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Les figures de l’écrivaine et de l’écrivain ne cessent de susciter de l’intérêt. La mort de l’auteur, annoncée par Foucault et Barthes[1] dans les années 1970, ne semble pas avoir diminué l’aura qui entoure cette figure. L’auteur est peut-être mort, mais il écrit encore, disait Benoît Bordeleau dans un billet de blogue[2]. On pourrait ajouter : l’auteur est peut-être mort, mais les écrivains charment encore.
Que sont aujourd’hui les écrivaines et les écrivains? Comment sont-ils perçus et représentés à une époque où le web ouvre de nouvelles formes d’auctorialité et de nouvelles expressions créatives? Les écrivaines et les écrivains sont des personnes, des professionnels, des personnalités publiques, qui se retrouvent décrits et étudiés sous une multitude d’angles. Cette panoplie de facettes et d’approches possibles compose une figure complexe et fascinante, mais aussi élusive et parfois illusoire. Artiste, sujet et objet, concepteur d’objets numériques, utilisateur d’outils numériques, collectionneur de livres, témoin d’influences, source d’inspiration, défenseur de formes traditionnelles dont il repousse aussi les limites, acteur du champ littéraire…, l’écrivain est, dans la société comme dans l’imaginaire collectif, une figure difficile à saisir, mais qui continue de susciter des interrogations et des recherches, lesquelles contribuent en retour à donner du sens à l’acte d’écriture.
Ce numéro thématique propose quelques pistes de réflexion sur les différentes perceptions des écrivains comme sujets et objets de recherche. Dans le premier article du dossier, « Writing about Writers: Mapping the Field and Moving Forward », Stevie Marsden offre un panoramique de la figure de l’écrivain, du rapport entre écrivain et auteur et de la perception de ces figures dans la littérature critique sur le sujet. À partir des guides sur « Comment devenir écrivain », en passant par la littérature sur la réputation et la célébrité des écrivains jusqu’aux ouvrages de psychanalyse examinant les raisons qui poussent les écrivains à écrire, cet article présente une très large revue de littérature consacrée à la figure de l’écrivain en montrant le besoin de nouvelles études la concernant, notamment depuis les perspectives des sciences sociales, des business studies et des cultural studies.
L’article de Brigitte Weltman-Aron, « L’écrire femme selon Virginie Despentes », pose la question de l’écriture des femmes : comment se construit le profil d’une femme-écrivaine, quels en sont les enjeux sociaux et politiques, notamment depuis un point de vue féministe? La production de sa propre figure d’écrivaine constitue un enjeu majeur dans une société sexiste pour laquelle le genre féminin est presque en contradiction avec l’autorité qui caractérise la figure de l’auteur. Être écrivaine devient donc un acte politique, un véritable combat féministe. Virginie Despentes est l’une des auteures qui ont soulevé cette question avec force et pertinence, non seulement dans ses écrits, mais aussi dans sa façon de se présenter publiquement en tant qu’écrivaine.
Finalement, dans l’article « Formes de représentation, impératif d’actualité et enjeux de pouvoir sur les dispositifs numériques : l’exemple de J.K. Rowling et du site pottermore.com », Agathe Nicolas souligne le rôle des plateformes numériques dans la production de la figure de l’auteur. L’autorité dérive justement de la mise en scène proposée par les plateformes, qui sont de véritables « archi-auteurs », c’est-à-dire des dispositifs qui déterminent la fonction-auteur, ainsi que la posture de l’écrivain et son image. Dans le cas d’étude analysé dans cet article, l’auteure montre comment la plateforme pottermore.com permet une représentation de J.K. Rowling « comme une entité inaccessible », en en garantissant l’autorité.
Ceci n’est qu’une première ouverture à un questionnement qui acquiert aujourd’hui de plus en plus d’importance. Les technologies numériques, loin de révolutionner les approches théoriques et les besoins d’analyses, remettent en jeu des problématiques anciennes qui ont été au centre de la réflexion savante depuis plusieurs siècles. Cet aperçu, développé en continuité avec une réflexion qui a eu lieu en mai 2017, lors du 85e congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), au colloque « L’écrivaine, l’écrivain : sujet, objet, facettes, profils », se veut un appel à une recherche interdisciplinaire plus large qui puisse rendre compte de la complexité de cette thématique qui continue de fasciner autant les chercheurs que le grand public.
Au « Varia », Luc Pinhas étudie dans le détail l’aventure de la revue Masques et de la maison d’édition Persona, première maison d’édition se revendiquant de l’identité LGBT en France. À la toute fin des années 1970, ces deux structures sont particulièrement actives, mais affrontent de nombreux défis, dont le manque de trésorerie et les dissensions intestines. En levant le voile sur ces structures, l’article démontre que le bien connu Gai Pied n’est pas le seul agent actif dans le champ médiatique de l’époque.
Beth Driscoll and Claire Squires posent quant à elles un regard original sur le phénomène des festivals littéraires, en proposant d’en éclairer le fonctionnement par le biais d’une méthodologie inédite : le jeu. Le « Bookfestivalopoly » (littéralement : Festivaldulivropoly) jette une lumière nouvelle sur les dimensions matérielle, sociale et idéologique des festivals du livre.
Parties annexes
Notes biographiques
Marcello Vitali-Rosati est professeur agrégé de Littérature et culture numérique au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Il est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques. Il mène une réflexion philosophique sur les enjeux des technologies numériques : la notion d’identité virtuelle, le concept d’auteur à l’ère d’Internet, et les formes de production, de publication et de diffusion des contenus en ligne.
Nadine Desrochers est professeure à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal. Membre du GRÉLQ, elle s’intéresse entre autres aux comportements informationnels des auteurs littéraires et aux enjeux de la communication savante, qu’elle étudie par le biais des nouvelles modalités de production textuelle et paratextuelle à l’ère numérique.
Notes
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[1]
Roland Barthes, « La mort de l’auteur », Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1993; et Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur? », Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, vol. I.
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[2]
http://bbordeleau.wordpress.com/2014/02/02/lauteur-est-peut-etre-mort-lit4810/.