En 2016, dans son premier ouvrage, La communauté du dehors : imaginaire social et crimes célèbres au Québec (xixe-xxe siècle), Alex Gagnon rappelait des figures criminelles qui ont longtemps marqué le discours social au Canada français et exposait par la généalogie de leurs représentations comment s’est constitué un imaginaire collectif autour de leur célébrité problématique. L’histoire culturelle de ces figures inquiétantes permettait d’entrevoir la fonction de cohésion sociale jouée par cet autre, gardé à distance, qui représente le mal, voire la terreur. Quatre ans plus tard, Alex Gagnon offre à nouveau un ouvrage substantiel qui poursuit avec cohérence cet intérêt pour les rouages et les conséquences de la célébrité. Les métamorphoses de la grandeur étudient dans une perspective à la fois historique, culturelle et anthropologique ce que vient à signifier la célébrité de quatre figures de la société québécoise contemporaine. Si cet ouvrage semble prolonger l’intérêt pour « des crimes bien de chez nous » par la convocation de la figure de Karla Homolka (intégrée dans l’imaginaire québécois lors de son transfert à Joliette en 1997 et encore davantage lors de son installation au Québec à sa sortie de prison en 2005), il présente différents visages de la célébrité pour tenter de définir un concept qui parfois l’accompagne, parfois la met à mal : la grandeur. Cette notion permet de croiser les parcours de personnages aussi différents que l’homme fort Louis Cyr, le commandant Robert Piché, le chanteur André « Dédé » Fortin et la criminelle Karla Homolka, des figures aussi diverses que le « champion », le « héros », le « génie » et le « monstre », qu’il n’est pas question de honnir ou de révérer, mais d’étudier comme supports de représentations autour desquelles une société rassemble ses discours et ses affects. Alex Gagnon a donc l’ambition de dépasser le plan de la célébrité qui, bien qu’elle soit due pour chacun des quatre cas à des contextes radicalement différents, repose sur le même ressort médiatique, c’est-à-dire cette couverture qui rend quantitativement et irrévocablement visible. Le vedettariat ajoute à la logique médiatique un critère d’excellence propre au champ du sujet. L’idée de grandeur quant à elle, qui est annoncée comme le centre de cet ouvrage, ajoute au critère de visibilité de la célébrité et à celui de compétence du vedettariat le critère de l’évaluation morale qui fait accéder au statut de l’exceptionnel. La grandeur est « une qualité normative, attribuée à un être par un groupe donné » (p. 16). C’est cette attribution, par de fortes réactions collectives positives ou négatives, qui devient le révélateur d’une société à des moments précis de son histoire culturelle. Il ne s’agit pas pour Gagnon de qualifier les cas de Cyr, de Piché, de Homolka ou de Fortin, ni de tenter d’évaluer la vérité du discours social par rapport à l’existence de ces personnes. Il s’agit plutôt de voir ce qui se crée entre l’individu médiatisé et le public, c’est-à-dire de voir comment et à partir de quoi se crée la figure publique, cette instance qui apparaît au fil de l’accession à la célébrité alors que s’accumulent dans un ensemble discontinu mais cohérent les signes du discours social. Il est difficile ici de rendre compte de ces quatre récits de célébrités qui se construisent par le cumul des anecdotes. Indéniablement, le chercheur a mené un travail minutieux de mise en forme des traces qui ont rendu visibles ces personnages et se garde bien de prononcer quelque jugement que ce soit au sujet de ces histoires qui sont pourtant tout indiquées pour éveiller l’affect. Gagnon …
Alex Gagnon. Les métamorphoses de la grandeur : imaginaire social et célébrité au Québec (de Louis Cyr à Dédé Fortin), Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2020, 575 p., coll. « Socius »[Notice]
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Anne Caumartin
Collège militaire royal de Saint-Jean