De la localisation à la délocalisation – le facteur local en traduction[Notice]

  • Nicolas Froeliger et
  • Jean-René Ladmiral

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  • Nicolas Froeliger
    Université Paris Diderot - Paris 7, Paris, France
    nf@eila.univ-paris-diderot.fr

  • Jean-René Ladmiral
    ISIT, Paris, France
    Université Paris X - Nanterre, Paris, France

Paradoxalement, pour traiter d’une problématique contemporaine comme celle qui fait l’objet thématique du présent numéro de Meta, il se trouve que nous sommes amenés à partir de l’immémorial couple paradigmatique que constituent l’espace et le temps. Pour traduire comme pour poser une réflexion sur la traduction, nous avons en effet besoin de nous situer à l’intérieur d’un cadre : on ne traduit pas, on ne cherche pas à théoriser – et, bien sûr, on n’enseigne pas – dans le vide ou dans l’absolu. Le plus immédiat de ces modes de repérage est sans doute le temps. Il est possible d’y distinguer (au moins) deux aspects. D’une part, il y a l’histoire de la traduction, avec un axe « spirituel » ou religieux, qu’on pourra faire remonter à la Bible des Septante. On observera alors, à la suite de la rédaction de la Vulgate par saint Jérôme, que s’opère une dialectique entre l’intention « cibliste » de la traduction elle-même et son invocation « sourcière » dans une perspective de la dogmatique ecclésiale (voir le concile de Trente, qui déclare « authentique » et donc intouchable la traduction de Jérôme). Il faut aussi prendre en compte un arc profane (« temporel »), avec la naissance et le développement de traductions commerciales et juridiques. Sans oublier, bien sûr, le vaste continent des traductions littéraires, y compris celles des textes de divertissement : ces traductions-là sont beaucoup plus diverses et « libres », mais en principe moins durables. Les unes et les autres étant par ailleurs tributaires d’éléments idéologiques plus ou moins déterminants. D’autre part, il faut considérer les conditions matérielles d’exercice de la profession et leur évolution. Sans remonter jusqu’à la correspondance diplomatique des potentats locaux du Croissant fertile avec leur suzerain égyptien, rappelons, à cet égard, qu’il y a quelque vingt-cinq ans, un délai de trois semaines – temps d’acheminement par voie postale compris – pour traduire vingt pages normalisées était jugé « serré ». On a vu des demandeurs proposer spontanément un tarif d’urgence dans de tels cas de figure… C’était l’époque, pour les professionnels les plus sophistiqués, des dictaphones, des rudimentaires machines de traitement de texte, qui ont fait long feu, puis des premiers ordinateurs individuels. Ensuite sont arrivés, successivement, télécopieur, modem, Internet, courrier électronique, traduction assistée par ordinateur, linguistique sur (ou de) corpus, extracteurs de terminologie et bien d’autres outils encore. Tout cela a modifié à la fois la demande, la façon de traduire, les conditions économiques d’exercice, l’organisation des métiers et, par voie de conséquence, la façon de penser la traduction. On mesurera cette évolution à la lumière d’une anecdote remontant à 1984. Une traductrice anglophone établie en France suscitait alors un tollé en proclamant lors d’une réunion professionnelle : « Translators should use typewriters »… Cette dimension de la temporalité conduit à s’interroger sur les paramètres de la qualité et de l’acceptabilité des traductions. Pourquoi estimait-on légitime de modifier forme, fond et intrigue, par rapport à l’original au xviie siècle et pas aujourd’hui (voir Mounin 1955) ? Pourquoi certaines façons de traduire sont-elles considérées comme valides à une époque et pas à d’autres – au point que les oeuvres qui en sont issues se retrouvent avec le temps bannies du champ de la traduction (comme la paraphrase du monologue de Hamlet par Voltaire ou la réécriture de Little Women, devenu Les quatre filles du docteur March, une fois adapté par Hetzel ; voir en particulier Le Brun 2003) ? Du coup, qu’appellera-t-on traduction et traducteurs dans dix, vingt ou cinquante ans ? Cette question se posant tout spécialement à ceux qui sont non …

Parties annexes