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Dans son ouvrage intitulé Le Jésus des historiens, Pierluigi Piovanelli entreprend une enquête exhaustive visant à élucider la question complexe de l’identité historique de Jésus de Nazareth, en particulier sa nature en tant que figure religieuse. L’auteur s’engage dans une démarche historico-critique visant à dépasser les visions traditionnelles et à replacer Jésus dans le contexte socioculturel et religieux juif de son époque, une démarche qui rompt avec la tendance persistante (bien que de plus en plus critiquée) à le dissocier de son milieu originel.

L’ouvrage s’ouvre sur une critique de la marginalisation des contributions francophones dans l’étude du Jésus historique, mettant en évidence l’importance de figures injustement mises de côté telles que Voltaire, Ernest Renan, Alfred Loisy, Charles Guignebert, et Maurice Goguel. Piovanelli argumente que la recherche contemporaine, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, a souvent négligé ces pertinentes contributions, se concentrant plutôt sur les perspectives anglo-saxonnes et allemandes postérieures à la Seconde Guerre mondiale. Cette partie historiographique met en lumière la nécessité de reconnaître et de réintégrer l’héritage intellectuel francophone dans l’étude du Jésus historique.

La seconde partie de l’ouvrage se consacre à l’exploration du contexte social et culturel de la Galilée et de la Judée au premier siècle. Piovanelli examine les changements paradigmatiques dans la recherche sur Jésus, passant d’une phase minimaliste à une approche plus contextuelle. Cette section met en avant les études sur l’archéologie de la Galilée, la diversité des attentes messianiques dans le judaïsme du Second Temple, et les pratiques mystiques de l’époque, fournissant ainsi un cadre plus nuancé pour comprendre Jésus dans son milieu historique.

Dans la troisième partie, l’auteur développe sa thèse centrale selon laquelle Jésus peut être considéré comme un leader charismatique et un mystique juif de la Merkava pratiquant la contemplation mystique du trône divin[1]. Cette perspective cherche à humaniser la figure de Jésus, le dépeignant non pas comme une énigme insondable, mais comme un individu historique tangible et influent. Piovanelli critique également les approches théologiquement correctes qui ont dominé la recherche sur Jésus, proposant à la place une méthodologie plus critique et historiquement fondée.

Enfin, la quatrième partie aborde les implications du mysticisme de Jésus, notamment son refus de se soumettre au jeûne rituel et la transmission de son charisme mystique à Marie de Magdala. Piovanelli explore la manière dont le rôle de Marie a été progressivement occulté dans l’histoire du christianisme, avant d’être redécouvert dans les textes apocryphes modernes. Cette section souligne l’importance des traditions mémorielles dans la compréhension de la figure de Jésus et de ses disciples.

Le Jésus des historiens représente une contribution académique très intéressante dans le domaine complexe et souvent controversé des études sur le Jésus historique. Cette recherche s’inscrit dans le sillage d’une démarche scientifique rigoureuse, visant à replacer Jésus de Nazareth dans son contexte culturel et religieux juif originel, se démarquant ainsi des interprétations traditionnellement théologiques ou apologétiques.

La réinterprétation de la figure de Jésus en tant que praticien de la mystique de la Merkava constitue un pivot central de cette étude. Cette perspective offre de nouvelles avenues herméneutiques concernant la compréhension de son enseignement et de son charisme, en les intégrant dans le spectre plus vaste de la spiritualité et des pratiques religieuses judaïques du premier siècle. Ce faisant, l’étude réinsère une dimension essentiellement humaine et historiquement tangible dans l’examen de la figure de Jésus, dimension fréquemment occultée par des biais de nature théologique.

La critique articulée autour de la marginalisation des contributions francophones dans le champ de recherche sur le Jésus historique est d’une pertinence indéniable. La mise en lumière des travaux de figures telles qu’Ernest Renan, Alfred Loisy, Charles Guignebert, et Maurice Goguel, essentiels dans l’évolution de ce domaine d’étude, révèle une lacune significative dans les discours prédominants actuels. La réintégration de ces travaux pourrait considérablement enrichir la recherche contemporaine, en introduisant des perspectives et des méthodologies renouvelées.

L’analyse du contexte social et culturel de la Galilée et de la Judée au premier siècle, envisagée dans la deuxième partie de l’ouvrage, est cruciale pour une compréhension approfondie du cadre dans lequel Jésus a vécu et dispensé son enseignement. Les découvertes archéologiques (selon Piovanelli, la tombe de Salomé, mère des fils de Zébédée, aurait peut-être été découverte), les conceptions messianiques du judaïsme du Second Temple, et les pratiques mystiques contemporaines à Jésus constituent des éléments clés pour une approche plus nuancée de sa figure.

L’accent mis sur Marie de Magdala et son rôle dans le mouvement initial de Jésus est également d’une grande importance. Sa figure, souvent négligée ou mal interprétée dans les études traditionnelles, offre un éclairage précieux sur les dynamiques de genre et de leadership au sein du mouvement chrétien primitif. Piovanelli tient compte avec ouverture et rigueur de la contribution romanesque de Gérald Messadié à propos de Marie de Magdala.

Globalement, Le Jésus des historiens s’engage dans une démarche historico-critique rigoureuse, aspirant à transcender les approches confessionnelles et théologiques pour parvenir à une compréhension plus authentique et historiquement fondée de Jésus. Cette démarche scientifique reste essentielle pour poursuivre la recherche sur Jésus.