Recensions

Joseph Mérel, L’essence de Dieu est-elle seulement d’exister ? Toulouse, Éditions Chrysalide, 2022, 296 p.[Notice]

  • Pierre Trépanier

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  • Pierre Trépanier
    Université de Montréal

Cette étude veut sauver de lui-même le thomisme en proie, dès l’oeuvre thomasienne, à des tensions internes. Ces apories non surmontées ont causé l’écartèlement, qui lui a été fatal, entre un réalisme de l’acte d’être et un réalisme de l’essence en acte, entre une dominante « existentialiste » et une dominante « rationaliste-essentialiste ». La philosophie moderne est à certains égards la fille de cette impasse. Comme elle s’est appauvrie au cours de ce processus de réaction, se délestant de la métaphysique et de l’ontologie, ne tirerait-elle pas profit de l’essai de réconciliation des deux grands courants du thomisme, en retrouvant le chemin de la transcendance, comme l’y invite pour sa part un Jean Grondin ? La résolution proposée par Joseph Mérel repose sur l’intromission d’un concept non thomiste mais qu’appelle l’esprit du thomisme, soit la réflexion ontologique, reprise du néoplatonisme et repensée par Hegel, au moment de l’acmé rationaliste de la philosophie moderne. Le public que vise explicitement cet essai, d’une remarquable cohérence, est d’abord les professeurs de philosophie et de théologie de l’école catholique-traditionaliste ainsi que tous ceux qui, au sein de ces mouvements, n’entendent pas renoncer à penser. C’est en quelque sorte une invitation à ne pas s’enfermer dans la lettre de l’oeuvre thomasienne et à affronter les insuffisances de Thomas et de ses commentateurs les plus autorisés, en cherchant des solutions compatibles avec l’esprit du thomisme. Par sa valeur pédagogique, cet ouvrage est aussi de nature à intéresser les étudiants en philosophie, ceux du moins dont la curiosité s’étend à la philosophie médiévale. Par exemple, ils y verront comment le scotisme peut être abordé comme aiguillon de la spéculation thomiste. Risquent enfin d’y trouver leur miel les professionnels de la philosophie et le public cultivé dont l’angoisse métaphysique et la soif de vérité ne trouvent pas de réponse dans la philosophie contemporaine. Car s’il n’y a pas coïncidence, au moins minimalement, entre l’ordre de la raison et l’ordre de l’être, on voit mal comment échapper jamais à la prison du subjectivisme et du relativisme. D’une façon ou d’une autre, il faut redécouvrir que le sens est dans les choses et que cette donation attend l’effort du philosophe et de toute conscience un peu exigeante. Surgit alors une question qui désarçonnera bien des disciples, à des titres divers, de Thomas et de la néoscolastique : se pourrait-il que l’oeuvre thomasienne ait été historiquement — et à son corps défendant — l’alliée objective de la déconstruction philosophique depuis Kant jusqu’à Habermas ? L’Auteur conclut par la positive, toutefois non sans nuancer son propos. L’Auteur est un philosophe de profession, agrégé, docteur ; il a eu pour maître Claude Polin, son directeur de thèse ; Claude Rousseau a été aussi l’un de ses professeurs et le préfacier de quelques-unes de ses publications ; il a fait carrière dans le Secondaire ; son intérêt s’est porté vers la philosophie politique, en particulier la notion de bien commun entendu dans le sens exigeant de l’organicisme ; au service de cette longue méditation, il a déployé les ressources très riches d’un fort métaphysicien rompu aux subtilités de l’ontologie. Joseph Mérel est manifestement un pseudonyme. L’identité qu’il cache s’est aussi dissimulée sous ceux de Stepinac et de Jean-Jacques Stormay. Cette oeuvre abondante, plus de vingt-cinq titres, mais peu lue, à tort, et encore moins commentée, reprend l’inspiration de Causalité et création. Réflexion libre sur quelques difficultés du thomisme, de Jérôme Decossas (Cerf, 2006) et du Commentaire du Livre des Causes de Thomas d’Aquin, introduit, traduit et commenté par Béatrice et Jérôme Decossas (Vrin, 2005). On peut sans crainte de se tromper considérer …