Quiconque s’est déjà penché sur l’histoire du territoire bas-canadien avant l’Union a consulté, à un moment ou à un autre, les deux grandes oeuvres topographiques de l’arpenteur général Joseph Bouchette (1774-1841). Publiées respectivement en 1815 et en 1831 sous forme de cartes et de livres, ces oeuvres font office de premières véritables synthèses des connaissances sur le territoire du Bas-Canada, détaillant l’occupation du territoire, le développement de l’écoumène, la qualité des sols, les types de ressources exploitables, le déploiement des réseaux hydrographiques, l’état des infrastructures existantes, etc. Autrement dit, ces publications sont d’une grande richesse pour les historiens et les historiennes qui, depuis longtemps, en « exploite[nt] la valeur descriptive » (p. 47). Or, si les chercheurs ont maintes fois reconnu la qualité scientifique des publications de Bouchette, peu nombreux sont ceux qui les ont analysées dans leur ensemble, et encore moins nombreux ceux qui les ont considérées sous l’angle des processus d’appropriation du territoire canadien par l’Empire britannique; voilà toute l’originalité des travaux de Jérémie Lévesque-St-Louis, candidat au doctorat en histoire à l’Université du Québec à Montréal. Dans cet ouvrage d’environ 170 pages issu de ses recherches de maîtrise, l’auteur soutient que Joseph Bouchette fut, dans le cadre de ses fonctions, un agent de l’Empire britannique : d’abord en assurant, grâce à son travail de terrain, la mise en place des volontés de l’État impérial en matière de propriété foncière selon un cadre législatif précis (en l’occurrence celui de 1791), puis en fournissant aux autorités impériales, par le biais de ses publications, un ensemble de savoirs pratiques sur le territoire. Afin d’étayer sa démonstration, Lévesque-St-Louis propose de replacer l’action de Bouchette dans un cadre plus large, soit le cadre impérial, et de considérer les contextes géopolitique, légal, administratif et technique inhérents à sa production scientifique. Lévesque-St-Louis s’appuie sur une riche historiographie portant sur le territoire bas-canadien, la profession d’arpenteur et de cartographe et la vie du personnage Joseph Bouchette. L’historien fait également usage d’un corpus de sources généreux formé des oeuvres de Bouchette, mais aussi de sa correspondance, des mémoires de son fils, Joseph-S.-M. Bouchette, des journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada et de différents textes légaux et administratifs. Usant des concepts de colonialisme et d’impérialisme, Lévesque-St-Louis offre, au terme de son étude, une lecture stimulante de la carrière de Joseph Bouchette, qui fut, selon lui, un acteur central du processus d’appropriation du territoire bas-canadien par l’Empire britannique. Cet ouvrage est divisé en trois chapitres. Dans le premier chapitre, l’auteur nous introduit à l’évolution de la pratique de l’arpentage dans l’Amérique coloniale nord-américaine, à la vie du personnage Joseph Bouchette et à ses deux grandes oeuvres topographiques. Au Canada français, les travaux d’arpentage ont été liés à l’extension de l’écoumène seigneurial, d’abord encadrée par les autorités françaises. Celles-ci accordaient « beaucoup d’importance à ce que l’arpentage soit fait par des professionnels selon des méthodes précises », et ce, afin de « faciliter la gestion du territoire et de limiter les litiges fonciers » (p. 12). Par ailleurs, tant du côté de l’Empire français que de l’Empire britannique, les pratiques de l’arpentage et de la cartographie ont permis aux dirigeants de se représenter les espaces coloniaux et d’en prévoir le développement. Entre 1801 et 1840, le poste d’arpenteur général du Bas-Canada est confié à Joseph Bouchette, qui succède à son oncle, Samuel Johannes Holland. Bien sûr, les origines familiales de Bouchette, proche du pouvoir britannique et du milieu des affaires, ont certainement facilité son accession aux savoirs techniques de l’arpentage et, plus tard, à son titre de haut fonctionnaire. Or, selon Lévesque-St-Louis, ce serait véritablement son réseau de contacts …
Jérémie Lévesque-St-Louis. Retracer le territoire, tracer le pays : l’arpenteur général Joseph Bouchette, 1791-1840, Québec, Presses de l’Université Laval, 2023, 172 p.
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Emmy Bois
Université de Sherbrooke
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