Corps de l’article

1. Pour commencer : un petit détour par la théorie et l’historiographie

On pourrait dire que l’histoire de la consommation est née des grands travaux des sociologues des années 60-70 et 80. Ainsi, il faut noter l’influence considérable de la pensée et de l’œuvre de Jean Baudrillard sur la théorisation de la consommation. Son Système des objets (1968), où il dresse une analyse structurelle, fonctionnelle et formelle des objets, est profondément marqué par la problématique de la signification des biens, puisque, pour lui, les objets constituent un « langage », un système complexe de signes.

Il reprend cette idée deux ans plus tard dans La Société de consommation (1970), et définit la consommation comme une morale (normes et valeurs) et un mode de communication (langage des objets). C’est un système de signes par lequel le consommateur s’intègre dans la société. De même, l’influence des travaux de Pierre Bourdieu a connu une résonance très forte en histoire de la consommation. Dans, La Distinction critique sociale du jugement (1979), cet auteur développe une notion clé, celle de «  distinction  ». Il s’intéresse à la question du « goût », et, montre que les individus se différencient socialement par les distinctions qu’ils opèrent entre les objets, entre le beau et le laid, le distingué et le vulgaire. C’est donc cette volonté de « distinction » qui oriente les choix des consommateurs dans une logique de différenciation par le haut. Du côté anglo-saxon, il faut aussi citer l’œuvre, désormais incontournable pour la théorisation de la consommation, de Mary Douglas et Baron Isherwood (2008 [1979]). Ces deux auteurs définissent la consommation comme un ensemble de pratiques signifiantes par lesquelles les individus échangent de la valeur, du sens et entretiennent des liens sociaux. C’est un ensemble de pratiques qui permettent au consommateur de s’inscrire dans des réseaux sociaux. Ainsi, la consommation est un phénomène social et culturel en cela que « l’homme a besoin de biens pour communiquer avec les autres et pour faire sens de ce qui se passe autour de lui » (2008 : 116). Après eux, ce sont les travaux d’Arjun Appadurai (1986) et de Daniel Miller (1987) sur les objets de consommation qui ont connu une résonance considérable.

Les historiens se sont nourris de ces travaux, en même temps qu’ils y ont ajouté leurs propres théories. En effet, l’histoire étant la science des faits passés, elle s’inscrit dans une perspective temporelle, d’où l’intérêt, en histoire de la consommation, pour une rhétorique bipolaire structurée autour des notions de « consommation traditionnelle »/ « consommation moderne ».

Avant d’aller plus loin, nous devons nous attarder un instant sur ces notions. De façon synthétique, les sociétés « traditionnelles » sont définies comme des sociétés fermées (imperméabilité sociale et communautaire), religieuses, guerrières, et profondément non consuméristes, même si un certain sentiment consommateur peut apparaître chez l’élite (Stearns 2001). Ainsi, dans de telles sociétés, la consommation est marquée par l’emploi utilitaire des objets, les individus ayant principalement recours à des objets liés à des gestuels d’effort et de travail ; ce sont des objets utiles au premier degré, car débarrassés de toute valeur symbolique (Baudrillard 1968). Aussi, ces objets de consommation « traditionnelle » répondent-ils à des besoins physiologiques, biologiques, ou encore primaires, comme manger, dormir, se vêtir (Baudrillard 1968 ; Moles 1972). Dans une société de consommation « tradition-nelle », les individus sont donc des « utilisateurs d’objets » (Glennies 1995), puisqu’ils s’en servent pour prolonger leurs actions (Moles 1972). Ce sont des « objets-outils » profondément utiles, d’où l’idée de nécessité (Douglas, Isherwood 2008 [1979]). Enfin, dans ces sociétés, les objets ont une durée de vie longue (usure maximale, réparation, transmission de génération en génération [2]) (Moles 1972 ; Perrot 1981 ; Roche 1997), et s’inscrivent souvent dans des logiques d’autoconsommation (Raybaud 1981), ou s’ils sont intégrés aux circuits des échanges march-ands, proviennent principalement des marchés locaux (Purser 1992).

À l’inverse, dans une société où la consommation est « moderne », les individus deviennent des « consommateurs de marchandises » (Glennies 1995). En effet, dans ces sociétés, l’objet est d’abord un « objet-signe », il n’est donc plus strictement utile (Baudrillard 1968). En plus de sa fonction pratique, l’objet recèle désormais un sens et devient un messager (Miller 1987 ; Parker 2003 ; Douglas, Isherwood 2008 [1979]). De ce fait, si l’on parle en termes de besoins, on peut dire que la consommation « moderne » fait appel à des besoins de nature primaires, mais plus seulement. En effet, dans ces sociétés, les besoins des individus se complexifient du faitde l’utilisation croissante d’« objets-signes », et de l’utilisation décroissante d’« objets-outils ». Il s’agit donc désormais de besoins dits secondaires, c’est-à-dire sociaux (régis par la société), et psychologiques (propres à chaque individu) (Halbwach 1912 ; Baudrillard 1968 ; Douglas, Isherwood 2008 [1979]). Ce sont des besoins superflus[3] dans le sens où ils ne reposent plus sur la stricte nécessité, les objets n’étant plus utilisés comme moyens de subsistance (Stearns 2001). En outre, dans ces sociétés, la durée de vie des objets est courte puisque l’« objet-signe » est lié au désir[4] et à la mode[5]. Il est donc soumis à un rythme de renouvellement rapide (Baudrillard 1970 ; Lipovetsky 2006). Enfin, dans ce contexte, les objets sont majoritairement des produits manufacturés (Daviet 1997 ; Roche 1997), et proviennent de marchés élargis, soit locaux, nationaux et internationaux (Purser 1992 ; Stearns 2001 ; Trentmann 2004).

Évidemment, il faut bien voir que les définitions que nous venons de donner sont loin d’êtres figées. En effet, les concepts mêmes de « tradition » et « modernité » sont problématiques et sujets à des débats de fond, débats reflétant les querelles entre les historiens de la consommation. Les historiens modernistes sont ainsi parmi les plus critiques, et pour causes, comme on a d’abord pensé, à tort, que la consommation « moderne » était inexistante avant la révolution industrielle et commerciale du 19e siècle (Coquery 2011 : 10), ils se sont attachés à faire reculer les limites de cette prétendue « modernité ». Ils ont ainsi dévoilé des différences d’échelles, de nature, et de structure entre époques, et ont montré que le 19e siècle ne faisait qu’amplifier, de manière spectaculaire certes, un bouleversement déjà en cours depuis plusieurs siècles[6] (Shammas 1990 ; Coquery 2011 ; Trentmann 2012). Selon Frank Trentmann, ce qui divise aujourd’hui la communauté historienne tiens alors à deux façons de faire l’histoire, et, en conséquence, à deux façons de concevoir la modernité. Ainsi, tandis que pour les uns la modernité est associée à un phénomène économique et social de masse[7] ; pour les autres, ce sont des modifications culturelles et mentales restreintes qui témoignent de l’entrée dans une consommation dite « moderne »[8] (Trentmann 2004, 2012). De la sorte, vouloir à tout prix distinguer «  tradition  » et «  modernité  » est absurde tant ces notions sont finalement subjectives, évolutives et interpénétrées (Galland, Lemel 2006 ; Breward 2012). Aussi, plus qu’un absolu, la rhétorique « tradition »/ « modernité » est-elle d’abord pour nous un outil d’analyse, outil qui se révèle pratique pour saisir des mutations dans les comportements de consommation.

Si nous avons tenu à commencer cet article par un court bilan théorique, c’est bien pour rappeler la variété et la complexité des études sur la consommation, ainsi que les discussions que cela suscite. De notre côté, nous nous inscrivons à mi-chemin entre l’histoire économique et sociale, et entre l’ethnologie historique, en nous intéressant plus particulièrement à la question de la signification des biens.

2. La consommation en milieu rural : sujet, sources et méthode de recherche

Notre cadre théorique étant défini, on peut désormais s’attarder sur les raisons qui nous ont poussés à nous intéresser à la consommation des habitants d’un bourg rural français au tournant des 19e et 20e siècles. En premier lieu, il nous semble que faire d’un bourg rural le cadre de notre étude permet de mieux intégrer cet espace, encore trop négligé, dans le champ des études historiques françaises sur la consommation. En effet, la majorité des travaux historiques d’importance se sont concentrés sur le monde des villes, ce qui, en France, signifie Paris et ses grands-magasins[9].

De la même manière, notre étude s’intéresse aux habitants du bourg, c’est-à-dire à des ruraux, dont, pour la plupart, nous ignorons le statut social. Or, ici encore, nous avons affaire à des acteurs délaissés par l’historiographie française. On trouve ainsi beaucoup de bonnes études sur la consommation bourgeoise et ouvrière des villes, mais trop peu concernant le consommateur rural[10]. Notre démarche ici est justement de mettre au premier plan ce consommateur, et de l’étudier pour lui-même, c’est-à-dire sans forcément faire référence à une classe sociale.

Notre choix s’est donc porté sur le bourg français d’Ancy-le-Franc (Côte d’Or), bourg pour lequel nous disposions des archives privées du commerce de la famille Boivin/ Michaud. Ancy-le-Franc appartient au département de la Côte d’Or (Bourgogne) depuis la Révolution française. Au 19e siècle, le bourg bénéficie d’un réseau d’infrastructures performant qui le relie à l’économie régionale et à la zone d’influence parisienne[11]. C’est un bourg qui a tenté l’expérience industrielle sans grand succès[12], et qui est, de ce fait, constitué d’une population à caractère essentiellement rural, dont les activités sont notamment tournées vers l’agriculture et la viticulture.

Or, en tant que bourg rural, on s’attend à trouver à Ancy-le-Franc un modèle de consommation particulier. En effet, dans les années 1975, une série d’études françaises menées par l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) ont mis à jours les caractéristiques, et les transformations historiques, des régimes alimentaires urbains et ruraux. Dans ce cadre, les travaux de Cécile Dauphin et Pierrette Pézerat (1975), qui s’appuient sur les monographies dressées par LePlay et ses disciples, révèlent de façon très précise les différences de structures entre ces deux régimes alimentaires au 19e siècle. Il apparaît ainsi que les urbains consomment plus de viande, de poisson et d’oeufs que les ruraux ; mais, surtout, c’est à travers leur consommation de produits d’épicerie qu’ils se distinguent. En effet, les urbains, qui consacrent une part de leur budget plus importante à ces produits[13], consomment trois fois plus de sucre, et deux fois plus de café que les ruraux. En revanche, les ruraux consomment presque deux fois plus de fruits et légumes (secs et frais). Ils consomment aussi davantage de pain et de produits laitiers. Aussi, la consommation rurale est-elle plutôt végétarienne, et la consommation urbaine plutôt carnée[14].

Dans le même ordre d’idées, Rolande Bonnain-Moerdijk (1975), qui s’intéresse préférentiellement aux questions de timing, montre que l’uniformisation entre l’alimentation rurale et citadine progresse entre 1850 et 1936[15].

En pratique, les spécificités de l’alimentation rurale, que nous avons décrites plus haut, s’estompent. L’auteure observe alors un accroissement de l’alimentation carnée, ainsi que de la part des produits d’épicerie (café, sucre, chocolat, conserves, etc.), des pâtes, et du riz. Les champignons, auparavant regardés avec méfiance, sont également de plus en plus consommés. En parallèle, elle montre qu’il y a une diminution de la part des laitages, des légumes secs, et une augmentation de celle des fruits et légumes frais, des produits qui étaient déjà bien représentés. À cela s’ajoute un phénomène de diversification, les consommateurs ayant davantage de choix, du fait, notamment, de la modernisation industrielle et commerciale. En outre, tandis que les produits locaux (fromage et huiles notamment) sont remplacés par des produits industriels, certaines habitudes se substituent à d’autres[16]. Enfin, selon l’auteure, les phénomènes d’autoconsommation, bien que toujours présents en 1936, tendent à à diminuer.

À la lumière de ces études, il apparaît que le tournant des 19e et 20e siècles entame une période de restructuration de la consommation alimentaire rurale. Or, de 1870 à 1930, le corps de consommateurs du bourg s’effrite. Effectivement, la population du bourg passe de 1851 habitants en 1872 à 1266 habitants en 1906 et à 1103 habitants en 1931[17]. Ces résultats sont sans doute le fait du vieillissement de la population du bourg, conjugué à l’exode rural des jeunes, ce qui provoque le départ d’une partie de la population du bourg vers les villes environnantes (Troyes, Paris, Auxerre)[18]. Il ne faut pas non plus négliger l’impact de la Grande Guerre sur la démographie régionale. Ceci étant dit, il est intéressant de noter que, du fait du déclin de la population, et de l’augmentation parallèle du nombre de commerces, on observe une légère augmentation, suivie d’une stagnation, du nombre de commerces par habitant. Ainsi, de 18 commerces pour 1000 habitants en 1872, on passe à 24 en 1906, et enfin à 22 en 1931[19]. Il y a donc, au cours de la période, un gonflement du nombre de commerces dans les années 1890, puis un ajustement progressif de l’appareil commercial à la réalité villageoise dans les années qui suivent. Cela est peut-être dû à la nécessité, pour les commerçants, de se professionnaliser à travers le développement d’une comptabilité plus précise, la mise en place de nouvelles techniques de vente, etc. Ainsi, les commerçants qui n’ont pas su s’adapter à l’évolution de leur clientèle auront été contraints de fermer boutique. C’est peut-être l’une des explications de l’évolution de l’appareil commercial d’Ancy-le-Franc.

Or, l’épicerie sur laquelle nous avons choisi de travailler est justement parvenue à traverser les décennies, tout en nous laissant des traces de son passage[20]. Ces traces sont les sources (d’origines privées) qui ont servi de base à cette étude sur la consommation au tournant des 19 e et 20e siècles. Il s’agit des livres de comptes établis par les propriétaires successifs de ce commerce[21] où sont détaillés tous les achats des clients[22]. À partir de ces archives, nous pouvons mesurer les achats réalisés par chaque client dans l’épicerie, ce qui nous permet en définitive de percevoir les évolutions, tant dans l’activité de l’épicerie, que dans la consommation de la clientèle. Pour que cette évolution soit visible, nous avons préféré une périodisation longue. Ainsi, les années 1880 sont celles qui correspondent, au niveau national, à une diversification de la demande dans les villes et villages, c’est donc une date primordiale dans l’histoire de la consommation rurale[23]. Notre date finale l’est tout autant, car c’est dans les années 1930 que se dessine la future « société de consommation », visible à travers le développement du « choix » en matière de consommation (Bonnain-Moerdijk 1975  ; Berstein et Milza 2009 [1990]). À partir de là, notre objectif est d’analyser l’évolution de la consommation et des modes de vie de la population d’un bourg français à partir des achats faits en épicerie. Or, étant donné que nous sommes en présence de sources comptables, il nous est possible de dresser des séries statistiques qui nous permettront ensuite d’établir le budget des consommateurs et de voir ainsi la part consacrée par chaque client de l’épicerie à chaque poste de consommation, et à chaque produit.

Cependant, si ces sources sont très riches d’enseignement, elles n’en comportent pas moins des lacunes sur lesquelles nous devons maintenant nous attarder. L’une des premières, et non des moindres, consiste en la possibilité pour le propriétaire du commerce d’occulter consciemment certains achats ou certaines ventes afin de bénéficier d’avantages fiscaux (détournement de marchandises pour éviter certaines taxes) ou mêmes humains (problématique de la prostitution des clientes les plus pauvres[24]). Or, il est impossible de mesurer ces occultations, nous ne pouvons que les deviner et les mentionner. De plus, il faut bien voir que de nombreux produits vendus dans l’épicerie peuvent être trouvés dans diverses boutiques du bourg, qu’il s’agisse également d’épiceries, ou de boutiques plus spécialisées comme les boucheries, boulangeries, cafés, limonadiers et autres [25] . Ainsi, nous n’avons à notre disposition qu’une partie des achats réalisés par les clients, ce qui ne nous donne qu’un aperçu de la réalité consommatrice. Enfin, nous devons nous interroger sur la clientèle même du commerce du fait de la pluralité de boutiques. En effet, il est très probable que notre épicerie ne draine qu’une portion spécifique de la population du bourg.

D’un point de vue méthodologique, nous avons procédé à des coupes dans les sources afin de cerner au mieux l’évolution des achats effectués dans la boutique. Pour chaque client, nous avons donc relevé les achats pour deux mois d’été et deux mois d’hiver par tranches de dix ans. Puis, à partir des résultats des coupes, nous avons procédé à la répartition des achats en postes de dépenses afin de calculer le plus précisément possible le pourcentage que chaque client consacrait à chaque poste. Nous avons ainsi obtenu deux postes généraux (alimentaire et divers) sous-divisés en postes secondaires. La seconde étape de notre méthodologie a été de mettre en rapport les différents budgets ainsi obtenus de manière à définir une moyenne de la consommation à Ancy-le-Franc en 1880 et en 1930. Nous avons alors dressé tableaux et graphiques afin de percevoir au mieux cette évolution. Nous avons ensuite analysé précisément l’évolution de la consommation, et de ses objets, à partir des dépenses des clients, afin de voir quelles étaient les particularités de la consommation à Ancy-le-Franc. Ainsi, notre objectif est double. Il s’appuie d’une part sur une historiographie socio-économique de la quantification par le budget, et d’autre part, sur une historiographie du « langage des objets » où le mental et le culturel sont mis au premier plan.

Ceci étant dit, il faut bien voir que l’analyse qui est au cœur de cet article ne synthétise que la partie I notre mémoire de maîtrise, celle ayant trait à l’alimentation. Aussi s’appuie-t-elle sur deux tableaux, que nous avons reproduits, et qui sont issus d’une analyse statistique de notre corpus de sources[26]; or, du fait de cette volonté de synthèse, nous n’avons retenu que l’essentiel de notre travail, c’est pourquoi le lecteur qui désirerait avoir plus de détails sur la consommation alimentaire, et sur la consommation en général à Ancy-le-Franc, pourrait, soit se reporter au mémoire, soit entrer en contact avec nous.

Sommes toutes, l’analyse quantitative et qualitative de notre corpus a témoigné de l’aspect changeant de la consommation à Ancy-le-Franc au tournant des 19e et 20e siècles. En effet, tandis qu’en 1880 les résultats font émerger une consommation plutôt « traditionnelle », en 1930, on assiste à une modernisation des modalités de consommation, selon les modèles décrits plus haut. En ce sens, le rapport des hommes aux choses a subi une transformation ; c’est cela que nous avons tenté de définir et de comprendre.

3. La consommation en 1880 : une consommation de type « traditionnelle »[27]

Table 1

Les ventes de l’épicerie en 1880 (en%)

Les ventes de l’épicerie en 1880 (en%)

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En 1880, on peut encore parler de consommation de type « traditionnelle » à Ancy-le-Franc. En effet, au sein même des dépenses alimentaires, la nécessité prime le superflu, en témoignent l’importance des dépenses réservées au sucre, au sel, aux épices et aux condiments. Or, si l’on regarde dans le détail, on s’aperçoit que les deux produits les plus achetés de cette catégorie sont le sucre (35 % des achats) et le sel (21 % des achats), soit deux produits basiques en cuisine. Ce qui est intéressant, et c’est notre hypothèse, c’est que ces deux produits, en plus d’êtres nécessaires[28], sont profondément liés à l’autoproduction, et à l’autoconsommation. Ainsi, le sucre[29], d’abord utilisé comme sucrerie, est surtout très énergétique puisqu’il permet de fabriquer des plats consistants et nourrissants, comme les gâteaux et les galettes (Dauphin et Pézérat 1975). En outre, le sucre est un agent conservateur, en témoigne son utilisation dans les confitures et les conserves de fruits ; le sel lui aussi remplit cette fonction (Bourdeau 1894). Il était ainsi beaucoup utilisé pour garder les viandes, en plus de son utilisation quotidienne pour assaisonner plats et soupes (Dauphin et Pézérat 1975). Or, cette logique de transformation/ conservation se retrouve aussi dans les dépenses associées aux bouchons[30]. Et pour causes, ce produit, lié à la conservation du lait, des jus de fruits, du vin maison, du bouillon, etc., est un autre indice d’un mode de consommation basé sur la production familiale (Toussaint-Samat 1997 [1987] ; Schweitz 1997).

Or, il est tout autant probable que la faiblesse des achats de viande/poissons/produits laitiers, de fruits/légumes, et de céréales/féculents, soit, elle aussi, le fait des pratiques d’autoconsommation. En effet, si l’on regarde plus en profondeur, on voit que les clients se procurent des légumineuses (haricots, pois cassés, lentilles), soit des produits associés à l’alimentation rurale traditionnelle (Dauphin et Pézérat 1975 ; Moulin 1988). En outre, ils achètent surtout des aliments qu’ils ne peuvent pas produire eux-mêmes, c’est-à-dire, des fruits et légumes rares (raisin et oranges), des pâtes alimentaires (vermicelles essentiellement), du riz et du fromage… En revanche, les produits comme la viande ou les fruits et légumes du jardin (pommes, poires, carottes, navets, choux, volailles...) semblent très peu intégrés au circuit des échanges marchands.

Bien sûr, il nous faut relativiser cette hypothèse du fait du caractère très problématique de nos sources. En effet, comme nous l’avons annoncé dans notre première partie, il est très probable que les clients de notre épicerie s’approvisionnent également dans d’autres boutiques[31], ou encore aux marchés hebdomadaires et dans les fermes alentours. Toutefois, on remarque tout de même la prédominance d’une consommation de nécessité où les produits de base représentent la majorité des achats. En outre, nous avons affaire à un type de consommation plutôt autoproductif, où l’on n’achète essentiellement ce que l’on ne peut pas produire, et où l’on transforme sois même ses aliments.

De même, les dépenses de boissons alcoolisées témoignent d’une consommation plutôt populaire et traditionnelle[32]. En effet, à l’intérieur même de cette catégorie, 90 % des achats concernent la goutte et l’eau de vie, c’està-dire des boissons fortes, souvent liées au travailmanuel et à la reconstitution de la force de travail (Nourrisson 1990 ; Bologne 1991). De plus, le cas de la goutte, que l’on se partage entre collègues et connaissances dans la partie cabaret de l’épicerie, renvoie à des rituels de sociabilité populaire[33].

Cependant, les dépenses des clients laissent aussi entrevoir plaisir et innovation alimentaire. On remarque ainsi, d’une part, l’importance des achats de boissons chaudes, et plus particulièrement de café (72  % des achats de boissons chaudes). Or, il faut bien voir qu’au tournant des 19e et 20e siècles, selon Rolande Bonnain-Moerdijk (1975), le café, accompagné de tartines, tend à remplacer le petit-déjeuner rural tradition-nel composé d’une soupe. Ici, le fait que ce produit soit le plus plébiscité par les clients de l’épicerie est probablement l’indice de cette transformation, en même temps qu’il témoigne de l’adoption de nouvelles habitudes de consommation (Bologne 1991 ; Barjot 1995). D’autre part, la consommation de friandises est quant à elle révélatrice d’achats de plaisir, même si ceux-ci restent rares et ponctuels puisqu’ils ne représentent que 5,4 % des dépenses de la clientèle de Charles Boivin. Parmi ces achats, c’est le chocolat en tablette qui remporte la majorité des suffrages (68 % des achats de la catégorie) ; or, cette popularité semble être associée au caractère luxueux de ce produit (Bonnain-Moerdijk 1975 ; Dauphin et Pézerat 1975), que l’on se procure pour des occasions telles que les fêtes de fin d’année. Dans ce cas, le chocolat est bien souvent conjugué à d’autres friandises[34].

Cela m’amène logiquement à l’alimentation festive. Et, effectivement, les achats de produits matériels sont assez rares pour les fêtes[35], puisque l’on reste dans une consommation festive largement alimentaire où dominent les achats de fruits rares (oranges, mandarines…), de chocolats, et de mets et alcools fins (kirch, liqueur de menthe). Cela montre bien l’aspect encore « traditionnel » de la consommation à Ancy-le-Franc. En effet, nous sommes dans un schéma de consommation où le nécessaire domine, et dans le nécessaire, il s’agit surtout des dépenses alimentaires. Or, les fêtes sont l’occasion de se procurer du superflu alimentaire. Ainsi, le fait que ce superflu reste lié à l’alimentaire indique une certaine pauvreté de l’alimentation de tous les jours, et donc une consommation marquée par la nécessité. Ainsi, la consommation alimentaire festive est un bon indicateur d’une consommation de type « traditionnelle ».

De la sorte, la consommation alimentaire à Ancy-le-Franc en 1880 revêt plusieurs caractères. D’abord, elle est marquée par des achats de produits basiques et nécessaires. Ensuite, elle est dominée par l’autoconsommation et l’autoproduction. Enfin, elle admet des zones de plaisir et d’innovations.

4. La consommation en 1930 : vers une consommation « moderne »[36]

Table 2

Les ventes de l’épicerie en 1930 (en%)

Les ventes de l’épicerie en 1930 (en%)

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Les années 1930 sont caractérisées par le passage d’un schéma de consommation « traditionnel » à un schéma de consommation « moderne ». Ainsi, on est forcé de constater le rééquilibrage qui s’est effectué entre les différents sous-postes. Ce rééquilibrage est le fait de l’enrichissement de la population (Bernstein et Milza 2009 [1990]), du déplacement des besoins et du glissement de la notion de nécessité[37], et de la multiplication des produits disponibles. Tout cela permet l’essor du choix en matière d’alimentation.

Aussi, la transformation des modes de consommation alimentaires est-elle tout d’abord singularisée par une baisse de l’autoconsommation rurale, et par le développement des achats en épicerie ((Bernstein et Milza 2009 [1990]). Dans notre cas, on perçoit cela à travers l’essor de la part des fruits et légumes, qui est passée de 3 à 11% des dépenses. Le détail est tout autant révélateur puisque les clients préfèrent maintenant les légumes verts (choux, salade, épinards, haricots verts, petits pois) aux traditionnelles légumineuses. Ils achètent également des racines comme les carottes et les navets, et des champignons. De même, l’offre de fruits s’est diversifiée avec l’arrivée des produits du verger (pommes, poires, abricots, pêches) et des fruits exotiques, dont la banane est la plus plébiscitée (47 % des clients s’en sont procurés). Toutefois, si le développement des ventes de fruits et légumes témoigne sans doute d’une baisse de l’autoconsommation, il faut bien voir que ces pratiques persistent, comme le signalent les achats de graines de jardin[38].

En outre, l’alimentation de 1930 est caractérisée par toute une série d’innovations. Ainsi, le groupe des céréales et féculents est marqué par l’essor des pâtes italiennes (Dessaux 2004), au détriment des vermicelles. Or, l’affaiblissement de la part des vermicelles est synonyme de l’abandon des pratiques alimentaires rurales « tradition-nelles », puisque ces pâtes étaient surtout consommées en soupes, en bouillons et en bouillies (Toussaint-Samat 1997 [1987]). De même, le sous-poste des épices et condiments voit sa part se normaliser par rapport à ce qu’elle était en 1880. C’est un sous-poste marqué par la diminution de la part du sucre et du sel (25 % et 20 % des achats de la catégorie) au profit des autres produits, dont certains sont des innovations de l’industrie agroalimentaire. C’est par exemple le cas des arômes, du sucre vanillé et de la maïzena. Or, il faut bien voir que l’introduction de ces produits correspond à un bouleversement des habitudes de cuisine (Drouard 2005). Avec la maïzena et le sucre vanillé, les étapes de réalisation des plats sont simplifiées, et les arômes suggèrent l’essor d’une cuisine plus industrielle, plus scientifique.

Dans le même ordre d’idées, la hausse de la part des achats de viande/ poisson/ produits laitiers est due, en partie, à la démocratisation de la boîte de conserve (Bruegel 1997). Un exemple servira à illustrer mon propos. En 1880, 3 % de la clientèle de l’épicerie avait acheté une boîte de sardines ; ils sont 19 % à s’en être procuré en 1930. Or, encore une fois, avec la conserve, la cuisine se fait plus industrielle, plus rationnelle, plus rapide (Bruegel 1997), reflétant ainsi la modernisation des campagnes françaises (Bonnain-Moerdijk 1975 ; Bernstein et Milza 2009 [1990]). La modernisation passe aussi par un certain délaissement des spécificités alimentaires régionales au profit d’une alimentation plus homogène (Bernstein et Milza 2009). C’est quelque chose que l’on voit très bien avec les produits laitiers en général, et le fromage en particulier. En effet, alors qu’en 1880, on ne trouvait chez Charles Boivin qu’un produit générique dénommé « fromage », l’épicier de 1930 y a ajouté du Gruyère, du Camembert, du Roquefort, et du Port-Salut. Or, l’accroissement de l’offre semble plus tenir d’une modification des habitudes alimentaires plutôt que d’une stratégie de mise en valeur de certains produits par l’épicier. Et pour causes, tandis que 33 % des clients s’étaient procuré du « fromage » en 1880, ils ne sont plus que 24 % en 1930. Le manque à gagner se fait au profit des nouveaux produits fromagers, dont le Gruyère sort grand favori (33 % des clients en ont acheté en 1930).

En outre, les années 1920 correspondent à l’introduction d’une autre nouveauté : le lait stérilisé en poudre. C’est très probablement Raymond Michaud, le troisième propriétaire de l’épicerie, qui est à l’origine de la mise en valeur de cette innovation[39]. Ce produit, qui représente 2,7 % des achats des clients en 1930, est moderne, car il est issu d’un procédé industriel, et car il vient remplacer des produits traditionnels, comme le lait de vache ou le lait maternel. Et, en effet, les laits les plus recensés dans l’épicerie étaient des marques Nestlé et Blédine, deux marques visant les mères et leurs nourrissons, et promouvant une alimentation saine, équilibrée et hygiénique (Rollet-Echalier 1990 ; Roques 2001).

Cet aspect hygiénique de l’alimentation est tout autant perceptible à travers les dépenses d’eaux/sirops/alcools. En effet, les années 1930 sont marquées par un ralentissement des ventes d’alcools en général, et d’eau de vie en particulier, qui va de pair avec l’augmentation des ventes d’eaux minérales et de sirops. Or, il faut noter le rôle des épiciers successifs dans la mise en place de cette nouvelle « hygiène » de la boisson. En effet, de 1870 à 1910 environ, l’épicerie semble disposer d’une partie cabaret où l’on vend de la goutte au verre[40]. Mais, à la mort de Charles Boivin, et la reprise de l’épicerie par son fils Émile vers 1897[41], les ventes de goutte ne cessent de diminuer jusqu’à leur disparition totale vers 1910, ce qui donne à penser qu’Émile supprime le cabaret. En outre, vers 1915, l’épicerie passe entre les mains de Raymond Michaud [42] ; or, dans les années qui suivent, les ventes d’eaux minérales explosent littéralement [43] . Ainsi, les trois épiciers successifs ont joué un rôle primordial dans l’évolution du rapport à la boisson et dans la mise en place d’une « hygiène » de la boisson. En effet, en 1930, la consommation d’eaux minérales se fait encore largement dans une optique hygiénique voir médicinale puisque l’on consomme ces produits pour leurs vertus nutritives, mais surtout thermales (Maneglier 1991). Ainsi, la baisse des achats d’alcools au profit des achats d’eaux minérales témoigne d’une transformation des mentalités, et d’une préférence pour des boissons saines et nutritives, conformes aux idéaux bourgeois de santé, de tenue et de vitalité (Bologne 1991).

De plus, les années 1930 sont marquées par l’accroissement de la présence des marques dans l’épicerie à l’étude. On trouve dorénavant régulièrement la mention des biscuits LU, du chocolat des Gourmets ou Menier, du cacao Banania, des soupes Liebig, du sel Cérébos, des bonbons Créma, de la margarine Astra, des eaux minérales Vichy, Vittel, St-Yorre, de l’apéritif Pernod, etc[44]. Il est tout autant probable que cela soit la conséquence d’une mise en avant de ces produits par l’épicier, ou d’une demande accrue de la part de la population, ou encore de l’absence d’un produit générique équivalent. Quoi qu’il en soit, le poids croissant des marques, et leur reconnaissance par les consommateurs, donne à voir un schéma de pensée « moderne » où ce n’est plus le produit en lui-même qui compte, mais ce qu’il représente (Baudrillard 1970 ; Daviet 1997). Bien sûr, si l’on peut deviner un intérêt grandissant pour les marques en 1930, il nous faut tout de même relativiser son importance, du fait de la faible représentativité de tels achats.

Finalement, tandis que des nouveautés apparaissent, des évolutions amorcées en 1880 se renforcent. Ainsi, on se souvient que les dépenses associées au café, à la chicorée, au cacao et aux infusions révélaient la progression du petitdéjeuner moderne. En 1930, cela semble acquis, la chicorée et le cacao représentant dorénavant respectivement 38 et 34% des achats de la catégorie. Or, si le déclin du café peut sembler surprenant, il faut bien voir qu’en 1930, la crise de 1929 touche la France de plein fouet et provoque un ralentissement de la consommation (Caron 1995). À Ancy-le-Franc, cela passe par l’essor de succédanés, comme ici la chicorée qui remplace le café, désormais trop cher. Or, le fait que l’on remplace le café par un produit similaire et moins cher montre bien que le petit-déjeuner moderne, et ses excitants sont devenus nécessaires[45].

Le cacao nous dit aussi autre chose. Il est intéressant de noter que ce produit, présenté sous la forme de chocolat en poudre, n’apparaît pas dans l’épicerie avant les années 1920[46] ; ce qui coïncide, encore une fois, avec la présence de Raymond Michaud. Or, dès son introduction, ce produit remporte un certain succès, avant d’atteindre 34 % des ventes de boissons chaudes dix ans plus tard. La rapidité de ce succès démontre sans doute deux choses, soit, d’une part, la capacité de l’épicier de pressentir et de répondre à une demande particulière, et, d’autre part, la prise en compte croissante de la spécificité enfantine, avec ses besoins et ses goûts propres[47]. C’est quelque chose qui se dégage de cette période et qu’on retrouve lié à d’autres produits comme les friandises et les jouets[48].

Finalement, la consommation de friandises a presque triplé en l’espace de 50 ans, passant de 5,4 à 14,8 % des achats, ce qui donne à penser que ces produits sont passés du statut de superflus à celui de nécessaires entre 1880 et 1930. Cela montre qu’il y a eu un déplacement des besoins puisque certains produits qui étaient luxueux deviennent des produits de consommation courante (Baudrillard 1970). Ainsi, le déplacement des besoins produit un glissement du statut de produit d’exception, à celui de produit quotidien. Or, le fait que des produits changent de statut témoigne de leur diffusion à l’ensemble de la population, et donc d’une facilitation de l’accès au plaisir alimentaire. Concrètement, les produits que les clients préfèrent en 1930 sont désormais les bonbons et les pastilles Vichy (43 % de la clientèle s’en est procuré), puis le chocolat en tablette et les biscuits (33 % de la clientèle en ont acheté). Les pastilles Vichy sont intéressantes, car elles évoquent des friandises à vocation hygiénique, et signent l’alliance de la santé et du plaisir (Chambriard 1999). Enfin, il faut signaler l’arrivée des chocolats de Pâques vers 1900, des friandises saisonnières et festives vraisemblablement introduites dans l’épicerie par Émile Boivin[49]. Encore une fois, on peut se demander si l’épicier anticipe ou répond à une demande déjà présente à Ancy-le-Franc.

5. Conclusion : « tradition » et « modernité » vues au microscope

Malgré leurs lacunes, nos sources demeurent riches et précieuses. Elles nous ont ainsi permis de nous rapprocher d’une figure trop souvent oubliée en histoire de la consommation : le consommateur-client (Chatriot et al. 2005). Dans les limites de notre étude, nous avons ainsi pu faire émerger des comportements particuliers, des habitudes, des préférences personnelles. En cela, nous avons été à même de percevoir d’infimes détails liés aux achats alimentaires quotidiens, à leur trivialité, à leur nécessité, et à la fréquence de leurs renouvellements. De plus, le fait d’étudier une épicerie, et donc d’être située au coeur des processus d’échanges, nous a permis de mieux comprendre les rapports entre l’offre et la demande. Ces rapports, faits d’influences réciproques, nous ont donné la possibilité d’observer au microscope la mutation des comportements de consommation dans un milieu bien spécifique : celui d’une épicerie rurale au tournant des 19e et 20e siècles.

Ainsi, nous avons vu constaté que, de 1880 à 1930, la consommation de produits alimentaires s’est profondément renouvelée à Ancy-le-Franc : l’autoconsommation a faibli, les innovations industrielles et les marques se sont développées, de nouvelles habitudes alimentaires sont apparues et se sont renforcées, tandis que le plaisir est devenu plus constant. L’alimentation rurale «  traditionnelle  » s’est alors estompée au profit de la « modernité ». Mais s’il y a bien modernisation, qu’est-ce que cela signifie ? De quelle « modernité » parle-t-on ? En effet, rien n’est plus subjectif que cette notion, André Gide l’a bien compris, lui qui nous dit : «Ce qui paraîtra bientôt le plus vieux, c’est ce qui d’abord aura paru le plus moderne. » (1925 : 79). Selon nous, la modernisation de la consommation alimentaire à Ancy-le-Franc est d’abord liée à une modification du rapport des hommes aux choses ; et, en effet, nos sources nous montrent que la signification de la consommation est en constante redéfinition. C’est cela qui est profondément « moderne ». Aussi, plus qu’une réalité figée, la « modernité » est-elle subtile et fugitive. C’est une fuite en avant (Breward 2012).