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La révolution cognitiviste des années 50, qui a donné naissance aux sciences cognitives, ne pouvait pas ne pas influencer l’évolution de la traductologie. Grâce à ce mouvement nous avons graduellement pris conscience que la traduction n’est pas seulement une forme particulière de communication, mais elle consiste également à un processus cognitif particulier auquel la cognition joue un rôle central. Si nous pouvons prétendre que le colloque sur La compréhension du langage, qui s’est tenu à Créteil en septembre 1980, constitue la première prise de conscience collective de la dimension cognitive de la traduction, il a fallu plusieurs années pour que cette dimension prenne sa place dans les courants de la traductologie. Ceci a été réalisé surtout grâce au développement spectaculaire des sciences cognitives ces dernières années et l’intensification des rapports entres traductologues et psychologues. Les fruits de ces rapports sont déjà palpables.
Faisant partie de ce mouvement, des enseignants du Département de Langues Étrangères, de Traduction et d’Interprétation (DELTI) de l’Université ionienne ont établi des rapports étroits avec leurs homologues partageant les mêmes inquiétudes scientifiques. C’est ainsi que fut créé en 2003 le Master franco-hellénique « Sciences de la Traduction – Traductologie et Sciences cognitives » en collaboration avec l’Université de Caen. Ce master joue depuis un rôle moteur dans l’approche cognitiviste de la Traductologie en France et en Grèce.
Lors des septièmes journées scientifiques du Réseau Lexicologie, terminologie, traduction (LTT) de l’AUF, qui ont eu lieu à Bruxelles en septembre 2005, le Directeur de la revue META Professeur André Clas nous a lancé un grand défi : si nous organisions à Corfou un colloque international ayant comme thème l’approche cognitiviste de la traductologie, il publierait volontiers les meilleures communications. Le département de langues étrangères, de traduction et d’interprétation de l’Université ionienne ayant accepté d’accueillir ce colloque, nous nous sommes mis sans tarder au travail. En très peu de temps, nous avons pu confirmer la participation de spécialistes en la matière de 8 pays différents et le soutien des ambassades de France et du Canada à Athènes ainsi que du réseau LTT de l’AUF.
En effet, le 7 et 8 avril 2006 se sont réunis à Corfou des spécialistes venant du Canada, du Royaume Uni, de la France, de la Belgique, de Chypre, du Liban, de Jordanie et de la Grèce qui ont partagé leurs réflexions et leur savoir avec leurs homologues devant une assistance nombreuse qui y a assisté activement.
Lors des préparatifs de ce colloque plusieurs personnes se sont posées la question à savoir s’il ne manquait pas un point d’interrogation au titre (« Traductologie, une science cognitive »). Une question à priori légitime dans la mesure où rares étaient en Grèce les personnes qui soutenaient cette idée ou qu’ils acceptaient une dimension cognitive de l’acte traductionnel. Donc, le défi était en fait double : organiser ce colloque et essayer de répondre à cette question.
À notre avis, la qualité et la diversité des communications et de la discussion qui a suivi ont permis de confirmer que le point d’interrogation n’était pas nécessaire, car l’acte traductionnel en lui-même est en fait un processus par essence cognitif. La saisie du sens et son réexpression dans une autre langue implique des tâches relavant de plusieurs sciences que nous qualifions cognitives, à savoir les neurosciences, la psychologie cognitive, la psycholinguistique, l’anthropologie, l’intelligence artificielle, etc. Ainsi, au moins deux communications ont mis l’accent sur l’importance d’étudier les mécanismes neurophysiologiques impliqués dans l’activité traduisante. Dans l’une d’entre elles, l’intervenante a présenté les résultats de ses travaux concernant le fonctionnement mnésique du traducteur lors de l’opération traduisante en se servant d’un protocole expérimental basé sur le modèle théorique Baddeley. D’autres intervenants, se fondant surtout sur des données concernant la psychologie cognitive, ont tenté de traiter des questions relatives au processus traductionnel, à savoir le rôle de la cognition lors du processus de déverbalisation ou la possibilité de se servir des données de la psychologie cognitive à la didactique de la traduction. Plusieurs intervenants ont mis l’accent sur le rôle des émotions lors de l’acte traductionnel, considérant que celles-ci ont une part active lors de la construction du sens et lors de la prise de décisions par le traducteur. Certains se sont penchés sur des questions particulières de la traductologie qui relèvent des sciences cognitives, tels que le rôle de la cohérence lors de la saisie et de la reexpression du sens, la part du sens émotionnel lors de la traduction des textes publicitaires, les avantages de l’approche conceptuelle en terminologie en s’appuyant sur des structures des connaissances, le processus de la compréhension du point de vue de la psycholinguistique, la traduction des métaphores vues comme formes de pensée, la description de certains aspects fondamentaux de la traduction spécialisée en se fondant sur la sémantique cognitive.
Pour terminer cette brève présentation du colloque « Traductologie : une science cognitive » je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à sa conception, à son organisation et à son bon déroulement. Plus particulièrement, je tiens à remercier André Clas, qui a eu l’idée d’organiser à Corfou ce colloque et faire publier ses actes dans la revue META ; Christine Durieux, Christian Balliu et Jean Vivier qui ont contribué activement à la conception de la thématique et des sous-thématiques du colloque ; Périclès Papavassiliou, Louisa Avramidi, Anastasia Parianou, Geogia Kostopoulou, Christian Papas, Efie Savva et Héléni Politi pour leur participation active au comité d’organisation et enfin nos interprètes Théodore Bouhelos, Mélina Pierakéa, Anthoula Tsakiri et Marie-Eve Duclos-Hasky qui ont offert gracieusement leurs services.