Populaire au point de garnir les rayons des librairies et de garnir les coffres de certains éditeurs (Fayard par exemple), la biographie fut cependant de peu de poids dans les contributions à l’histoire littéraire ou intellectuelle du Québec, après que la décapitation symbolique de l’Auteur opérée par Roland Barthes eut recouvert ce genre de son opprobre. On en voyait les effets dans le malaise avoué de François Ricard quand il a décidé d’écrire la vie de Gabrielle Roy. Ironiquement, tout se passe comme si la qualité de son travail de biographe avait fait disparaître les sources du malaise et marqué le début d’une série de biographies littéraires québécoises. Après Roy (1996), ce furent au tour de Jacques Ferron, de Gratien Gélinas, de Gaston Miron, d’Émile Coderre, de Saint-Denys Garneau et d’Anne Hébert d’être biographés par Marcel Olscamp (1997), Anne-Marie Sicotte (2009), Pierre Nepveu (2011), Richard Foisy (2015), Michel Biron (2015) et Marie-Andrée Lamontagne (2019); sans oublier Louis Dantin, objet de deux biographies rivales d’Yvette Francoli (2013) et de Pierre Hébert (2021), et sans parler des biographies intellectuelles ou politiques. Il y avait déjà eu, au cours des années 1940, une première vague de biographies, impulsée par l’École de bibliothéconomie de l’Université de Montréal, mais elles ne furent pas publiées et le projet d’ensemble était programmatique (et scolaire), visant à prouver, par la multiplication des « bio-bibliographies », la richesse de la littérature canadienne-française. La vague récente, au contraire, repose sur une légitimité déjà acquise, individuellement et collectivement. Il y aurait peut-être là un élément à retenir quand les sirènes des lamentations déplorent rituellement le peu d’intérêt pour la culture québécoise : on s’intéresse au contraire assez fortement à nos écrivaines et écrivains pour faire du récit de leur vie un potentiel succès de librairie. Ce fut le cas pour le Roy de Ricard et le Miron de Nepveu. C’est maintenant le cas pour le Godin de Jonathan Livernois. Les traits plus ou moins mythiques du personnage de Godin sont assez largement connus : le poète du joual, l’amoureux fou et infidèle de Pauline Julien, l’éditeur des brûlots de Parti pris, l’incarcéré d’Octobre 70, le candidat vainqueur contre Robert Bourassa en 1976, le défenseur d’un nationalisme d’ouverture face à l’immigration, enfin le courageux lutteur contre le cancer. Et c’est sans doute pour mieux connaître les détails de ces bribes de récit que le lectorat a plébiscité cette biographie. Mais il aura découvert bien plus que cela, au fil de l’ouvrage : la naissance dans une famille de la bourgeoisie trifluvienne liée à Maurice Duplessis; les études médiocres et sans diplôme; les débuts dans le journalisme au Nouvelliste, accompagnés d’une forte méfiance envers les intellectuels montréalais; l’intégration rapide dans ce même milieu et l’évolution tout aussi rapide de sa poésie et de ses idées, entre 1961 et 1965 (via le passage au Nouveau Journal et à Cité libre); les années (fort bien payées) de recherchiste à Radio-Canada et à l’Office national du film; la folle aventure de Québec-Presse, d’une grande liberté de ton et constamment menacée de faillite; l’étonnante proximité avec Robert Bourassa, en qui il voit en 1973 le chef « incontesté » du Québec; les cours de journalisme à l’UQAM, où il aurait probablement eu une carrière de professeur n’eût été de son élection en novembre 1976; la méfiance de Lévesque envers lui, qui explique ses quatre années comme député d’arrière-ban, avant sa nomination comme ministre de l’Immigration en novembre 1980; enfin, le travail de député et de ministre, marqué par une attention très concrète à la vie des immigrants ou des gens de son comté. …
Jonathan Livernois. Godin, Montréal, Lux Éditeur, 2023, 544 p.[Notice]
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Michel Lacroix
Université du Québec à Montréal