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Le « problème synoptique » est l’une des questions les plus importantes dans l’histoire de l’exégèse du Nouveau Testament. Nous avons trois textes (Mt, Mc, Lc) si proches l’un de l’autre qu’il y a certainement une dépendance littéraire entre eux. Or, force est de constater que la recherche actuelle n’est pas parvenue à établir un consensus quant à l’explication du processus de formation de ces textes. Ainsi, les hypothèses sont maintenant formulées avec une conscience plus vive des imprécisions dans ce qui peut être déduit des sources qui nous sont parvenues à travers les siècles. Comme l’indique la conclusion du premier chapitre de John Kloppenborg au sujet de l’historiographie de cette question, « the Synoptic Problem has not been solved, nor is it likely to be solved short of other discoveries » (p. 21). Alan Kirk qualifie « d’impasse » l’état des recherches en critique des sources au sujet du problème synoptique (p. 116). Or malgré ces constats négatifs, les discussions se poursuivent par ce volume et permettent de mieux comprendre ces évangiles.

La première partie du livre explore les approches traditionnelles de la question synoptique et propose des alternatives récentes comme l’intérêt pour la mémoire, les médias anciens ou l’oralité pour comprendre la relation entre les trois évangiles. Cette section offre notamment deux chapitres sur l’oralité et la performance écrits respectivement par Alan Kirk et Lee Johnson. Ils soulignent que la frontière entre l’oralité et l’écriture dans la culture qui a produit les évangiles est perméable. Johnson indique que le « Jésus historique » est inatteignable et que l’intérêt devrait maintenant se porter sur un processus plus large pour rendre compte des manières dont les premiers chrétiens ont compris qui était Jésus (p. 130). Presque toutes les contributions gardent une orientation historique bien que Michal Dinkler examine les textes synoptiques à partir d’une approche narrative, « New Formalism ».

De manière générale, l’ouvrage témoigne d’une prise de conscience que la recherche réalisée à partir des textes reconstruits des évangiles tels que le NA28 doit être désormais mise de côté au profit d’un travail direct sur les manuscrits. Le chapitre de Brent Nongbri sur les travaux réalisés sur les manuscrits montre la complexité des comparaisons entre les évangiles synoptiques puisque le texte original de chacun des évangiles est impossible à établir avec certitude. De plus, des efforts d’harmonisation entre les évangiles par les copistes précèdent les plus anciens manuscrits que nous avons (p. 171-172). Il est donc impossible d’être certain si, par exemple, les versions les plus anciennes de l’évangile de Luc dont nous disposons ne transmettent pas une tradition qui a été modifiée pour ressembler un peu plus aux deux autres synoptiques. La contribution de Matthew Larsen met en lumière différents présupposés de la recherche : voir l’auteur d’un évangile comme un individu (alors que la production de ces textes est sans doute plus complexe), les textes des évangiles comme des livres complets (alors que les manuscrits anciens sont toujours des fragments), ou encore les évangiles comme des publications définitives (alors que chaque évangile a été diffusé à divers moments dans diverses versions) (p. 176-178). Larsen invite donc la recherche à voir les évangiles comme le fruit d’un processus textuel en cours (p. 186).

La deuxième partie du collectif propose des thèmes transversaux qui sont explorés en comparant leur traitement dans les trois évangiles et aussi en comparaison avec d’autres textes provenant des contextes grecs, juifs ou romains : le sacrifice et la souffrance (C. Moss), la violence (S. Rollens), le pouvoir (M. Pepard), l’économie (T. Blanton), les voyages (T. Marquis), la nourriture (S. Al-Suadi), la santé (M. Henning), l’espace sacré (K. Wnell), l’histoire (E.-M. Becker), l’eschatologie (R. Whitaker), la résurrection (A. Somov), l’évangile (J. Garroway), le judaïsme sectaire (J. Kampen), les Gentils (M. Zetterholm), les Écritures d’Israël (S. Docherty), les femmes (S. Myers), le genre (J. Reno et S. Ahearne-Kroll) et le corps (S. Moore). De manière générale, les thématiques ont été retenues puisqu’elles sont au coeur de développements récents dans le domaine. Les thèmes plus classiques comme la christologie ou la sotériologie ne sont pas directement commentés. Alors que les méthodes d’analyses sont généralement assez classiques, le chapitre de Stephen Moore sur le corps se démarque par son regard « para-poststructuraliste » inspiré des théories de Gilles Deleuze. Il s’intéresse au processus symbiotique des devenirs des corps incorporels des textes synoptiques, en tant que représentations, des corps des lecteurs et du corps collectif des communautés de lecteurs (p. 581).

Cette collection de 30 chapitres montre à la fois les limites des approches traditionnelles sur la question de la dépendance littéraire entre les évangiles selon Matthieu, Marc et Luc, et de nouvelles avenues pour la recherche autour de ces évangiles. Il n’y a pas de chapitres spécifiques portant sur chacun des trois évangiles puisque l’option éditoriale est de placer l’accent sur les relations complexes entre ces textes. Dans l’ensemble, il s’agit d’une ressource importante pour ce champ d’études.