Corps de l’article
Quel amoureux de la langue ne s’est jamais perdu en rêveries en feuilletant les citations enchanteresses du Grand Robert (ou, à défaut, du Petit) ?
Et pourtant, quel traducteur n’est pas resté perplexe devant une définition ou une citation du Petit Robert qui, certes, le charment, mais n’ont rien pour répondre à ses besoins immédiats, compte tenu de la nature précise des textes qui lui sont confiés ?
C’est ainsi que le traducteur se prend parfois à rêver d’un dictionnaire qui, tout en présentant les qualités du Robert, lui parlerait non pas principalement des trésors de la littérature française, mais des ressources du français administratif, celui avec lequel il joue – n’osons pas dire se débat – dans son travail quotidien.
C’est l’outil qu’on lui annonce sur la couverture de L’Administration en bons termes – 1000 mots clés pour comprendre et utiliser le langage administratif. Le traducteur n’aura pas manqué de remarquer le choix des mots comprendre (donc, il y aura des définitions) et utiliser (donc, il y aura des exemples et, si on est chanceux, des cooccurrents).
Or, en feuilletant l’ouvrage, il se rendra compte que celui-ci ne s’adresse pas vraiment au langagier. On le dit d’ailleurs en avant-propos : il s’adresse « aux étudiants et aux fonctionnaires qui passent les concours administratifs, aux fonctionnaires [et] aux citoyens qui désirent dialoguer avec l’administration » (p. 8). La brochette des auteurs est également significative : dix signataires jouissant d’une longue expérience de l’administration sous toutes ses facettes, mais pas de linguiste, et encore moins de traducteur.
Deuxième déception du traducteur québécois – et il s’y sera attendu : l’ouvrage est franco-français. Partant, une part substantielle de ses articles ne revêtira qu’un intérêt marginal pour lui. Pensons à des termes – nombreux – du genre Fonds régional d’art contemporain (FRAC), Objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ou Direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Pour ce qui est des termes à portée plus générale, le traducteur n’apprendra pas nécessairement grand-chose en consultant des articles comme formation permanente, taux d’imposition ou dossier médical. Même dans un article comme État, terme qui n’est pas sans intérêt pour le traducteur administratif qui jongle entre les différentes traductions de government (gouvernement, administration, pouvoirs publics, autorités, ou État ?), il n’y trouvera pas une réflexion plus poussée que ce que lui offriront ses documents de référence habituels.
Cela dit, l’ouvrage est loin d’être dénué d’intérêt pour le traducteur curieux de faits de langue idiomatique. En effet, s’il y a un peuple qui s’y connaît en langage administratif, c’est bien les Français. Ainsi, si le traducteur trouvera dans le dictionnaire peu d’articles qui sauront lui être utiles sur le plan strictement du contenu, et si par ailleurs l’ouvrage lui apporte peu ou prou de ces observations linguistiques dont il est friand (distinctions entre quasi-synonymes, cooccurrents), ce n’est pas sans se délecter que le traducteur averti, en examinant les définitions ingénues de ces fonctionnaires, trouvera toutes sortes de tournures propres à l’aider à sortir de ses ornières. Prenons au hasard l’article formalité : « Opération que doivent obligatoirement accomplir l’administration ou l’administré pour assurer la validité de leurs actes ou de leurs demandes. S’agissant de l’autorité administrative, l’inobservation de certaines formalités dites “substantielles” peut entraîner l’annulation de l’acte en cause par le juge administratif » (p. 230).
Ainsi, ce n’est pas en cherchant une information précise, mais en butinant dans ce dictionnaire que le traducteur d’ici y trouvera son compte. Par exemple, comment ne pas être intrigué par cette notion de fongibilité d’un budget ? (« Caractéristique de crédits budgétaires dont l’objet et la nature ne sont précisés qu’à titre indicatif, le gestionnaire de ces crédits pouvant les redéployer en cours d’exercice sous certaines conditions afin d’optimiser sa gestion » [p. 229]). Encore là, la question se pose : le mot est beau, mais quand sera-t-il opportun de l’utiliser ? Idem pour infogérance (« Technique visant à externaliser tout ou partie de l’informatique et à la confier à un prestataire. » [p. 254]). Une fois encore, c’est peut-être plus la formulation de la définition que son contenu qui sera utile au traducteur.
Au-delà de ces réserves, il y a lieu de signaler une section d’une dizaine de pages par laquelle les auteurs font preuve d’une originalité digne de mention et tombent, cette fois, pile-poil sur les attentes du traducteur. Il s’agit de l’article Verbes de l’administration, qui sort du domaine de prédilection habituel des auteurs de ce genre d’ouvrage – le substantif – pour présenter quelques dizaines de verbes typiques du langage administratif, avec exemples d’utilisation à l’appui et souvent cooccurrents, depuis alléger des charges, arrêter (au sens de /fixer/, /décider/) et asseoir sur (/calculer sur une base déterminée/) jusqu’à stipuler et surseoir, en passant par fonder en droit, grever, homologuer…
Bref, un outil plein de petits trésors, pour peu qu’on soit conscient des limites inévitables que présente un ouvrage sur le français de l’administration hexagonale pour un traducteur canadien.