Après avoir étudié la réception du roman de science-fiction dans l’espace culturel français des années 1950 (cf. Gouanvic 1999), Jean-Marc Gouanvic s’attaque dans ce nouveau livre à la réception du roman réaliste américain en France dans les années 1920 à 1960, période où les deux guerres mondiales, en donnant sa légitimité à la littérature américaine, mettent à l’avant-scène des auteurs tels Henry James, John Dos Passos, Ernest Hemingway, John Steinbeck et Henry Miller. Comme l’indique le titre, Gouanvic s’efforce d’envisager la traductologie sous l’angle sociologique à la lumière des théories de Pierre Bourdieu pour la sociologie, d’Antoine Berman et de Henri Meschonnic pour la traductologie. Dans l’introduction et les premiers chapitres, l’auteur montre comment la théorie du constructivisme structuraliste de Bourdieu peut servir d’instrument pour analyser la réception du roman réaliste américain dans le champ littéraire français. Sociologue, Pierre Bourdieu (1930-2002) a exercé une importante influence sur le monde intellectuel français d’après-guerre. De la lutte des classes marxiste, il ne conserve que la notion de lutte, rejetant celle de classes parce qu’elle postule que toute lutte aurait un fondement économique. Selon lui, toute société se compose d’espaces sociaux plutôt qu’économiques, dotés d’une autonomie relative face à la société prise dans son ensemble. Les agents en position de domination tenteront d’imposer leurs productions culturelles et symboliques dans leur champ de spécialité respective. Et l’auteur de citer comme exemple de lutte dans le champ littéraire celle qui opposera les éditions Stock, Delamain et Boutelleau d’une part, les éditions Gallimard d’autre part, pour l’acquisition des droits de publication de Tender is the Night de Francis Scott Fitzgerald. Cette lutte s’exerce à partir de stratégies développées en fonction des impératifs de la société, lesquelles conditionnent l’agir des différents agents ; ces stratégies s’élaborent selon le processus, souvent inconscient, de la socialisation de l’individu, processus que Bourdieu appelle l’habitus. Les luttes menées par les traducteurs pour « imposer » leur production sont donc différentes des luttes menées par les écrivains puisque, pour les traducteurs, elles incluent deux champs spécifiques, le champ littéraire source et le champ littéraire cible, alors que l’écrivain ne lutte que pour s’affirmer dans le champ de la littérature source. Le rôle du traducteur consiste à décontextualiser le texte source, ses luttes et les enjeux de ses luttes, pour le recontextualiser dans le champ cible en fonction des luttes et des enjeux ayant cours dans celui-ci. Il est évident que ce processus n’est possible que s’il existe une homologie traduisant des affinités entre les deux champs, le champ cible reconnaissant dans le champ source certains aspects des enjeux et des luttes qu’il mène dans son propre contexte social. En 1989, Antoine Berman publiait dans la revue Meta un article, « La Traduction et ses discours », dans lequel il traçait un bilan des théories de la traduction ; six ans plus tard, était publié à titre posthume « Pour une critique des traductions : John Donne », dans lequel il énonçait sa propre théorie en matière de critique des traductions. Par critique, Berman entendait non pas une évaluation ou jugement sur la qualité d’une traduction, mais bien une « analyse rigoureuse d’une traduction, de ses traits fondamentaux, du projet qui lui a donné naissance, de l’horizon dans lequel elle a surgi, de la position du traducteur », processus qui permet de dégager « la vérité d’une traduction » (p. 13-14). Une telle approche, réflexion historique sur la nature de l’expérience analytique en traduction, se présente donc comme essentiellement sociologique et c’est à l’insertion de cette théorie dans le modèle du constructivisme structuraliste qu’est consacré le premier chapitre. D’emblée, l’auteur …
Parties annexes
Références
- Cowley, Malcolm (1973) : A Second Flowering – Works and Days of the Lost Generation. New York : Viking Press.
- Gouanvic, Jean-Marc (1999) : Sociologie de la traduction. La science-fiction américaine dans l’espace littéraire français des années 1950. Arras : Artois Presses Université.