Résumés
Résumé
S’inspirant de faits historiques survenus après la première guerre punique, Gustave Flaubert livre, en 1862, avec Salammbô une fresque haute en couleur et rejoint ainsi le thème de l’orientalisme en littérature. Alors qu’il s’opposait à l’illustration de son roman pour des raisons esthétiques, le sujet sera cependant repris par de nombreux peintres et graveurs. Le dessinateur Philippe Druillet, un peu plus d’un siècle après la publication de l’oeuvre, en livrera en 1978 une première version dans Métal Hurlant, qui se déploiera sur trois volumes au début des années 80. Reprenant le graphisme de la bande dessinée, sortira en 2003 un jeu vidéo intitulé Salammbô. Les périls de Carthage, dont nous étudierons les relations avec les oeuvres qu’il adapte selon les impératifs de la ludiégèse, qui obéissent par ailleurs au gameplay. Dans cet article, nous envisagerons les déambulations de l’oeuvre, par le biais de quelques épisodes choisis. Nous nous interrogerons sur les raisons qui font que tel personnage, tel élément, tel motif est valorisé au détriment d’un autre dans la diégèse de la bande dessiné et du jeu vidéo.
Abstract
Inspired by historical events that occurred after the first Punic war, Gustave Flaubert published Salammbô in 1862, an exotic, vibrant epic that reveals him to be an exponent of Orientalism in literature. While he was against the illustration of the novel for aesthetic reasons, the subject would inspire numerous painters and engravers. In 1978, a little over a century after the publication of the work, the illustrator Philippe Druillet published a first version of Salammbô in the magazine Métal Hurlant, spread over three volumes in the early 80s. Finally, in 2003, a computer game, Les périls de Carthage, was released. We will study the comic artwork that the game incorporates and the relationship that it maintains with the works that it adapts into another language according to its own diegetic imperatives, and that, in addition, obey the gameplay. In this article, we will analyse the meanderings of the work and its metamorphoses in a selection of episodes. We will ask ourselves why a particular character, element or motive is valued over another in the diegesis of the comic book and in the video game.
Corps de l’article
JEU. S’indigner contre cette fatale passion
Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues
Gustave Flaubert a un temps hésité sur le titre à donner à un roman exotique et orientaliste se passant pendant la « guerre inexpiable», selon les termes de Polybe, qui opposait, après la première guerre punique, les Carthaginois menés par Hamilcar Barca à ses anciens mercenaires. Carthage – cité, avec son architecture, ses habitants, ses rites et ses coutumes, totalement recréée par l’imagination et l’intuition de l’auteur de Croisset – aurait dû être le titre du livre avant que ne s’impose définitivement celui de Salammbô, vierge prêtresse de la déesse Tanit. Le roman, devenu dès sa parution en 1862 un succès en librairie, est parsemé de longues descriptions des personnages et des lieux qui sont autant d’invitations à la représentation visuelle, véritables tableaux qui s’inspirent d’oeuvres picturales de Decamps[1], Adrien Guignet, Théodore Chassériau, Delacroix, et de bien d’autres artistes encore ayant représenté l’Orient[2]. Bien qu’une édition illustrée eût pu rendre le roman encore plus populaire, l’auteur refusa jusqu’à sa mort toute représentation iconographique de Salammbô. Il y revient à plusieurs reprises dans sa correspondance : « Quant aux illustrations, m’offrirait-on cent mille francs, je te jure qu’il n’en paraîtra pas une[3] », écrit-il à Jules Duplan le 24 juin 1862. Au-delà même d’une esthétique selon laquelle la description littéraire, aux yeux du romancier, surpasse de beaucoup son interprétation picturale, c’est principalement le caractère jugé irreprésentable de Carthage que vise la condamnation sans appel de Flaubert[4]. Cependant, dès sa mort se multiplient les représentations de l’oeuvre sous forme de tableaux, de gravures, d’affiches signés Gaston Buissière, Lobel Riche, Alfons Mucha et Auguste Rodin, pour ne citer que quelques noms qui marquent la fortune picturale du roman. À cette liste, il faudrait ajouter les portraits de personnages par Léon Bonnat pour l’opéra Salammbô d’Ernest Reyer[5], notamment ceux de Rose Caron interprétant le personnage titre. Le cinéma, quant à lui, s’empare dès 1925, du roman de Flaubert avec un film signé Pierre Marodon, musique de Florent Schmitt, la première ayant lieu à l’opéra de Paris. Flaubert, qui avait rêvé l’atmosphère, le décor, les personnages de son roman à partir de tableaux aux thématiques orientalistes et avait refusé la mise en images de Salammbô, ne pouvait imaginer que, dès la fin du xixe siècle, son oeuvre fût l’objet d’illustrations multiples. Les arts plastiques se mirent à « salammbotiser ».
Près de 100 ans après la mort de Flaubert, le dessinateur Philippe Druillet signe trois albums librement inspirés du roman, reprenant le titre et certains personnages et l’adaptant à l’univers de la bande dessinée de science-fiction. Druillet, artiste protéiforme ayant exploré l’univers de la science-fiction en une quinzaine d’albums de bande dessinée, se trouve, à la fin des années 70, en quête de nouveaux sujets. Il raconte dans le préambule à son intégrale de Salammbô que c’est Philippe Koechlin du journal Rock & Folk qui lui « chuchote » l’idée d’une adaptation du roman de Flaubert, le dessinateur cherchant alors un « nouveau mur à escalader[6] ». Et ce mur se matérialisera en quelque sorte sous la forme des remparts de Carthage et de l’aqueduc que franchit le personnage Spendius.
Treize ans avant le jeu vidéo, encore sous l’influence de l’imaginaire de la science-fiction, Druillet trouve un cadre, une histoire initiale qui le fera passer de l’exotisme de vaisseaux spatiaux à celui de l’orient antique recréé par Flaubert. Avant même d’aborder l’intrigue proprement dite du roman sous forme de planches de bande dessinée, Druillet reprend le personnage qui l’accompagne depuis toujours[7], Sloane, guerrier intersidéral et néo-terrien, sur 24 des 192 pages que compte la nouvelle édition de l’intégrale. L’incipit de cette partie initiale, où il décrit le périple de Sloane et de ses compagnons, est révélateur du projet du dessinateur : « Ils avaient fui leur univers. Ces vautours pillaient les mondes comme on vide les poches, et aujourd’hui guettaient à travers les étoiles une nouvelle proie à saisir[8]. » Cette fuite de « leur univers » ne correspond-t-elle pas à l’abandon de la science-fiction par Druillet le temps de la relecture d’un classique, le « pillage » à celui du texte flaubertien et la « proie » à la conquête de Salammbô elle-même?
Druillet, toujours dans la présentation de Salammbô, l’intégrale, s’explique sur le choix du texte et la liberté de l’adaptation transmédiatique : « Pourquoi Flaubert, direz-vous? Il me fallait un grand professionnel du “scénario” et Flaubert, c’est un grand! Quant à ceux qui diront en regardant ma bande “mais où est Gustave dans tout ça?” je leur répondrais [sic] : dans le cimetière de Rouen[9]! » Malgré ce ton irrévérencieux, la bande dessinée – à l’exception de la partie initiale et des dernières pages qui mettent en scène Sloane – suit de façon assez fidèle le texte flaubertien et le découpage de ses chapitres. Il n’y manque même pas le célèbre incipit : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar », qui contextualise l’action du roman en plongeant d’emblée le lecteur dans un univers antique. Ce faisant, le romancier, comme le dessinateur, crée une distance avec le lecteur grâce à l’évocation d’un Orient fabuleux et lointain, librement reconstitué malgré les nombreuses sources bibliographiques consultées[10], participant ainsi d’un genre littéraire au xixe siècle, l’orientalisme[11].
À la fin des années 80, dans un entretien accordé à Jean-Paul Corsetti, le dessinateur revient sur son travail. Il assume le fait de passer d’un média vers un autre média, aidé en cela par le découpage flaubertien, et regrette seulement d’avoir dû élaguer le texte original.
J’ai découpé la trame du roman de Flaubert et l’ai reconstituée comme dans un scénario. Pour moi, le livre était structuré avec de véritables plans cinématographiques et, en ce sens, il me parlait directement. Je regrette seulement de n’avoir pas pu faire cinq albums au lieu de trois, ce qui m’aurait évité de « couper ». J’avais mis sept ans déjà...[12]
La représentation graphique de l’héroïne de Salammbô par Druillet s’inspire bien plus d’illustrateurs et de peintres que des descriptions qu’en donne Flaubert. S’adressant à un public éventuellement plus jeune, le jeu, s’il propose une héroïne peu vêtue, lui recouvre toutefois pudiquement les seins et le sexe[13], contrairement à la bande dessinée qui la dénude partiellement ou totalement[14].
Druillet, qui a découvert le roman à l’âge adulte et hésité une année avant de se lancer dans sa transposition sous forme de bande dessinée, est conquis par l’auteur : « Je suis vaincu par Gustave Flaubert. J’ai lu le livre comme un fou. Aussitôt, je me lance dans l’aventure. J’explore le roman de fond en comble. Je suis stupéfait par sa modernité[15]. » On peut d’ailleurs se demander si, en vertu de cette modernité, Druillet ne s’est pas senti d’autant plus libre pour introduire l’univers de la science-fiction. S’expliquerait alors l’apparition de vaisseaux spatiaux et du personnage de Sloane qui découvre Salammbô en une sorte de vision, ménageant ainsi une transition entre les imaginaires des deux auteurs qui puisse satisfaire le lecteur[16]. La transition ainsi trouvée, le néo-terrien traversera l’espace sidéral pour rejoindre Carthage où vit l’héroïne de Flaubert. L’inscription de l’imaginaire de la science-fiction dans le récit antique se fera par le biais d’une planche de texte en lettres capitales[17].
Il fallut mille ans pour construire l’empire de l’étoile et mille ans furent nécessaires pour le détruire en ces temps de la fin, seule la planète-mère, centre de l’étoile, coupée de l’Empire respirait encore dans des flots de sang. A Carthage devenue république vivait Salammbô, beauté façonnée par les dieux gardienne du voile sacre de Tanit. Carthage, perle écarlate du monde de l’Étoile, et Salammbô sa vierge sacrée. Les textes disent que le glaive brûlant qui consuma la cité et dévasta l’empire vint du ciel par l’homme aux yeux de feu qui recouvrit le monde de l’Étoile d’un océan de sang. Et la vierge divine succomba. Car c’était le temps où les barbares conquérants firent tomber les dieux de leurs piédestals.
La fin de l’empire... Mille années océan du temps...
Écoutez... Écoutez au loin monter vers nous le sourd grondement des armées en marche que rien ne pourra plus arrêter. O Dieux entendez notre plainte[18].
Grâce à l’emploi de parties narratives et de dialogue, Druillet crée une sorte de polyphonie où s’entrecroisent différentes instances de discours, usant de locutions familières, voire argotiques, en écho au style même du dessinateur tel qu’il apparaît dans l’introduction de Salammbô. Ainsi avons-nous, dès la première planche où surgissent des vignettes avec des bulles de dialogues ou de réflexions de personnages, des énoncés fortement dominés par l’oral : « Je m’emmerde! », ou deux planches plus loin : « Il va encore fricoter avec ses saloperies habituelles! »; « Un sacré fils de pute, oui! » Plus loin encore : « Si le reste est comme ça, on va pas s’emmerder. » Avant le départ pour Carthage, Sloane affronte son équipage qui veut l’empêcher de partir en un dialogue où se mêlent divers registres.
1er membre de l’équipage : - Tu ne partiras pas!
Sloane : - Je veux cette femme [en parlant de Salammbô]. Ce visage me hante depuis des siècles...
2ème membre de l’équipage : - Tu nous tueras tous pour une pute? Tu ne partiras pas. Sans nous, tu ne peux vaincre ce monde, seul, tu n’es rien!
Sloane : - Je suis Sloane. Le tigre... La plaie... Le sang!!
2ème membre de l’équipage : - Tu ne partiras pas sans nous!
Sloane : - Je n’ai besoin de personne. Je suis fatigué de cette errance. Ce monde est pour moi. Je le sais. Je veux m’y noyer. M’y disjoindre... Oublier vos sales gueules... Et ce d’où je viens... Laisse-moi aller...
2ème membre de l’équipage : - Tous les mondes sont identiques, Sloane. C’est toi qui es noir... Maudit tu ne partiras pas!!!
Sloane : - Tu ne comprends rien. J’attends cet instant depuis toujours. Je suis malade. Et je veux vivre à nouveau. Entre ce visage et moi, il y a une chaîne éternelle. Je dois la rejoindre [...].
Ce dialogue est d’autant plus intéressant que Sloane, véritable alter ego de Druillet depuis les années 60, veut abandonner cet univers familier, qui n’est autre que celui de la science-fiction, et s’introduire dans un autre, celui de la cité de Carthage réinventée par Flaubert. La dernière vignette de texte narratif, avant celle de l’incipit flaubertien qui se déploie sur une double page, revendique la possibilité d’une coexistence entre les deux imaginaires, les deux langages, les deux auteurs : « Il se noie dans ce monde nouveau pour lui, et pourtant si étrangement familier. Sensation de déjà vu. Le serpent du temps déroule ses anneaux éternellement... » Cette traduction du caractère à la fois dissemblable et similaire, proche et lointain, cet isomorphisme entre deux imaginaires qui ne s’est pas fait instantanément, mais est le fruit d’un long travail, d’un apprivoisement du langage de l’autre, c’est ce qu’exprime Druillet dans son autobiographie Delirium :
Pendant sept ans, je travaille sur Salammbô. Non sans appréhension, car adapter Flaubert n'est pas chose aisée. C'est un monument de la littérature et Flaubert lui-même avait souhaité bon courage à ceux qui voudraient l'illustrer. Pendant sept ans, je vis avec Flaubert. Tous les deux on forme un couple. On est très lié. Quand j'ai achevé les trois albums, j'ai fait une véritable déprime pendant plusieurs mois. À la sortie du livre, la critique est enthousiaste. Pour la première fois, un auteur de bande dessinée illustre un classique de la littérature. Les deux mondes ne s'affrontent pas, ils se complètent. Avec Salammbô, j'ai fait entrer la bande dessinée dans les musées. Aujourd'hui encore, beaucoup de gamins viennent me voir pour me dire que sans moi, ils n'auraient jamais lu Flaubert. En général, ils apprécient les deux. Qui a dit que les marmots ne lisaient plus? Pour des dessinateurs comme moi, qui ont été longtemps méprisés par l'establishment, c'est une très belle revanche[19].
Outre cette affinité que le dessinateur éprouve pour le romancier et la complémentarité qu’il considère exister entre texte littéraire et bande dessinée, s’approprier un classique permet également d’accéder à une certaine reconnaissance sociale. C’est sans doute pour cela que le texte de la bande dessinée, même s’il procède par troncation ou condensation du texte flaubertien – il aurait été impossible de le reproduire in extenso –, y est assez fidèle. Sauf quand il est nécessaire de réunir deux phrases ou deux paragraphes, auquel cas Druillet insère une transition dont il est l’auteur, ou quand il veut donner plus d’importance à un personnage. Le premier chapitre du roman se termine par la fuite de deux femmes, dont l’une ne peut être que Salammbô. La focalisation extradiégétique est rapportée de façon différente par l’écrivain et par le dessinateur. Alors que Flaubert écrit : « Spendius les reconnut », la bande dessinée préfère que cette identification soit le fait du chef guerrier puisqu’il est épris de l’héroïne : « Mâtho la reconnut. » Au passage, Druillet choisit de mettre le pronom personnel complément au singulier, comme pour mieux souligner le caractère obsessionnel de l’amour de Sloane-Mâtho, exprimé par ce regard exclusif sur le monde qui l’entoure.
Après avoir évoqué la relation difficile qu’entretient Flaubert avec l’illustration de ses oeuvres et présenté l’adaptation du roman sous forme de bande dessinée, nous examinerons les circularités et les processus de transposition d’un langage vers un autre langage, qui font du jeu vidéo l’héritier indirect et improbable de Flaubert.
Le processus de transmédiation, entrepris avec la bédéisation, se poursuit en 2003 avec le lancement du jeu vidéo Salammbô, Les périls de Carthage. D’emblée, le jeu revendique cette double filiation en mentionnant sur la boîte : « d’après le roman de Gustave Flaubert et la bande dessinée culte de Philipe Druillet ». Le jeu, conçu initialement par l’équipe de Cryo Interactive[20], reprend les graphismes de Druillet, qui a collaboré au projet. La presse spécialisée et les sites de jeux sont partagés sur ce nouvel métamorphose de Salammbô, allant de « décevant » (gamekult.com) à « tout concourt à faire du titre un délice visuel » (jeuxvideo.com). L’ancien journaliste et rédacteur en chef du site Gamekult, Poischich (pseudonyme de Gaël Fouquet), qui a réalisé un « test complet » du jeu, publié le 18 avril 2003, s’est dit déçu par Salammbô. Il note cependant de façon positive l’aspect esthétique, les décors « jolis à regarder » et le résultat global : « un scénario et une ambiance un peu bizarre mais non sans charmes[21] »; mais il n’encense guère sa jouabilité. Il rappelle les origines de l’intrigue et son appropriation par le dessinateur : « Cette histoire antique, reprise et modifiée par Flaubert, bénéficie cependant du design de Druillet et c'est donc engoncés dans des armures futuristes et rendus obscurs par des yeux bien rouges que les mercenaires se présenteront à nous. » Les décors fixes, qui fonctionnent comme des tableaux, peuvent être parcourus des yeux à 360º. Le journaliste compare ce principe à celui d’un autre jeu, Atlantis III, principe qui n’est pas exempt d’inconvénients car il ne permet pas au joueur de « se balader librement », limitant d’autant l’expérience de jeu. « Comme souvent dans les jeux d'aventure, c'est d'ailleurs au curseur que l'on fait à peu près tout », observe-t-il encore. Conséquemment, la progression se fait de façon tellement linéaire que l’« on s’ennuie ferme ». La qualité graphique indéniable de l’ensemble, l’exécution du dessin et son originalité, « la patte Druillet », sont ainsi jugés « insuffisants » pour faire de ce jeu un « titre intéressant ». En somme, les atouts esthétiques présents dans la « jolie boîte », le scénario de Flaubert et le dessin de Druillet avaient tout pour emporter l’adhésion du joueur, qui se retrouve au final face à un « gameplay bancal », écrit-il encore. Le « gameplay », ou « jouabilité[22] », peut sembler une notion assez vague quand elle devient une catégorie, voire un « véritable fourre-tout mal défini[23] ». Toutefois, cette formulation permet au journaliste d’être compris par son destinataire en indiquant jusqu’à quel point, dans un cadre spatio-temporel donné, le joueur avance grâce à la connaissance des règles, à l’expérience des mécanismes, à l’intégration de nouvelles donnes, et donc à l’acquisition de compétences ludiques. Puisque c’est la jouabilité et l’interactivité qui président au jeu d’aventure, le joueur peut être dérouté par Salammbô, à moins qu’il ne laisse séduire par le graphisme et parcourt le jeu pour découvrir un nouveau tableau, une nouvelle atmosphère conçue par Druillet et pour suivre la diégèse flaubertienne retravaillée par le dessinateur[24]. Des trois spirales interdépendantes décrites par Dominic Arsenault : « une spirale heuristique de la jouabilité, une spirale heuristique narrative, et une spirale herméneutique[25] », c’est surtout la première qui est décrite implicitement par le rédacteur de Gamekult. Inversement, Jihem, testeur de Salammbô pour le site jeuxvideo.com, admet une expérience ludique positive, car il a accédé à la dimension narrative et herméneutique après une entrée dans le jeu peu enthousiasmante. C’est ainsi que, dépassant ses préjugés initiaux concernant l’incursion de Druillet dans l’univers du jeu jugée peu convaincante, avec Ring 1 et 2, l’auteur du test affirme qu’il s’est progressivement laissé captiver : « J'avais envie d'en savoir plus, ajoute-t-il, et j'ai finalement parcouru Salammbô avec grand plaisir, en me laissant emporter dans l'oeuvre de Flaubert[26]. » Il est intéressant de noter que la médiation de Druillet est escamotée, l’abandon de l’univers de la science-fiction présent dans la bande dessinée y étant peut-être pour quelque chose. Les énigmes proposées font que le titre, toujours selon Jihem, est « plus une histoire interactive qu'un véritable jeu d'aventure ». Il loue en contrepartie le système de sauvegardes automatiques qui évite au joueur d’interrompre constamment la partie. C’est sans doute cette fluidité du jeu qui permet d’en mieux apprécier l’intrigue et l’atmosphère antique recréée par Druillet. En guise de conclusion, le testeur avoue que, pour apprécier ce titre, il faut aimer le jeu d’aventure avec une vision à 360º et surtout en accepter les limitations : « facilité et durée de vie réduite ». Contrairement au test effectué par le site Gamekult, celui de jeuxvideo.com détaille un certain nombre de critères qui contribuent à une note et appréciation générale positive, valorisant notamment le graphisme et le scénario. L’auteur du test donne, en revanche, une moins bonne note à la jouabilité et à la durée de vie assez moyenne de Salammbô – Les périls de Carthage, dont les diverses énigmes se résolvent plutôt facilement. Les commentaires des internautes vont généralement dans le même sens, sauf un qui dit avoir détesté le jeu à cause de son graphisme, alors que la plupart des critiques se montrent extrêmement favorables à la contribution de Druillet, qui « a mis tout son art au service de la technologie logicielle [27]»; pour l’auteur de cet avis, l’histoire est en somme « assez envoûtante ».
Commentant le jeu pour le site de L’Express[28], Philippe Perrier est de même opinion que le testeur de jeuxvideo.com, conquis lui aussi par l’univers antique recréé par Druillet qui, selon lui, devrait plaire également aux bédéphiles. Il salue par ailleurs, dans cet exercice de transposition, « une oeuvre de critique littéraire », dans la mesure où le jeu résulte en définitive de la lecture interprétative du dessinateur. Demeure toutefois une réelle limite, puisque « question de marché, sans doute, le jeu vise les adolescents, ce qui le rend trop lisse. Le jour où sortira la version pour adultes, on parlera enfin sérieusement du jeu vidéo comme nouvelle forme d'art ». Espoir vain, car le gamer adulte devra se contenter de l’unique version du jeu sortie en 2003. Malgré ce jugement, l’éditeur semble entretenir volontairement une certaine ambiguïté quant au public cible. D’après le lexique employé sur la boîte (« vient d’être terrassée », « s’éprend », « dangereuses fragrances », « série de fresques »), le jeu paraît s’adresser à différents groupe d’âge. Le texte figurant au dos est sans doute destiné à un acheteur adulte – joueur ou parent de joueur ayant un rôle prescriptif, éventuellement ancien lecteur du roman de Flaubert et/ou de la bande dessinée – qu’une trop grande simplification ou transformation de l’intrigue originelle pourrait rebuter. Le livret, visant un joueur qui n’a éventuellement que douze ans, présente l’intrigue de façon différente, comme nous le verrons.
Le jeu Salammbô dûment installé[29], le joueur a alors droit à une présentation cinématique[30] au cours de laquelle, après un énoncé indiquant l’importance de Spendius dans le déroulement du jeu, surgit une phrase musicale tirée de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak[31]. Ce choix paraît d’autant plus étrange que, dans le prologue du premier album de la bande dessinée, maintenu dans l’édition intégrale, Druillet informe son lecteur des « musiques utilisées pour la réalisation des albums », parmi lesquelles ne se trouve pas l’oeuvre du compositeur tchèque. Le choix de La Symphonie du Nouveau Monde peut être considéré comme un hommage indirect au cinéma de science-fiction : le thème musical du film de George Lucas, Star Wars Episode I: The Phantom Menace (1999), s’inspire du 3e mouvement, Scherzo molto vivace, de la symphonie dite du Nouveau Monde. Une façon indirecte également d’assumer une admiration réciproque entre le cinéaste et le dessinateur[32]. Cette référence en quelque sorte subliminale, transmédiatique, pourrait ainsi avoir comme fonction de suppléer à l’abandon, dans la diégèse du jeu, de l’épisode initial de la bande dessinée marqué par la science-fiction[33]. La Symphonie nº 9 en mi mineur du Nouveau Monde, op. 95, (Z Nového Světa), composée par Dvorak lors de son séjour aux États-Unis, mêle les tournures rythmiques, les lignes mélodiques de l’Amérique et de la patrie tchèque. Mais contrairement à un Bartók s’inspirant de la musique traditionnelle d’Europe centrale, Dvorak recrée un « folklore imaginaire[34] ». Cette recréation qui permet à un créateur de se servir librement de ses sources correspond à l’attitude de Druillet, usant comme bon lui semble, d’abord dans la bande dessinée puis dans le jeu qui s’en inspire, du texte flaubertien tombé dans le domaine public[35]. Salammbô devient de ce fait un texte qui, sans aucun empêchement légal, peut être imité, transformé en pastiche, parodié, allongé temporellement dans son action en une continuation de nature proleptique ou analeptique[36]. S’il a existé très tôt du vivant de Flaubert, dès 1863, des transpositions sous forme d’opérettes parodiant Salammbô, le roman ne connaîtra pas la même fortune sur le plan littéraire que Madame Bovary, dont les continuations analeptiques, notamment contemporaines, sont nombreuses[37]. La bande dessinée de Druillet occupe une place à part dans les transpositions du roman, dans la mesure où elle crée un avant et un après au récit flaubertien. Ainsi, Sloane, héros de la partie initiale de l’oeuvre de Druillet, devient Mâtho, chef des mercenaires, après être entré dans Carthage. À la fin de l’oeuvre, Mâtho agonisant échappe cependant à la mort voulue par Flaubert en étant aspiré par le faisceau lumineux d’un vaisseau spatial et régénéré à bord : « ce n’est pas la première fois que ton corps se recompose », dit un des membres de l’équipage. Entre ces deux moments de continuation proleptique et analeptique, le texte flaubertien, très largement prédominant, est interrompu à diverses occasions par la diégèse de Druillet. Ainsi, la bande dessinée commence par reprendre, mot pour mot, une partie de la description de l’épisode où Salammbô, lors du premier chapitre, interprète une sorte de mélopée : « Elle chantait tout cela dans un vieil idiome chananéen que n'entendaient pas les Barbares. Ils se demandaient ce qu'elle pouvait leur dire avec les gestes effrayants dont elle accompagnait son discours. » L’épisode qui introduit les deux futurs rivaux, Narr’Havas et Mâtho, est présenté de façon beaucoup plus sommaire chez Druillet. Mâtho, avant même d’être nommé, est décrit comme le « Libyen de taille colossale et à courts cheveux noirs frisés. [...] Un collier à lune d'argent s'embarrassait dans les poils de sa poitrine ». Il devient dans la bande dessinée : « Cet homme mystérieux se faisait appeler Mâtho, mais l’éclat particulier de son regard le faisait aussi nommer “yeux rouges”. Dans un autre univers son nom véritable était Sloane. » Druillet incorpore, naturalise le texte du xixe siècle en le plaçant à l’intérieur d’un continuum d’oeuvres de science-fiction, les 16 albums qu’il signe, et dont la diégèse de Flaubert ne serait qu’un des éléments. Le jeu se passe, quant à lui, d’une description textuelle de ce personnage et se contente du graphisme, qui correspond à celui de la bande dessinée où se détachent les yeux rouges, communs aux autres guerriers, et une sorte de justaucorps qui tient de l’armure et de la combinaison spatiale.
Toujours dans la partie introductive du jeu, et inséré en surimpression de l’adagio de la symphonie, une phrase sur la ville où se déroule l’action s’éloigne autant de la bande dessinée que du roman. Le ton adopté s’apparenterait au discours apologétique d’une brochure touristique, n’eût été l’ordre des constituants de l’énoncé qui met en avant l’attribut du verbe auxiliaire : « Superbes sont les temples qui s’élèvent au coeur de la ville, dans l’Enceinte sacrée. » Puis, le personnage de la fille d’Hamilcar est introduit : « Resplendissante est la beauté de Salammbô, grande prêtresse de Tanith[38] ». Finalement, nous revenons au protagoniste principal du jeu :
Mais Spendius n’est guère en mesure d’apprécier les splendeurs de Carthage. Il travaille jusqu’à l’épuisement sous le fouet de gardes qui punissent la moindre défaillance. Jeté au fond d’une oubliette, Spendius maudit son sort. Il est prêt à tout pour regagner sa liberté.
L’identification du joueur à Spendius, au lieu du chef des mercenaires, Mâtho, a sans doute été choisie par l’éditeur pour se démarquer d’intrigues trop simplistes, comme celles des premiers épisodes de la série Prince of Persia où le héros doit dépasser une série d’obstacles pour sauver une princesse. La plasticité même du personnage de Spendius permet au joueur de mieux s’investir. Alors qu’il n’est initialement qu’un adjuvant narratif, il va devenir en cours de partie le véritable héros qui peut perdre à chaque moment et revenir ainsi au dernier checkpoint – s’il répond de façon erronée, par exemple, à l’interpellation d’un garde ou d’un guerrier. Alors que, d’après le synopsis apparaissant sur le boîtier, Salammbô est seulement éprise de Mâtho, dans le livret du jeu elle est déjà la maîtresse[39] du chef des mercenaires. Cet différence tient au fait que la séquence cinématique initiale du jeu introduit l’action, plante un décor, un lieu et une époque qui correspondent en un saisissant raccourci au chapitre premier du roman, « Le festin ». Dans ce premier chapitre, on voit surgir les principaux protagonistes et on assiste à la première rencontre de Salammbô et de Mâtho, quand elle lui tend une coupe d’or remplie de vin[40], épisode omis dans le jeu. Le futur joueur peut se sentir dérouté quand, après avoir vu sur la boîte une illustration représentant une femme sculpturale et lu un court synopsis où figurent les seuls noms du personnage féminin et de Mâtho[41], il découvre l’importance du personnage de l’esclave.
Alors que le nom de Mâtho apparaît plus de 240 fois dans le roman de Flaubert, celui de Spendius n’est mentionné que 190. Ce simple relevé quantitatif[42] permet de considérer la prédominance de Mâtho sur Spendius. Dans la bande dessinée, Sloane, qui dans la partie initiale se transforme en Mâtho[43], jouit également d’une importance prépondérante par rapport à l’esclave Spendius, simple adjuvant du héros, entre confident et complice. Dans le jeu, bien au contraire, Spendius devient le véritable héros, l’ « avatar-actant[44] » qu’incarne le joueur. Face à la complexité de la diégèse du roman, en partie conservée dans la bande dessinée, le game designer et dialogueur de Salammbô, Les périls de Carthage, Alexis Lang, a sans doute jugé préférable que le joueur interprète le rôle de Spendius plutôt que celui de Mâtho ou de Salammbô. Ces derniers sont de fait relégués au rang de personnages non joueurs bien qu’ils orientent et conditionnent la diégèse. Spendius, personnage que Flaubert a puisé chez Polybe, décrit comme étant ambitieux, intelligent et polyglotte, est un esclave qui accède au rang de chef de guerre. Il représente ainsi le médiateur idéal entre des personnages aux intérêts divers, voire antagoniques. Il peut fonctionner comme une structure vide[45] apte à accueillir diverses fonctions : confident, conseiller, messager, et même interpréter plusieurs rôles, de guerrier à chef de guerre. Il est celui qui apporte un message à Mâtho de la part de Salammbô; qui convainc le chef gaulois Autharite et le chef des « mangeurs de choses immondes » de s’allier à Mâtho; qui contrarie les visée de Narr’Havas, et qui, au cours du jeu, résout des énigmes, des puzzles et exerce sa dextérité dans le maniement des armes. Il est en somme véritablement un adjuvant qui accède au statut de héros[46]. La tâche initiale – décrite dans le livret du jeu et consistant à sortir d’une oubliette en entassant des ossements et en assommant un garde – lui est d’ailleurs dévolue.
Les cinq premières minutes de jeu :
Après les deux pages de BD qui introduisent l'aventure, vous vous retrouvez au fond d'une oubliette encombrée d'ossements. Comment sortir de ce mauvais pas? D'abord, prenez et mettez dans votre inventaire tous les os que vous pouvez ramasser. Ensuite, cherchez un moyen d'atteindre le puits qui s'ouvre au-dessus de votre tête...[47]
Cet épisode apparaît comme l’équivalent de celui de l’ergastule, d’où sont retirés par les mercenaires une vingtaine d’esclaves, parmi lesquels se trouve Spendius, dans le premier chapitre du roman intitulé « Le festin[48] ». Dans la bande dessinée, rien de tel puisque le personnage surgit déjà libéré et se présente à Mâtho : « Je m’appelle Spendius, seigneur et suis un esclave. » Ce personnage est présent dès l’introduction du jeu, où l’on voit lors d’une séquence cinématique des esclaves fouettés par des gardes. Une voix féminine en off présente le protagoniste pendant que se déroule l’animation : « Voici l’histoire de Spendius le survivant. Il a beaucoup voyagé et exercé bien des métiers. Son destin a tourné le jour où les Carthaginois l’ont capturé et emmené en esclavage dans leur grande cité. » L’adaptation du roman se fait ici par l’intermédiation de la bande dessinée, d’où vont être soustraits les personnages et les épisodes qui assurent une meilleure jouabilité et une simplification de l’intrigue, la rendant accessible à un enfant de douze ans[49]. Le synopsis de la couverture apparaît d’autant plus étrange qu’il ne correspond pas aux instructions incluses dans le livret, où le joueur est invité à s’identifier au personnage de Spendius :
Vous êtes Spendius, esclave dans l'antique cité de Carthage. Salammbô, la plus belle fille de la ville, vous surprend en pleine tentative d'évasion. Au lieu d'appeler la garde, elle accepte de vous aider à fuir – à condition que vous portiez un message à son amant Mâtho, chef d'une armée mercenaire qui campe hors des remparts.
Ainsi commence une aventure où vous passerez en peu de temps du statut de fugitif à celui de général. À vous d'infléchir l'histoire en menant vos troupes à la victoire[50]!
Bien que le joueur soit convié à endosser le rôle de Spendius, nous n’assistons pas sur le plan syntaxique à un véritable transfert et assomption de l’avatar durant la phase de jeu. Ainsi, dans les séquences narratives, le concepteur de Salammbô, Les périls de Carthage emploie la troisième personne du singulier pour désigner Spendius, comme si le game designer ne voulait pas s’éloigner de la nature romanesque du texte source. Les parties narratives écrites et illustrées sous forme de bande dessinée, avec toujours la même voix féminine en off qui dit le texte, correspondent à la fin d’un épisode de l’aventure et à un checkpoint.
Dans le jeu, Spendius, après le premier checkpoint, découvre Salammbô dans sa fuite, qui lui révèle que la déesse Tanit l’a visitée en rêve et lui a enjoint de se rendre en ce lieu. Leur entrevue est inspirée par la déesse qui a choisi l’esclave comme messager, épisode absent aussi bien du roman que de la bande dessinée. Salammbô lui confie alors la mission qui sera l’enjeu initial de la partie et qui fait de Spendius, dans un premier temps, l’adjuvant de son amour pour Mâtho :
Hors de la ville campe une armée de mercenaires. Le plus grand de leurs chefs se nomme Mâtho. Il s’est couvert de gloire en combattant Rome au service de Carthage. Je l’ai aperçu lors d’un banquet, j’ai croisé son regard et depuis je ne peux l’oublier. Je l’aime. Va le trouver et dis-lui tout cela. Dis-lui de demander ma main à mon père. En gage d’amour, tu lui remettras une statuette à mon image.
Contrairement à la bande dessinée, qui adopte la plupart du temps le texte de Flaubert in extenso ou le condense, les parties narratives du jeu relient les épisodes et les dialogues avec les différents personnages non joueurs. Les instructions sous forme d’énigmes sont constituées de phrases courtes qui indiquent un empan de lecture plus faible, et donc un public cible d’autant plus large. Ainsi avons-nous des phrases comme : « Après une courte marche, Hannon s'arrête devant le camp mercenaire. »; « Pendant ce discours, Spendius sort de sa cachette. »; « Hannon s'affole : l'or destiné aux mercenaires a disparu! », ou encore : « Introduit par le Gaulois, Spendius assiste au conseil. »
Le texte du jeu procède par condensation de l’action et des descriptions d’une bande dessinée qui avait déjà fortement réduit les principaux épisodes du roman. L’alliance de Mâtho et de Spendius est précédée, dans le roman, par la délivrance de l’esclave de l’ergastule où il est enfermé; par la découverte de son nom, « On le nommait Spendius »; par la traduction que ce personnage fait de la plaisanterie d’un Gaulois, « Spendius n’était pas loin; il s’offrit à les expliquer »; et finalement par l’épisode où il propose ses services au chef libyen.
- Écoute! lui dit l'esclave. Oh! ne me méprise pas pour ma faiblesse! J'ai vécu dans le palais. Je peux, comme une vipère, me couler entre les murs. Viens! Il y a dans la Chambre des Ancêtres un lingot d'or sous chaque dalle; une voie souterraine conduit à leurs tombeaux.
- Eh! qu'importe! dit Mâtho[51].
La bande dessinée est bien plus concise, puisqu’une seule vignette suffit à introduire le personnage sous forme de dialogue : « Je m’appelle Spendius, seigneur et suis un esclave », tout en reprenant une partie du texte flaubertien cité précédemment. Dans le jeu, cette rencontre n’a lieu que bien plus tard, l’ordonnancement des épisodes, étant bien différent de celui du roman et de la bande dessinée, organise ainsi une nouvelle diégèse. Devenu le messager de Salammbô, Spendius se présente au camp des mercenaires. Hélé par un garde, il s’identifie : « Je suis Spendius, évadé des prisons de Carthage. Je viens voir votre chef Mâtho. » L’intervention d’un garde crée un obstacle supplémentaire puisque, si l’esclave ment sur son identité et choisit de dire : « Je suis marchand, des voleurs m’ont attaqué et dépouillé. Je suis venu chercher asile chez vous », le jeu échoue.
Afin de pénétrer dans Carthage, Spendius convainc Mâtho d’escalader l’aqueduc. La bande dessinée restitue le dialogue du roman à quelques détails près. Ainsi, le passage suivant :
- Jure d'exécuter tous mes ordres, de me suivre comme une ombre!
Alors Mâtho, levant son bras vers la planète de Chabar, s'écria :
- Par Tanit, je le jure!
Spendius reprit :
- Demain après le coucher du soleil, tu m'attendras au pied de l'aqueduc, entre la neuvième et la dixième arcade. Emporte avec toi un pic de fer, un casque sans aigrette et des sandales de cuir.
est reproduit presque à l’identique, Druillet substituant uniquement les divers artefacts par « un trait de fer et des habits de nuit ». Pour assurer une certaine dynamique au jeu, le joueur qui incarne Spendius doit interagir avec d’autres personnages. Il évolue à l’intérieur de différents décors où il est parfois difficile de se repérer, les camps des mercenaires et Carthage ayant une structure labyrinthique qui augmente le temps de jeu. Il recueille divers outils et armes dans les camps des Numides et des Gaulois qui l’aideront dans son entreprise. Narr’Havas lui donne un arc : « C’est une bonne arme pour tuer les sentinelles à distance la nuit. » Sous la tente du Gaulois Autharite s’instaure un autre dialogue au cours duquel le joueur découvre que l’idée d’escalader l’aqueduc n’est pas de Spendius.
Spendius : - Comment pénétrer dans Carthage?
Autharite : - Je suppose qu’il faudra escalader des murs ou forcer des portes... Rien de trop difficile... Rien de trop difficile pour un voleur comme toi.
Spendius : - J’ai besoin de matériel pour escalader...
Autharite : - Voici une barre de fer et des crampons d’escalade. Mon pauvre Spendius, que ferais-tu sans moi!
Contrairement au roman et à la bande dessinée, Spendius, dans le jeu, s’introduit seul dans Carthage, alors qu’il était accompagné par Mâtho chez Flaubert. Après avoir franchi un jardin dont le dessin ressemble assez à la description qu’en donne Flaubert et résolu des énigmes qui lui permettent d’avancer, il dérobe le voile sacré de Tanit qui se trouve sur une idole. Dans le texte source et dans l’oeuvre de Druillet, c’est Mâtho, en véritable héros, qui s’en enveloppe, assurant ainsi sa protection et effrayant ses poursuivants carthaginois : « Sa vue seule était un crime : il était de la nature des Dieux et son contact faisait mourir[52]. » Dans le jeu, Spendius doit revêtir le voile, comme l’indiquent la voix et le texte de la narration qui, lors d’étapes cruciales, fournissent au joueur les instructions nécessaires pour continuer la partie.
Une alarme se déclenche, il faut fuir. Mais sans la protection du voile la horde de soldats vous transpercera de leurs jets. Revêtez dans votre inventaire sous la rubrique “Avatar” le voile de Tanith. Descendez au centre du temple. Vous rencontrez Salammbô.
La présentation du personnage de Salammbô dans la bande dessinée : « À Carthage devenue république vivait Salammbô, beauté façonnée par les dieux gardienne du voile sacrée de Tanit » devient de façon plus ramassée : « Resplendissante est la beauté de Salammbô, grande prêtresse de Tanit. » Ce style incantatoire demeure assez rare et, le plus souvent, le scénariste préférera l’ordre supposé canonique de la phrase française : sujet-verbe-complément.
Lapsus ou plus certainement désir de redonner de l’importance au personnage de Mâtho, alors que le texte de Flaubert attribue au seul Spendius la destruction matérielle de l’aqueduc[53], la bande dessinée indique que « Mâtho et Spendius brisèrent le lien de vie entre la ville et le monde extérieur ». Le jeu, quant à lui, retrouve le texte d’origine en faisant de l’ancien esclave l’auteur unique de cet acte qui scelle le destin de Carthage et conditionne l’action à venir. Dans le roman, le héros descelle simplement une pierre durant la nuit afin d’ouvrir une brèche dans l’aqueduc par où l’eau s’écoule et se déverse dans la plaine. Dans le jeu, le subterfuge est bien plus spectaculaire et fabuleux. À l’écran s’affiche une bande dessinée avec, à droite, les commentaires suivants :
La quête de Spendius l'entraîne jusqu'au défilé de la Hache. Dans un temple oublié des hommes, il arrache l'oeil d'une statue de Moloch.
Spendius découvre le canal souterrain qui alimente l'aqueduc de Carthage. Il jette l'oeil de Moloch dans le courant et provoque une explosion destructrice.
L'aqueduc coupé à sa source n'alimente plus les fontaines de Carthage. Spendius a rempli sa mission. Il lui reste à rejoindre les mercenaires et à leur annoncer son succès[54].
Tandis que, dans le roman, c’est Spendius qui positionne stratégiquement les machines de guerre pour assiéger Carthage, dans la bande dessinée, c’est le chef des barbares qui en est le responsable : « Mâtho disposa les trois grandes catapultes vers les trois angles principaux; devant chaque porte il plaça un bélier, devant chaque tour une baliste, et des carrobalistes circulaient par derrière[55]. » Le jeu propose une équivalence qui permet au joueur d’agir : Spendius doit monter sur une hélépole et, réglant le tir après avoir chargé l’arme, mettre le feu à une bannière située près d’une porte de Carthage grâce à une flèche incendiaire.
Après la destruction de l’aqueduc qui les prive ainsi d’eau, les Carthaginois s’éloignent par désespoir des enseignements de la déesse Tanit. Ils se réfugient alors dans les vieilles croyances et les rites sanguinaires associés à la vénération du dieu Moloch. En raison de cet épisode, le roman avait été très critiqué à sa sortie puisque, pour apaiser la colère de Moloch et obtenir la pluie, les habitants de Carthage immolent de jeunes enfants – Hamilcar devant également livrer le sien, le jeune Hannibal[56]. La bande dessinée, au chapitre 3 intitulé « Mâtho », suit le texte flaubertien en déployant sur sept pages des dessins représentant le rite sacrificiel d’enfants, avec la célèbre et terrible phrase qui travestit la nature de l’offrande : « Ce ne sont pas des hommes, mais des boeufs[57]! » Le jeu vidéo, quant à lui, préfère faire l’impasse sur une cruauté qui pourrait susciter une censure morale et compromettre la stratégie éditoriale de le proposer à partir de douze ans. Le joueur, s’il pénètre bien dans une « salle des sacrifices » où se trouve une statue de Moloch et doit déposer un papyrus, sur un axe cylindrique situé contre l’autel, afin d’avoir accès au texte du « rituel des sacrifices », ne sera témoin d’aucun acte sacrificiel et ne verra aucune dépouille de victime. Le jeu ne peut éluder la cruauté du texte flaubertien, propre à un romantisme noir tardif. Le joueur découvre ainsi les dépouilles de guerriers morts de faim et de soif dans le défilé de la Hache, mais dont les corps finissent presque par se fondre dans le décor rocheux.
Le roman se clôt par le supplice public de Mâtho, qui culmine avec sa mort et celle, subite et mystérieuse, de Salammbô : « Ainsi mourut la fille d’Hamilcar pour avoir touché au manteau de Tanit. » La bande dessinée, bien qu’elle emploie exactement les mêmes termes, se termine par l’enlèvement du corps de Mâtho et sa résurrection en redevenant Sloane. À la fin dysphorique du romancier, le dessinateur préfère une fin euphorique. Les paroles prononcées par l’ami du néo-terrien laissent en suspens la possibilité d’une suite aux aventures de Sloane après la mort de Salammbô. Le jeu vidéo est nécessairement beaucoup plus ouvert puisqu’il prévoit deux fins possibles[58] en fonction de l’habileté du joueur incarnant Spendius. Si, lors de la dernière bataille, le joueur place ses troupes convenablement, les mercenaires triomphent, conquièrent Carthage et Mâtho et Salammbô se marient. À l’inverse, si la bataille se solde par une défaite, l’écran affiche un « Game over ». De la même façon, si le second de Mâtho, alors qu’il vient d’écouter une conversation compromettante où Narr’Havas évoque son ralliement à Hamilcar, est découvert, le jeu prend fin et la conclusion rejoint en partie le dénouement tragique voulu par Flaubert :
On s'empare de Spendius et on le jette dans une barque qui le ramène à Carthage. C'est en prison qu'il apprend la défaite de Mâtho, encerclé par l'armée carthaginoise et la cavalerie numide. Narr'Havas reçoit la main de Salammbô pour prix de sa trahison. Tandis qu'on célèbre les noces, Mâtho est livré à la populace et Spendius sacrifié à Moloch[59].
En revanche, si l’ancien esclave déjoue ce piège, rend compte à Mâtho de la trahison et réussit à s’échapper du défilé de la Hache[60], où la plupart de ses 40 000 compagnons vont périr de faim et de soif, il a l’occasion de combattre les dernières troupes d’Hamilcar. En disposant stratégiquement ses troupes face à celles de Carthage, Spendius peut remporter la victoire. Le jeu s’achève sur l’image du chef des barbares embrassant la fille d’Hamilcar et où entend la voix en off de la narratrice conclure : « Ailleurs, dans la ville livrée au pillage, Mâtho et Salammbô se retrouvent enfin. Gloire à Tanith, qui inspire et gouverne les amours des hommes[61]! »
Cet article nous a permis de mettre de révéler quelques procédés qui, du texte littéraire au jeu vidéo, assurent la postérité transmédiatique du roman de Gustave Flaubert. L’univers vidéoludique vivant d’une certaine immédiateté, voire d’une certaine impatience d’accéder à une expérience et au plaisir qui en découle (la « spirale heuristique de la jouabilité » dont parle Dominic Arsenault), adapter un texte littéraire parsemé de longues descriptions et digressions en jeu vidéo peut sembler une gageure. Ainsi, les nombreuses batailles que Flaubert prend plaisir à décrire en détail sont représentées dans le jeu vidéo, comme s’il s’agissait d’un jeu de plateau animé[62], par des diagrammes directement inspirés de la bande dessinée. Confronté à la modernité du roman, Druillet s’est senti d’autant plus libre de procéder à une première adaptation transmédiatique qui, tout en conservant l’essentiel de la diégèse flaubertienne, l’intégrait au sein d’un univers de science-fiction. Ayant apprivoisé une première fois l’imaginaire de la Carthage antique réinventée par Flaubert, Druillet, qui reprend Salammbô 13 années plus tard, réinterprète la bande dessinée en la dépouillant de la diégèse d’anticipation pour en assurer le gameplay. Bien que de façon très simplifiée, le dessinateur-scénariste retrouve alors le récit de 1862 selon une relecture personnelle faisant de lui l’héritier improbable d’un romancier qui s’emportait dans sa correspondance contre le « pignouf[63] » qui aurait l’audace d’illustrer son oeuvre et de « démolir » son rêve.
Parties annexes
Note biographique
Luis Pimenta Gonçalves enseigne la littérature européenne à l’université Aberta (établissement public d’enseignement à distance du Portugal). Il est docteur en littérature générale et comparée de l’Université Paris III – Sorbonne nouvelle, avec une thèse sur Les Postérités deMadame Bovary au Portugal, dirigée par Daniel-Henri Pageaux. Il s’intéresse depuis 2003 aux adaptations sous forme de livrets d’oeuvres littéraires françaises, notamment de Flaubert, et plus récemment à l’oeuvre romanesque et aux essais de Milan Kundera, étant l’auteur d’un documentaire sur ce dernier. Sa dernière étude en français sur l’écrivain franco-tchèque date de décembre 2012 et s’intitule « Entre Paris et Prague, l’art de la ville dans le roman kundérien», dans Anna Madoeuf et Raffaela Cattedra (dir.), Lire les villes, panoramas du monde contemporain, aux Presses universitaires François Rabelais. Il a depuis rédigé un autre article en portugais sur le même écrivain : « O imaginário do exílio em Milan Kundera», dans Cadernos do CEIL, nº 2, 2012.
Notes
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[1]
À la suite de l’envoi d’un ouvrage d’Ernest Chesneau sur la peinture et la sculpture, Flaubert, en une réponse datant du 27 septembre 1868, défend le peintre Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860) en ces termes : «Mais je ne suis nullement de votre opinion quand vous prétendez que “Decamps nous fit un Orient imaginaire”. Son Orient n’est pas plus imaginaire que celui de Lord Byron. Ni par la brosse, ni par la plume, personne n’a encore dépassé ces deux-là comme vérité.» Gustave Flaubert, Correspondance, vol. III (janvier 1859 – décembre 1868), édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p.807. La défense de Decamps pourrait être celle de l’écrivain lui-même quand il publie quelques années plus tôt Salammbô.
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[2]
Voir à ce sujet le chapitre intitulé «Le texte et l’image» dans L’Orient de Flaubert, des écrits de jeunesse à Salammbô : la construction d’un imaginaire mythique, de Ildikó Lőrinszky, préface de Pierre Brunel, Paris, L’Harmattan, 2002. L’auteur réfute la thèse de 1927 de Louis Hourticq qui, dans la Vie des images, découvre en certains épisodes de Salammbô l’influence des tableaux du peintre académique Horace Vernet, artiste peu estimé de Flaubert.
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[3]
Gustave Flaubert, Correspondance, vol. III (janvier 1859 – décembre 1868), édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1991, p. 226.
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[4]
Un peu plus loin dans cette même lettre du 24 juin à Jules Duplan, le romancier insiste sur le caractère irreprésentable de personnages et de décors : « Qu'on me le montre, le coco qui fera le portrait d'Hannibal, et le dessin d'un fauteuil carthaginois! Il me rendra grand service. Ce n'était guère la peine d'employer tant d'art à laisser tout dans le vague, pour qu'un pignouf vienne démolir mon rêve par sa précision inepte. »
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[5]
Très tôt, Flaubert songe à une adaptation musicale de son roman. Dès 1862, année de la publication de Salammbô, il signale le nom du compositeur Ernest Reyer. Dans une lettre du 12 juin à Ernest Duplan, il informe son correspondant de la transposition de son oeuvre en opéra: «J'ai aussi une espèce d'engagement avec Reyer pour un opéra. Il serait même possible que Salammbô, mise en musique, inaugurât la nouvelle salle, car le libretto que l'on a donné audit Reyer lui plaît médiocrement et il est affriandé par l'idée de Carthage. Ainsi, réserve pour Reyer. »
-
[6]
Expression utilisée dans la présentation par Philippe Druillet de l’album Salammbô, l’intégrale. Une des dédicaces s’adresse justement à Philippe Koechlin en tant qu’« initiateur de Salammbô ». Dans sa biographie cosignée avec David Alliot, Delirium, Autoportrait, il revient avec la gouaille qui lui est particulière sur le processus de gestation de l’oeuvre à venir : «Après La Nuit et Chaos, je voulais arrêter la bande dessinée. C'est Philippe Koechlin, de Rock & Folk, qui a insisté. Il voulait que je lise Salammbô de Flaubert. Il était persuadé que c'était pour moi. Je l'aime bien Philippe, mais là, je l'envoie bouler. Le pire, c'est qu'il revient à la charge. À cette époque, on se voit toutes les semaines, et il remet ça à chaque fois. Il commence à me faire chier avec son Gustave. Au bout d'un an, à l'usure, je craque. Je m'arrête chez Tschann, libraire à Montparnasse. J'achète Salammbô dans une édition au format de poche et commence à lire les premières lignes : “C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.” J'ai un vertige. Je suis emporté. Deux jours plus tard, on se retrouve à table avec Philippe Koechlin et Philippe Paringaux. Je sors le livre de poche sur la table. Koechlin avait raison. Je suis vaincu par Gustave Flaubert. J'ai lu le livre comme un fou. Aussitôt, je me lance dans l'aventure. J'explore le roman de fond en comble. Je suis stupéfait par sa modernité.» (p.196.)
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[7]
Le personnage surgit pour la première fois en 1966 dans Lone Sloane, le mystère des abîmes, série qui sera poursuivie dans Pilote en 1970. Après la publication du dernier album de la trilogie consacrée à Salammbô, l’intérêt de Druillet pour ce personnage et pour la B.D. semble avoir disparu. Cependant, Delirius 2, dernier album où surgit ce personnage, sort en 2012, 25 années après avoir entrepris ce titre en compagnie de Jacques Lob, son scénariste, disparu en 1990. La série des Sloane s’inscrit dans une relation transfictionnelle, pour reprendre la notion forgée par Richard Saint-Gelais dans Fictions transfuges, La transfictionnalité et ses enjeux.
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[8]
Présentation de l’album Salammbô, l’intégrale par Philippe Druillet.
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[9]
Présentation de l’album Salammbô, l’intégrale par Philippe Druillet.
-
[10]
Flaubert adresse, le 21 janvier 1863, une longue lettre à Guillaume Froehner, auteur, dans La Revue Contemporaine du 31 décembre 1862, d’un article très critique contestant la vérité historique et archéologique de Salammbô. Le romancier reprend point par point, parfois non sans ironie, les accusations qui lui sont faites en révélant ses nombreuses sources qui témoignent d’une réelle connaissance de son sujet. Lettre reproduite dans Gustave Flaubert, Correspondance, vol. III (janvier 1859 – décembre 1868), édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 293-301.
-
[11]
En une vision critique de l’orientalisme fait à la fois d’un « savoir exact », de récits imaginaires et de préjugés, Edward W. Said affirme : « je crois qu’il est parfaitement légitime de parler de l’orientalisme comme d’un genre littéraire, représenté par des oeuvres de Hugo, de Nerval, de Flaubert, de Fitzgerald et d’autres »; voir L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2006, p. 69. Said voit d’ailleurs en Flaubert une sorte d’exemple paradigmatique et de modèle de cette littérature inspirée par l’Orient.
-
[12]
Jean-Paul Corsetti, « Les voyages de Philippe Druillet », dans Europe, revue littéraire mensuelle, La bande dessinée, avril 1989, nº 720, p.123.
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[13]
Philippe Druillet aimant par-dessus tout le nu féminin expose des peintures chez un galeriste parisien en 2010 et publie un livre sur Les Nus de Salammbô, où il recrée le corps fantasmé du personnage. À cette occasion, il donne son interprétation de l’oeuvre de Flaubert, à l’ampleur de laquelle il répond par une création multiforme dont le but ultime serait la recherche de la féminité : « Salammbô, pour moi, est un roman social, pas un péplum. J'y travaille de façon médiumnique, que ce soit en faisant de la B.D., des vases, des bijoux. On m'a dit que je peignais un univers d'hommes. Là, je suis entré dans l'univers de la volute, du rond, du sein ou du ventre. Et le rond, c'est le féminin, c'est la paix...» Citation reproduite dans un article du journal Le Monde, daté du 9/6/2010, signé Yves-Marie Labé.
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[14]
Après le vol du voile sacré, le zaïphm, Mâtho rencontre, au chapitre 2, dans ses appartements une Salammbô entièrement nue, représentée sans artefacts ni ornements sous forme de photographies aux tons bleutés virant parfois au jaune et au vert et à l’allure d’une jeune femme aux longs cheveux blonds dont seule la chevelure et le maquillage des yeux et des lèvres ont été retravaillés par l’artiste selon une technique mixte. Salammbô, dans le roman, a une chevelure noire : « Les anneaux de sa chevelure se répandaient autour d’elle si abondamment, qu’elle paraissait couché sur des plumes noires. »; Flaubert, chapitre V, p. 143.
-
[15]
Philippe Druillet avec David Alliot, Delirium, autoportrait, Paris, Les Arènes, 2014, p. 196.
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[16]
L’existence d’une double autorité est présente dans le péritexte de la couverture par les deux noms, celui du romancier d’abord, puis celui du dessinateur, tous deux placés sur une même ligne, utilisant le même corps de caractère et dimension. Druillet veut ainsi assumer la double nature de Salammbô, textuelle et graphique, ne privilégiant aucune. Le fait que le nom de Flaubert apparaisse en premier serait plutôt la reconnaissance d’une dette du dessinateur envers le romancier qu’un argument publicitaire. C’est en tout cas ce qu’il affirme dans sa biographie « Pour la réédition de Salammbô, chez Drugstore, mon éditeur voulait mettre mon nom plus gros que celui de Flaubert. Je l'ai regardé dans les yeux. Il a compris tout de suite. On en rigole encore. »; Philippe Druillet avec David Alliot, Delirium, autoportrait, Paris, Les Arènes, 2014, p. 199. À l’intérieur de l’album toutefois, le nom de Druillet prédomine par sa dimension, suivi du titre et l’indication en plus petites capitales : « D’après l’oeuvre de Gustave Flaubert ». Au dos de la boîte du jeu vidéo, sur une seule ligne apparaît, avant même le titre et en plus petits caractères : « D’après le roman de Gustave Flaubert et la bande dessinée culte de Philippe Druillet ». tatut auctoral deux auteurs lecteurnablement, les mercenaires triomphent, conqui auteurs:
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[17]
Tout au long de l’album, cinq planches de texte ponctuent le récit. Contrairement à cette première planche, les quatre autres reprennent le texte de Flaubert et se répartissent de la façon suivante : chapitre 1, « Salammbô » : 2 planches; chapitre 2, « Carthage » : 2 planches; chapitre 3, « Mâtho », 1 planche.
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[18]
Philippe Druillet, Salammbô, l’intégrale, d’après l’oeuvre de Gustave Flaubert, Issy-les-Moulineaux, Éditions Glénat, coll. « Drugstore », 2010. Les pages de cet album ne sont pas numérotées. Si l’on ne tient pas compte de la page de titre, cette planche apparaît à la quatorzième page. Tout le texte de l’album (vignettes, bulles et planches composées uniquement de texte) apparaît en lettres capitales.
-
[19]
Philippe Druillet avec David Alliot, Delirium, autoportrait, Paris, Les Arènes, 2014, pp. 197-198
-
[20]
Cryo, qui avait lancé un nouveau genre de jeu en 1996, le ludo-culturel, en publiant Versailles, complot à la cour du roi Soleil, en collaboration avec la Réunion des Musées Nationaux (RMN), puis en juin 1997, Atlantis et Égypte, l’énigme de la tombe royale, est racheté par une ancienne filiale canadienne en 2002. Sur les péripéties de cet éditeur français, voir le livre de Daniel Ichbiah, La saga des jeux vidéo, De Pong à Lara Croft, Paris, Vuibert, 2004, qui consacre un chapitre aux « montagnes russes du jeu vidéo français ».
-
[21]
Poischich, « Test : Salammbô », Gamekult, http://www.gamekult.com/jeux/test-salammbo-J21107t.html, mis en ligne le 18/04/2003, consulté le 5/03/2014.
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[22]
Bien que souvent pris comme équivalents, le terme en anglais gameplay est pourtant plus riche que celui de « jouabilité ». Cette forgerie du mot anglophone et son emploi sous forme d’anglicisme en français renvoient à l’assomption de règles du système, de ses procédures (le « game ») et au caractère proprement ludique de l’acte de jouer (le « play »). Sébastien Genvo dans sa thèse opère bien cette distinction; Sébastien Genvo, « Le game design de jeux vidéo : Approche communicationnelle et interculturelle », thèse de doctorat, Metz, Université Paul Verlaine, Sciences de l’information et de la communication, 2006, p. 215. http://www.ludologique.com/).
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[23]
Dominic Arsenault, Des typologies mécaniques à l’expérience esthétique : Fonctions et mutations du genre dans le jeu vidéo, thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, Histoire de l’art et études cinématographiques, 2011, p. 238. Disponible en ligne : https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/5873)
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[24]
Ce bilan très mitigé conduit le journaliste à attribuer au jeu une note médiocre (4 : « Faible »). Les commentaires des internautes du site suivent le raisonnement du testeur : « Encore une oeuvre gâchée par Cryo », dit l’un d’eux, avis qui est partagé par la majorité des intervenants, bien que certains considèrent que ce jeu aurait dû avoir la moyenne.
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[25]
Dominic Arsenault, Des typologies mécaniques à l’expérience esthétique : Fonctions et mutations du genre dans le jeu vidéo, thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, Histoire de l’art et études cinématographiques, 2011, p. 241. Disponible en ligne : https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/5873)
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[26]
Jihem, Salammbô. Test : PC, mis en ligne le 09/04/2003 sur le site jeuxvideo.com.http://www.jeuxvideo.com/articles/0000/00003022_test.htm#test)
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[27]
Avis d’un internaute du site jeuxvideo.com qui signe Lochness, publié le 12/05/2003, http://www.jeuxvideo.com/avis/pc/9783-salammbo-1-1-1.htm
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Philippe Perrier, « Salammbô, jeu vidéo », site de L’Express, publié le 1/09/2003. http://www.lexpress.fr/culture/livre/salammbo-jeu-video_808280.html
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Un bogue inopiné presque au début du jeu oblige le joueur à l’installation d’un correctif.
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[30]
Le jeu utilise des décors fixes, les dessins de Druillet, que l'on peut parcourir des yeux à 360° mais dans lesquels le joueur ne peut se déplacer selon son bon vouloir, car il faut utiliser le curseur et trouver un endroit à l'écran où il est possible d’aller, puis cliquer et attendre qu’un nouveau décor s'affiche avec éventuellement de nouveaux personnages et/ou instructions.
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[31]
Ce choix est d’autant plus intéressant que cette oeuvre, achevée en 1893, est bien postérieure au roman et à la mort même de Flaubert. Les indications musicales dans le roman sont relativement peu nombreuses pour guider un choix d’illustration musicale. Flaubert évoque bien souvent des tambourins, des lyres, des crotales, des cymbales, des clairons, mais plus comme des attributs que pour leurs qualités ou caractéristiques musicales. Le romancier doit s’inspirer plus de souvenirs lors de ses voyages en Orient ou même de tableaux orientalistes que de réelles connaissances musicales. Flaubert est relativement moins sensible à la musique qu’à d’autres arts, comme en témoigne sa correspondance; voir à ce sujet le chapitre que j’ai intitulé «Références à la musique et au milieu musical dans la correspondance», dans Flaubert et les artistes de son temps, Éléments pour une conversation entre écrivains, peintres et musiciens, textes réunis et présentés par Thierry Poyet, Paris, Eurédit, 2010, p. 113-127.
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[32]
Dans sa biographie intitulée Delirium, Autoportrait, il indique la relation unissant les deux oeuvres : « Mille neuf cent soixante-dix-sept, c'est La Guerre des étoiles. Une merveille du cinéma, une véritable épopée intergalactique. George Lucas s'est beaucoup inspiré des dessinateurs français pour sa saga. Et il connaît très bien mon oeuvre. J'ai l'honneur de faire partie de ceux qui l'ont inspiré dans son travail de création. Si l'on regarde bien les trois premiers films, on y retrouve quelques similitudes, notamment l'utilisation des cercles et des triangles, ma marque de fabrique. » Druillet se souvient, dans le même ouvrage, avoir demandé à George Lucas une préface pour le 30x30 Druillet, au début des années 1980. Le réalisateur cité par Druillet y écrit : « Certains rêveurs vont plus loin, voilà tout, et leurs fantasmes les entraînent aux confins de l’imaginaire. Philippe Druillet est de ceux-là. [...] Ses légendes barbares n’ont pas fini de me fasciner et je le considère comme un superbe illustrateur doué d’une puissante vision créatrice. »; Philippe Druillet avec David Alliot, Delirium, autoportrait, Paris, Les Arènes, 2014, pp. 199-203.
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[33]
Dans le texte de présentation de Philippe Druillet pour l’album Salammbô, l’intégrale, le dessinateur mentionne la Tétralogie de Wagner, le Requiem de Verdi, Turandot de Puccini, Salomé et les Lieder de Strauss, ainsi que The Doors.
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[34]
Cette expression est du musicologue Roland de Candé dans Les Chefs-d’oeuvre de la musique, vol. 2. De Rossini à Berg, Paris, Seuil, 1992. Dans l’article consacré à cette symphonie, il cite le compositeur : « J’ai simplement écrit des thèmes à moi, leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des Peaux-Rouges. » Le son vidéoludique de Salammbô, mêlant la musique de Dvorak à des sons de barrissement d’éléphants et de percussions qui ponctuent le jeu, contribue à renforcer l’atmosphère envoûtante dont parlent certains critiques.
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[35]
Le compositeur Philippe Fénelon, qui a écrit un opéra intitulé Salammbô, donné la première fois le 16 mai 1998 à l’Opéra Bastille, et son librettiste, Jean-Yves Masson, adoptent également une certaine liberté à l’égard du roman de Flaubert, comme ils s’en expliquent dans le livret programme de la saison 1999-2000 : « à quelques passages près, les mots qu'entendra le spectateur ne sont pas une reprise littérale de Flaubert, mais une création originale, avec la liberté qu'implique toute création.» Alors que dans la bande dessinée, Druillet peut reproduire une partie du texte flaubertien, le jeu doit obéir à des critères de jouabilité et l’opéra à des impératifs musicaux et scénographiques.
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[36]
Notions développées par Gérard Genette, auxquelles il ajoute la «continuation elliptique, chargée de combler une lacune ou une ellipse médiane» et la «continuation paraleptique, chargée de combler d’éventuelles paralipses» (1982 : 242-243).
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[37]
Mademoiselle Bovary de Benoît-Jeannin (1991), Mademoiselle Bovary de Raymond Jean (1991) ou La Fille d’Emma de Claude-Henri Buffard (2001).
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[38]
On notera au passage que le nom de la déesse gagne un « h » final dans le jeu.
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[39]
Compte tenu du registre de langue utilisé dans le livret du jeu, le terme « amant » ne doit pas être pris au sens classique.
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[40]
Cet épisode essentiel absent du jeu est toutefois reproduit dans la B.D. : « Toi, guerrier aux yeux de feu... Bois! » Ce geste est interprété par Spendius, tant dans le roman que dans la bande dessinée, dans les mêmes termes : « chez nous lorsqu’une femme fait boire un soldat, c’est qu’elle lui offre sa couche ». Ce geste de la fille d’Hamilcar, et/ou ce commentaire, est à l’origine de l’agression du jeune chef numide Narr’Havas, qui lance un javelot contre Mâtho. Cet amour et la jalousie naissante figurent parmi les motifs qui vont précipiter l’action.
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[41]
Le synopsis présente un argument qui, s’il semble proche de l’atmosphère et de l’intrigue du roman, s’éloigne de la réalité du jeu, dans lequel Spendius est l’acteur principal et où les autres personnages finissent par n’être que des adjuvants : « IIIe siècle av. JC. Malgré l’appui de milliers de mercenaires, la fière cité de Carthage vient d’être terrassée par sa rivale Rome lors de la première guerre punique. Au milieu des massacres, Salammbô, fille du commandant des forces carthaginoises, s’éprend du chef des mercenaires, Mathô, qui assiège la cité pour recevoir paiement de ses services. » On remarquera au passage que ce synopsis apposé sur la boîte écorche le nom du chef des mercenaires en plaçant l’accent circonflexe sur la lettre « o » et non sur le « a » comme le fait correctement le livret. Simple coquille ou indice que boîte et livret n’ont pas été rédigés en même temps ou par la même personne?
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[42]
Ce relevé ne tient pas compte des procédés anaphoriques et cataphoriques qui remplacent les noms des personnages (« un Lybien de taille colossale », « L’esclave »...), mais n’en demeure pas moins un indicateur précieux.
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[43]
« Cet homme mystérieux se faisait appeler Mâtho, mais l’éclat particulier de son regard le faisait aussi nommer “yeux rouges”. Dans un autre univers son nom véritable était Sloane. »
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[44]
Fanny Barnabé dans son mémoire de mémoire : Narration et jeu vidéo. Pour une exploration des univers fictionnels, soutenu à l’Université de Liège, 2011-2012, parle à la page 62 d’un « avatar-actant » exerçant son influence sur la narration. Spendius en tant qu’avatar, sans doute contaminé par ses origines textuelles, a un rôle d’autant plus complexe qu’il est tour à tour l’actant qu’incarne le joueur et dont l’action influe sur le déroulement même de la partie et, sur le plan narratologique, adjuvant des amours de Salammbô et de Mâtho.
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[45]
À ne pas confondre avec l’image de la « coquille vide » employée par l’auteure de Narration et jeu vidéo (Barnabé, 2011 : p.63), qui la conçoit plutôt comme une actualisation toujours unique de l’avatar.
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[46]
Fanny Barnabé dans son mémoire, reprenant le schéma actanciel de Greimas appliqué au jeu vidéo que proposait Aymeric de Guillomont (« Les jeux dont vous êtes le héros : Analyse sémio-actantielle des jeux vidéo en solo », dans Sébastien Genvo (dir.), Le game design de jeux vidéo : Approches de l’expression vidéoludique, Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 137-160), parle du mécanisme qui vise à « héroïser » l’avatar en « le présentant comme l’élément déterminant qui a la capacité de révolutionner leur univers » (Barnabé, 2011, p. 64).
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[47]
Salammbô, Guide de l’utilisateur, Druillet et The Adventure Company, 2003, p.9.
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[48]
Le festin, épisode inaugural du roman, s’inscrit dans le projet flaubertien d’une description des barbares qui devait révulser certain de ses contemporains. La description qu’il donne des moeurs à l’époque de Carthage à Ernest Feydeau, dans une lettre du 17août 1861, est explicite quant à l’effet espéré : « Salammbô 1º embêtera les bourgeois, c’est-à-dire tout le monde; 2º révoltera les nerfs et les coeurs des personnes sensibles; 3º irritera les archéologues; 4º semblera inintelligible aux dames; 5º me fera passer pour pédéraste et anthropophage. Espérons-le! »; lettre reproduite dans le volume III de la Correspondance, p. 170. Le premier chapitre du roman relate la genèse d’un festin organisé en l’honneur des mercenaires barbares dans les jardins du palais du général Hamilcar à Carthage. La description de ces « hommes de toutes les nations » permet à Flaubert de composer des tableaux vivants proches de la peinture orientaliste. Les mets sont de nature à révolter le lecteur français du Second Empire : « et l’on n’avait pas oublié quelques-uns de ces petits chiens à gros ventre et à soies roses que l’on engraissait avec du marc d’olives » (p. 60). Malgré les libations et les mets abondants, les mercenaires n’oublient pas que Carthage leur doit encore leur solde. Lors du festin apparaissent successivement les principaux personnages du roman : l’esclave Spendius libéré par les mercenaires, Salammbô venant déplorer la mort des poissons sacrés tués par des mercenaires enivrés et chanter les exploits du dieu Melkarth, subjuguant ainsi un jeune chef numide Narr’Havas et le Lybien Mâtho qui finissent par s’affronter. Mâtho, blessé et pansé par Spendius qui lui enjoint de conquérir Carthage en l’absence d’Hamilcar, ne pense qu’à la figure sitôt disparue de Salammbô. Tous les actants présents dans ce chapitre vont plus tard réapparaître dans la bande dessinée, puis dans le jeu.
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[49]
15 ans pour la version en anglais.
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[50]
L’avatar Spendius qu’incarne le joueur doit à son tour incarner un autre personnage pendant la partie, quand il doit assister au conseil des sénateurs et prendre l’apparence d’Hannon en revêtant ses ornements et tatouages récupérés antérieurement et conservés dans le menu désigné justement par le terme « avatar ». Ce menu permettra plus tard au joueur de revêtir le voile sacré de Tanith.
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[51]
Gustave Flaubert, Salammbô, présentation par Gisèle Séginger, Paris, Flammarion, coll. « GF », nº 1112, 2001, p. 75
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[52]
Gustave Flaubert, Salammbô, présentation par Gisèle Séginger, Paris, Flammarion, coll. « GF », nº 1112, 2001, p. 146.
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[53]
« On aperçut au sommet de l'aqueduc un homme avec une tunique brune, déchirée. Il se tenait penché tout au bord, les deux mains sur les hanches, et il regardait en bas, sous lui, comme étonné de son oeuvre. »; Gustave Flaubert, Salammbô, présentation de Gisèle Ségringer, Paris, Flammarion, 2001, coll. « GF », p. 296.
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[54]
Cet épisode et d’autres qui ponctuent le jeu et signalent un changement de niveau sont présentés comme de véritables planches de B.D. avec leurs vignettes et cases.
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[55]
Dans le texte original, l´énoncé est identique, à l’exception du nom du protagoniste et du mode du verbe « circuler » qui est au conditionnel passé.
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[56]
Voir notamment la lettre de Sainte-Beuve, en date du 22 décembre 1862, qui cite le chapitre de Montesquieu, dans l'Esprit des lois, où le philosophe affirme que la pratique des sacrifices humains avait été abolie à Carthage. Dans une lettre de réponse, datée sans doute du 23-24 décembre 1862, le romancier réfute cette preuve : « Mais pour le passage de Montesquieu relatif aux immolations d'enfants, je m’insurge. Cette horreur ne fait pas dans mon esprit un doute. (Songez donc que les sacrifices humains n'étaient pas complètement abolis en Grèce à la bataille de Leuctres, 370 avant Jésus-Christ.) Malgré la condition imposée par Gélon (480), dans la guerre contre Agathocle (392), on brûla, selon Diodore, deux cents enfants; et quant aux époques postérieures, je m'en rapporte à Silius Italicus, à Eusèbe, et surtout à saint Augustin, lequel affirme que la chose se passait encore quelquefois de son temps. »
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[57]
Ce sacrifice va être commenté longuement par René Girard dans Le Bouc émissaire.
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[58]
Si la fin d’un jeu de ce type était entièrement prévisible, il ne s’agirait plus réellement d’un jeu. C’est ce que rappelle Mathieu Triclot dans Philosophie des jeux vidéo, Paris, Éditions La Découverte, coll. « Zones », 2011, en rapprochant les conditions d’existence du jeu énoncées par le classique Les Jeux et les hommes de Roger Caillois et par A Theory of Fun for Game Design de Raph Koster : « Chacun des éléments de la définition pointe vers une qualité qui, lorsqu’elle disparaît, fait s’évanouir mécaniquement l’esprit du jeu – que l’on me force à jouer, que le jeu ait lieu au beau milieu d’une autre activité et non dans un temps séparé, que l’issue soit connue à l’avance (à quoi bon jouer alors?) » (p.47). Nous arrêtons volontairement la citation à la dimension qui nous intéresse : l’imprévisibilité du dénouement et ce, en contraste avec la clôture du roman traditionnel.
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[59]
Aussi bien dans le roman que dans la bande dessinée, Spendius meurt crucifié.
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[60]
Le joueur qui incarne Spendius a neuf minutes pour sortir du défilé avant de succomber d’inanition. Pour ce faire, il doit tuer un vautour (animal absent tant du roman que de la bd), regagner des points de vies en buvant l’eau d’un cactus et en mangeant les semelles de cuir des morts, donner le vautour au chef des Parias (mangeurs de choses immondes), qui lui remet en échange deux tablettes manquantes à disposer dans des alvéoles, ce qui déclenche un mécanisme ouvrant une porte secrète.
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[61]
Cette fin est à rapprocher de celle d’une opérette parodique, Folammbô ou les Cocasseries carthaginoises. Pièce en quatre tableaux de moeurs… carthaginoises en vers de plusieurs pieds, même de plusieurs toises; émaillée de couplets, comme des vers boiteux, avec prologue en prose et d’un français douteux. Très librement inspirée du roman, cette oeuvre de Laurencin (pseudonyme de Paul-Aimé Chapelle, 1806-1890) et Claireville, donnée pour la première fois au théâtre du Palais-Royal le 1er mai 1863, se termine par le mariage de Folammbô et de Nâzo. Flaubert évoque cette pièce dans une lettre adressée à Jules Duplan, le 15 février 1863 [ ?], puis dans une autre aux Goncourt, de mai 1863: « Claudin a eu l’amabilité de m’envoyer un compte rendu de Folammbô; c’est une attention délicate dont je lui sais gré. » Laurencin avait écrit le 3 février 1863 à Michel Lévy, éditeur de Salammbô, afin d’obtenir l’autorisation d’employer les noms des personnages. Le romancier, sur conseil de son éditeur, n’autorisa pas une telle liberté. Cette première adaptation du roman, publiée cette même année chez le même éditeur, qui n’avait comme ambition que celle de divertir en profitant du succès du roman, inaugure les relations conflictuelles que heurtera, du vivant de l’écrivain de Croisset, toute tentative de transposition.
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[62]
De la même façon, au chapitre 3 intitulé «Mâtho », Druillet utilise une série de schémas représentant la position des diverses armées et les tactiques de déplacement lors de la bataille de Macar.
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[63]
Voir notes 3 et 4.
Bibliographie
- Philippe Druillet, Salammbô, l’intégrale, d’après l’oeuvre de Gustave Flaubert, Issy-les-Moulineaux, Éditions Glénat, coll. « Drugstore », 2010.
- Philippe Druillet avec David Alliot, Delirium, autoportrait, Paris, Les Arènes, 2014.
- Gustave Flaubert, Correspondance, vol. III (janvier 1859 – décembre 1868), édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991.
- Gustave Flaubert, Salammbô, présentation par Gisèle Séginger, Paris, Flammarion, coll. « GF », nº 1112, 2001.
- Salammbô. Les périls de Carthage (The Adventure Company, 2003)
- Dominic Arsenault, Des typologies mécaniques à l’expérience esthétique : Fonctions et mutations du genre dans le jeu vidéo, thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, Histoire de l’art et études cinématographiques, 2011. Disponible en ligne : https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/5873)
- Fanny Barnabé, Narration et jeu vidéo. Pour une exploration des univers fictionnels, mémoire de master, Université de Liège, 2011-2012.
- Roland de Candé, Les Chefs-d’oeuvre de la musique, vol. 2. De Rossini à Berg, Paris, Seuil, 1992.
- Jean-Paul Corsetti, « Les voyages de Philippe Druillet », dans Europe, revue littéraire mensuelle, La bande dessinée, avril 1989, nº 720, pp. 120-132.
- Gérard Genette, Palimpsestes. La construction au second degré, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 1982.
- Sébastien Genvo, « Le game design de jeux vidéo : Approche communicationnelle et interculturelle », thèse de doctorat, Metz, Université Paul Verlaine, Sciences de l’information et de la communication, 2006. http://www.ludologique.com/).
- Sébastien Genvo et Nicole Pignier, « Comprendre les fonctions ludiques du son dans les jeux vidéo », Communication, vol. 28/2, 2011, mis en ligne le 27 juillet 2011. http://communication.revues.org/1845 ; DOI : 10.4000/communication.1845)
- Daniel Ichbiah, La saga des jeux vidéo, De Pong à Lara Croft, Paris, Vuibert, 2004.
- Ildikó Lőrinszky, L’Orient de Flaubert, des écrits de jeunesse à Salammbô : la construction d’un imaginaire mythique, préface de Pierre Brunel, Paris, L’Harmattan, 2002.
- Richard Saint-Gelais, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil, 2011.
- Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Éditions La Découverte, coll. « Zones », 2011.
- Edward W. Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2006.