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Depuis l’avènement de l’ordinateur, il y a à peine soixante ans, d’énormes changements sont intervenus dans la pratique de la traduction. De toute évidence, il est aujourd’hui impensable de traduire sans l’utilisation d’outils informatiques : traitement de texte, correcteur orthographique, moteur de recherche, etc. Beaucoup de traducteurs utilisent même des logiciels spécialisés tels que mémoire de traduction, base de données terminologiques et autres outils d’aide à la traduction. Ce n’est pas seulement la façon de travailler qui a changé ; la nature même des textes à traduire s’est modifiée. Au cours de sa carrière, le traducteur sera appelé à traduire des pages Web, des documents multimédias et d’autres documents numériques de format divers. Il est donc nécessaire de préparer les futurs traducteurs à ce monde de plus en plus informatisé.
Translation and Technology est le premier livre de la collection Palgrave Textbooks in Translating and Interpreting destinée aux étudiants de premier cycle avancés et aux étudiants diplômés. Cette collection, dirigée par Gunilla Anderman et Margaret Rogers (Center for translation Studies, University of Surrey), vise à fournir les bases théoriques pour le développement de la traduction et de l’interprétation contemporaines. Chiew Kin Quah est traductrice technique professionnelle. Elle a été consultante pour un important projet de traduction automatique multilingue et a travaillé à un projet de synthèse de la parole. Elle est connue des lecteurs de Meta pour son article sur la traduction vers le malais des affixes anglais des textes scientifiques et techniques (Meta 44-4).
Le titre, Translation and Technology, renseigne très peu sur le contenu exact du livre. En fait, ces deux termes sont tellement généraux qu’ils n’ont plus grand-chose à dire dans le domaine de la traductologie ; leur combinaison n’en dit guère plus. Un parcours rapide de l’ouvrage permet au lecteur de déduire que la traduction est envisagée dans un sens assez large et qu’une place de choix est réservée à la traduction technique, à la localisation et aux langages restreints (controlled language). Pour ce qui est de la technologie, elle se résume essentiellement aux outils d’aide à la traduction et à la traduction automatique. Cette remarque étant faite, Quah offre une très belle introduction à ce « sous-sujet », ce qui était d’ailleurs l’objectif du livre. L’ouvrage ne s’adresse pas explicitement à des développeurs informatiques, ni à des chercheurs. Il est présenté comme un manuel destiné à des étudiants en traduction et, dans une moindre mesure, à des professionnels (deux groupes de personnes souvent négligés par les auteurs abordant le sujet). Les détails de programmation et les équations mathématiques ont donc une présence minimale et sont faciles à comprendre. Les exemples et les illustrations sont abondants et aident grandement à la compréhension d’un sujet difficile à saisir. Cependant, malgré tous les efforts de l’auteure pour schématiser et simplifier la matière abordée, certains passages, principalement dans le chapitre 5, paraîtront ardus aux étudiants.
Le livre est divisé en sept chapitres. Les six premiers sont relativement indépendants et se terminent par une liste de lectures suggérées qui guide l’étudiant désirant approfondir le sujet. Le dernier chapitre fait une synthèse et propose une nouvelle typologie des outils d’aide à la traduction. Enfin, une annexe présente de nombreux liens pointant vers des sites Web qui offrent des ressources linguistiques unilingues et multilingues dans près d’une centaine de langues.
Le premier chapitre, Definition of Terms, contrairement à ce qu’il annonce, est avant tout une présentation générale du sujet. En se basant sur le schéma de Hutchins et Somers (1992), Quah positionne les technologies de la traduction sur un axe en fonction du niveau d’intervention humaine dans le processus. Ainsi, quatre types de traductions sont classés selon cette échelle : 1) la traduction automatique (machine translation), c’est-à-dire la traduction sans intervention humaine ; 2) la traduction mécanique assistée par l’humain (human-aided machine translation) qui comporte une part d’interactivité et qui est en grande partie dirigée par la machine ; 3) la traduction humaine assistée par l’ordinateur (machine-aided human translation), une traduction humaine aidée par des outils informatiques tels les mémoires de traduction, les dictionnaires électroniques, les concordanciers, les outils de localisation, etc. ; et enfin 4) la traduction humaine. (Ce continuum sera toutefois remis en question et réévalué au dernier chapitre.) De plus, dans ce chapitre, l’auteure fait un détour digne d’intérêt par les relations entre l’humain et la machine. Elle fait état d’une certaine appréhension, voire d’une résistance, de la part du traducteur à l’égard de l’utilisation des technologies en traduction. D’un côté, les technologies sont perçues comme une menace pour la profession. D’un autre côté, elles améliorent la qualité et la productivité d’un traducteur. Pour réconcilier l’humain et la machine, Quah propose quelques principes simples (p. 19) : « Identify what technology can do best and what humans can do best, keep the technology simple to use and adapt the technology to meet the needs of professional translators (Hunt 2002). »
Bien que les ouvrages portant sur la traduction automatique négligent souvent les théories de la traduction, ces dernières occupent une place appréciable dans ce livre. Le chapitre 2, Translation Studies and Translation Technology, présente les points de vue de groupes de personnes qui ont des exigences fort différentes, et parfois même conflictuelles (traducteurs, linguistes, traductologues, informaticiens et ingénieurs). Quah s’attarde particulièrement aux théories de la traduction. Elle emploie le schéma de Holmes (1972) qui présente l’arborescence de la traduction en tant que discipline. L’auteure illustre la façon dont s’intègrent les outils informatiques dans ce schéma et propose d’adapter ce dernier pour y inclure la préédition et la postédition ainsi que l’utilisation des langages restreints dans le processus de traduction. La théorie du skopos est de plus utilisée pour justifier la traduction automatique dans certains contextes (p. 26) : « As we shall see, a ‘dirty’ machine translation output may be perfectly adequate for information on the topic of a text, but not for the annual speech by the chairman of the board. »
Dans le chapitre 3, Machine Translation Systems, Quah passe en revue l’histoire de la traduction automatique des six dernières décennies et décrit les trois approches : par règles, statistiques et hybrides. Toutes ces approches sont illustrées par des exemples de systèmes commerciaux et expérimentaux. C’est aussi dans ce chapitre que sont évoquées les justifications de l’utilisation des technologies de la traduction. Ces dernières servent (ou serviront) à répondre à la demande de traductions toujours grandissante et attribuable, en grande partie, aux nouveaux besoins créés par Internet. Bien qu’elle admette que la traduction automatique soit un domaine de recherche difficile et qu’il reste encore bien des défis à relever, Quah termine de façon optimiste : les systèmes de traduction automatique réussissent assez bien pour les textes informatifs et lorsque la qualité n’est pas une priorité. De plus, elle constate que les progrès sont constants. (La discussion sera aussi reprise au chapitre 6.)
Le chapitre 4, Computer-Aided Translation Tools and Resources, présente ensuite les principaux outils d’aide liés à la traduction. Ces derniers, contrairement aux systèmes de traduction automatique développés dans les universités, sont principalement commercialisés par les entreprises. Destinés à tous les traducteurs, les ensembles d’utilitaires (workbenches) sont des systèmes intégrés constitués de plusieurs outils : mémoires de traduction, système de gestion de la terminologie, corpus parallèles, concordancier, etc. D’autres systèmes sont conçus pour répondre aux besoins particuliers de la localisation. Dans un cas comme dans l’autre, les différents outils (ou modules) doivent être en mesure de s’échanger des données. Pour ce faire, les ensembles d’utilitaires adoptent des standards tels que XML (eXtensible Markup Language), TMX (Translation Memory eXchange), TBX (TermBase eXchange) et XLIFE (XML Localisation Interchange File Format).
Il est difficile d’établir des critères objectifs pour juger de la qualité d’une traduction. Pourtant, cette évaluation est importante, principalement lorsqu’il s’agit de comparer des systèmes de traduction automatique. Beaucoup d’efforts ont été déployés pour standardiser l’évaluation des systèmes (ISO 9126, ISO 14598, EAGLES, ISLE, FEMTI, TEMAA, CESTA). Cependant, puisque le jugement d’une traduction dépend des besoins et que ces derniers sont très variables, aucun standard ne peut s’appliquer à tous les cas. Evaluating Translation Tools, le cinquième chapitre de ce livre, dresse un portrait complet de la problématique.
Recent Developments and Future Directions (chapitre 6) donne un tout nouveau point de vue sur le sujet. Il y est question, entre autres, des langues minoritaires et de la rareté des ressources linguistiques. De plus, Quah se livre à des prédictions. En particulier, elle anticipe l’importance de la reconnaissance et du traitement de la parole ainsi que celle de la recherche d’information multilingue. Elle prévoit aussi que le Web sémantique simplifiera la traduction automatique, car les machines auront une facilité accrue pour « comprendre » les textes puisés dans Internet. Enfin, elle conclut en exposant clairement sa position vis-à-vis des technologies (p. 171) :
It is important to remind ourselves that no technology can entirely replace human translators, for the simple reason that humans are still needed to produce high-quality translations. Human languages are multilayered in usage and meanings, and current technology remains unable to decipher the finer nuances of human languages in the same way as humans can. Technology is restricted to its specific uses and, as a result, is destined to remain as a tool.
Cette position est certainement partagée par la plupart des traducteurs. Reste cependant à espérer que les clients continueront encore longtemps d’exiger des traductions de bonne qualité.
Le parcours se termine par le chapitre 7, Translation Types Revisited, qui se veut une synthèse des chapitres précédents. Cette récapitulation est présentée dans vingt tableaux de traits binaires, ternaires ou quaternaires. Les facteurs mis en perspective dans ces tableaux sont le degré d’automatisation des différents systèmes, leur position vis-à-vis des théories linguistiques et de la traductologie, les types de textes traités, la dépendance de la langue, etc. Certains de ces tableaux sont constitués d’une seule ligne de données ou bien de deux lignes, mais identiques : leur pertinence paraît donc douteuse.
Le plus manifeste dans cet ouvrage est la richesse de la couverture du sujet. De plus, le contenu est original, intéressant et bien documenté. Cependant, la structure du texte laisse à désirer et les titres peu évocateurs ont du mal à vraiment mettre ce contenu en valeur, ce qui est dommage.
Il est improbable qu’un étudiant, à la suite de sa lecture, ait acquis des solutions pratiques pour améliorer ses traductions. Il sera toutefois mieux préparé à faire face aux nouvelles réalités de la profession de traducteur scientifique et technique. Compte tenu des développements technologiques, il est presque certain que le professionnel de la traduction devra, à maintes reprises au cours de sa carrière, adapter ses méthodes de travail aux nouveaux outils informatiques disponibles, choisis ou imposés. Le traducteur est d’ailleurs rarement consulté lors de l’élaboration de nouveaux logiciels ; aura-t-il enfin un mot à dire dans les développements futurs ? Translation and Technology sera peut-être le pont reliant la traduction et la technologie car le livre, rédigé par une traductrice, fond adroitement les aspects théoriques et professionnels.