Résumés
Résumé
Lors de la pandémie de COVID-19, le gouvernement du Québec a instauré une mesure pour lutter contre la perte d’apprentissage estivale appelée « glissade de l’été ». À partir de 2021, il a encouragé financièrement la création de programmes ou de dispositifs d’été pour soutenir les élèves et leurs apprentissages durant les vacances scolaires. Cet article porte sur l’évaluation d’un camp nommé Littératie en s’amusant ! proposé dans un centre de services scolaire. L’objectif est de déterminer dans quelle mesure un tel dispositif est susceptible d’endiguer la perte d’apprentissage estivale, autrement dit, de favoriser le maintien des acquis pendant l’été. Une méthodologie mixte a été employée. L’approche qualitative repose sur des entretiens semi-directifs et l’approche quantitative, sur des prétests et des post-tests. Les résultats de l’étude de ce camp de littératie sont positifs et significatifs : ils montrent que la participation au camp permet aux enfants de maintenir, voire d’améliorer leurs compétences en littératie pendant l’été.
Mots-clés :
- camp de littératie,
- cours d’été,
- glissade de l’été,
- pandémie,
- perte d’apprentissage estivale
Abstract
During the COVID-19 pandemic, the government of Quebec introduced a measure to fight the summer learning loss referred to as the “summer slide”. From 2021 onwards, the creation of summer programs or devices has thus been financially encouraged to support students and their learning during the school vacations. This article focuses on the evaluation of a camp called “Literacy for Fun” offered at a School Service Center. The aim of this article is to determine the extent to which such a program is likely to stem summer learning loss, in other words, to promote learning retention during the summer. A mixed methodology was used. The qualitative approach is based on semi-structured interviews, while the quantitative approach is based on pre- and post-tests. The results of the study of this literacy camp are positive and significant: they show that participation in the camp enables children to maintain and even improve their literacy skills over the summer.
Keywords:
- literacy camp,
- pandemic,
- summer learning loss,
- summer school,
- summer slide
Resumo
Durante a pandemia de COVID-19, o governo do Quebec implementou uma medida para combater a perda de aprendizagem de verão, denominada “deslizamento do verão”. A partir de 2021, incentivou financeiramente a criação de programas ou dispositivos de verão para apoiar os alunos e as suas aprendizagens durante as férias escolares. Este artigo aborda avaliação de um campo, denominado “Literacia em Diversão!”, proposto por um centro de serviços escolares. O objetivo é determinar em que medida tal dispositivo é capaz de conter a perda de aprendizagem de verão, ou seja, favorecer a manutenção das competências durante o verão. Foi implementada uma metodologia mista. A abordagem qualitativa baseou-se em entrevistas semiestruturadas e a abordagem quantitativa, em pré-testes e pós-testes. Os resultados do estudo deste campo de literacia são positivos e significativos: mostram que a participação no campo permite que as crianças mantenham ou até melhorem suas competências em literacia durante o verão.
Palavras chaves:
- campo de literacia,
- curso de verão,
- deslizamento do verão,
- pandemia,
- perda de aprendizagem de verão
Corps de l’article
Introduction
Les chercheurs qui s’intéressent à l’apprentissage ont tendance à étudier principalement les phénomènes observables à l’école. Or, ce contexte n’est pas le seul à contribuer à la réussite éducative des enfants et des adolescents (Bernatchez, 2018). Dès les années 1970, des recherches montrent que les enfants entrent à la maternelle avec de fortes disparités en matière de mots entendus, selon le milieu socioéconomique dans lequel ils grandissent (Downey et al., 2004). Si ces écarts diminuent au cours de l’année scolaire, ils augmentent pendant l’été, conformément à la notion de perte d’apprentissage estivale (summer learning loss), expression principalement employée ici pour désigner l’oubli, pendant les vacances, de connaissances ou de compétences acquises pendant l’année scolaire (Downey et al., 2004).
Dès les années 1990, une méta-analyse a évalué la perte d’apprentissage estivale comme étant équivalente à environ un mois d’acquis annuels (Cooper et al., 1996). Plus récemment, les résultats de grandes enquêtes menées aux États-Unis ont révélé que, même si les gains d’apprentissage durant l’année scolaire diminuent au fil de la scolarité, ils sont toujours suivis d’une perte durant l’été, perte allant de 17 % à 28 % des apprentissages de l’année, en langue et en art, pour l’élève moyen (Atteberry & McEachin, 2021). Par ailleurs, Kuhfeld (2019) indique que de 62 à 73 % des élèves du primaire connaissent une diminution de maîtrise de la lecture durant l’été. Cependant, cette régression n’est pas généralisée, puisque de 22 à 38 % des élèves acquièrent, au contraire, de nouvelles connaissances pendant l’été, ce qui suggère que la perte d’apprentissage estivale n’est pas une fatalité comme le relèvent Atteberry et McEachin (2021).
Plusieurs recherches révèlent effectivement que les dispositifs[1] visant à endiguer l’oubli ou à combler des lacunes durant les vacances d’été peuvent avoir des effets positifs sur le maintien des acquis et même permettre la réalisation de nouveaux apprentissages (Kim & Quinn, 2013; Xie et al., 2020). C’est d’ailleurs pour cette raison que le déploiement de tels dispositifs a été envisagé comme un moyen intéressant pour freiner la perte d’apprentissage estivale, désignée au Québec par l’expression « glissade de l’été » (traduction de l’anglais summer slide) et, plus particulièrement, pour contribuer à pallier les lacunes engendrées par les mesures sanitaires en vigueur lors de la pandémie de COVID-19 (Kuhfeld et al., 2020). Ce déficit d’apprentissage par rapport aux acquis d’une année normale, c’est-à-dire une année sans interruption scolaire ni changement de mode de formation, est également présenté comme une perte d’apprentissage (Gage et al., 2023). Ainsi, aux États-Unis, l’American Rescue Plan Act de 2021 a accordé 29 milliards de dollars à la mise en oeuvre de dispositifs d’apprentissage estivaux (Lynch et al., 2021). De même, au Québec, les instances régionales de concertation (IRC) ont eu la possibilité d’accéder à de nouvelles ressources financières pour proposer, depuis 2021, des activités aux enfants et aux adolescents au cours de l’été, dans le but d’atténuer les pertes d’apprentissage causées tant par la pandémie que par les vacances scolaires.
Cependant, les dispositifs mis en place au Québec n’ont guère fait l’objet d’études d’impact (Papi, 2024). Nous proposons donc, dans cet article, de présenter un dispositif instauré depuis trois ans dans un centre de services scolaire (CSS) et d’en estimer les effets. Après une brève synthèse de la littérature sur le sujet, nous décrirons le camp de littératie déployé sur le territoire d’un CSS et expliquerons la méthodologie utilisée pour en évaluer les effets. Nous présenterons ensuite les résultats qui ouvriront sur une discussion à propos de la pertinence de tels dispositifs.
Ce que disent les recherches à propos des dispositifs estivaux
Les compétences linguistiques, notamment concernant la lecture, ont fait l’objet de nombreux dispositifs estivaux. La participation à ces derniers est généralement proposée aux enfants ayant des lacunes révélées par les résultats scolaires, tout particulièrement dans les milieux à faibles revenus (Augustine et al., 2016). Des études ont effectivement montré que la perte d’apprentissage estivale est plus grande dans ces milieux (Schacter & Jo, 2005) où les livres et les moments passés à discuter de lecture sont plus rares que dans les familles qui disposent de revenus plus importants (Kim & Guryan, 2010). Afin de susciter la participation des enfants de familles à revenus modestes, plusieurs auteurs recommandent que les coûts de participation soient aussi faibles que possible et que des activités récréatives ou ludiques soient proposées en plus des activités d’apprentissage (McLaughlin & Pitcock, 2009; Quinn & Polikoff, 2017).
Hattie (2023) avance une taille de l’effet de 0,17 concernant les dispositifs estivaux. Leur effet est donc moindre. Néanmoins, dans la plupart des cas, il semble être positif puisqu’un maintien, voire un accroissement des acquis est constaté (Johnston et al., 2015) et que la majorité des enfants qui fréquentent ces dispositifs obtiennent de meilleurs résultats que les enfants des groupes témoins (McCombs et al., 2019). De surcroît, les résultats d’une étude sur le projet d’apprentissage d’été national (National Summer Learning Project) lancé en 2011 aux États-Unis révèlent que plus les enfants participent (pour ce qui est du temps de participation pendant l’été et du nombre d’étés successifs), plus les bénéfices sont importants (Augustine et al., 2016).
Une revue de la littérature précise que même le simple fait de lire régulièrement pendant l’été peut compenser certaines pertes d’acquis (Bielinski et al., 2020). Par ailleurs, une méta-analyse fait ressortir que les enfants bénéficiant d’interventions ciblées sur la littératie en classe ou à la maison améliorent davantage leurs compétences en lecture que les enfants n’en bénéficiant pas (Kim & Quinn, 2013). Une étude menée aux États-Unis sur des enfants de familles à faibles revenus venant d’Amérique latine montre, quant à elle, que les dispositifs incitant les enfants et les familles à lire davantage n’aboutissent pas nécessairement à une amélioration de la compréhension ni du vocabulaire (Kim & Guryan, 2010). Ceci s’explique principalement par deux faits : 1) il s’agit de lecture volontaire durant l’été, ne comprenant aucune séance avec un intervenant et 2) souvent, le niveau des livres ne correspond pas à celui de ces enfants dont l’anglais n’est pas la langue maternelle (Kim & Guryan, 2010).
De manière plus générale, Lenhoff et al. (2020) indiquent que les facteurs suivants semblent influencer l’efficacité des dispositifs estivaux axés sur la lecture : la structuration de l’enseignement, la rigueur des interventions, la facilité de la mise en oeuvre, la longueur et la fréquence des interventions ainsi que la taille des groupes. Une méta-analyse met ainsi en évidence que les effets des dispositifs estivaux consacrés à la lecture varient fortement selon qu’il s’agisse de dispositifs de type scolaire ou simplement de lecture à la bibliothèque ou à la maison (Xie et al., 2020). Les retombées des dispositifs sont notamment liées aux compétences des intervenants et aux techniques d’enseignement utilisées (Quinn & Polikoff, 2017).
Ainsi, les dispositifs impliquant des intervenants qualifiés et un lien avec les écoles s’avèrent plus efficaces que ceux dépendant de la bonne volonté des enfants et de leurs parents, tout particulièrement lorsqu’ils reposent sur un enseignement intensif (Xie et al., 2020), avec du tutorat en petits groupes. Le tutorat intensif durant une courte période semble effectivement permettre d’éviter la perte d’apprentissage estivale chez des enfants de milieux socioéconomiquement défavorisés ayant des résultats scolaires faibles (Lenhoff et al., 2020). Selon Johnston et al. (2015), des dispositifs de lecture de trois semaines en petits groupes, mettant en oeuvre une méthode pédagogique dont l’efficacité est avérée, sont appropriés pour éviter la perte d’apprentissage.
Les analyses de Slavin (2021) tendent à montrer que les écoles d’été ne sont pas efficaces, entre autres parce que leurs activités ressemblent trop à ce qui se fait à l’école durant l’année, de telle sorte qu’elles ennuient les enfants. Toutefois, il fait aussi ressortir l’intérêt du tutorat pendant l’été, en citant deux articles présentant des dispositifs efficaces. D’une part, il mentionne l’article de Schacter et Jo (2005) où des activités en groupes de 15 enfants sont suivies de tutorat en petits groupes, deux heures par jour durant sept semaines et, d’autre part, celui de Zvoch et Stevens (2013) où l’enseignement est également suivi de tutorat en petits groupes (3 à 5 enfants), qui a lieu pendant trois heures et demie par jour, pendant cinq semaines.
Les critères d’efficacité des dispositifs estivaux tendent dès lors à rejoindre ceux du tutorat intensif dont l’efficacité a été prouvée. En matière de pédagogie, il faut que le tutorat soit assuré par un professionnel de l’éducation ou par une personne formée, que cette personne entretienne une relation de qualité avec le tutoré, qu’elle mette en oeuvre des méthodes pédagogiques éprouvées, qu’elle utilise du matériel de qualité adapté au niveau de l’élève et qu’elle se dote d’outils de suivi de la progression de l’élève. En ce qui a trait à la logistique, il est recommandé que le tutorat ait lieu de manière individuelle ou en petits groupes, au moins trois fois par semaine durant plusieurs semaines consécutives, idéalement pendant la période scolaire (Nickow et al., 2020; Papi, 2023; Robinson et al., 2021).
Bien que proches, les critères d’efficacité des dispositifs estivaux se distinguent de ceux du tutorat durant l’année scolaire relativement aux dimensions spatiotemporelles puisqu’ils s’effectuent pendant les vacances d’été. De fait, un dispositif estival ne peut pas s’étirer sur un grand nombre de semaines, contrairement au tutorat pendant l’année scolaire[2]. En revanche, l’absence d’un emploi du temps scolaire laisse une grande liberté, ce qui peut expliquer pourquoi le tutorat tend à être quotidien et à durer plusieurs heures par jour dans les deux cas cités par Slavin (2021).
Si l’implication des parents ne suffit pas à rendre un dispositif efficace, elle permet par contre aux dispositifs estivaux de rattrapage ou d’apprentissage accéléré d’obtenir de meilleurs résultats (Cooper et al., 2000). La dimension humaine joue en effet un rôle non négligeable dans l’évolution des acquis des enfants. Les recherches menées dans le cadre du Ontario Summer Learning Program (2010-2015) mettent notamment en lumière l’importance des liens enfants-parents-enseignants (Davies et al., 2022). D’ailleurs, outre les effets parfois très modestes sur l’apprentissage ou sur le maintien des acquis scolaires, ces dispositifs développent chez les enfants des habiletés non cognitives, telles que la motivation et la fréquentation scolaire grâce aux activités sociales proposées (Lynch et al., 2021).
Dix critères clés pour assurer l’efficacité des dispositifs estivaux sont résumés dans le tableau suivant avec mention, pour chaque critère, de deux références citées dans cette section (mais bien d’autres pourraient être ajoutées).
Alors que l’ensemble des recherches sur les pertes d’apprentissage estivales sont réalisées dans des contextes anglo-saxons, tout particulièrement aux États-Unis, il semble opportun de s’intéresser à ce qui est fait sur un territoire francophone, au Québec.
Dans quelle mesure un dispositif répondant a priori à ces critères serait-il efficace en contexte québécois ? Au vu de la brève revue de la littérature présentée, il parait possible de poser l’hypothèse que, malgré la différence linguistique et, plus largement, culturelle, un dispositif estival répondant aux 10 critères que nous avons identifiés devrait permettre de contrer la perte d’apprentissage estivale. Il convient dès lors de vérifier la présence de ces critères et d’évaluer les effets du dispositif.
Description du dispositif
Le camp d’été Littératie en s’amusant! est mis en place par un CSS en collaboration avec une instance régionale de concertation (IRC)[3] et des maisons de la famille. Il a pour objectif de lutter contre la perte d’apprentissage estivale en permettant aux enfants de développer leurs compétences en littératie à travers des activités variées centrées sur la compréhension orale et écrite. Dans les paragraphes qui suivent, nous donnerons une définition du terme littératie et décrirons l’outil de mesure utilisé, tous deux inspirés de ce qui se fait en Ontario et encore peu employés en milieux francophones. Nous présenterons ensuite la sélection des participants au camp de littératie ainsi que les activités et le programme de ce camp.
La littératie
Le terme de littératie est moins utilisé au Québec que dans les provinces anglophones. Selon Hébert et Lépine, qui ont réalisé une revue de la littérature et analysé 110 textes publiés entre 1985 et 2011, « La littératie touche d’une part un ensemble d’attitudes, de connaissances, d’habiletés et de compétences qui sont, d’autre part, à mesurer ou à situer dans une dynamique espace/temps et dans une visée émancipatrice du développement de la personne » (2013, p. 25).
Les auteurs précisent que cette notion renvoie aux « différentes composantes de l’enseignement et de l’apprentissage d’une langue (lecture, écriture et oral). Elle encourage aussi l’étude en classe de différents types de communication, et ce, sur des supports variés et dans le contexte de pratiques culturelles les plus authentiques possible » (Hébert & Lépine, 2013, p. 26). La littératie va donc au-delà de la lecture et de l’écriture et implique une variété d’activités et de situations d’apprentissage. Dans le cadre de la présente recherche, la littératie réfère principalement aux attitudes, aux connaissances, aux habiletés et aux compétences qui sont en jeu dans différentes situations et dans diverses activités centrées sur la lecture.
L’outil de mesure
La trousse d’évaluation de la lecture GB+, publiée par le Groupe Beauchemin[4] (et par Chenelière Éducation pour l’édition française) est utilisée pour mesurer le niveau de littératie des élèves. Cette trousse comprend trois groupes de niveaux : de 1 à 14 pour les lecteurs débutants, de 15 à 20 pour les lecteurs en transition et de 21 à 30 pour les lecteurs compétents. À la fin de la première année du primaire, le CSS considère que les élèves dont le niveau est supérieur ou égal à 13 ont une compétence marquée, que ceux qui ont un niveau entre 9 et 12 ont une compétence assurée, que les élèves dont le niveau est de 7 ou de 8 ont une compétence acceptable, que ceux qui ont un niveau de 3 à 6 ont une compétence peu développée et, finalement, que les élèves ayant un niveau de 1 ou de 2 ont une compétence très peu développée. L’évaluation réalisée à l’aide de la trousse GB+ s’effectue de la manière suivante : la personne professionnelle de l’éducation (l’évaluatrice) responsable de l’évaluation confie un livret à l’élève pour qu’il en fasse la lecture en silence. L’élève doit ensuite faire un rappel du livre, l’évaluatrice lui posant quelques questions générales pour le guider au besoin. Puis, l’enfant effectue une seconde lecture, cette fois-ci à voix haute. L’évaluatrice lui pose ensuite des questions précises pour vérifier sa compréhension du texte.
Au fur et à mesure, l’évaluatrice remplit une fiche comprenant le texte et les questions ainsi que les différents éléments à évaluer. Par exemple, pour une lecture de niveau 3, les éléments suivants sont évalués[5] :
-
Les « comportements de lecteur observés » qui incluent les « connaissances et compétences » (p. ex., le lecteur tient le livret à l’endroit, lit de gauche à droite, reconnaît rapidement les mots fréquents, etc.); les « stratégies de lecture observées » soit la pause, la répétition, la relecture, l’utilisation de l’information visuelle, l’autocorrection; l’« aisance », (p. ex., le lecteur lit tout le texte avec un débit et des intonations naturels qui reflètent une excellente compréhension; le lecteur lit le texte mot à mot d’une façon qui montre une compréhension limitée ou une absence de compréhension, etc.);
-
Le « rappel du texte » qui invite à vérifier si le lecteur « relate les faits sans assistance et sans l’aide du livret », « relate les principaux faits dans l’ordre », « interprète l’information visuelle », « relate l’histoire de façon cohérente en utilisant le vocabulaire approprié »;
-
Les « questions de vérification de la compréhension » qui comprennent la « compréhension littérale » (p. ex., dans l’histoire, à qui appartient tel objet ?) et la « compréhension déductive » (p. ex., dans l’histoire, pourquoi tel personnage fait telle chose ?).
Cette fiche permet ainsi de voir si le lecteur est bien de ce niveau ou s’il serait préférable de lui fournir des livrets d’un niveau de lecture inférieur ou supérieur. Il faut parfois faire une deuxième évaluation, avec la lecture d’un livret d’un autre niveau, pour s’assurer du niveau de lecture de l’élève.
Les participants
Le camp de littératie est proposé gratuitement aux familles d’enfants identifiés comme rencontrant des difficultés en lecture et en compréhension de texte lors d’une évaluation réalisée en juin dans les écoles, à l’aide de la trousse d’évaluation de la lecture GB+. Les élèves sélectionnés par les directions d’école pour participer au camp de littératie sont en priorité des élèves de première année du primaire, c’est-à-dire des prélecteurs ou des lecteurs émergents de niveaux 1 à 3 GB+. Néanmoins, des élèves de première année ayant un niveau GB+ supérieur à 3 ainsi que des élèves de deuxième ou de troisième année ayant d’importantes difficultés, ou ayant déjà fréquenté le camp l’année précédente, peuvent aussi être inscrits, si le nombre de places disponibles le permet.
Ainsi, en 2023, 74 élèves (40 filles et 34 garçons) répartis dans sept groupes et dispersés sur cinq sites ont été inscrits au camp de littératie. En amont du camp, les parents de ces élèves ont assisté à une présentation d’une heure. Ils ont également reçu un document de 12 pages d’explications écrites sur la perte d’apprentissage estivale, sur le déroulement du camp, sur le type d’activités, sur l’évaluation GB+ et sur le matériel à apporter au camp.
Les activités
Les activités proposées sont variées et ont été créées par deux conseillères pédagogiques et par une enseignante. Elles reposent à la fois sur des principes émanant de la réponse à l’intervention (RAI) (Desrochers et al., 2016) et sur la volonté de différencier les activités estivales des activités scolaires en optant, autant que possible, pour des activités ludiques qui se déroulent à l’extérieur lorsque la météorologie le permet. Des routines littéraires, aussi connues sous l’appellation Les 5 au quotidien (Boushey & Moser, 2015), sont mises en place et visent à favoriser le développement de compétences de manière autonome. Les cinq composantes sont la lecture à soi, la lecture à un autre, l’écoute de la lecture, les travaux d’écriture et l’étude de mots. Ainsi, lors de leur participation au camp de littératie, quelques enfants lisent seuls pendant que certains écoutent une histoire sur un iPad et que d’autres écrivent des mots avec différents outils comme des tampons, par exemple. La lecture se fait donc aussi bien de manière individuelle (lecture à soi), qu’avec un pair (lecture à deux) ou avec l’ensemble du groupe (message du matin, lecture interactive). Pour la lecture à soi, les enfants peuvent choisir différents livres parmi ceux qui correspondent à leur niveau. Des activités ludiques sont également proposées et ont notamment pour objectif d’accroître la rapidité de lecture de mots fréquents, par exemple, en tapant le plus rapidement possible avec une tapette à mouches l’étiquette sur laquelle se trouve un mot lorsqu’il est mentionné par l’enseignante.
Le programme
En 2023, le camp Littératie en s’amusant ! s’est déroulé durant les trois premières semaines de juillet, du lundi au jeudi, de 8 h 30 à 12 h 00, soit pendant 12 matinées. Les activités ont eu lieu dans des écoles ou dans des maisons de la famille situées sur le territoire du CSS. Chaque groupe était animé par deux intervenantes : une enseignante et une éducatrice spécialisée préalablement formées durant une journée au programme type des activités. Ce dernier prévoit que les enfants peuvent arriver entre 8 h 00 et 8 h 30 pour jouer. De 8 h 30 à 8 h 50, le message du matin est présenté. Il s’agit d’un texte court, lu en groupe, qui sert d’occasion pour travailler certains éléments tels que la reconnaissance des lettres ou des sons. Ensuite, de 8 h 50 à 9 h 30, pendant qu’une partie du groupe réalise les routines littéraires, l’autre partie du groupe participe à une activité d’apprentissage ludique. De 9 h 30 à 9 h 50, les enfants prennent une collation, puis de 9 h 50 à 10 h 30, les enfants qui ont fait les routines littéraires font l’activité ludique et vice versa. De 11 h 00 à 12 h 00, le groupe est à nouveau au complet, les enfants échangent sur ce qu’ils ont appris et l’une des deux intervenantes leur fait une lecture. Pendant cette lecture ou à la fin de celle-ci, les intervenantes posent des questions aux enfants pour les amener à résumer l’histoire et pour vérifier leur compréhension. Selon les lieux et les familles, les enfants rentrent ensuite chez eux ou sont pris en charge par d’autres dispositifs municipaux comme les camps de jour.
Méthodologie
Afin de bien comprendre le déroulement des activités et leurs effets sur les enfants, plusieurs actions ont été menées. Dès 2022, des échanges ont eu lieu avec la direction du CSS impliqué et la chargée de projet. Nous avons également participé à la rencontre d’une direction d’école avec les parents d’élèves et à la formation des intervenantes. Nous avons aussi observé les activités ayant lieu dans quelques camps. Ceci a nourri la description du camp faite précédemment et a permis de préparer l’étude menée en 2023. Cette dernière repose sur une méthodologie mixte. L’approche qualitative et l’approche quantitative mises en oeuvre seront décrites successivement.
L’approche qualitative
Des entretiens semi-directifs, inspirés par la méthode de l’entretien compréhensif (Kaufmann, 2016), ont été menés avec neuf intervenantes (sept enseignantes, une orthopédagogue et une éducatrice spécialisée) à la fin du camp. L’objectif principal était de recueillir leurs perceptions relativement aux effets du camp de littératie sur les enfants participants. L’objectif secondaire était de comprendre ce qui les amène à vouloir intervenir dans le cadre de ce dispositif estival et à recueillir leur appréciation de la formation reçue, de la programmation des activités, des ressources pédagogiques mises à leur disposition et du travail en binôme.
Chaque entretien a duré environ une heure et a été réalisé en visioconférence enregistrée sur Teams avec activation de l’outil de transcription. Puis, chaque transcription a été corrigée en réécoutant l’enregistrement. Nous avons ensuite mené une analyse thématique (Blanchet & Gotman, 2001) en fonction de cinq thématiques prédéfinies à savoir : 1) leurs motivations à intervenir dans le camp (dans le passé et dans le futur), 2) leur appréciation du dispositif tel qu’il est prévu (formation reçue, programme, activités, matériel, etc.), 3) les changements réalisés par rapport à ce qui est prévu dans le dispositif (modifications d’activités, de ressources, etc.), 4) les effets perçus sur les enfants (compétences en littératie, appétence pour la lecture, comportement, etc.) et 5) les appréciations rapportées par les enfants ou par leurs parents (plaisir, motivation, progrès, déception, etc.).
Pour chacune de ces thématiques, la chercheure a ensuite rassemblé les propos en fonction de leur sens, ce qui a donné lieu à l’émergence de sous-thématiques ou de sous-catégories. Elle a suivi les recommandations de Bhattacherjee (2012) et de Silverman (2013) afin de s’assurer d’une prise de distance nécessaire entre la construction des sous-thématiques et le verbatim, notamment par l’utilisation d’accords inter-juges pour la création des sous-thématiques.
Les idées principales ont donc pu être résumées et les propos estimés les plus clairs ou les mieux structurés ont été retenus afin d’illustrer et de compléter les synthèses ainsi créées. Pour préserver l’anonymat tout en rendant possible la distinction entre les acteurs, les citations de verbatims sont uniquement suivies d’une lettre, allant de A à I, attribuée de manière aléatoire.
3.2 L’approche quantitative
Comme indiqué dans la description du camp de littératie, un outil de mesure, la trousse d’évaluation GB+, est utilisé pour connaitre le niveau de lecture des participants à la fin de l’année scolaire (juin 2023), à la fin du camp de littératie (juillet 2023) et au début de l’année scolaire suivante (septembre 2023). Il a ainsi été possible de mener une analyse fondée sur cette mesure lors de deux des trois temps d’évaluation, soit en juin et en septembre. Nous ne nous sommes pas intéressés à la mesure prise en juillet, car elle ne concernait que les enfants ayant participé au camp et pas ceux du groupe témoin. Pour limiter le biais de suivi des évaluateurs, nous nous sommes assurés que la même personne évalue les élèves aux différents moments.
Un total de 110 élèves a été sollicité pour cette recherche. Cependant, pour éviter les biais, les élèves en processus de francisation ont été retirés de notre échantillon, car les entretiens ont fait ressortir que leurs progrès ne peuvent pas être évalués par la trousse GB+. De plus, les élèves ayant déménagé et n’ayant pas pu participer aux évaluations de septembre ont également été retirés des analyses. Ainsi, l’échantillon sur lequel portent les analyses quantitatives est composé de 92 élèves. L’échantillon a une distribution égale entre les sexes, soit 46 garçons (50 %) et 46 filles (50 %). L’âge moyen des élèves est de 8 ans (M = 2 015,61). Plus de la moitié d’entre eux, soit 52 élèves (56,5 %), proviennent de trois écoles[6] : 22 proviennent de l’école A (23,9 %); 19 de l’école B (20,6 %) et 11 de l’école C (12 %). De cet échantillon, 59 élèves (64 %) ont participé au camp de littératie.
Afin d’évaluer l’effet du camp sur les compétences en littératie des élèves, nous avons effectué deux séries d’analyse. D’abord, nous avons exécuté les modèles de régression multiple afin d’apprécier l’effet du nombre de jours de fréquentation du camp de littératie sur le niveau GB+. Pour ce faire, des modèles de régression ont été calculés avec, comme variable dépendante, la variation du niveau obtenu avec la trousse d’évaluation GB+ à la rentrée de la nouvelle année scolaire versus le niveau qui avait été évalué à la fin de la dernière année scolaire. Pour mieux déterminer les portions de variance relatives à chacun des groupes de variables, nous les avons entrées dans les différents modèles de régression selon un ordre précis. Dans un premier temps, le sexe a été entré dans le modèle de régression (Bloc 1), l’âge dans un second temps (Bloc 2), l’école de l’apprenant dans un troisième temps (Bloc 3), puis le nombre de jours passés au camp d’été dans un quatrième et dernier temps (Bloc 4) afin de rendre compte de son apport incrémental.
Ensuite, l’analyse en doubles différences sur score de propension a servi pour mesurer l’effet causal du dispositif estival. Cette technique consiste à combiner le score de propension avec l’analyse en doubles différences. Pour utiliser la méthode des doubles différences, il faut observer les personnes sur deux temps de mesure, soit les évaluations GB+ en juin et en septembre 2023, et les répartir en deux groupes (traité et témoin). Au-delà de cette observation à deux moments, la double différence s’appuie sur « l’hypothèse fondamentale de tendance temporelle commune entre les deux groupes selon laquelle en l’absence de traitement les changements observés dans les groupes auraient été identiques. La différence restante est alors attribuable à l’impact du traitement sur la variable d’intérêt » (Lecocq et al., 2014, p. 85). Le choix de cette méthode s’explique par la non-représentativité des participants et par le petit échantillon de notre étude. Lecocq et al. (2014, p. 86) considèrent effectivement que :
l’estimation des effets d’un traitement par doubles différences représente une option intéressante à l’utilisation du score de propension, notamment lorsque l’utilisation de ce dernier n’est pas appropriée (petit échantillon, score de propension non équilibré, zone de support commun restreinte ou appariement ne permettant pas de réduire les différences initiales).
La combinaison du score de propension avec l’analyse en doubles différences a l’avantage de réduire les biais éventuels liés à l’utilisation d’une méthode unique et ainsi d’augmenter la robustesse du contrefactuel estimé (Gertler et al, 2016).
Résultats
Cette section est consacrée aux résultats à la fois qualitatifs et quantitatifs. Nous présentons une synthèse des principaux éléments ressortant des entretiens pour mieux expliquer la manière dont les groupes ont fonctionné ainsi que les effets perçus de la participation au camp de littératie. Les résultats des analyses statistiques permettront ensuite de voir dans quelle mesure le camp a eu ou non un effet significatif pour contrer la perte d’apprentissage estivale.
L’appréciation du dispositif et l’évolution du niveau de littératie en quelques mots
Cette sous-section présente les résultats de l’analyse thématique des entretiens en commençant par les points de vue des intervenantes et des enfants sur le camp de littératie, suivis des progrès repérés en ce qui concerne la littératie.
Regards sur le dispositif
La manière dont le dispositif est perçu et vécu par les intervenantes et leurs perceptions sur la façon dont les enfants l’ont vécu sont présentées ici.
L’appréciation des intervenantes
Toutes les intervenantes avec lesquelles nous nous sommes entretenus apprécient la programmation du camp et le matériel fourni. Elles considèrent qu’il s’agit d’un « clé en main » (A) et elles n’ont guère eu d’adaptations à y faire, si ce n’est que d’intervertir des activités selon le niveau de concentration des enfants, la météo ou le lieu où elles se trouvaient, ou d’ajuster le niveau de difficulté en fonction des capacités des enfants. Une jeune enseignante qui travaillait au camp pour la deuxième année explique : « encore une fois, j’ai vraiment beaucoup apprécié cette activité-là, ça me donne de l’expérience comme enseignante » (D). Plusieurs intervenantes mentionnent même qu’elles envisagent de reprendre une activité ou des livres découverts dans le cadre du camp avec leurs élèves pendant l’année. Le camp semble donc aussi potentiellement profitable pour les intervenantes.
Par ailleurs, même si elles ne travaillaient pas nécessairement ensemble auparavant, les intervenantes indiquent toutes avoir formé un binôme efficace avec leur pair. Le fait que l’une des deux intervenantes connaisse les lieux et, surtout, les enfants était apprécié comme le font ressortir ces propos : « moi j’ai eu la chance de travailler avec quelqu’un qui était connu du milieu. Ça a facilité vraiment beaucoup au niveau des liens, au niveau de la motivation et de l’intérêt de l’élève » (C). La complémentarité dans le partage des activités à réaliser avec les enfants est également appréciée.
En revanche, certaines intervenantes déplorent le fait que quelques enfants aient été souvent absents et précisent que c’est la responsabilité des parents qui associent parfois le camp davantage à un service de garde qu’à un programme éducatif. Une intervenante déclare ainsi : « ceux qui ont le plus progressé, c’est ceux qui étaient toujours là. Mais il y a des parents qui considéraient que c’était facultatif : «je paie pas pour, donc si mon enfant y va pas c’est pas si grave que ça» » (H). La gratuité qui favorise l’accès au camp jouerait donc parfois en défaveur de l’assiduité de certains enfants.
L’appréciation des enfants telle que perçue par les intervenantes
Comme les élèves proviennent de différentes écoles, certains se connaissent et d’autres pas. Les jeux leur permettant de faire connaissance lors de la première journée sont donc appréciés pour favoriser la création des liens. Une intervenante rapporte ainsi que même les enfants initialement les moins coopératifs ont fait des efforts et ont apprécié le camp de littératie. Les intervenantes mentionnent toutes que « la grande majorité des enfants aime vraiment ça » (F). L’une d’elles évoque deux enfants lui ayant dit qu’ils « aimaient mieux venir à notre camp de littératie que d’aller au terrain de jeu ou au hockey » (D). Les commentaires qu’elles reçoivent des parents vont dans le même sens : « j’ai eu des commentaires de parents qui me disaient : «mon enfant n’aimait pas ça venir à l’école, c’est toujours la bataille, mais là, même si c’est dans une école, il a hâte de venir» » (E). À la fin de camp : « ils nous ont dit qu’ils étaient surpris de voir que leur enfant avait aimé ça. Puis ils nous ont remerciées » (I).
L’appréciation du camp par les enfants s’explique notamment par les activités proposées. En effet, pour accentuer la différence par rapport aux activités scolaires et pour dynamiser leur groupe, les intervenantes proposent aux enfants d’entonner une chanson sur l’air de We Will Rock You leur permettant de clamer qu’ils sont des super lecteurs. Elles organisent aussi des activités en plein air comme des courses à relais ou des chasses au trésor avec des mots. Une intervenante mentionne : « On jouait beaucoup plus dehors que si on avait été à l’intérieur » (H). Malgré leurs difficultés, les enfants semblent ainsi apprécier les activités : « la plupart du temps là quand c’est très ludique, ils ne voient même pas qu’ils travaillent, ils sont dans le jeu » (E). De plus, les intervenantes encouragent les enfants et tendent à ajouter des défis lors des différentes activités ou des bilans quotidiens et hebdomadaires. Plusieurs apportent des friandises pour récompenser leurs efforts à certaines occasions ainsi que des livres ou des jeux supplémentaires.
Les évolutions observées concernant la littératie
Les progrès des enfants en matière de littératie sont tout d’abord présentés en ce qui a trait à la confiance en soi et à l’intérêt pour la lecture, avant d’être abordés sous l’angle du niveau.
L’amélioration de la confiance en soi et de l’intérêt pour la lecture
Lors des entretiens individuels, la plupart des intervenantes soulignent que le camp permet de développer la confiance en soi, car les enfants sont avec d’autres enfants rencontrant des difficultés. Les intervenantes disent ainsi préférer les pairages entre enfants de même niveau, ceux entre enfants de niveaux différents ne permettant pas aux deux d’évoluer favorablement : « Cette année, je les ai placés avec ceux qui sont de leur niveau, donc dans les sous-groupes ils se sentaient plus à l’aise, ils essayaient plus » (I). De manière générale, contrairement à ce qui se passe en classe, « ils sont moins comparés avec les meilleurs, ils sont comparés avec leur groupe » (E). Ainsi, comme ils ne craignaient pas les moqueries, « ils osaient lire le message du matin, puis, des fois, ils se trompaient vraiment. Mais ils faisaient l’effort, tout le monde voulait participer au message ce matin » (G).
Ce contexte stimulant semble d’autant plus bénéfique pour les enfants que les lacunes causées par les périodes de confinement durant la pandémie sont encore notables, selon certaines intervenantes. Le camp de littératie contribue à combler ces lacunes, car il permet de prendre le temps nécessaire dans le cadre d’un accompagnement plus individualisé que celui offert en classe durant l’année. Une intervenante explique effectivement que les enfants ont progressé grâce au « fait qu’on prenne le temps de les écouter, de les valoriser, de renforcer ce qu’ils étaient en train de faire » (C). Plusieurs intervenantes indiquent que les enfants ont apprécié la lecture avec un adulte ou avec un autre enfant et qu’ils ont progressivement développé un plaisir à lire ou un « plus grand intérêt envers la lecture » (F) : « il y en a qui ont dit : «Ah ben avant j’aimais pas lire, là j’aime, ça!» » (I).
Cependant, tous les enfants n’ont pas le même rapport à l’évaluation GB+ réalisée à la fin du camp. En effet, d’après les propos des intervenantes, certains la craignent à l’idée de ne pas s’être amélioré, tandis que d’autres sont enthousiastes d’avoir un moment privilégié avec un adulte et de montrer leur progrès. Pour d’autres encore, cela suscite moins d’émotion, car il ne s’agit pas d’une activité inhabituelle dans la mesure où l’évaluation GB+ est fréquente dans leur école. Les résultats de l’évaluation réalisée à la fin du camp sont également susceptibles de générer des émotions contrastées : « J’en ai cinq qui ont augmenté de niveau fait que ces cinq-là, ils étaient fiers […] Il y en a qui étaient déçus de voir qu’ils n’avaient pas augmenté » (I). Bien que le fait d’avoir maintenu le niveau soit un résultat positif relativement au phénomène de perte d’apprentissage estivale, le fait de savoir que d’autres ont désormais un niveau supérieur à celui qu’ils avaient à leur arrivée apparait donc comme une source de déception pour certains. Les propos recueillis ne permettent néanmoins pas de savoir si cette dernière est susceptible de remettre en cause le développement de la confiance en soi qui semble avoir eu lieu pendant les trois semaines.
L’amélioration des compétences et du niveau de littératie
Plusieurs intervenantes mentionnent avoir observé d’importantes améliorations entre le début et la fin du camp. L’une d’entre elles explique ainsi : « il y avait beaucoup de devinettes au début, puis plus ça avançait, plus il y a des mots fréquents qu’ils étaient capables de nous nommer sans avoir à décortiquer […] à force de les écrire, les lire ça, ça débloque beaucoup » (I). De même, une autre constate : « que ce soit dans la rapidité, dans la fluidité ou dans la reconnaissance des sons amoureux. Ils ont tous chacun faits leurs progrès » (H). Certaines intervenantes ont également précisé que la capacité à restituer une histoire lue par eux-mêmes ou par autrui est meilleure, notamment concernant le respect de l’ordre chronologique. Lors du bilan final, les enfants ont fait part de leur satisfaction. « On sentait qu’ils étaient fiers d’eux, qu’ils trouvaient qu’ils lisaient mieux qu’ils se trompaient moins, puis qu’ils étaient plus rapides dans leur lecture » (F), explique une intervenante.
Dans l’ensemble, les intervenantes estiment que le niveau GB+ attribué à l’enfant lors des évaluations avant et à la fin du camp sont conformes à ce qu’elles observent. Toutefois, elles font ressortir le fait que certains progrès ne peuvent pas être repérés par l’outil de mesure mobilisé, notamment lorsque l’élève n’est pas encore arrivé au stade de lire. Par exemple, deux intervenantes évoquent le cas d’élèves étrangers pour qui le camp a été l’occasion d’apprendre l’alphabet en français, comme le soulignent ces propos : « mon élève qui ne savait pas ses lettres, c’est dommage, mais sur papier avec ses GB +, elle ne s’est pas améliorée, mais pour moi, c’est mon plus gros gain » (G). De même, une autre intervenante présente le cas d’un élève francophone dont le niveau GB+ n’a pas évolué entre le début et la fin du camp alors qu’elle a constaté des progrès : « [Il] est demeuré à 0, mais il a quand même progressé. Il reconnaît plus les syllabes, la lecture de mots fréquents est plus fluide aussi » (H). Les gains semblent donc aller au-delà de ce qui peut être mesuré[7].
L’analyse des entretiens permet ainsi de comprendre que le dispositif est apprécié tant par les intervenantes que par les enfants, selon les propos des intervenantes. Ces dernières indiquent effectivement que les enfants prennent plaisir à y participer et qu’ils maintiennent leur niveau ou progressent au fil des douze matinées. Pour entretenir le plaisir et les progrès, à la fin du camp de littératie, les intervenantes encouragent les enfants à continuer de lire. Dans la mesure où tous n’ont pas de livres chez eux, ni de soutien à la lecture, elles les incitent à « aller à la bibliothèque municipale pendant l’été pour continuer ces beaux efforts » (F) et partagent avec eux des liens de lectures accessibles sur internet. L’outil d’évaluation GB+ ne permet pas de repérer toutes les améliorations, mais est décrit comme fiable pour identifier un niveau. La prochaine section porte sur les évolutions de niveau de lecture constatées à l’aide des mesures effectuées.
L’évolution du niveau de littératie en quelques chiffres
Cette partie met en exergue les données quantitatives à travers les modèles de régression multiple et l’analyse en doubles différences sur score de propension.
Les analyses préliminaires
Les résultats montrent que les élèves ayant participé au camp de littératie ont connu une augmentation moyenne du niveau GB+ plus forte que les élèves du groupe témoin (entre les évaluations de juin et de septembre). En effet, le niveau GB+ moyen du groupe de traitement est passé de 5,1 en juin à 6,2 en septembre, soit une différence de niveau GB+ de 1,1 (p < 0,01). Quant au groupe témoin, le niveau moyen GB+ est passé de 4,8 en juin à 5,0 en septembre avec une différence de niveau GB+ de 0,2, une différence statistiquement non significative selon le test t pour échantillons appariés. Cependant, cette seule comparaison de moyenne ne peut pas déterminer les effets du camp de littératie, car le traitement a été vécu de façon inégale dans l’échantillon (p. ex., certains élèves se sont absentés pendant plusieurs séances). Ainsi, il serait erroné, d’un point de vue statistique, d’employer une analyse différentielle des scores entre les deux groupes pour vérifier l’effet du camp de littératie. Le nombre de jours passés au camp sera donc la variable à l’étude (discriminante) dans cette recherche. Dans ce cas, des analyses de la variance multivariée s’avèrent nécessaires afin d’ajuster les estimations (p. ex., si l’élève n’a pas participé au camp d’été, son score sera de 0).
Considérant le caractère exploratoire de cette étude, des analyses préliminaires ont été réalisées avant de procéder au test d’hypothèse. D’abord, comme le montre le tableau 2, le calcul de corrélation entre les différentes variables à l’étude a permis de relever des patrons corrélationnels qui sont semblables à ceux retrouvés dans les études présentées dans la première partie (et ce, tant au niveau de la direction que de la force des liens observés).
Considérant le devis de recherche (transversal) privilégié dans cette étude, le test à un facteur de Harman (Podsakoff & Organ, 1986; Fuller, et al., 2016) a été effectué pour vérifier l’influence du biais de la variance commune sur les données recueillies. Les résultats de ce test ont révélé une solution comprenant de multiples facteurs et la part de variance expliquée par le premier facteur est équivalente à 38,53 %. Selon ce test, une forte influence du biais de la variance commune peut être considérée lorsqu’un seul facteur émerge de cette analyse et/ou lorsque la variance expliquée par le premier facteur de la solution est supérieure à 50 % (Bozionelos & Simmering, 2022; Fuller, et al., 2016). Enfin, l’évaluation des facteurs d’inflation de la variance, calculés à partir des modèles de régression multiple, a montré qu’ils étaient de faible amplitude (entre 1,00 et 1,14) et donc bien en-dessous du seuil de 4,0 suggéré par Hair et al. (2010).
Les analyses confirmatoires
Les questions de recherche formulées pour la présente étude tenaient à l’incidence du nombre de jours passés au camp de littératie. Dans l’ensemble les résultats présentés dans le tableau 3 permettent de soutenir l’hypothèse de recherche selon laquelle le temps passé au camp contribue isolément à la prédiction de l’amélioration du niveau GB+ au début de l’année suivante (∆R2 = 10,1 %), par-delà l’effet du genre de l’apprenant, de son année de naissance et de son école de provenance.
Le tableau 4 fait ressortir les estimations de l’effet moyen du traitement pour le camp de littératie. Il montre que celui-ci a un effet positif et significatif, soit un gain d’apprentissage de 0,89. Cela signifie que les élèves ayant participé au camp de littératie ont obtenu un coefficient significativement plus élevé que leurs homologues du groupe témoin. Le coefficient (0,89) est toutefois faible, ce qui peut s’expliquer par les difficultés scolaires des élèves et le nombre restreint de jours passés au camp de littératie.
Discussion
Cette étude du camp d’été Littératie en s’amusant! a tout d’abord permis de vérifier que le dispositif répondait bien aux 10 critères d’efficacité des dispositifs visant à lutter contre la perte d’apprentissage estivale identifiés dans la littérature anglo-saxonne, comme le présente le tableau 5.
Bien que n’impliquant pas de tutorat en tant que tel, ce camp de littératie rassemble les critères présentés comme étant favorables à l’observation d’effets positifs des dispositifs d’été.
De plus, les analyses tant qualitatives que quantitatives montrent que ce camp de littératie a des effets positifs en ce sens qu’il diminue la proportion d’élèves en perte d’acquis et augmente celle d’élèves ayant appris pendant l’été. La participation au camp permet effectivement à la plupart des enfants de maintenir, voire d’améliorer leur compétence en littératie pendant l’été. Cette amélioration est significativement plus importante que celle des enfants qui ne participent pas à ce camp. L’ampleur de l’effet est de 0,89 avec le modèle causal. L’hypothèse selon laquelle un dispositif regroupant les critères d’efficacité décrits dans la littérature présentant des dispositifs créés en contexte anglophone serait efficace en contexte francophone est donc vérifiée. Au regard de la littérature sur le sujet, qui fait ressortir l’importance de l’intensité des interventions et de la relation tutorale (Slavin, 2021), nous pouvons supposer que le fait d’ajouter une matinée par semaine et un intervenant par groupe permettrait d’accroitre l’efficacité du dispositif.
Rappelons aussi que, pour avoir une mesure juste, nous avons écarté les élèves en francisation des analyses quantitatives. Ces élèves ne sont donc mentionnés que dans les analyses qualitatives. Comme l’outil n’est pas adapté à leur situation, leur niveau reste à 0, ce qui n’est pas sans rappeler l’étude de Kim et Guryan (2010) qui met en avant que le matériel proposé n’est parfois pas adéquat pour des enfants qui apprennent à lire dans une langue autre que leur langue maternelle. Cependant, contrairement au dispositif étudié par ces chercheurs, qui reposait sur de la lecture volontaire, ici les enfants sont pris en charge dans un dispositif structuré, par des professionnelles de l’éducation qui s’adaptent à leurs particularités. Et, d’après les propos des intervenantes, ce dispositif permet d’observer des progrès en matière d’alphabétisation. Il semblerait néanmoins pertinent de proposer des dispositifs différents, ayant pour objectif le développement de la francisation.
Cette étude vient par ailleurs confirmer l’importance de l’implication des parents (Cooper et al., 2000; Davies et al., 2022), notamment pour s’assurer que l’enfant fréquente le camp, puisque l’assiduité favorise l’amélioration comme le relève aussi bien la littérature (Augustine et al., 2016) que les données quantitatives et qualitatives présentées dans cet article. Des moyens seraient donc à trouver pour favoriser l’engagement des parents.
Enfin, en matière de méthodologie et de résultats, il est intéressant de voir que l’analyse des résultats d’évaluation GB+ et les propos des intervenantes tendent à concorder et mettent en lumière le fait que la majorité des enfants participant au camp progressent. L’évaluation réalisée à partir de GB+ est utile, car elle permet, d’une part, d’adapter les livres au niveau des enfants et, d’autre part, de comparer le niveau des enfants avant et après leur participation au camp ainsi qu’avec celui des élèves ne participant pas au camp. Toutefois, certains effets risquent de passer inaperçus si nous nous limitons à cette mesure. Outre quelques améliorations dont l’ampleur reste insuffisante pour indiquer un changement de niveau GB+, les intervenantes ont constaté certains effets favorables, comme le développement de la confiance en soi et du plaisir de lire, qui sont susceptibles d’avoir des répercussions à long terme et dans d’autres domaines que la littératie.
Conclusion
En 2021, le gouvernement québécois a décidé d’encourager la création de dispositifs estivaux pour soutenir les élèves et contrer les retards d’apprentissage (Betthäuser et al., 2023) entrainés par les mesures sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie de COVID-19. C’est dans ce contexte qu’un camp de littératie a vu le jour dans un CSS. Dans la mesure où la littérature porte généralement sur des dispositifs instaurés dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, nous avons souhaité évaluer les effets du camp d’été Littératie en s’amusant ! Grâce à une méthodologie mixte, nous pouvons constater que les impacts de ce camp de littératie sont positifs et significatifs. Ils font effectivement ressortir le fait que la participation au camp permet à la majorité des enfants de maintenir, voire d’améliorer leurs compétences en littératie pendant l’été. De plus, selon la perception des intervenantes, la participation au camp favoriserait aussi le développement du plaisir de lire, des liens sociaux et de la confiance en soi des enfants. Ce camp de littératie pourrait donc servir de source d’inspiration pour d’autres dispositifs estivaux au Québec ou ailleurs.
Si cette recherche tend à confirmer la pertinence des critères identifiés dans la littérature, il convient cependant de préciser que la revue de littérature réalisée sur la perte d’apprentissage estivale n’est pas exhaustive. C’est pourquoi elle s’est également appuyée sur les critères résultant de méta-analyses portant sur le tutorat pendant l’année scolaire. Une méta-analyse ou, au moins, une revue systématique de la littérature sur la perte d’apprentissage estivale serait donc à mener pour s’assurer de ne pas oublier de critères. De plus, l’échantillon est relativement modeste et le camp de littératie n’est présent que sur le territoire d’un des 72 centres de services scolaires que compte le Québec. Il serait donc pertinent de reproduire cette recherche sur plusieurs années et, si possible, dans plusieurs lieux, pour garantir l’efficacité du dispositif au-delà de cette étude de cas. Il serait également intéressant d’interroger les enfants du camp et du groupe témoin sur leurs habitudes de lecture (en dehors du camp) et sur les autres activités estivales auxquelles ils ont participé pour pouvoir mieux comprendre les évolutions observées. Enfin, alors que les recherches tendent à montrer que la perte d’apprentissage estivale est encore plus grande en mathématiques qu’en littératie (Atteberry & McEachin, 2021; Kuhfeld, 2019) il pourrait être opportun de vérifier si les critères d’efficacité sont les mêmes pour des dispositifs estivaux consacrés aux mathématiques et de tester des projets pilotes centrés sur cette discipline.
Parties annexes
Notes
-
[1]
La littérature anglo-saxonne emploie le terme programme. Toutefois, pour éviter la confusion avec le programme scolaire et dans la mesure où il ne s’agit pas uniquement d’un curriculum, mais d’une intrication de différentes dimensions institutionnelle, pédagogique et technique à l’oeuvre dans un contexte sociétal particulier afin de créer quelque chose qui s’inscrit dans le temps, nous privilégions le terme dispositif (Papi, 2014).
-
[2]
La littérature sur le tutorat regroupe de nombreux cas de tutorat durant de 15 à 20 semaines. Par ailleurs, la durée d’une séance de tutorat varie selon l’âge des élèves et ne dépasse généralement pas une heure. Pour en savoir plus sur les dispositifs de tutorat au Québec, voir Papi (2024).
-
[3]
Les IRC sont les organismes invités à proposer des dispositifs estivaux dans le cadre de la mesure gouvernementale de lutte contre la glissade de l’été. Elles travaillent tout au long de l’année avec de nombreux organismes régionaux afin de favoriser la persévérance et la réussite éducative.
-
[4]
Éditions 2003 et 2019
-
[5]
Exemple tiré de la fiche d’appréciation du rendement GB+ concernant un texte de niveau 3 intitulé L’auto de Singe. Les éléments entre guillemets sont tirés de cette fiche.
-
[6]
Les écoles sont anonymisées afin de protéger le caractère confidentiel des participants.
-
[7]
Comme l’indique la méthodologie, ces propos nous ont incités à ne pas tenir compte de ces élèves dans les analyses quantitatives, car leur évolution n’est pas mesurable par la trousse d’évaluation GB+.
Liste des références
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