Nous proposons de nous pencher ici sur l’autobiographie spirituelle que Marie de l’Incarnation (1599-1672) composa à la demande de son fils, Claude Martin, en 1654, alors que l’ursuline originaire de Tours s’était établie à Québec où elle avait fondé, en 1639, le premier monastère d’Ursulines et le premier institut scolaire féminin de la Nouvelle-France. Le texte en question, intitulé Relation de 1654 dans l’édition critique établie par Dom Albert Jamet, a reçu d’innombrables éloges. Le premier est contenu dans l’antonomase « la Thérèse de nos jours et du Nouveau Monde » rendue célèbre par Bossuet. Ensuite, l’autobiographie a valu à la moniale une place parmi les mystiques examinés dans l’un des volumes de l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France de l’abbé Henri Brémond et, dernièrement, Chantal Théry a défini la religieuse comme « la première intellectuelle de la Nouvelle-France », aspect finement analysé dans l’étude intitulée De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan où Patricia Smart met en lumière le rôle joué par les écrits autobiographiques de l’ursuline dans l’évolution de l’écriture intime féminine au Québec, depuis l’époque de la Nouvelle-France jusqu’à nos jours. Si nous reconnaissons aujourd’hui la valeur intellectuelle de Marie de l’Incarnation, il n’en allait pas de même au xviie siècle, une époque partagée quant à la question féminine. À ce moment-là, ainsi que le montre l’historienne Éliane Viennot, il existait autant de publications qui louaient les qualités des femmes que d’ouvrages misogynes. La contradiction relevée dans le domaine de l’opinion revient sur le plan des pratiques. Malgré les distinctions génériques par rapport aux rôles sociaux et à l’accès à des formes de pouvoir et à l’instruction qui maintenaient les femmes dans un état de subordination par rapport aux hommes, le xviie siècle tendait tout de même vers des usages marqués par un certain égalitarisme entre les sexes. L’un des facteurs qui contribua à la modification de la condition des femmes fut le renouveau spirituel contre-réformiste qui engendra un foisonnement d’ordres féminins séculiers et réguliers, de congrégations et de maisons religieuses qui offraient des espaces de refuge et d’épanouissement pour les vocations religieuses, mais aussi dans d’autres cas, pour des femmes qui, d’après Viennot, « échapp[ai]ent de la sorte à la domestication familiale ou à l’obéissance d’un maître, aux intimidations et aux violences menaçant les femmes seules, à la sexualité contrainte, à la mort en couches, à la solitude ». L’évolution de la mentalité est également prouvée par le processus d’alphabétisation qui impliqua l’ouverture de lieux d’éducation destinés à tout enfant, comme les écoles paroissiales et « buissonnières », ou aux filles, comme les pensionnats et les classes des ordres enseignants, entre autres des Ursulines, où les élèves apprenaient à lire, à écrire et à compter, et où elles recevaient une instruction chrétienne, pierre angulaire de leur formation, et un apprentissage manuel pour assurer les tâches du futur foyer conjugal. Le parcours de Marie de l’Incarnation témoigne de l’émancipation féminine qui était en gestation au cours du xviie siècle. Devenue veuve très jeune, Marie attendit quelques années avant de passer au-dessus de ses devoirs de fille et de mère pour entrer, en 1631, dans l’ordre de Sainte-Ursule. Ensuite, soutenue par l’inspiration divine, elle contribua à l’évangélisation de la Nouvelle-France en assurant l’établissement et la direction du monastère des Ursulines de Québec. Le sens aigu de liberté et de détermination qui apparaît dans le choix de ces deux états de vie se perçoit également dans l’accès à la culture et à l’écriture de la moniale. Nous nous proposons donc de relire la Relation de 1654 pour dégager le portrait intellectuel que Marie de l’Incarnation …
L’autoportrait intellectuel ambigu de Marie de l’Incarnation d’après sa Relation de 1654[Notice]
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Amandine Bonesso
Université d’Udine