Mémoires du livre
Studies in Book Culture
Volume 12, numéro 1, printemps 2021 Figures de lecteurs dans la presse et la correspondance en Europe (XVIe-XVIIIe siècle) Figures of Readers in the Press and Correspondence in Europe (16th – 18th century) Sous la direction de Sara Harvey et Judith Sribnai
Sommaire (12 articles)
Articles
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Conversations avec un critique absent : de préface en postface, le défi poétique et critique d’Henri Estienne (1530‑1598)
Hélène Cazes
RésuméFR :
Éditeur renommé, helléniste reconnu, imprimeur en difficulté, poète et écrivain, Henri Estienne (1530‑1598) use volontiers des cahiers liminaires de ses publications pour y inscrire une correspondance préfacielle avec ses lecteurs. Selon une habitude, qui devient une signature auctoriale des volumes issus de ses presses, Henri Estienne ouvre son volume par une première préface de dédicace pour continuer par une seconde préface, à « l’ami des Muses ». La liberté de ces textes d’entrée dans le livre se reconnaît à la diversité des postures qu’y adopte leur auteur, mais également à celle des postures qu’il impose à ses dédicataires et amis‑lecteurs. Car la fiction d’une correspondance avec le lecteur par ces lettres préfacielles se continue par la création d’un espace pour la parole du lecteur, au sein même du livre : cahier vierge, page blanche, intervalles entre les chapitres. De fait, l’auteur‑éditeur n’invite pas seulement ses lecteurs à devenir à leur tour éditeurs : il lance au lecteur critique le défi de le retrouver, sur le terrain de l’écriture. La familiarité de l’amitié autorise alors l’égalité entre dédicataires et auteur, tout comme elle prévient la censure poétique d’une oeuvre personnelle où s’allient intimité de la confidence et érudition. Surtout, Henri Estienne instaure au coeur du nouvel objet textuel qu’est le livre imprimé la temporalité de l’improvisation, l’espace de la réponse et l’égale franche réciprocité des amis.
EN :
Renowned publisher, acknowledged Hellenist, printer close to bankruptcy, poet and writer Henri Estienne (1530-1598) readily uses the opening quires of his publications to invite a prefatory correspondence with his readers. He made it a habit, one that could be considered an authorial signature for volumes emanating from his presses, to begin his books with an initial preface of dedication followed by a second one addressed to “the friend of the Muses.” The latitude of these introductory texts is apparent in the diversity of postures the author takes in them, but also in the postures that he imposes on his dedicatees and reader-friends. Moreover, the fiction of a correspondence with the reader implied in these prefatory letters is often continued within the book through the creation of space for readers to write their own words: blank quire, blank page, intervals between chapters. In fact, the author-publisher not only invites his readers to become editors themselves, but also challenges the critical reader to compete with him on the writing terrain. Thus, the familiarity of friendship permits an equality between dedicatees and author just as it prevents the reader’s censorship of the author’s work. Above all, it establishes, at the core of the new textual object which the printed book is, the impermanence of improvisation, the response space and the equal, frank reciprocity of friends.
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Le lecteur malveillant dans les Relations de Pierre Biard (1616) et de Paul Lejeune (1632‑1641)
Éric Debacq
RésuméFR :
La Relation de Biard est souvent l’oubliée des Relations jésuites de Nouvelle‑France. Elle est, il est vrai, à part. D’abord, elle est publiée à Lyon chez Louis Muguet, alors que la quasi‑totalité des autres Relations sont éditées à Paris, chez Cramoisy. De plus, elle est antérieure : elle paraît en 1616, alors que la publication du corpus bien connu se fait annuellement entre 1632 et 1673. Ajoutons enfin qu’elle n’est pas une lettre, contrairement aux autres qui sont une extension imprimée de la lettre à la fois informative, administrative et propagandaire que les jésuites s’envoient de part et d’autre du globe. L’analyse de la figure du lecteur dans les Relations de Biard et de Lejeune amène à penser les différences et les ressemblances entre les deux corpus : différence dans la nature du lien affiché avec le lecteur (destinataire ou « amy Lecteur » désigné par convention), similitude dans la construction d’une figure de lecteur malveillant, qui trouverait son origine dans le caractère antipamphlétaire de la Relation de Biard.
EN :
Biard’s Relation is often overlooked among the various reports that constitute The Jesuit Relations of New France. To be fair, it is truly a unique text. For one thing, it was published in Lyon by Louis Muguet whereas almost all of the other Relations were published in Paris by Cramoisy. Furthermore, its date of composition (1616) precedes that of the widely known Jesuit Relations corpus published annually from 1632 to 1673. Moreover, in contrast to the other Relations, which were printed extensions of the letter circulating among Jesuits throughout the world for informative, administrative and propaganda purposes, Biard’s text is not a letter. An analysis of the figure of the reader in Biard’s and in Lejeune’s Relations enables us to consider the differences as well as the similarities between the two texts: difference in the nature of the professed connection with the reader (addressee or “amy lecteur” [“reader-friend”], the conventional designation); similarity in the construction of a spiteful reader figure whose origins may be found in the anti-pamphleteer nature of Biard’s Relation.
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« On ne voit goutte » : lecteur et mystique dans la Correspondance de Marie de l’Incarnation
Judith Sribnai
RésuméFR :
Marie de l’Incarnation est l’auteure d’une importante correspondance dont il ne reste aujourd’hui que quelques centaines de lettres. À côté du dialogue qu’elle y noue avec ses correspondants de France et de Nouvelle‑France, l’Ursuline poursuit, inlassablement, une conversation intérieure, faite d’oraisons et de prières à Dieu. Cet échange est un lieu de secrets, un espace qui se dit mal, s’écrit encore moins, mais dont son fils et d’autres sollicitent pourtant le récit. Ses lecteurs assistent alors à une autre conversation, toujours recommencée, avec le « Verbe éternel ». Cet Autre habite toutes les lettres et fait, insensiblement, de tout lecteur un tiers, spectateur et témoin du mystère. Ce faisant, Marie de l’Incarnation familiarise chacun de ses correspondants avec l’expérience mystique, utilisant l’espace de la lettre pour ouvrir à un autre dialogue, où il n’y aurait plus ni épistolière ni destinataire.
EN :
Marie de l’Incarnation wrote a substantial body of correspondence of which only a few hundred letters remain. Alongside her dialogue with correspondents from France and New France, the Ursuline tirelessly pursues an interior conversation consisting of prayers to God. This exchange is a place of secrets, a space that one would have trouble putting into words, let alone letters; however, she is entreated by her son and other correspondents to, nonetheless, disclose it. Her readers thus participate in another conversation, one which always returns to the “eternal Word.” This Other inhabits all of her letters and, imperceptibly, turns her readers into third party spectators and witnesses to the mystery. In so doing, Marie de l’Incarnation invites each of her readers to participate in the mystical experience, using the space of the letter to open up another dialogue in which there is neither writer nor reader.
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Loret’s Marketing Revolution: Audience Representation as Positioning Strategy in Seventeenth‑Century Newspapers
Christophe Schuwey
RésuméEN :
The inception of Jean Loret’s Lettre en vers in 1652 constituted a major evolution in information culture. Borrowing the concepts of positioning and segmentation from marketing studies, this article insists on Loret’s tour de force: by portraying Marie de Nemours as the reader and recipient of the news, he conferred the veneer of a private and handwritten correspondence to an object that was public and sold. This formula, which I describe as “addressed information,” presented multiple advantages: it created a new, affective, intimate, and agentive relationship between the readers and the information, renewed audience segmentation, and distinguished the Lettre en vers from the competing gazettes of the time. The article also studies Loret’s depictions of a wider audience and demonstrates the later success of his formula in France, especially in the case of the Mercure galant.
FR :
La publication imprimée de la Lettre en vers de Jean Loret en 1652 transforme la culture de l’information imprimée dans la France du XVIIe siècle. En s’appuyant sur des concepts empruntés aux études marketing (segmentation, positionnement), le présent article analyse ce tour de force sur nouveaux frais. En posant Marie de Nemours comme lectrice et destinataire des nouvelles, Loret confère l’apparence d’une correspondance privée et manuscrite à un objet pourtant public et destiné à la vente. Cette formule, que je qualifie « d’information adressée », présente de multiples avantages : elle crée un rapport nouveau — intime, affectif et agentif — entre lectorat et information, renouvelle la segmentation des publics et démarque la Lettre en vers des gazettes concurrentes. L’article étudie également les représentations du lectorat élargi dans la même lettre en vers et commente le succès ultérieur de cette « information adressée », notamment le cas du Mercure galant.
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« L’impartialité sera le premier de nos devoirs » : le critique journalistique dans les périodiques mondains (1650‑1721)
Sara Harvey
RésuméFR :
Cet article interroge le statut singulier du critique dans la presse mondaine émergente en retraçant les liens constitutifs entre critique, auteur et lecteur. Il prend comme point de départ la Muse historique de Jean Loret. Ce divertissement lettré, qui regroupe les principales caractéristiques de l’écriture périodique, dessine un premier portrait, celui du critique honnête homme qui se construit en opposition avec le critique savant. L’analyse détaillée des différents Mercures français, à commencer par le Mercure galant, permet ensuite de comprendre l’évolution progressive du critique mondain : confronté tantôt à la figure du censeur qui sert de repoussoir, tantôt à la problématique de l’intérêt personnel et de la publicité, le critique défend d’abord la spécificité de sa voix et la valeur de ses remarques par l’adoption d’un comportement civil et mondain, se définissant ainsi ultimement comme un acteur social. Les Mercures qui succèdent au premier Mercure galant viennent par ailleurs montrer que, très rapidement, la figure du critique cherche à se dissocier de celle de l’auteur et que les rédacteurs mettent l’accent sur la nécessité d’adopter un ton neutre. Une vue d’ensemble de ce corpus fait clairement ressortir le fait que les débuts de la presse mondaine témoignent d’un glissement progressif entre pratique littéraire et communication médiatique.
EN :
This article questions the critic’s special status in the emerging literary press by tracing the critic, author, and reader’s constitutive links. It takes Jean Loret’s Muse historique as its starting point. This literary entertainment, which brings together the primary characteristics of periodical writing, draws an initial portrait of the honest critic who places himself in opposition to the erudite critic. A detailed analysis of the various French Mercures, starting with the Mercure galant, then allows us to understand the progressive evolution of the worldly critic: sometimes confronted with the figure of the censor who serves as a foil, other times with problems of personal interest and publicity, the critic first defends the specificity of his voice and the value of his remarks by adopting a civil and worldly behavior, thus ultimately defining himself as a social actor. The Mercures that succeeded the first Mercure galant also show that very quickly, the figure of the critic seeks to dissociate himself from the author and that the editors emphasize the need to adopt a neutral tone. An overview of this corpus clearly shows that the origins of the worldly press testify to a gradual shift between literary practice and media communication.
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An Uncommonly Difficult Business: Reviewing Women’s Writing in Eighteenth‑Century London’s Subscription Publishing, 1749–1774
Clare Byers
RésuméEN :
In eighteenth-century London, publishing began to transition from a patronage system to a commercial business. An increase in literary reviews accompanied the shift. Publishing by subscription emerged as an evolving form of patronage where authors received monetary support from readers before publication. Women authors found subscription publishing welcoming as a means to avoid the commercial marketplace. Some authors used this publishing method in the name of seeking charitable support. Reviewers linked subscription publishing to female authors and acts of charity as reviewers attempted to circumvent the problem of potentially alienating their own readership, who could be subscribers. Through rhetorical analysis of 171 digitized bound volumes of 11 of London’s literary review periodicals, this paper argues that reviewers’ treatment of women authors and the associated use of subscription publications led to a disparaging perception of both by London’s growing reading public.
FR :
À Londres, au XVIIIe siècle, l’édition amorce une transition, d’un système axé sur le patronage vers une entreprise commerciale. Ce changement s’accompagne d’une augmentation du nombre de critiques littéraires. La souscription prend alors le relais du patronage, en permettant aux écrivaines de bénéficier du soutien financier de leur lectorat avant publication. En outre, la souscription présente à leurs yeux l’avantage de contourner le marché commercial. Pour certaines, ce type d’édition prend la forme d’un soutien d’ordre caritatif. Les critiques littéraires établissent un lien entre souscription, écrivaines et actes de bienfaisance, souhaitant éviter de heurter leur lectorat, parmi lequel pouvaient se trouver des souscripteurs. Le présent article s’appuie sur l’analyse rhétorique de 171 tomes numérisés de 11 périodiques de critique littéraire publiés à Londres. Il en ressort que la manière dont les critiques de l’époque associent l’oeuvre des écrivaines et la souscription en vient à créer une perception négative des deux chez un lectorat londonien alors en pleine croissance.
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« L’ami couronné », ou le roi de Pologne lecteur de la Correspondance littéraire de Grimm
Mélinda Caron
RésuméFR :
Témoins des liens inextricables s’étant établis entre la Correspondance littéraire et les correspondances particulières qui en accompagnaient l’expédition, les lettres de Friedrich Melchior Grimm et du roi Stanislas‑Auguste Poniatowski constituent un ensemble tout désigné pour approcher la figure du lecteur auquel ces feuilles étaient adressées. Leur relation épistolaire révèle la complexité d’un ethos princier idéalisé, modulé par la figure mouvante des abonnés et construit dans une dynamique dialectique avec celui du rédacteur. À la fois représentatif de la manière dont Grimm nouait des liens avec ses pratiques et riche des rétroactions du lecteur de Varsovie, cet ensemble permet d’interroger l’efficace des représentations amicales déployées dans le périodique et laisse apprécier les talents d’équilibriste d’un correspondant qui, malgré des critiques et des refus susceptibles de déplaire au roi de Pologne, aura rencontré chez ce dernier, plus qu’un lecteur complice, un « ami couronné ».
EN :
Friedrich Melchior Grimm’s correspondence with the king of Poland, Stanislas Auguste Poniatowski, reveals the inextricable connections between the Correspondance littéraire and the private letters often sent with it, and constitutes a unique source of insight into the persona of the prince to whom this periodical was addressed. The study of this epistolary relationship reveals the complexity of the idealized princely ethos shaped by the changing figures of subscribers and constructed within a dynamic dialectic with that of the writer. At once representative of the way Grimm forged links with his readers, and rich with Poniatowski’s reactions, this set of private letters also allows us to question the effectiveness of the representations of friendship on display in the periodical, and encourages an appreciation of how Grimm’s balanced manner and rhetorical skills allowed him, despite criticisms and refusals likely to displease the Polish king, to find in him not only an engaged and receptive reader, but a “royal friend.”
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Correspondance littéraire : en quête d’une définition
Henri Duranton
RésuméFR :
Forme originale de la communication lettrée, née à la fin du premier tiers du xviiie siècle, la « correspondance littéraire » peut se définir comme l’envoi régulier, sous forme de lettres manuscrites, de la chronique des activités culturelles du moment à Paris. Le destinataire, qui paie fort cher cette prestation, est presque toujours une tête couronnée de l’espace germanique, ce qui est un éloquent témoignage de la fascination qu’exerce alors la culture française sur l’élite européenne. Malgré de nombreux points communs, la « correspondance littéraire » diffère de la correspondance érudite de l’époque humaniste dont elle est héritière, autant que du journalisme littéraire qui prolifère au même moment, et des « nouvelles à la main » à contenu proprement politique. Concevable uniquement dans l’univers culturel de la France d’Ancien Régime, elle partagera son sort et disparaîtra à l’orée de la Révolution, après avoir connu un vif succès pendant un demi-siècle.
EN :
The original form of scholarly communication, the “correspondance littéraire,” emerged at the end of the first third of the xviiith century and may be described as the regular dispatch, in the form of handwritten letters, of chronicles detailing all the cultural activities taking place in the Paris of that time. The recipient, who paid dearly for this service, was almost always a member of German royalty, a fact that testifies eloquently to the fascination that French culture exerted upon the European elite at the time. Despite several commonalities, the “correspondance littéraire” differs from the erudite correspondence inherited from the humanist period, as well as from the literary journalism then proliferating, and lastly from the “handwritten news” [nouvelles à la main] with its the strictly political content. Only conceivable within the cultural environment of Old Régime France, the “correspondance littéraire” will experience the same destiny as the latter and disappear on the verge of the Revolution after half a century of enduring success.
Varia
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Recognizing the Mallee: Reading Groups and the Making of Literary Knowledge in Regional Australia
Brigid Magner et Emily Potter
RésuméEN :
Drawing on fieldwork in the Victorian Mallee region of Australia, this article explores the ways in which reading groups can elicit rich information about the relationship between literature, reading, and place. The study found that book group participants “recognized” the Mallee in the texts under discussion and engaged in their own forms of place knowledge and “history‑telling” in response, making corrections to, and even rejecting, literary representations of their area. We argue that the resources for enhancing literary infrastructure exist, both in the broad history and diversity of Mallee writing, and in the social infrastructure of the Mallee. Readers’ knowledge, captured through book‑related discussion in community spaces, offers the potential for enhancing existing literary resources in rural and remote regions.
FR :
S’inspirant de recherches sur le terrain effectuées dans la région de Mallee de l’État de Victoria, en Australie, le présent article explore la manière dont les groupes de lecture foisonnent d’information quant aux liens qui unissent littérature, lecture et lieu. L’étude a en effet montré que les participants, « reconnaissant » la région de Mallee dans les oeuvres proposées, s’appuyaient sur leur propre conception de la géographie et de la narration de l’histoire pour corriger, voire rejeter, les représentations littéraires de leur environnement. Nous soutenons qu’il existe des ressources aptes à valoriser l’infrastructure littéraire, tant dans l’histoire et la diversité des écrits émanant de la région de Mallee que dans son infrastructure sociale. Révélées par des discussions tenues dans des espaces communautaires, les connaissances des lecteurs sont susceptibles de mener à la mise en valeur de ressources littéraires déjà présentes dans des régions rurales et éloignées.
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“Social Enjoyment and the Promotion of Arts and Letters”: The Pen and Pencil Club of Montreal 1890–1914
Claudine Gélinas‑Faucher
RésuméEN :
The Pen and Pencil Club of Montreal is one of the numerous associations founded in Montreal at the turn of the twentieth century. In offering its members the opportunity to circulate their work and receive informal feedback from other artists and writers, the club emerges as one of the forces in what Robert Darnton calls the “communications circuit,” one that creates a smaller, iterative circuit joining the author and the reader, the author as reader and the reader as author, before any work reaches the publisher. This article thus examines the workings of the Pen and Pencil Club and its mediating role between production and circulation of written texts. The Club’s members participated in nation‑wide debates on politics, culture, and art, and thus contributed in their own way to the development of a nascent Canadian cultural nationalism, one then communicated through the publication of their works.
FR :
Le Pen and Pencil Club of Montreal est l’une des nombreuses associations fondées à Montréal au tournant du vingtième siècle. Puisqu’il offrait à ses membres l’occasion de faire circuler leurs oeuvres et de recevoir les commentaires d’autres artistes et écrivains, le club apparaît comme l’une des forces opérant dans ce que Robert Darnton appelle le « circuit de communication », force qui crée un sous‑circuit itératif entre l’auteur et l’éditeur, l’auteur en tant que lecteur et le lecteur en tant qu’auteur, avant même que l’oeuvre n’atteigne l’éditeur. L’article examine le fonctionnement du Pen and Pencil Club, ainsi que le rôle de médiateur qu’il jouait entre la production et la circulation des écrits. En prenant part à divers débats pancanadiens sur la politique, la culture et l’art, ses membres ont contribué à leur façon au développement d’un nationalisme culturel en émergence auquel la publication de leurs oeuvres a par la suite fait écho.
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La bibliothèque de Maurice Duplessis, le non‑lecteur
Jonathan Livernois et Alex Noël
RésuméFR :
Cette étude cherche à mieux cerner les rapports entre les champs littéraire et politique au Québec durant la première moitié du xxe siècle, et ce, par le truchement d’une analyse de la bibliothèque personnelle de Maurice Duplessis, premier ministre du Québec (1936‑1939; 1944‑1959). Si cette bibliothèque témoigne des goûts d’un bourgeois conservateur, elle permet du même souffle de comprendre que l’institution littéraire ne s’est pas nécessairement construite en porte‑à‑faux avec les politiques de l’Union nationale et le premier ministre lui‑même. En outre, les choix littéraires de Maurice Duplessis semblent révéler des tensions entre modernité et tradition, épousant en quelque sorte celles qui ont structuré son exercice du pouvoir.
EN :
Through an analysis of the composition of the personal library of Maurice Duplessis, Quebec’s Premier (1936–1939; 1944–1959), this study showcases relations between literary and political fields in Quebec during the first half of the twentieth century. If this library bears witness to the tastes of a conservative bourgeois, it also allows us to understand that the literary institution was not necessarily built in opposition or against Duplessis and his government. The literary choices of Maurice Duplessis reveal tensions between modernity and tradition, mirroring, in a way, the very ideology of his government.