès de traducteurs professionnels francophones du Québec et du Canada, visant à examiner la manière dont ils vivent et gèrent le doute dans la négociation au quotidien. L’analyse des réponses des 180 participants est abordée selon quatre thématiques couvrant les différences entre hommes et femmes ainsi que l’influence du nombre d’années d’expérience, du domaine de spécialité et du contexte d’exercice de la profession.
EN :
This paper addresses how translators perceive the notions of doubt and negotiation in the course of their professional activities. The starting point is the observation that the actual integration of so-called emotional skills in the global competency of translators is still embryonic despite their central role as highlighted by competency experts. In fact, the interpersonal dimension is omnipresent in the practice of professional translation, through rational and self-doubt management and negotiation. A poorly managed relational component may negatively impact a translator’s global competency, ruining self-confidence. Practical effects of doubt and negotiation are analysed via a survey of French-speaking professional translators in Québec and Canada. The analysis of the responses of 180 respondents covers four themes regarding gender differentials as well as the impacts of the number of years of professional experience, the specialty and the context of professional practice.
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Hermeneutic Uncertainty and Prejudice
Ineke Wallaert
p. 165–186
RésuméEN :
Hermeneutic uncertainty is an inherent part of the art of translation, and its consequences are ineluctable features of translation products. In this article I support the claim that the teaching and practice of translation do not escape the social responsibility which resides in clearly declaring and acknowledging the existence of hermeneutic uncertainty. Investigating how Heideggerian hermeneutics led to Gadamer’s development of the concept of hermeneutic prejudice. I will show that the philosophical description of how this prejudice functions can be a useful part of the pedagogical materials presented by translation teachers, and can help students to approach ambiguous or difficult source text elements more confidently. Such hermeneutic consciousness-raising can also be applied to published translations, where it can be tested to reveal how translators have dealt with specific instances of hermeneutic uncertainty. The case studied here is a pair of terms occurring in Walter Benjamin’s Die Aufgabe des Übersetzers, chosen mainly for its ubiquitous presence in the field of translation studies. The story of how French and English translations differ in their understanding of this specific hermeneutic difficulty will be used to investigate the extent to which translators acknowledge (or ignore) the existence of hermeneutic uncertainty by allowing it to enter their translations or by discarding it from them.
FR :
L’incertitude herméneutique fait partie intégrante de l’art du traduire, et ses conséquences sont un aspect inéluctable de ses produits. Dans le présent article, nous soutenons que l’enseignement et la pratique de la traduction n’échappent pas à la responsabilité sociale qui consiste à déclarer clairement l’existence de l’incertitude herméneutique et à en reconnaître les tenants dans la pratique traductive. Nous montrons comment l’herméneutique heideggérienne a mené Gadamer vers le concept de préjugé(s) herméneutique(s) et nous démontrons que la description philosophique des fonctionnements de ce(s) préjugé(s) peut constituer un outil pédagogique dont les enseignants en traduction peuvent se servir afin d’aider leurs étudiants à traiter des éléments ambigus ou difficiles du texte source avec plus de confiance. Cette prise de conscience herméneutique peut également s’appliquer à des traductions publiées, où elle peut être testée dans sa capacité de révéler comment certains traducteurs ont géré des cas spécifiques d’incertitude herméneutique. L’exemple étudié ici est une paire de termes qui figurent dans Die Aufgabe des Übersetzers de Walter Benjamin, un essai choisi pour son ubiquité dans le domaine de la traductologie. Analyser comment les traductions françaises et anglaises diffèrent dans leur traitement de cette difficulté herméneutique servira ici à examiner à quel point les traducteurs sont prêts à reconnaître (ou à ignorer) des cas d’incertitude herméneutique, en donnant ou en refusant à cette dernière une place dans leurs traductions.
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Quelques certitudes sur la préservation de l’incertitude dans le texte traduit
Muguraş Constantinescu
p. 187–203
RésuméFR :
Nous proposons dans notre article une réflexion sur les stratégies de préservation de l’ambiguïté – globale, ponctuelle ou totale – dans un texte littéraire, notamment dans un texte poétique traduit, accueilli par une autre culture. Comme on le sait, le texte poétique en particulier et le texte littéraire en général exploitent parfois l’ambiguïté, l’obscurité et la plurivalence des sens ; le défi pour le traducteur sera alors de les garder, leur préservation étant garante de toutes les lectures possibles. En partant de plusieurs traductions de poèmes de Mallarmé, Valéry et Tzara du français vers le roumain et des auto-traductions du roumain vers le français de Luca, nous identifierons les difficultés récurrentes que le traducteur doit vaincre et nous analyserons les divers procédés et stratégies utilisés dans ce but. Face aux pièges de l’ambiguïté, il reste au traducteur comme attitude et stratégie adéquates l’exploration à fond des potentialités de la langue traduisante, conduisant à l’éveil des termes rares ou anciens ou même à la trouvaille ; à cela s’ajoute une créativité au second degré, bien maîtrisée par les contraintes de l’original.
EN :
The aim of the present paper is to reflect upon the strategies of preserving global as well as specific or total ambiguity in a literary text (a poetic text in particular) when translated and therefore imported by another culture. It is a well-known fact that literary texts in general, and poetic texts in particular, sometimes make use of ambiguity, obscurity and plurivalence of meaning, which represent a real challenge for the translator, who is supposed to preserve them and ensure all potentialities. Starting from a series of Romanian versions of poems by Mallarmé, Valéry and Tzara as well as some of Luca’s self-translations (from Romanian into French), we will identify the recurring difficulties the translator is faced with and the solutions he finds. While facing the traps of ambiguity, the translator is left to explore the potential of the target language, which sometimes implies resorting to rare, archaic terms or even “trouvailles” and a second-degree creativity restricted by what(ever) is imposed by the original.
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Des zones d’indécidabilité dans la traduction automatique et dans la traduction humaine
Silvia Kadiu
p. 204–220
RésuméFR :
Cet article examine le concept d’indécidabilité de Jacques Derrida dans la traduction automatique et dans la traduction humaine. Définie comme la condition même de toute possibilité d’action et de décision (Caputo 1997 : 137), l’indécidabilité est la composante structurelle de toute décision. S’appuyant sur le concept de Derrida pour penser la complexité des processus décisionnels à l’oeuvre dans l’acte traductif, cet article explore les zones d’indécidabilité dans les traductions d’un extrait de Traduire au xxie siècle d’Henri Meschonnic (2008). Délibérément choisi pour sa résonance directe avec la notion d’indécidabilité, le commentaire de Meschonnic soutient que, mis à part les traductions automatiques, aucune pratique de la traduction n’est possible sans prise de décision réflexive (Meschonnic 2008 : 60). Les observations traitées dans cet article remettent en question l’opposition homme-machine en traduction en montrant que la programmabilité et l’indécidabilité sont des caractéristiques communes à la traduction automatique et à la traduction humaine. Cette étude semble ainsi indiquer que, comme condition préalable à toute prise de décision éthique, l’incertitude doit être développée au sein même des systèmes de traduction automatique et qu’une formation approfondie des traducteurs aux technologies de la traduction est indispensable pour un usage responsable de la traduction automatique.
EN :
This article examines Jacques Derrida’s concept of undecidability in machine and human translation. Defined as the very condition of possibility of acting and deciding (Caputo 1997: 137), undecidability is an essential component of decision-making. Using Derrida’s concept as a starting point for thinking the intricacies of translation decision processes, this article explores manifestations of undecidability in the translations of an extract from Henri Meschonnic’s Traduire au XXIe siècle (2008). Deliberately selected because of its direct resonance with the notion of undecidability, Meschonnic’s comment claims that, except for automated translations, no practice of translation is possible without reflexive decision-making (Meschonnic 2008: 60). The observations discussed in this article challenge clear-cut distinctions between human and automated translations by showing that programmability and undecidability are features shared by both humans and machines in translation. As such, this study suggests that uncertainty, as a pre-condition of ethical decision-making, must be fostered within mechanical translations themselves, and that in-depth training in translation technology is necessary for a responsible use of machine translation.
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La réception ambivalente de Orientalism d’Edward Saïd dans le monde arabe – une question de traduction ?
Faiza El Qasem
p. 221–236
RésuméFR :
Tout acte de traduction laisse des traces dans la mesure où le traducteur « emprunte » une voix qui n’est pas la sienne. Ce faisant, le traducteur révèle la clé de sa démarche, qui vise soit à s’effacer derrière la voix de l’auteur traduit, à être le passeur en quelque sorte d’une autre parole poétique, d’un autre regard sur le monde, soit au contraire à imprimer sa voix, à influer sur le traduire. Cela implique une prise en compte de la visibilité du traducteur, donc de sa subjectivité et par là même, une remise en cause des concepts traditionnels de la théorie et de la pratique de la traduction ayant trait à la fidélité, au sens et à l’interprétation. Traduire, c’est réécrire l’original non seulement pour faire passer un sens mais aussi pour refléter une certaine idéologie, introduire de nouveaux concepts, de nouveaux genres, bref, innover.
La position du traducteur face à l’altérité diffère selon qu’il cherche à narguer les règles de sa langue culture estimant qu’elles ne suffisent pas à rendre compte du contenu du texte à traduire, ou à l’inverse, à ne pas laisser subsister de points d’interrogation pour ne pas désorienter le lecteur et concevoir ainsi la lecture d’un texte traduit comme si l’auteur s’était directement exprimé dans la langue de traduction.
Dans ce contexte, nous interrogerons les pratiques des traducteurs arabes de l’ouvrage phare d’Edward Saïd, Orientalism, telles qu’elles sont données à lire à travers leurs préfaces. Nous ferons ensuite le lien avec la réception de l’ouvrage dans le monde arabe. Ces préfaces interrogent aussi le statut du traducteur : auteur de plein droit ou traducteur découvreur ? Telles sont les questions auxquelles nous nous intéresserons pour étudier l’empreinte du traducteur sur le texte.
EN :
Every act of translation leaves a trace insofar as the translator “borrows” a voice that is not his. In doing so, the translator reveals the key to his approach, whereby he aims either to hide behind the voice of the translated author, to be a sort of a go-between, as it were, of another’s poetic expression, of a different perspective on the world, or, conversely, to imprint his voice and thus exert an influence on the translated text. This notion takes into account the visibility, and hence the subjectivity, of the translator, thereby challenging traditional concepts within the theory and practice of translation with regard to fidelity, meaning and interpretation. To translate is not only to rewrite the original with the purpose of conveying its specific meaning, but also to reflect a certain ideology, to introduce new concepts and genres, in short, to innovate.
The position of the translator in the face of alterity differs depending on if he chooses to flout the rules of his cultural language, considering it insufficient for capturing the content of the text to be translated, or, on the contrary, if he chooses to eliminate unresolved issues in order to avoid disorienting the reader, thus formulating a reading of the translated text as if the author had directly expressed himself in the target language.
Working within this framework, we will examine the practices and methodologies of Arabic translators of Edward Saïd’s monumental work Orientalism as they are presented in the prefaces to the various translated editions. We will then establish a link with the reception of Saïd’s work in the Arab world. The prefaces also question the role of translators: are they authors in their own right or translators/discoverers? These are the principal questions of interest in this study on the imprint of the translator on the text.
Documentation
Comptes rendus
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Löckinger, Georg (2014) : Übersetzungsorientierte Fachwörterbücher. Entwicklung und Erprobung eines innovativen Modells [Dictionnaires à l’usage des traducteurs. Développement et test d’un modèle original]. Berlin : Frank & Timme, 316 p.
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Robinson, Douglas (2015): The Dao of Translation: An East-West Dialogue. London/New York: Routledge, 256 p.
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Massidda, Serenella (2015) : Audiovisual Translation in the Digital Age : The Italian Fansubbing Phenomenon. Basingstoke/New York : Palgrave MacMillan, 117 p.
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Nicodemus, Brenda and Swabey, Laurie, eds. (2011): Advances in Interpreting Research: Inquiry in Action. Amsterdam: John Benjamins, 264 p.
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Silva-Santisteban, Ricardo (2013): Breve historia de la traducción en el Perú. Lima: Instituto Bibliográfico del Perú, 117 p.
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Humbley, John et Torres Vera, Oscar (2011) : La traduction trilingue : Traduire du français vers l’anglais et l’espagnol. Paris : Ophrys, 220 p.