Introduction[Notice]

  • Georges L. Bastin

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L’histoire de la traduction a désormais trouvé sa place en traductologie, au point de parfois en être le fer de lance ou de se convertir en déclencheur de nouvelles approches. L’histoire de la traduction décrit, explique et interprète le fait traductif, les traducteurs et les traductrices, les oeuvres, les modes langagières, les idéologies dominantes et dominées, les censeurs et les victimes, etc. Depuis des lustres ! Cela veut-il nécessairement dire qu’elle a évolué ? Quantitativement certes, mais qualitativement ? Qu’en est-il vraiment de la méthode ? N’existe-t-elle trop souvent que pour redorer des blasons ternis ? L’histoire de la traduction puise-t-elle vraiment dans l’histoire tout court pour s’affirmer ? Quels rapports entretiennent ces deux « histoires » ? Et, au fait, pourquoi ne pas tourner les regards vers la traduction de l’histoire ? Quels textes a-t-on traduit et traduit-on ? Les documents historiques méritent-ils un traitement particulier de la part des traducteurs et des traductrices, et comment ces derniers ont-ils « traité » l’histoire ? Que lui ont-ils apporté ? Comment l’histoire a-t-elle été servie par la traduction et comment s’en est-elle servie ? Notre appel aux chercheurs et aux praticiens a permis de réunir 16 travaux inédits et innovateurs qui répondent, chacun à leur façon, à l’une des questions posées ci-dessus. Des deux volets de notre thème, « Histoire de la traduction » et « Traduction de l’histoire », le premier est certes le plus courant et peut-être le plus nécessaire à ce stade encore souvent archéologique de la recherche. Le second, toutefois, mérite d’être présenté en premier pour son originalité et l’intérêt qu’il suscite auprès d’un nombre croissant de chercheurs. Traitant de stratégies de traduction de textes historiques ou classiques, ils contextualisent les démarches et font ressortir très clairement le lien qui unit la traduction à l’histoire. Ainsi, Nancy Senior de l’Université de la Saskatchewan nous emmène en voyage au pays des mots (adjectifs et noms) d’une oeuvre historique de la fin du xviie siècle pour poser les embûches de l’évolution de la langue et des conceptions. En traductrice de l’histoire, elle montre par exemple qu’il faut retourner à Montaigne, Rousseau, Diderot, Voltaire, etc. ainsi qu’à une foule d’auteurs anglophones pour traduire le « sauvage » de Louis Nicolas. Dans le même ordre d’idées, Michel Buttiens, lauréat du prix de traduction du Conseil des Arts en 1984, pose des questions difficiles relativement à la valeur historique des traductions de documents historiques. C’est en homme de terrain qu’il apporte ses réponses non sans montrer combien la recherche est inhérente à la prise de décision. Et s’il adhère à la thèse sourcière pour préserver l’historicité de ses traductions, c’est à l’issue d’une réflexion profonde. John Milton et Eliane Euzebio (Université de São Paulo) auscultent le monde de l’édition, de l’économie et surtout de la politique au Brésil pour mettre au jour les traductions de deux auteurs engagés. Le premier, Monteiro Lobato, adapte voire réécrit pour servir sa visée didactique, identitaire et politique ; le second, Lacerda, traduit Tolstoï, La Bruyère et Churchill, entre autres, mais publie sa version du Jules César de Shakespeare pour refléter le coup d’État de 1964 et les événements entourant la mort du dictateur Getúlio Vargas. S’il ne manipule pas le texte, Lacerda manipule ses lecteurs par le choix des oeuvres qu’il traduit et le paratexte de leur publication. L’Allemagne de l’Est d’après-guerre est le théâtre de l’étude de Gabriele Thomson-Wohlgemuth, doctorante à l’Université de Surrey. L’échec d’une théorie marxiste-léniniste de la traduction n’a pas empêché que l’exercice professionnel de la traduction bénéficie d’une approche socialiste caractérisée par la formation, la coopération, l’organisation et la …