Dans Antoine-Aimé Dorion et le déclin du libéralisme républicain et émancipateur, l’historien Yvan Lamonde explore l’histoire d’un homme qui, tout au long de sa carrière politique, a été condamné à l’impuissance. Antoine-Aimé Dorion, chef du Parti libéral de son élection en 1854 à son retrait de la vie politique active en 1874, a préféré rester fidèle à ses idées en dépit de circonstances défavorables à leur épanouissement, quitte pour cela à assumer un parcours en marge du pouvoir. La question initiale de Lamonde est pertinente, d’autant plus qu’elle vise à combler un certain vide historiographique : il s’agit de voir ce « que deviennent la pensée et l’action libérale républicaines après les patriotes, après l’exil et, surtout, après le départ de Papineau de la politique en 1854 » (p. 1), pour que quelques années après « libéraux, républicains, démocrates et tenants de l’émancipation [finissent] par accepter la Confédération de 1867 » (p. 1-2). Pour Lamonde, cette évolution se dévoile par « l’histoire de la pensée et de l’action de Dorion sur le chemin de la Confédération » (p. 3), d’où la dimension biographique de l’ouvrage. Cette prémisse est tout à fait juste. Néanmoins, elle se dessine tout au long de l’ouvrage comme un défi ardu à relever pour des raisons propres à l’objet de recherche lui-même. La position politique de Dorion est complexe. Il se situe à mi-chemin entre les radicaux de Louis-Joseph Papineau et les réformistes de Louis-Hippolyte LaFontaine et de George-Étienne Cartier, puis à l’écart de la voie qui sera finalement ouverte aux libéraux par Wilfrid Laurier. La contingence des événements le mène à la tête des héritiers politiques de Papineau, mais la relation ne va pas de soi. Les idées de Dorion sont claires, tout comme sa vision des Canadas. Malgré tout, peut-être en raison de son tempérament plutôt modéré, il ne réussit jamais à s’imposer comme figure dominante. Il n’existe, pour ainsi dire, que par rapport à ses contemporains. Aussi, pour mettre en perspective le parcours de Dorion, Lamonde choisit-il de le comparer à ces hommes politiques, les Papineau, LaFontaine, Cartier ou Laurier de son temps, plus prépondérants, qui ont davantage marqué l’époque. Le résultat, quelque peu inévitable, c’est que Lamonde finit par s’intéresser à ces personnages pratiquement tout autant, sinon parfois plus, qu’à Dorion lui-même. De la même façon, la mise en contexte des idées selon les vicissitudes des événements tend à prendre le dessus sur le protagoniste du récit, qu’on perd de vue parfois. Ainsi, que ce soit vis-à-vis de ses pairs, des idées qu’il porte ou de la grande trame historique, on devine Dorion en arrière-plan plutôt qu’on ne le voit à l’oeuvre à l’avant-plan. Tout l’ouvrage expose en ce sens, sans nécessairement le vouloir, le destin imparti à Dorion et à d’autres figures « secondaires » du passé, soit la difficulté d’exister de façon autonome et indépendante dans le panthéon de l’histoire. Comment témoigner de la contribution d’un homme si elle est essentiellement perçue de manière négative face à celles qui ont prévalu durant la période à l’étude? Voilà le coeur du défi auquel Lamonde nous confronte. D’emblée, dans le titre même de son ouvrage, Lamonde campe son propos. Il s’agit de l’histoire d’un déclin, celui du libéralisme républicain et émancipateur, auquel l’historien associe étroitement Dorion. L’analyse de ces idées qui s’éteignent progressivement, qui nous entraînent souvent loin des feux de la rampe, fait en sorte qu’il peut devenir ardu de mesurer la portée réelle que Dorion a su leur donner. À la question que pose l’historien, à savoir pourquoi la Confédération a fini par être acceptée par un homme tel …
Yvan Lamonde. Antoine-Aimé Dorion et le déclin du libéralisme républicain et émancipateur, Québec, Presses de l’Université Laval, 2023, 220 p.[Notice]
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Joshua Ménard-Suarez
Chercheur indépendant