À la fin de l’année 1986 était créé en France un Centre de terminologie et de traduction : le Centre Jacques Amyot. Sa direction en était confiée à Antoine Berman (1942-1991), traducteur et traductologue extrêmement reconnu par ses pairs, dont les qualités intellectuelles devaient assurer la légitimité de cette entreprise nationale et son rayonnement sur la scène mondiale de la traduction. Le nom de Jacques Amyot, pourtant le plus célèbre des traducteurs français de la Renaissance, était cependant largement inconnu non seulement du public, mais aussi des partenaires potentiels du Centre. C’est ainsi que, pour faire connaître celui que Jean Delisle (1995) appelle le « prince des traducteurs », Antoine Berman entreprit la rédaction d’un ouvrage sur Amyot et sur la traduction en France. Aujourd’hui, soit plus de 20 ans après la disparition de l’auteur, cet ouvrage est porté à notre connaissance grâce au travail d’Isabelle Berman. Comme Berman l’explique lui-même dans la préface, il lui apparut vite indispensable de replacer Jacques Amyot dans le contexte plus global de la traduction en France au xvie siècle puis, au fil de sa réflexion, de remonter au xive siècle et à son plus grand traducteur, Nicole Oresme. C’est ainsi que Jacques Amyot traducteur français, Essai sur les origines de la traduction en France, troisième ouvrage posthume d’Antoine Berman, porte sur deux époques de l’histoire de la traduction en France, qui ont cela de spécifique qu’elles ont vu naître la tradition française de la traduction. Berman définit lui-même son ouvrage comme un essai réflexif ne visant pas à la consécration d’une science de la traduction, mais cherchant simplement à dévoiler des domaines de pensée et de réflexion en rapport avec les multiples dimensions que prend la traduction quand elle est appréhendée sous l’angle historique. Le titre de l’introduction est explicite : nous sommes dans le domaine de l’archéologie de la traduction, domaine sur lequel est déjà penché Berman auparavant. En partant du constat fait par Schleiermacher, Goethe et Novalis, que la tradition française de traduction est essentiellement annexionniste et « ethnocentrique », Berman s’interroge sur la tradition à laquelle lui-même appartient en tant que traducteur : quelle est son origine ? Quelles en sont les traductions majeures ? Quels grands traducteurs ont permis l’émergence d’une forme spécifiquement française de traduction ? Et enfin quel est le statut assigné à l’acte de traduire dans notre culture ? Il part pour cela d’un distinguo essentiel, celui qui existe entre début et origine, l’origine arrivant après le début, au moment où une ou plusieurs traductions s’accomplissent sur un mode de traduire qui devient un modèle, comme cela a été par exemple le cas en Allemagne avec la Bible de Luther. En France, cette origine de la traduction est, pour Berman, doublement fondée sur les oeuvres-de-traduction de Nicole Oresme et Jacques Amyot, tous deux évêques, précepteurs de rois et conseillers royaux. À l’époque de Nicole Oresme, soit le xive siècle, non seulement la langue du savoir est le latin mais, de plus, le français est une langue orale dépourvue de grammaire et diversifiée dans les « pais » de France. Premier roi à vouloir asseoir son autorité sur une langue française unifiée dont il veut par ailleurs faire une langue de culture, Charles V confie le transfert de savoir du latin au français, ou Translatio studii, à Nicole Oresme, dont l’extraordinaire projet linguistique est « doublement fondateur » en ce sens qu’il « mène la traduction médiévale à son accomplissement » tout en préfigurant une « traduction à venir » qui n’est plus seulement liée à la translatio du Moyen-Âge. Bien …
Parties annexes
Bibliographie
- Berman, Antoine (1986b) : La terre nourrice et le bord étranger. Une archéologie de la traduction en France. Communications, 43:205-222.
- Delisle, Jean (1995). Les traducteurs dans l’histoire. Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa.