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Alicante, capitale de la province homonyme, est la deuxième ville la plus importante de la communauté valencienne dans le sud-est de l’Espagne. Cette communauté est, avec la région autonome de la Catalogne, et les îles Baléares, un des trois territoires catalophones autonomes d’Espagne[1]. La question linguistique revêt donc une importance marquée dans cette région.
De l’Université d’Alicante, qui compte un département de traduction et d’interprétation depuis 2007, nous connaissons la collection MONTI Monographies de Traduction et d’Interprétation, publiée en cinq langues (espagnol, catalan, anglais, français et allemand) depuis 2009 en collaboration avec les deux autres universités publiques de la région, à savoir : l’Université Jaume-I et l’Université de Valence.
L’ouvrage dont il est question ici est antérieur à cette collection et peut dès lors être considéré comme l’opera prima d’un groupe de traductologues espagnols désireux de diffuser leurs travaux. Dans ce volume, ils font en outre appel à des auteurs reconnus au niveau international. Le Canada se trouve en tête avec un article de Georges L. Bastin, sur la pédagogie de la traduction. Alexis Nouss, qui enseigne maintenant à Cardiff, mais dont le nom a longtemps été associé à l’Université de Montréal, est également présent dans le premier bloc de textes intitulé : « De la visión histórica a los nuevos retos en traducción e interpretación ». L’article de Nouss pose la question, fondamentale, de savoir « comment la traductologie définit ses objectifs et ses méthodes d’analyse ».
Lawrence Venuti, Mourad Zarrouk, de l’Université de Grenade en Espagne et de l’École Supérieure Roi Fahd de Tanger, ainsi que Teresa Tomaszkiewicz, de l’Université Adam Micikiewicz de Poznan en Pologne, sont les trois autres auteurs « internationaux » invités à participer à ce recueil de textes auquel ont également collaboré « des chercheurs, des professeurs, des professionnels et des étudiants espagnols ».
La formation des traducteurs, mais aussi les outils didactiques, la traduction littéraire, la traduction spécialisée et l’histoire de la traduction sont traités dans cet ouvrage à thèmes très variés. À la première partie qui présente le texte des auteurs invités et celui de deux des directeurs de l’ouvrage, s’ajoute une deuxième partie subdivisée en quatre chapitres consacrés aux thèmes mentionnés ci-dessus. Les contributions proviennent d’auteurs associés pour la plupart à l’Université d’Alicante. Suivent l’Université de Grenade et six autres universités espagnoles. Figurent également des textes en provenance d’universités du Pérou, du Costa Rica et d’Allemagne. Les contributions, quoique portant essentiellement sur l’Espagne et l’Europe occidentale, font des allers-retours dans d’autres zones géographiques telles que l’Europe de l’Est, la Chine, le monde arabe et les Amériques.
Dans l’ensemble un peu hétéroclite des textes de ce recueil, on peut souligner l’importance de la contribution de Brigitte Lépinette, « La traducción como ciencia auxiliar de la historia. Condillac en España ». Lépinette, professeure à l’Université de Valence en Espagne, a derrière elle une longue carrière dans le domaine de la philologie française au pays de Cervantès. En 2010, un recueil de textes sur la théorie, la traduction, et les outils didactiques de la langue française, lui a été consacré par son université, dans le cadre de son 65e anniversaire[2]. Lépinette a également largement contribué à l’histoire de la traduction, avec notamment des études contrastives franco-espagnoles[3]. Son article souligne en particulier le besoin de :
[…] tomar en cuenta, de forma sistemática, características a veces consideradas como externas a la traducción misma, como son, por ejemplo : (i) la producción del TO [texto origen] con su finalidad cultural, ideológica o social, etc. en el país de origen ; (ii) la recepción particular de un individuo que reorienta, en su traducción, adaptación o refección, las significaciones para el público que leerá dicho texto en su lengua de llegada ; (iii) la recepción colectiva de los lectores del TL [texto de llegada], demostrada por la difusión, es decir, la acogida que tuvo éste por parte del grupo social que constituyen dichos lectores y las consecuencias, de diferentes tipos, a las que finalmente da lugar la traduccion.[4]
L’étude de cas de Lépinette, les traductions espagnoles de La logique et du Cours d’étude de Condillac, amène le lecteur à réfléchir sur l’importance de l’historicité des traductions, surtout de celles qui ont un impact socio-historique marqué parce qu’elles s’insèrent dans des relations de pouvoir entre les forces prônant le changement et les forces conservatrices d’une société donnée. Ce sujet, à n’en pas douter, est toujours d’actualité.
Le deuxième et dernier texte de cet ouvrage collectif sur lequel nous aimerions attirer l’attention est : « Historia de la traducción : reivindicación de un pasado ¿imperfecto ? » de Julio César Santoyo, « catedrático » de l’Université de Léon. Le texte de Santoyo, « contribution extraordinaire » au projet, est placé en qualité d’épilogue du recueil. L’auteur s’y livre à un plaidoyer sur l’importance de l’histoire en général, et tout particulièrement de l’histoire de la traduction dans la formation des traducteurs, selon lui menacés, faute de cet ingrédient dans leur cursus, de devenir des « analphabètes culturels ». Santoyo conclut que l’histoire de la traduction sert à transmettre trois leçons de taille : « 1. À ne pas découvrir des Méditerranées déjà découvertes, 2. Faire la correction de graves erreurs qui se transmettent d’une génération à l’autre de traducteurs, 3. Garder du respect et de l’admiration pour les traducteurs qui nous ont précédés ». (p. 499) On ne saurait être en désaccord avec de tels postulats.
L’édition du recueil est soignée, même si l’on peut regretter l’absence de référence relative au tableau de Saint-Jérôme qui figure sur la couverture (du peintre flamand Marinus van Reynerswale). À cette représentation du patron des traducteurs, les directeurs de l’ouvrage ont inséré un ordinateur portable… clin d’oeil humoristique dans un contexte plutôt solennel.
« La traducción : balance del pasado y retos del futuro » aborde donc un très large éventail de sujets et intéressera les lecteurs hispanophones et hispanophiles de tous horizons. Bien qu’il ne s’articule autour d’aucun axe thématique particulier, cet ouvrage collectif illustre bien les thèmes à l’étude en traductologie et les questions générales qui traversent la discipline.
Parties annexes
Notes
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[1]
La langue parlée dans la communauté valencienne est néanmoins officiellement considérée comme le valencien qui se différencie du catalan. L’Académie de la langue valencienne est l’institution normative de cette variante dialectale occidentale du catalan. Voir Institut d’Estudis Catalans (ed.) : « Valencià » (en catalan). Diccionari de la llengua catalana.
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[2]
Voir De Miguel, Juan Carlos, Hernandez, Carlos et Pinilla, Julia (dir.) (2010) : Enfoques de teoría, traducción y didáctica de la lengua francesa. Estudios dedicados a la profesora Brigitte Lépinette. Valencia : Universitat de València.
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[3]
Voir Historia de la traducción, <http://www.uv.es/lepinet/Historia%20de%20la%20traduccion.htm>.
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[4]
« […] de tenir en compte, de façon systématique, des traits considérés comme externes à la traduction […] par exemple (i) la production du TD [texte de départ] avec sa finalité culturelle, idéologique ou sociale, etc. dans le pays d’origine ; (ii) la réception particulière d’un individu qui réoriente, dans sa traduction, adaptation ou réparation, les significations pour le public qui lira ce texte dans sa langue d’arrivée ; (iii) la réception collective des lecteurs du TA [texte d’arrivée], mesurée par sa diffusion, c’est-à-dire, l’accueil dont il a fait l’objet de la part du groupe social que constituent lesdits lecteurs et les conséquences, de différents types, auxquelles donne finalement lieu la traduction. » (p. 431, notre traduction).