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L’ouvrage Paul et l’agir chrétien de Michel Quesnel s’inscrit dans une tendance de recherche contemporaine en études bibliques qui se concentre sur la réévaluation et la redécouverte de figures historiques du christianisme, en particulier l’apôtre Paul. Cette tendance actuelle vise à transcender les interprétations traditionnelles, souvent influencées par des siècles d’exégèse et de théologie, pour revenir aux sources textuelles avec de nouvelles perspectives.

Longtemps vu comme une figure de rigidité morale, Paul est ici réinterprété à travers un prisme radicalement différent. Quesnel, avec son expertise approfondie, se lance dans une exploration minutieuse des textes pauliniens, déconstruisant la réputation de sévérité souvent associée à cet apôtre. L’ouvrage s’efforce de démontrer comment la compréhension contemporaine de Paul, en tant que figure austère et dogmatique, ne tient pas compte de la complexité et du contexte dynamique de ses écrits. Quesnel propose une lecture nouvelle et nuancée, suggérant que la véritable essence de l’éthique paulinienne repose non pas sur la rigidité, mais sur les concepts de liberté, de grâce et d’amour, des piliers fondamentaux de l’agir chrétien.

L’auteur analyse les lettres considérées authentiques les unes après les autres pour en examiner le vocabulaire de l’agir et résume souvent ses découvertes sous forme de tableaux récapitulatifs. En résumé, Paul de Tarse, dans sa démarche, semble se distancier de l’approche pharisaïque de la loi, en adoptant une posture qui, tout en prescrivant et en interdisant certains comportements, s’écarte de l’idée d’une obéissance stricte aux commandements dans le sens traditionnel. Il est notable que Paul, bien que citant parfois des commandements, ne les nomme pas toujours ainsi et privilégie l’intégration des préceptes énoncés par Jésus, même lorsqu’il ne les observe pas directement. La conception paulinienne de la loi semble transcender la simple obéissance ou désobéissance à des commandements spécifiques. Elle s’oriente plutôt vers une relation avec une réalité plus vaste, qu’elle soit Dieu, la vérité, la justice ou leurs contraires. Cette approche est illustrée par le fait que Paul utilise rarement le terme « péché » au pluriel, soulignant une vision du péché comme une entité singulière plutôt que comme une série d’actes isolés. Dans ses épîtres, notamment celle aux Galates, Paul conteste vigoureusement la légitimité de la loi de Moïse et des commandements particuliers, suggérant que la véritable loi à suivre est celle incarnée par le Christ. Il prône un agir fondé sur la foi en Christ, en contraste avec l’agir selon les oeuvres de la loi, et encourage à une liberté similaire à celle que Jésus a vécue, une liberté qui implique l’amour du prochain plutôt que l’obéissance à des règles spécifiques. Enfin, en analysant les consignes de comportement données par Paul aux Romains, il devient difficile de le qualifier de catégorique. Si certains passages peuvent sembler aller dans ce sens, ils sont plutôt l’exception que la règle dans son enseignement. Le passage sur l’obéissance aux autorités civiles, en particulier, doit être compris dans son contexte historique et culturel, sans projeter anachroniquement nos conceptions modernes de la séparation du religieux et du politique. Cette analyse met en lumière la nature dynamique et contextuelle de la pensée morale de Paul, qui semble chercher un équilibre entre les préceptes de la foi chrétienne et les réalités pratiques de la vie dans les communautés auxquelles il s’adresse.

La conclusion, substantielle, est structurée en quatre parties principales. La première examine l’évolution de la pensée paulinienne, de ses premiers écrits normatifs à une approche valorisant la liberté chrétienne et l’amour-charité. La seconde partie se concentre sur les principes clés de la morale paulinienne, notamment l’amour-charité comme critère essentiel de moralité. La troisième section explore les origines de l’éthique de la liberté chez Paul, liées à son apostolat auprès des païens et sa remise en question de la circoncision comme précepte de la Torah. Enfin, la quatrième partie examine la pertinence des enseignements pauliniens dans le contexte sociétal et ecclésial contemporain, soulignant leur capacité à influencer positivement les pratiques modernes par une approche dynamique et adaptative de l’éthique chrétienne.

Le livre se clôt en soulignant la progression de la pensée de Paul, qui passe d’une approche normative à une éthique centrée sur la liberté et l’amour-charité, reflétant ainsi les circonstances de son époque et offrant des pistes de réflexion pertinentes pour l’application de l’éthique chrétienne dans le monde contemporain.

Dans son analyse minutieuse de la morale paulinienne à travers les épîtres, Quesnel révèle une évolution significative dans la pensée de Paul, passant d’une approche normative à une éthique fondée sur la liberté et l’amour-charité (agapè). Quesnel situe habilement les enseignements de Paul dans leur contexte historique et culturel, évitant les anachronismes et soulignant leur pertinence continue dans le monde moderne. La structure claire et la présentation des thèmes centraux de la pensée de Paul, notamment son interprétation de la loi et l’importance de la liberté dans l’éthique chrétienne, rendent l’analyse de Quesnel accessible et compréhensible. En outre, Quesnel établit des liens entre les enseignements pauliniens et les questions éthiques contemporaines, montrant ainsi la pertinence de ses idées pour les pratiques sociétales et ecclésiales actuelles. Cette étude, équilibrée et judicieuse, offre une perspective enrichissante sur l’héritage éthique de Paul, marquant ainsi un apport notable dans l’étude de la morale chrétienne. Cependant, on peut déplorer un manque de recul critique en ce qui concerne la face sombre de Paul, notamment en ce qui concerne sa position sur l’esclavage. Il ne suffit pas de dire que « notre civilisation, éprise de liberté, a quelque mal à accepter un esclavage quel qu’il soit » et que « la situation était cependant toute différente dans l’Antiquité » (p. 103).

Malgré le traitement quelque peu superficiel de certains aspects controversés de la pensée de Paul, offre une perspective très intéressante sur l’éthique paulinienne, déplaçant l’accent de la rigidité morale traditionnellement attribuée à Paul vers une compréhension plus nuancée basée sur les concepts de liberté, de grâce et d’amour-charité. Étonnamment ce livre sort Paul de son contexte juif en l’opposant au mouvement pharisaïque auquel, pourtant, il appartiendrait. Cette réinterprétation audacieuse permet non seulement de redécouvrir les enseignements de Paul sous un jour plus contemporain et accessible, mais aussi de les relier de manière pertinente aux enjeux et aux défis éthiques actuels. Cette approche rafraîchit la compréhension de Paul et enrichit le dialogue théologique moderne, tout en restant fidèle à une analyse rigoureuse et contextuellement informée des textes bibliques.