Lorsque le traducteur littéraire français Georges Hérelle (1848-1935) a fait don à la Bibliothèque de Troyes de tous les documents de travail qu’il a accumulés en une trentaine d’années de métier et de la correspondance qu’il a entretenue avec « ses » auteurs principaux, il ne devait certainement pas s’imaginer qu’un petit livre en serait tiré quelque 80 années plus tard. Pourtant, parmi toutes ces notes se trouvait le manuscrit du Petit mémoire d’un traducteur, un texte à mi-chemin entre l’essai et l’autobiographie, très accessible et intéressant pour ceux qui s’intéressent à la traduction et à son histoire. Jean-Marie Van der Meerschen, fondateur des Éditions du Hazard, maison d’édition de l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes de Bruxelles consacrée à la traductologie et à la linguistique, y a vu une belle occasion de présenter la traduction française au tournant du xxe siècle. Par ailleurs, la publication de ce Petit mémoire d’un traducteur est également un hommage à Georges Hérelle lui-même, professeur et historien passionné de traduction, qui a fait découvrir aux lecteurs francophones de grands auteurs italiens et espagnols tels que Gabriele D’Annunzio, Grazia Deledda, Matilde Serao et Vicente Blasco Ibáñez. C’est avec bonhomie que Hérelle révèle sa vie de traducteur, les défis linguistiques et culturels auxquels il a été confronté ainsi que différents points de vue sur la théorie et la pratique de la traduction. Dans la préface, Van der Meerschen s’empresse toutefois de préciser que ces écrits remontent à la fin de la Première Guerre mondiale et que les propos de Hérelle pourront sembler désuets aux yeux des traductologues d’aujourd’hui. Notons tout de même que le traducteur français aborde, sans les nommer bien sûr, des notions toujours d’actualité en traductologie comme l’équivalence, les shifts ou encore le dilemme traduction ethnocentrique – traduction exotisante. Dans l’introduction, Hérelle explique comment il est devenu traducteur par hasard. Ce récit agréable à lire, ponctué d’anecdotes et toujours teinté d’une couleur très personnelle, démontre un talent de conteur étonnant chez l’auteur. D’emblée, Hérelle donne le ton en s’attaquant aux traducteurs tâcherons qui multiplient les travaux vite faits pour de simples raisons pécuniaires. Le traducteur, avance-t-il, doit plutôt respecter sa conscience littéraire en ne choisissant que de grandes oeuvres dignes d’être présentées à l’étranger, quitte à le faire gratuitement. Cette dernière proposition peut par ailleurs faire sourire, lorsqu’on sait que Hérelle était choyé par son éditeur et bénéficiait de conditions exceptionnelles (Wilfert-Portal, 2002). Dans le premier chapitre, Hérelle aborde l’éthique que tous les traducteurs littéraires devraient démontrer lorsqu’il s’agit de choisir une oeuvre à traduire. Il répète qu’il est inutile de traduire des oeuvres médiocres, même s’il s’agit de succès populaires. À son sens, les oeuvres dépourvues d’originalité ne méritent pas d’être traduites, et c’est pourquoi il ne s’est intéressé qu’à des récits fortement ancrés dans la culture de leur pays d’origine (contrairement, par exemple, à des romans italiens ou espagnols qui s’inspirent de la littérature française de l’époque). Bien entendu, ce traducteur quelque peu utopique, qui ne traduit que pour l’amour de l’art et dont la nature de la tâche ne dépend que du bon goût et des coups de coeur personnels, appartient à une époque sans agent littéraire, où il suffisait d’approcher tout bonnement l’auteur pour obtenir sa bénédiction. C’est également dès ce premier chapitre que Hérelle formule deux opinions assez tranchées sur la traduction, qui résument bien les différentes réflexions présentes tout au long de son Petit mémoire d’un traducteur : « Pour ce qui me concerne, j’ai toujours été convaincu que ce ne sont pas les théories qui engendrent les chefs-d’oeuvre, et qu’au contraire, ce sont les chefs-d’oeuvre …
Parties annexes
Bibliographie
- Vinay, Jean-Paul et Darbelnet, Jean (1958) : Stylistique comparée du français et de l’anglais. Montréal : Beauchemin.
- Wilfert-Portal, Blaise (2002) : Cosmopolis et l’homme invisible, Actes de la recherche en sciences sociales 2(144):33-46.