Résumés
Résumé
Cette réflexion souligne l’importance de l’hypotypose dans le Mozi d’un point de vue argumentatif et gnoséologique. Les moïstes se prévaudraient de cette figure de rhétorique afin de montrer le bien-fondé de leurs doctrines, en formulant des descriptions frappantes et énergiques de faits réels ou d’événements imaginaires. La force illocutoire de l’hypotypose est par exemple exploitée afin de critiquer la guerre offensive et de prôner les croyances relatives aux esprits ainsi que la modération dans les rites funéraires. Il est à noter que le figural et le conceptuel forment une dyade dynamique plutôt qu’une dichotomie rigide. Ces considérations pourraient apporter un nouvel éclairage sur la question de savoir si la pensée chinoise ancienne est imagée.
Abstract
This reflection focuses on the importance of hypotyposis in the Mozi both for argumentation and gnoseology. The Mohists availed themselves of this rhetorical figure in order to show the consistency of their doctrines by means of vivid and energetic descriptions of real facts or of imaginary events. The illocutionary force of hypotyposis is for instance brought into play in their criticism of offensive war, and in their apology of beliefs in ghosts and of moderation in funerary practices. One can notice a dyadic interplay between figurality and conceptualization rather than a sharp dichotomy. These considerations might shed a new light on the question whether Chinese thinking is imagery-oriented.
Corps de l’article
Introduction
L’hypotypose, au sens de description vive et frappante consistant à « mettre les choses sous les yeux », revêt une fonction argumentative majeure dans le Mozi[1]. Elle est employée d’une manière récurrente dans plusieurs sections de l’oeuvre, indépendamment de leur date de composition. L’appel au visuel, qui est consubstantiel à cette figure d’expression axée sur l’ocularisation, ne caractérise pas uniquement le plan de la forme ; il fait aussi partie intégrante des contenus de la pensée moïste, pour laquelle les sens, et la vue en particulier, constituent un critère de validation doctrinale et une source de connaissance. Malgré le caractère composite du Mozi qui, à l’instar de la plupart des classiques chinois, s’étant formé par accrétion au fil du temps (entre le ve et le iiie siècle avant notre ère), exclut la possibilité d’y repérer un plan unitaire ou l’intention d’un auteur particulier, ayant une conception personnelle et originale de l’écriture, on ne peut dénier la présence de propos communicatifs aux textes rassemblés sous le nom de Maître Mo. Or, l’hypotypose et sa forme brève ou condensée qu’est la diatypose comptent parmi les facteurs de cohésion textuelle suscitant une impression d’affinité entre les divers écrits moïstes. Trait d’union entre la forme et le contenu, entre la figuration et la théorisation ainsi qu’entre les différentes sections du Mozi, le recours au visuel poursuit entre autres un but persuasif et, donc, rhétorique. Les tableaux vivants produits par l’hypotypose visent en effet à convaincre les allocutaires, en les transformant en spectateurs, du bien-fondé de plusieurs doctrines canoniques, et ce, en termes critiques, voire polémiques[2]. Il s’agit de donner à voir, par la force des mots, des phénomènes qui montrent, de toute évidence, la valeur et la crédibilité de l’enseignement moïste.
Or, comme l’observe Marc Bonhomme, dans l’étude des figures règne une certaine confusion terminologique ; le linguiste propose alors une classification permettant de saisir la diversité aussi bien que la complémentarité des approches selon lesquelles on peut les aborder :
Les figures sont fondamentalement « du discours », exploitant les ramifications inhérentes à la langue. Elles sont « de rhétorique » sous l’angle plus spécifique de leur organisation métasémiotique et de leur rendement dans la communication. Elles sont « de style » sur le plan des valeurs (connotatives, socioculturelles, etc.) qu’elles confèrent aux énoncés et aux textes. Il importe néanmoins de souligner, en conclusion, que les figures ne mettent pas en oeuvre une fracture entre ces différents points de vue, mais des paliers graduels qui interagissent entre eux en fonction du regard que l’on porte sur les productions langagières[3].
Sur la base de ces lignes théoriques, même si plusieurs études stylistiques de l’hypotypose offrent des définitions et des concepts utiles à l’analyse de cette figure dans le Mozi, il convient de mettre en évidence la dimension rhétorique qu’elle y revêt. Chez les moïstes, son utilisation n’est pas ornementale en ce qu’elle ne vise pas à produire des effets esthétiques en la démarquant du langage ordinaire — le chinois écrit à l’époque classique, bien qu’il présente des régularités, des formes récurrentes, des expressions figées, etc., n’est pas une simple transcription de la langue parlée —, son emploi relève plutôt du performatif, car elle cherche à inculquer des principes, considérés comme efficaces pour le maintien de l’ordre sociopolitique, et à obtenir des résultats concrets en transformant des comportements au profit du bien commun[4]. En outre, notre textus receptus présente trop d’interpolations et de lacunes pour se prêter à une analyse de nature purement stylistique, orientée à déterminer sa qualité littéraire, quoiqu’on puisse dégager des traits généraux de l’écriture caractérisant chacune de ses parties[5].
L’hypotypose, dans le Mozi, ouvre les yeux à plusieurs domaines : tantôt elle sert à dévoiler la crudité de phénomènes réels, tantôt elle présentifie des événements passés, tantôt elle fixe l’attention sur des épisodes imaginaires. Pour la clarté de l’exposé et sans aucune prétention à l’exhaustivité, il convient d’illustrer sa portée et son étendue à travers l’étude d’une sélection d’exemples textuels significatifs, principalement tirés de ce qu’on considère aujourd’hui comme le noyau doctrinal de l’oeuvre[6]. Le choix des extraits en fonction de leur pertinence et de leur représentativité répond à des critères qualitatifs. On pourrait objecter qu’afin de démontrer l’importance de l’hypotypose dans l’argumentation moïste, il faudrait adopter une méthodologie quantitative. Cela impliquerait qu’on répertorie tous les moyens rhétoriques et les modes d’expression employés dans le Mozi et qu’on calcule le pourcentage d’hypotyposes par rapport à celui des autres procédés argumentatifs. Or, une pareille entreprise, bien qu’elle paraisse à première vue scientifique et en accord avec une tendance de la sinologie contemporaine[7], n’est pas particulièrement adaptée à l’analyse des figures de rhétorique (ni de celles de style). Celles-ci, en effet, non seulement sont souvent imbriquées les unes dans les autres, mais elles se dégagent aussi en vertu de « la loi de contraste[8] ». Autrement dit, leur fréquence en efface en quelque sorte la vigueur et, donc, l’importance. L’hypotypose n’est percutante qu’à condition qu’elle se démarque du flux discursif par une mise en exergue d’éléments saillants et, dans le cas du Mozi, particulièrement convaincants.
Les extraits à l’étude seront organisés d’une manière thématique, en tenant compte des sujets parmi les plus connus des moïstes ainsi que de quelques catégories ou espèces d’hypotypose qu’on identifie généralement dans le cadre de cette figure, à savoir : les événements guerriers, l’apparition d’esprits ou épiphanies, et les rites funéraires.
I. L’hypotypose et les événements guerriers
Les guerres injustes, dictées par des ambitions expansionnistes, sont condamnées à plusieurs reprises dans le Mozi. La trilogie intitulée « Critique de la guerre offensive » (Fei gong非攻, chapitres 17, 18, 19) affiche une position anti-belliciste prononcée, pour des raisons d’ordre moral et utilitaire à la fois[9]. Les attaques militaires, qui caractérisaient le panorama politique à l’époque où Mo Di 墨翟 fut actif (fl. 453 aec, c’est-à-dire au début des Royaumes Combattants — Zhanguo 戰國, 453-221 aec), sont criminalisées et rabaissées à des accumulations de vols et de meurtres perpétrés par les élites au pouvoir à l’échelle étatique (chapitre 17 en particulier)[10]. Or, l’hypotypose, loin de s’attacher à la construction d’un discours glorificateur de l’héroïsme martial aboutissant à une épopée, sert plutôt de procédé argumentatif permettant de dénoncer vigoureusement les conséquences néfastes de la guerre qui, selon Mozi, n’est profitable ni aux États vaincus ni aux puissances conquérantes. La description suivante attire le regard des allocutaires sur une suite de détails concrets, révélateurs des pertes matérielles provoquées par la guerre :
Maître Mozi affirma[11] : « Si les rois, les ducs et les notables actuels, qui dirigent l’État et les familles, aspirent vraiment à mettre en place un système judicieux de blâmes et d’éloges et une politique adéquate de récompenses et de châtiments au lieu de donner des directives pénales défaillantes et inefficaces, ils ne peuvent se permettre de livrer des guerres et des combats. En effet, supposons que des troupes passent à l’attaque. Si l’intervention se produit en hiver, le froid est à redouter ; si l’intervention se produit en été, c’est la canicule qui est à redouter. On ne peut donc passer à l’action ni l’hiver ni l’été. Au printemps, on épuise le peuple, qui devrait labourer les champs, semer, planter et cultiver. En automne, on épuise le peuple, qui devrait moissonner et récolter. Or, si on l’épuise pendant une seule saison, un nombre incalculable (bu ke sheng shu 不可勝數) de gens ordinaires succombera à la faim, au froid, au gel et à la faiblesse. Effectuons maintenant une estimation concernant des armées qui chargent : un nombre incalculable de dards de bambou, de bannières ornées de plumes de martin-pêcheur et de queues de yak, de grandes tentes et de rideaux, de cuirasses, d’écus et de grands boucliers seront pillés et, dans l’avancée, seront renversés, endommagés, détériorés ou recouverts de glace d’une manière irréparable. De plus (yu 與), un nombre incalculable de lances, de hallebardes, de becs-de-corbin, d’épées, de chars attelés, disposés par rangées lors de l’avancée, seront aussi brisés en mille morceaux, cassés, endommagés et détériorés d’une manière irréparable. De plus (yu), un nombre incalculable de boeufs et de chevaux bien engraissés avanceront pour rentrer amaigris ou pour mourir, massacrés d’une manière irréparable. De plus (yu), un nombre incalculable de gens ordinaires mourront car, compte tenu de la longueur des voies de communication à parcourir, [les livraisons] de céréales et de ressources alimentaires seront interrompues, coupées ou discontinues. De plus (yu), un nombre incalculable de gens ordinaires seront condamnés à la maladie, à la souffrance et la mort à cause d’un manque de tranquillité domestique, d’une consommation aléatoire de nourriture et de boissons, d’un dérèglement du rythme alimentaire. On perdra un nombre incalculable de troupes, voire la totalité, au-delà de toute estimation, ce qui implique que les esprits et les dieux perdront aussi un nombre incalculable de lignées d’officiants »[12].
Dans le passage traduit ci-dessus, l’hypotypose, au sens strict du terme, focalise sur la destruction d’armes et d’équipements militaires, et sur le massacre d’animaux afin de souligner, par le biais d’une gradation (marquée par la répétition de la particule yu 與, traduite par « de plus »), la perte de vies humaines, déjà déplorée auparavant. L’énumération des objets voués à la ruine n’est pas exhaustive, mais l’échantillonnage est suffisamment significatif pour créer un effet visuel synoptique de désordre, de perte de contrôle et de violence extrême. L’expression bu ke sheng shu 不可勝數, rendue par « un nombre incalculable », répétée sept fois dans l’extrait en guise de cataphore, confirme l’impression de destruction massive provoquée par des affrontements frénétiques[13]. L’estimation (ji 計) des pertes dont il est question s’avère, en fin de compte, impossible et, en situant ces considérations dans leur contexte historique, on ne les jugera pas hyperboliques. La guerre ne bouleverse pas uniquement le rythme agricole, l’élevage et la vie humaine ; elle atteint également la sphère du sacré, puisqu’elle brise la tradition d’officiants aptes à pratiquer le culte des esprits et des divinités (gui shen 鬼神). Une telle interruption constitue justement le climax des effets pernicieux de la guerre, dont la monstration justifie la recommandation générale, adressée ici aux autorités belligérantes, de renoncer à leur politique expansionniste.
Le chapitre 19, le troisième de la triade contre la guerre offensive, s’ouvre par une suite d’interrogations rhétoriques qui témoignent de l’attention que portaient les moïstes pour le pouvoir de l’expression verbale et de leur capacité d’employer différentes méthodes discursives dont, pour ainsi dire, le registre épidictique consistant à émettre des éloges ou des blâmes. Dans l’extrait suivant, Maître Mo présente ses remontrances à l’ensemble des seigneurs féodaux (zhu hou 諸侯) de son époque :
Mozi affirma : « Faut-il employer des procédés rhétoriques (shuo 說) dans le monde actuel pour faire l’éloge des bonnes actions ? Ne convient-il pas de louer les actions avantageuses qui sont en parfaite adéquation avec la sphère supérieure, représentée par le Ciel (tian 天), avec la dimension intermédiaire des esprits (gui 鬼) et avec la condition inférieure des êtres humains (ren 人) ? Ou bien faudrait-il faire l’éloge de ce qui est parfaitement contraire aux avantages recherchés sur ces trois plans (Ciel, esprits, êtres humains) ? Même les plus ignorants de la couche sociale inférieure affirmeraient avec certitude que les actions avantageuses, en parfaite adéquation à la sphère supérieure, représentée par le Ciel, à la dimension intermédiaire des esprits et à la condition inférieure des êtres humains méritent d’être louées. Or, les justes principes (yi 義)[14], auxquels tout le monde devrait se conformer, correspondent aux modèles des Sages Rois. Pourtant, la plupart des seigneurs féodaux du monde actuel persistent à entreprendre des guerres et des campagnes militaires expansionnistes afin d’annexer [d’autres États]. Ils louent alors les justes principes sur le plan nominal, sans comprendre leur contenu réel. Ils se comportent d’une manière analogue à des aveugles qui, sur le plan nominal, qualifient des objets de blancs ou de noirs comme tous les autres, sans pour autant être capables de les différencier. Peut-on dire qu’ils distinguent quelque chose ? […] Ainsi dans l’Antiquité, les hommes bienveillants qui régissaient le monde, soucieux de l’unifier dans l’harmonie, s’opposaient fermement à la rhétorique des grands États […] »[15].
Dans ce passage, Mozi critique explicitement la rhétorique vide des seigneurs féodaux, qui se comportent d’une manière incohérente par rapport à leurs discours. La dissociation entre les noms (ming 名) et les choses (wu 物) ou leurs implications concrètes (shi 實), et la discordance entre le plan de la parole et celui de l’action, constituaient un souci important chez les maîtres à penser de l’époque pré-Qin[16]. Il est alors légitime de supposer que le recours au visuel dans les argumentations moïstes vise justement à créer un effet de présence destiné à combler l’écart entre l’expression verbale et la réalité extralinguistique. Si la rhétorique des élites politiques s’avère inconsistante en raison de son aspect purement nominal, celle de Mozi, par contre, se veut convaincante en ce qu’elle est ou prétend être ancrée dans des faits observables. L’hypotypose s’inscrit ainsi dans une vision performative du langage, selon laquelle dire, c’est faire voir[17], et faire voir, c’est produire un impact concret sur un état de choses jugé négatif, comme la destruction systématique provoquée par des soldats à l’attaque, dont voici encore quelques détails horrifiants :
Outrepassant leurs frontières, ils font irruption au sein des familles ; ils fauchent les tiges des céréales, coupent arbres et plantes, détruisent les fortifications intérieures et les remparts extérieurs jusqu’à obstruer les fossés et les douves ; ils s’emparent des animaux sacrificiels et les tuent ; ils incendient et vandalisent les temples ancestraux ; ils provoquent des massacres chez dix mille peuples et exterminent les personnes âgées et faibles, en déplaçant avec eux leur butin. Lorsque les soldats avancent, [les chefs] se plantent au milieu de la bataille et déclarent : « On atteint l’apogée en sacrifiant sa vie, on se distingue en tuant un grand nombre [d’ennemis] ; se laisser blesser, c’est une bassesse. À plus forte raison, abandonner les rangs, faire volte-face et se rendre à l’adversaire ! Les coupables seront exécutés sans la moindre indulgence ». Ils parviennent ainsi à terroriser leurs troupes[18].
Cette puissante description des ravages causés par la guerre et la focalisation sur un moment crucial de la bataille ne laissent aucun doute quant aux propos critiques du texte et à l’esprit antihéroïque sous-jacent. L’ocularisation, facilitée par l’emploi de l’asyndète[19], s’agence ici à l’auricularisation, marquée par l’introduction d’un discours direct lapidaire, enchâssé dans l’exposé de Mozi. L’allocutaire est ainsi transporté dans le vif de l’action : il assiste à la scène, entend les menaces prononcées par les chefs des armées (une gradation intensifie encore une fois la force du message) et participe émotionnellement aux événements ; autrement dit, il devient un témoin direct des cruautés militaires, qu’il ne peut que condamner à l’instar de Maître Mo[20].
II. L’hypotypose et l’apparition d’esprits
Les moïstes considéraient les témoignages auriculaires et oculaires des gens comme l’un des critères fondamentaux permettant d’établir la recevabilité d’une doctrine[21]. Dans le chapitre 31, ils s’efforcent de donner des « Éclaircissements sur les esprits » (Ming gui 明鬼), notamment sur les revenants, mais aussi sur les génies de la nature et sur diverses divinités du panthéon de la Chine ancienne, auxquels ils attribuent un rôle de justiciers et une place intermédiaire entre les vivants et l’entité céleste (Tian 天)[22]. Selon les moïstes, en effet, l’affaiblissement des croyances en l’existence d’esprits clairvoyants[23], capables de surveiller les êtres humains et de faire régner la justice sur la terre, expliquerait en partie le climat d’instabilité et de désordre sociopolitique de leur temps. « Or », demande rhétoriquement Mozi, « si l’on pouvait convaincre tout le monde que les esprits et les dieux détiennent bel et bien la faculté de récompenser les personnes de talent et de châtier les méchants, y aurait-il encore des troubles[24] ? » L’argumentation, qui se veut empiriquement fondée, se développe par conglobation : une accumulation de preuves (bribes de citations ou paraphrases de textes anciens, réinterprétations ad hoc d’événements légendaires, récits, anecdotes, énumérations de sources documentaires, arguments d’autorité, considérations pragmatiques, etc.) sont habilement mobilisées pour convaincre les allocutaires que les esprits et les dieux existent réellement, et que, en tout cas, il est socialement avantageux d’y croire. Or, l’hypotypose constitue ici la pièce maîtresse qui soude la narration à l’argumentation, en donnant à voir un passé fictif comme s’il était présent et réel ; cette figure fait elle-même office de preuve en ce qu’elle revêt une fonction testimoniale et mémorielle à la fois, et ce, même si elle sert à relater des événements imaginaires[25]. À des interlocuteurs hypothétiques qui s’interrogeraient sur la valeur des témoignages des foules, Mozi expose, entre autres, cinq récits de faits étranges. Il suffira de poser le regard sur le premier de ces contes afin de saisir la force illocutoire inhérente à l’hypotypose d’édifier des cas exemplaires, des modèles achroniques véhiculant une morale pérenne :
Or, ceux qui nient l’existence des esprits demandent : « Un nombre incalculable de gens croient avoir entendu et vu des êtres tels les esprits et les dieux dans le monde, mais qui faut-il croire ? » Maître Mozi affirma : « Le cas de l’ancien comte de Du 杜 est tout à fait représentatif des expériences visuelles et auditives que beaucoup de gens partagent. Le roi Xuan 宣 des Zhou 周 avait condamné à mort un de ses ministres, le comte de Du, qui était pourtant innocent[26]. Celui-ci lui dit : “Sire, vous me condamnez à mort, même si je suis innocent. Si vous croyez que les morts perdent connaissance, cela s’arrêtera là. Si, par contre, ils la conservent, je vous garantis qu’en moins de trois ans je transmettrai cette connaissance à mon souverain !” Au cours de la troisième année [après la mort du comte de Du], le roi Xuan des Zhou alla à la chasse à Putian 圃田[27], avec une cohorte de seigneurs féodaux. Accompagné d’une centaine de chars attelés et d’une suite d’un millier d’effectifs, ils couvraient toute la zone sauvage. En plein midi, le comte de Du apparut sur un simple char, attelé d’un cheval blanc ; il portait un vêtement et un couvre-chef écarlates ; il tenait un arc écarlate, muni de flèches écarlates. Il poursuivit le roi Xuan des Zhou en décochant contre son char une flèche qui le frappa droit au coeur, en lui brisant la colonne vertébrale. [Le roi] périt en tombant sur l’étui de son arc. En ce temps-là, tous les membres de la suite [du roi] des Zhou le virent et tous ceux qui étaient distants en entendirent parler. On le relate aussi dans les Printemps et automnes des Zhou. Les souverains sont désormais amenés à donner des instructions aux ministres et les pères à alerter leurs fils par ces mots : “Prenez-y garde ! Soyez vigilants ! Quiconque condamne à mort un innocent sera aussitôt frappé de malheur et impitoyablement puni de mort par les esprits et les dieux.” Si nos observations se fient à ce récit historique, comment peut-on alors douter de l’existence des esprits et des dieux[28] ? »
L’histoire du comte de Du est un condensé d’éléments symboliques, dont la vigueur visuelle vise à sidérer les allocutaires et à leur inspirer de la crainte révérencielle. L’événement numineux se déroule d’une manière inéluctable, selon la méticulosité propre d’un rite solennel comportant plusieurs aspects au riche sémantisme : une temporalité calculée, où rien ne se produit par hasard (en plein midi, trois ans après l’injuste exécution) ; une spatialité caractérisée par le contraste entre deux dimensions : au-deçà, le grand déploiement, sur un vaste territoire, des chars et de la suite du roi ; au-delà, l’unicité de son justicier, qui l’atteint infailliblement d’une seule flèche, vecteur de mort établissant un contact instantané entre le monde des vivants et celui des esprits ; l’intensité chromatique par laquelle se démarque le feu comte (le rouge vif de son vêtement, arme et accessoires[29]), personnage fulgurant, soudainement hypervisible[30], mis aussi en relief par le pelage immaculé du cheval qui tire sa voiture ; l’inversion des rapports de force et de la hiérarchie : l’esprit du ministre (subordonné, chen 臣, au service du roi lorsqu’il était en vie) domine désormais le monarque. Cet ensemble de détails converge alors pour créer un effet pictural frappant, un spectacle onirique auquel tous les gens présents sur les lieux auraient assisté (mo bu jian 莫不見) à l’heure fatidique du régicide et que la transmission orale et textuelle a diffusé dans l’espace et pérennisé dans le temps. Le tableau qui s’en dégage dépasse la linéarité chronologique de l’histoire humaine pour devenir un paradigme atemporel à l’appui de la doctrine moïste.
L’emploi de l’hypotypose dans un contexte narratif où l’on relate des cas d’épiphanie de puissances occultes n’est pas anodin. Le lien privilégié que ce genre de figures présente avec le sacré n’a pas échappé aux interprètes de la rhétorique et de la poétique occidentale. Le Bozec, par exemple, souligne le « repérage impressif » de l’hypotypose en résumant ainsi sa quintessence : « […] elle introduit dans la littérature la possible apparition de l’insoutenable, autrement dit du divin[31] ». On relève, en effet, un parallélisme significatif entre l’apparition de dieux ou d’esprits qui, selon les croyants, se manifestent d’une manière visible (et audible) aux humains, et l’hypotypose, puisque celle-ci donne à voir, par la force des mots, des phénomènes prodigieux. Cette figure traduit alors sur le plan langagier la faculté que détiennent les êtres divins ou surnaturels de se rendre visibles soudainement, pour un court moment. Dans ce sens, les « contes merveilleux » du chapitre 31 du Mozi attestent que l’un des éléments-clés qui singularise l’hypotypose est aussi présent dans la tradition scripturaire chinoise ; il s’agit peut-être là d’un invariant anthropologique[32].
III. L’hypotypose et les rites funéraires
Les moïstes jugent cependant inadmissible la quête du spectaculaire dans un but autoglorificateur, allant à l’encontre du bien commun : les moeurs extravagantes et le mode de vie luxueux des élites nuisent à la prospérité économique de l’État, qui dépendrait, entre autres, de la régularité du travail et de la modération dans les consommations. En faisant valoir un argument utilitaire, Mozi critique sévèrement les rites sophistiqués, notamment les pratiques funéraires qui entraînent un gaspillage de ressources matérielles et humaines, et une interruption des activités essentielles à la survie et au maintien de l’ordre. Dans le chapitre 25, le seul qui subsiste de la trilogie au sujet des « Restrictions relatives aux enterrements » (Jie zang 節葬), Maître Mo dresse un inventaire précis des biens dilapidés pour le déploiement des pompes funèbres :
Essayons alors d’examiner à fond le discours des zélateurs des enterrements somptueux et du deuil de longue durée, qu’ils considèrent comme une obligation envers l’État et les familles. L’adoption de leurs règles impliquerait qu’à l’occasion d’un deuil chez un roi, un duc ou un notable, il faudrait : un cercueil intérieur et un cercueil extérieur massifs, une inhumation somptueuse, de nombreux draps mortuaires avec des motifs variés et des broderies élaborées, puis un tertre funéraire monumental. Si l’on adoptait [ces règles] pour les personnes ordinaires, voire pour les humbles, un mort ruinerait complètement toute une maisonnée. Un mort chez un seigneur féodal amènerait à vider la chambre du Trésor pour qu’on dispose sur la dépouille du métal précieux, du jade, des perles travaillées ou brutes ; pour qu’on la lie avec des rubans et des bandes de soie et pour qu’on remplisse la tombe de chars et de chevaux. Il faudrait de surcroît de nombreux draps mortuaires et rideaux, vases tripodes, tambours, petites tables, nattes, jarres et récipients, lances, épées, bannières ornées de plumes de martin-pêcheur et de queues de yak, ivoires et cuirs, qu’on enfouirait et ensevelirait. Afin de satisfaire pleinement à l’exigence d’accompagner dans la tombe le Fils du Ciel, on sacrifierait quelques centaines ou au moins quelques dizaines de personnes. Afin d’accompagner dans la tombe un chef d’armée ou un grand magistrat, on sacrifierait quelques dizaines ou en tout cas un certain nombre de personnes[33].
Cette argumentation se développe d’une manière analogue à celle analysée plus haut au sujet des conséquences dramatiques de la guerre, en ce qu’elle met sous les yeux, par une description frappante, les effets découlant de l’adoption de canons rituels onéreux dans le domaine funéraire. L’allocutaire est invité à examiner (ji 稽) l’impact sociopolitique (guo jia 國家 : relatif à l’État et aux familles) des discours (yan 言) des ritualistes ; son regard se dirige d’abord sur les pertes matérielles et, paradoxalement, sur une série d’artefacts destinés à être ensevelis (mai 埋) et, donc, soustraits à la vue, pour focaliser ensuite sur le sacrifice (xun 殉) de nombreuses vies humaines. La description coïncide ici avec une énumération, qui se veut aussi complète que l’accumulation d’objets funéraires et que la suite de victimes vouées à satisfaire pleinement (mang 滿) aux exigences dictées par les canons[34]. Si l’on considère un tombeau (monument funéraire et sépulture) comme une structure bien organisée, l’hypotypose de cet extrait constituerait alors une ekphrasis, au sens moderne du terme : la description d’une oeuvre d’art. Une intention pareille ne correspond cependant pas à la conception des moïstes, qui ne reconnaissaient aucune valeur aux capacités artistiques dissociées de propos utilitaires et qui condamnaient moralement le raffinement culturel autotélique. Si ekphrasis il y a, sa fonction est alors renversée en ce qu’elle vise à déprécier plutôt qu’à souligner les qualités de l’oeuvre, en la situant dans son contexte de production et d’exploitation effective, laquelle implique aussi des sacrifices humains. Dans le passage suivant, ce sont d’ailleurs les comportements des proches des défunts qui constituent la cible de la diatribe moïste :
Quelles sont les règles pour porter le deuil ? Il s’agit de pleurer sans aucun rythme, à forts sanglots. On met une tenue en chanvre écru avec des rubans funéraires et on laisse couler ses larmes. On se retire dans une hutte, on dort sur une natte de joncs avec une motte de terre pour oreiller. Qui plus est, on est contraint de jeûner afin d’avoir l’air affamé et de porter des vêtements légers afin d’avoir l’air gelé ; il faut s’arranger pour avoir les yeux bien enfoncés dans le visage, une mine très sombre, l’ouïe et la vue confuses. Les mains et les pieds doivent être sans force, inertes, incapables de bouger. Puis, lorsqu’on organise une cérémonie du deuil chez des gentilshommes de rang supérieur, il faut se relever seulement à condition de s’appuyer sur le bras de quelqu’un et marcher uniquement avec une canne, et cela pendant trois ans en tout[35] !
L’hypotypose, dans ce dernier extrait, sert à tourner en dérision les attitudes et la conduite des ritualistes, en faisant surtout ressortir la fausseté inhérente à leurs mises en scène, car rites et théâtralité s’apparentent[36]. Le deuil est perçu comme une sorte de déguisement ; les personnages endeuillés posent des gestes et affichent des comportements tragi-comiques. L’humour noir qui se dégage de la description brise alors définitivement la solennité de leurs cérémonies, dont seul l’aspect nuisible au bien commun émerge comme une évidence.
IV. Hypotypose, perception visuelle et connaissance
Il est légitime de se demander jusqu’à quel point les moïstes étaient conscients de tous les procédés rhétoriques qu’ils employaient[37]. En effet, force est de constater que la notion d’hypotypose n’a pas été thématisée explicitement dans le Mozi. Les chapitres 40-45, vraisemblablement composés au iiie siècle aec par des « néomoïstes » issus d’une ou plusieurs branches tardives de la Mojia 墨家, représentent l’une des rares contributions théoriques à la pensée logicienne et à la dialectique (bian 辯) de la période pré-Qin ; malgré l’état fragmentaire dans lequel ces écrits nous sont parvenus et en dépit des difficultés herméneutiques qu’ils posent, on comprend que l’un de leurs objectifs était de fournir un cadre rationnel à certaines doctrines fondatrices du moïsme. Dans le chapitre 45 en particulier, on trouve des définitions succinctes d’une série de procédés argumentatifs, mais aucun équivalent lexical ou conceptuel d’hypotypose n’est mentionné.
Or, malgré l’absence d’une réflexion théorique sur ce sujet spécifique, des considérations gnoséologiques plus générales, énoncées dans ces sections dites dialectiques du Mozi, confirment rétrospectivement l’intérêt prononcé des moïstes pour la visualité et pour l’art de décrire. D’une part, la vue, au sens propre du terme, compte parmi les sources de connaissance, et ce, même si ses limites n’étaient pas négligées ; d’autre part, au sens figuré (par extension tropique) ou par analogie, elle représente le modèle par excellence de la connaissance abstraite (c’est-à-dire qui engage des facultés cognitives plus complexes que la perception et qui porte sur des objets ou des contenus qui ne sont pas nécessairement sensibles). Plus précisément, aux yeux des néomoïstes, cognition et vision ne coïncident pas, mais elles se ressemblent par rapport à la clarté (ming 明) qui exprime à la fois la véridicité de la connaissance et celle de la perception visuelle[38] :
C. Connaître (zhi 知), c’est une faculté[39].
E. La connaissance en tant que faculté (zhi cai 知材). Elle consiste à exercer les moyens pour connaître de telle sorte qu’on parviendra nécessairement à la connaissance. C’est comme voir clairement (ruo ming 若明)[40].
La capacité de décrire les choses est en outre explicitement associée à la connaissance :
C. Connaître (zhi 知), c’est établir une relation (jie 接).
E. Connaître. La connaissance consiste à passer à travers les choses (guo wu 過物) en déployant ses moyens cognitifs de telle sorte qu’on sera capable de les décrire (neng mao zhi 能貌之). C’est comme voir (ruo jian 若見)[41].
Le terme jie caractérise ici la connaissance en tant que prise de contact avec la réalité ; il pourrait également faire allusion à l’intelligence associative, par laquelle on établit des liens entre les phénomènes et on y repère une logique. L’« Explication » de la définition énoncée dans le « Canon » met l’accent sur la dimension empirique du processus cognitif qui, d’une manière analogue à la vision, développe la capacité de décrire les choses.
Ces quelques indices théoriques corroborent certes a posteriori, mais au sein de la même tradition scripturaire, l’hypothèse selon laquelle les descriptions faisant appel à la vue comptaient parmi les procédés rhétoriques de l’argumentation moïste et qu’elles n’étaient pas fortuites.
Conclusion
L’hypotypose au sens d’exposé vif et frappant de faits réels ou imaginaires constitue un cas particulier de description. Son emploi dans ce texte en grande partie polémique qu’est le Mozi coexiste avec celui d’autres procédés rhétoriques, puisque l’argumentation est souvent menée par conglobation ou accumulation de preuves ; il est compatible avec d’autres formes d’énonciation et paradigmes de raisonnement. L’hypotypose n’est d’ailleurs pas une prérogative des moïstes. S’il est vrai que la pensée chinoise se situe à la jonction de plusieurs types de discursivité et qu’elle emprunte souvent la forme du récit, de l’anecdote[42], de l’exemple particulier, de l’illustration vivante pour s’exprimer, on trouvera sans doute que les oeuvres de cette tradition foisonnent d’hypotyposes[43]. La spécificité moïste de l’emploi de cette figure consiste dans la continuité qu’elle reflète entre la forme et le contenu, car le recours au visuel constitue l’un des pivots de la rhétorique et de la réflexion de l’École de Maître Mo.
Cette brève étude d’un échantillon textuel restreint permettra peut-être aussi d’attirer l’attention sur l’importance de différencier, dans des recherches ultérieures, les divers types d’images qui tissent la toile de fond de la pensée chinoise. L’hypotypose, en effet, ne comporte généralement pas de métaphores, même si les personnages, les objets et les situations décrites sont susceptibles d’inclure des éléments symboliques. Lorsqu’on affirme que la pensée chinoise est imagée[44], il est donc opportun de distinguer la métaphorisation de la description, et de la présentation visuelle et énergique en particulier.
La figuralité est-elle une exclusivité de la pensée chinoise ? S’avère-t-elle plus prononcée dans la tradition intellectuelle élaborée en Chine qu’ailleurs ? Révèle-t-elle une faiblesse, une défaillance intrinsèque sur le plan logique qui bannirait fatalement les maîtres chinois des pays de la philosophie ? Faudrait-il conclure alors, en se faisant l’écho des propos de Gilles Deleuze et Félix Guattari, que « [l]e vieux sage venu d’Orient pense peut-être par Figure, tandis que le philosophe invente et pense le Concept[45] » ?
Mieux vaut s’abstenir d’extrapoler en érigeant des binarismes réducteurs, souvent véhiculaires soit de propos culturalistes, soit d’un jugement de valeur négatif et ethnocentrique, désormais inacceptable sur le plan anthropologique, à l’égard d’une altérité culturelle, de l’hétérotopie que la Chine représente encore, à tort ou à raison, aux yeux de nombreux savants occidentaux. En effet — Kant l’a bien démontré[46] —, la présence d’hypotyposes dans un texte n’empêche aucunement de conceptualiser : l’abstraction peut être très bien menée par le biais d’une dimension figurale, dotant l’esprit d’une grande vitalité au sein de l’argumentation philosophique. Aussi la théorie, au sens étymologique de mot (du grec θεωρία, « vue, vision, observation »), sollicitée par l’hypotypose, ouvre-t-elle la voie à la théorisation. Au lieu d’opposer le figural au conceptuel d’une manière dichotomique, il serait plus enrichissant, afin d’établir un dialogue interphilosophique, de les percevoir ou de les concevoir comme les deux termes d’une dyade qui se complètent l’un l’autre dynamiquement.
Parties annexes
Notes
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[1]
Dans la tradition occidentale, la notion d’hypotypose a changé au fil des siècles. Au sujet de ses fluctuations sémantiques, cf. Adriana Zangara, « L’expérience par procuration : l’hypotypose et la narration historique de l’Antiquité à la Renaissance », Acta universitatis lodziensis. Folia litteraria romanica, 11 (2016), p. 25-40. La présente contribution tient compte de son acception moderne, qui met généralement l’accent sur l’effet visuel provoqué par cette figure, plutôt que sur son sens étymologique d’esquisse. Dans le domaine littéraire, cf. l’explication incontournable d’Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1981 [1961], p. 520-531. Cf. également : Jean-Michel Adam, La description, Paris, PUF, 1993, p. 33 et suiv. ; Yves Le Bozec, « L’hypotypose : un essai de définition formelle », L’information grammaticale, 92 (2002), p. 3-7 ; Chaïm Perelman, Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1998, p. 226 ; Jean-Jacques Robrieux, Éléments de rhétorique et d’argumentation, Paris, Dunod, 1993, p. 71-72. Par ailleurs, pour une définition critique de l’hypotypose, basée en partie sur son ancienne acception, cf. Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Librairie générale française, 1992, p. 58-59. En chinois moderne, on rend le terme hypotypose par la périphrase xingxianghua miaoxie de shuofa 形象化描寫的說法, littéralement « procédé de description visuelle/imagée ».
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[2]
Le terme allocutaire, employé ici au sens générique de personne (ou groupe de personnes) qui reçoit le message conservé dans le texte (susceptible d’avoir servi de base à des discours prononcés oralement, à des lectures collectives, à des sermons, à l’enseignement, etc.), est préférable à la notion de lecteur, laquelle suppose un certain avancement des techniques de reproduction et d’impression des oeuvres écrites.
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[3]
Marc Bonhomme, « Figures du discours ou figures de style ? Essai de classification », dans Cécile Barbet, dir., Linguistique et stylistique des figures, Berne, Peter Lang, 2015, p. 167-168.
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[4]
Notion cardinale de li 利 « avantages, bienfaits, bénéfices », dont la portée universelle n’entraîne nullement une déhiérarchisation de la société et de l’État. D’ailleurs, l’hypothèse selon laquelle les moïstes auraient accordé la priorité à la quête de l’utile sur l’élégance littéraire n’est pas récente. Dans le Hanfeizi (iiie siècle aec), par exemple, le moïste Tian Jiu 田鳩 explique au roi de Chu 楚 que les modes d’expression de Mozi étaient peu raffinés, car l’élaboration de l’écriture aurait nui à l’utilité (yi wen hai yong ye « 以文害用也 ») ; Lau D.C. 劉段爵, Chen Fong Ching 陳方正, dir., A Concordance to the Hanfeizi 韓非子逐字索引, Hong Kong, The Commercial Press (coll. « The ICS Ancient Chinese Texts Concordance Series - Philosophical Works », 42), 2000, 32/80/29.
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[5]
Comme le précise Anna Jaubert, « L’avènement du style », dans Laure Himy-Piéri, Jean-François Castille, Laurence Bougault, dir., Le style, découpeur de réel. Faits de langue, effets de style, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, § 4, la notion de style suppose une subjectivité, mais celle-ci « n’est pas synonyme d’individuation : il existe un premier stade où le style fonctionne au contraire comme un révélateur social, la marque de l’appartenance à un groupe, à une école, etc., dont il s’agit de maîtriser les codes. En fait la stylisation est un phénomène progressif, et c’est bien pourquoi le style se présente comme une notion “à géométrie variable” ».
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[6]
Le « dix thèses » canoniques sont présentées dans les chap. 8-37 du Mozi. Les morceaux choisis seront tirés du texte intégral, traduit, annoté et commenté par Anna Ghiglione, Mozi, Québec, PUL (coll. « Histoire et culture chinoises », dirigée par LI Shenwen), 2018 ; désormais abrégé par Mozi (suivi du numéro des chapitres et des paragraphes cités). Afin de ne pas alourdir l’analyse, les gloses et les notes philologiques concernant l’établissement du texte qui figurent dans cette traduction ont été éliminées. Celle-ci tient compte de plusieurs éditions chinoises, dont : Sun Yirang 孫詒讓, Mozi jiangu 墨子閒詁 (Exégèse du Mozi), 2 vol., Pékin, Zhonghua shuju, 2009 [1894, 1907] ; Tan Jiajian 譚家健, Sun Zhongyuan 孫中原, Mozi jinzhu jinyi 墨子今注今译 (Traduction moderne annotée du Mozi), Pékin, Shangwu yinshuguan, 2012 [2009] ; Wu Yujiang 吳毓江, Mozi jiaozhu 墨子校注 (Le Mozi collationné et commenté), 2 vol., Pékin, Zhonghua shuju, 2006 [1944].
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[7]
Voir, par exemple, Edward G. Sligerland, « Embracing Digital Humanities. New Methods for Analyzing Texts and Sharing Scholarly Knowledge », dans Mind and Body in Early China. Beyond Orientalism and the Myth of Holism, New York, Oxford University Press, 2019, p. 144-216. L’auteur insiste, à juste titre, sur la nécessité d’adopter des méthodes de nature quantitative avant de généraliser au sujet des propriétés de la pensée chinoise ; il critique certaines extrapolations, qu’il juge philologiquement et archéologiquement infondées, comme l’idée selon laquelle les anciens Chinois auraient ignoré le dualisme séparant le corps de l’esprit. Sans doute, ses suggestions ajouteraient de la rigueur aux études lexicales et à l’analyse conceptuelle.
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[8]
H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, p. 521.
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[9]
Chacune des dix doctrines canoniques du Mozi fait l’objet d’un triptyque de chapitres, où le même thème est abordé avec des variantes. Toutefois, plusieurs chapitres (22, 23, 24, 29, 30, 33 et 34) ont été perdus ; on n’en possède que les titres. Cf. Karen Desmet, « The Growth of Compounds in the Core Chapters of the “Mozi” », Oriens Extremus, 45, 6 (2005), p. 99-118. Pour une synthèse des problèmes philologiques concernant le Mozi, cf. Carine Defoort, Nicolas Standaert, dir., The Mozi as an Evolving Text. Different Voices in Early Chinese Thought, Leiden, Boston, Brill, 2013, p. 4 et suiv. Au sujet de la systématisation, probablement tardive, de la pensée moïste en dix thèses, cf. C. Defoort, « The Gradual Growth of the Mohist Core Philosophy », Monumenta Serica, 64, 1 (2016), p. 1-22.
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[10]
Le chap. 17 a été analysé par A. Ghiglione, « Le discernement moral dans la Chine antique. La critique moïste de la guerre offensive », Théologiques, 22, 2 (2014), p. 51-67.
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[11]
Littéralement, « Maître Mozi prononça ces paroles en disant » (Zi Mozi yan yue « 子墨子言曰 »).
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[12]
Mozi, 18.1.
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[13]
Il convient de préciser que les répétitions, dans le Mozi, ne sont pas toujours intentionnelles. On peut en identifier trois catégories principales, dont la ligne de démarcation n’est pas toujours nette : 1) les répétitions en tant que faits de langue, qui tiennent aux propriétés du chinois classique et à certaines contraintes relatives à la pronominalisation du sujet ou du thème (au sens linguistique du terme) d’une proposition ; 2) les répétitions pour ainsi dire « accidentelles », dues au processus de détérioration et de sédimentation textuelle, et aux difficultés d’établir une version philologiquement bien conçue ; 3) les répétitions intentionnelles, de nature rhétorique ou argumentative, qui comptent parmi les procédés d’emphase. Les répétitions relevées dans l’extrait Mozi, 18.1, semblent appartenir à cette dernière catégorie.
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[14]
Dans ce contexte, la notion de yi « justice, équité, sens du juste », revêt un aspect normatif en ce qu’elle implique le respect des préceptes moraux. L’originalité de la pensée moïste réside dans la tendance à poser un lien de continuité entre le juste et l’utile.
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[15]
Mozi, 19.1. Cf. aussi 19.3. À propos de l’art de la persuasion en Chine antique, cf. Jean Levi, « Les lieux de débats en Chine ancienne : écoles, routes, académies, palais », Études chinoises, 32, 1 (2013), p. 39-76 ; Ding Xiuju 丁秀菊, Xian Qin Rujia xiuci yanjiu先秦儒家修辞研究 (Recherche sur la rhétorique confucéenne pré-Qin), Qinan, Shandong daxue, 2015, où l’auteur souligne que les formes argumentatives des maîtres à penser chinois étaient subsidiaires des contenus de leurs doctrines. Sur le lien entre « Politique et rhétorique en Chine ancienne », cf. Extrême-Orient Extrême-Occident, 34 (2012).
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[16]
Avant la fondation de l’empire par la dynastie des Qin 秦 (221-206 aec), les lettrés confucéens (Ru jia 儒家) insistaient aussi sur la nécessité de conserver ou de rétablir un rapport biunivoque entre noms et choses. En témoigne le célèbre chap. 22 du Xunzi 荀子sur la « Rectification des noms » (Zheng ming 正名).
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[17]
Cf. Claude Calame, « Quand dire, c’est faire voir : l’évidence dans la rhétorique antique », Études de lettres, 4 (1991), p. 3-22.
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[18]
Mozi, 19.2.
-
[19]
Ce procédé, qui dans la tradition littéraire française est considéré comme « un indice de force, un signe d’autorité » (H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, p. 126), est très courant en chinois classique et va de pair avec la tendance à employer la parataxe.
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[20]
Bien que les contradictions ne manquent pas dans le Mozi, des idées analogues, exprimées par de vives observations, figurent aussi dans des sections probablement plus tardives (cf. par exemple 46.19, 49.4-5, 50.2). Il convient, en outre, de rappeler que les chapitres dits stratégiques (52-71) sont essentiellement constitués de descriptions techniques concernant la défense militaire (armes, opérations, règlements, etc.) des villes fortifiées contre les sièges. Leur technicité, en plus de l’état fragmentaire et souvent désorganisé dans lequel ils nous sont parvenus, n’exclut pas la présence de procédés de textualisation d’ordre narratif et rhétorique. On y trouve, en effet, des éléments hypotypotiques qui, à la différence des énumérations et des inventaires émotionnellement neutres (appartenant au « degré zéro de l’écriture »), visent à impressionner l’allocutaire en l’alertant. En témoigne le chap. 62 (« Préparatifs militaires concernant les tunnels », Bei xue 備穴), où Maître Mo instruit son disciple Qin Guli 禽滑厘 en lui présentant, d’une manière scénique, les mesures à prendre contre les attaques menées par les voies souterraines. À propos du degré zéro de l’écriture, cf. Jean-Michel Adam, Les textes : types et prototypes, Paris, Armand Colin, 2017 [1992], p. 79-80.
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[21]
Cf. A. Ghiglione, La vision dans l’imaginaire et dans la philosophie de la Chine antique, Paris, You Feng, 2010, p. 70-73 ; cf. aussi la Bibliographie, où sont énumérées plusieurs études au sujet de la perception chez les moïstes.
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[22]
Modèle par excellence de moralité, le Ciel des moïstes revêt plusieurs aspects anthropomorphiques, dont la faculté d’exercer une volonté raisonnable ou compréhensible. Une triade de chapitres du Mozi, en effet, est consacrée à la nécessité de respecter la volonté céleste (chap. 26, 27, 28 : Tian zhi 天志).
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[23]
Le titre Ming gui de la trilogie dont seul le chap. 31 subsiste est en effet une amphibologie, qui peut aussi revêtir cette signification. La littérature secondaire au sujet de la conception moïste des créatures surnaturelles est très volumineuse. Cf., par exemple, Hu Baozhu, Believing in Ghosts and Spirits. The Concept of Gui in Ancient China, Londres, Taylor & Francis Group ; New York, Routledge (coll. « Monumenta Serica Monograph Series », LXXI), 2021, p. 150 et suiv.
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[24]
Mozi, 31.1.
-
[25]
Sur ces fonctions de l’hypotypose, voir Paul Bernard-Nouraud, « Un présent empreint de passé. Brève généalogie de l’hypotypose comme figure de la mémoire », Acta universitatis lodziensis. Folia litteraria romanica, 11 (2016), p. 228 et 232 en particulier. À propos de l’hypotypose visionnaire, voir H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, p. 530-531.
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[26]
Le comte (bo 伯) de Du vécut au viiie s. aec. Xuan (r. 827-782) fut le onzième roi de la dynastie Zhou (1045-256).
-
[27]
À propos de ce toponyme, cf. Wu Yujiang, Mozi jiaozhu, p. 341-342, n. 21.
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[28]
Mozi, 31.4.
-
[29]
Le caractère zhu 朱, « écarlate », constitue d’ailleurs l’une des deux sous-graphies de zhu 誅 « punir (de mort), punition ».
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[30]
À propos de la dialectique entre hypovisible et hypervisible, cf. A. Ghiglione, La vision, p. 100 et suiv.
-
[31]
Y. Le Bozec, « L’hypotypose : un essai de définition formelle », p. 7.
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[32]
Il est à noter que Mozi utilise, entre autres, le même argument empiriste afin d’énoncer sa « Critique du fatalisme » (Fei ming 非命 ; chap. 35, 36, 37) : l’examen approfondi (yuan 原) des témoignages auriculaires et oculaires des gens confirme que le destin n’existe pas, puisqu’il ne se matérialise pas en un être précis (wu 物), doué d’une voix (sheng 聲) et de caractéristiques visibles (cf. en particulier 36.2). Les deux autres critères ou principes (biao 表, fa 法, yi 儀) de légitimation d’une doctrine sont l’analyse (kao 考) de l’héritage culturel de l’Antiquité (ben 本, « les bases »), à savoir une réflexion sur les mérites des Sages Rois d’antan et sur les fautes des monarques tyranniques ; l’évaluation de son applicabilité (yong 用) et des effets concrets qu’elle entraîne (35.3, 36.1, 37.1). Cf. Chris Fraser, The Philosophy of the Mozi. The First Consequentialists, New York, Columbia University Press, 2016, chap. 2.
-
[33]
Mozi, 25.3.
-
[34]
Le texte ne présente pas de détails au sujet des responsables impliqués dans les sacrifices. Cette ancienne habitude s’était néanmoins réduite à l’époque de Mozi. Elle sera supplantée par la coutume d’enterrer les défunts avec des statues en terre cuite ou en bois (ming qi 明器). Sur ce vaste sujet, cf. Robin D.S. Yates, « Human Sacrifice and Rituals of War in Early China », dans Pierre Bonnechere, Renaud Gagné, dir., Sacrifices humains. Perspectives croisées et représentations, Liège, Presses universitaires de Liège, 2013, http://books.openedition.org/pulg/8173 .
-
[35]
Mozi, 25.4.
-
[36]
Les auteurs du chap. 39, « Critique des confucianistes » (Fei Ru 非儒), dénoncent aussi l’hypocrisie des rites funéraires et la futilité du deuil prolongé en les imputant aux adversaires de Mozi (cf. 39.1, 39.4 en particulier).
-
[37]
Pour des éléments de réponse à ce questionnement, cf. Lu Xing, Rhetoric in Ancient China, Fifth to Third Century B.C.E. A Comparison with Classical Greek Rhetoric, Columbia, University of South Carolina Press, 1998, p. 203 et suiv.
-
[38]
A. Ghiglione, La vision, p. 79 et suiv. Dans les extraits suivants, l’abréviation C. renvoie aux « Canons » (Jing 經, chap. 40 et 41) et E. se réfère à leurs « Explications » (Shuo 說, chap. 42 et 43). À propos de cette subdivision, cf. A. Ghiglione, Mozi, p. 305-306.
-
[39]
Dans les chapitres 40-45 du Mozi, le terme zhi 知est parfois interchangeable avec le terme zhi 智 (« lucidité mentale, intelligence », mot utilisé aussi avec une fonction verbale).
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[40]
Mozi, 40 et 42, A 3.
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[41]
Mozi, 40 et 42, A 5. Vision et connaissance sont également rapprochées dans A 4, où l’on explique que réfléchir (lü慮) est « comme regarder de façon oblique (ruo ni 若 睨) », et dans A 6, où la compréhension (zhi 𢜔, variante graphique de zhi 智 ou néologisme moïste) est reliée à la faculté de voir clairement (ming). Au sujet des sources de la connaissance, cf. A 81 et chap. 41 et 43, B 69. À propos de la prise de connaissance au moyen de la vue, cf. aussi B 9. Sur les limites de la perception, cf. B 45. Quant à l’attribution des noms aux entités sur la base de leurs caractéristiques visibles (xing mao形貌), cf. 44.20.
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[42]
Cf. Paul Van Els, Sarah A. Queen, Between History and Philosophy. Anecdotes in Early China, Albany, SUNY Press, 2017.
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[43]
Il convient encore d’observer que les maîtres à penser de la Chine ancienne, dont Mozi, citaient souvent le Classique de la poésie (Shijing 詩經) à l’appui de leurs thèses. Or, les compositions de ce recueil sont également ancrées dans le visuel. Sur ce vaste sujet, cf. par exemple Fu Daobin 傅道彬, Shi keyi guan. Li yue wenhua yu Zhou dai shixue jingshen 诗可以观.礼乐文化与周代诗学精神 (Poèmes à observer. Culture rituelle et musicale, et esprit poétique à l’époque des Zhou), Pékin, Zhonghua shuju, 2010, p. 188 et suiv.
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[44]
À titre d’exemple, cf. Wang Shuren 王树人, Returning to Primordially Creative Thinking. Chinese Wisdom on the Horizon of « Xiang Thinking », Singapour, Springer, 2018 ; traduit du chinois par Zhang Lin : Huigui yuan chuang zhi si. « Xiang siwei » shiye xia de Zhongguo zhihui 回归原创之思. « 象思维 » 视野下的中国智慧, Jiangsu renmin, 2005. Il est justement intéressant de constater que le mot xiang, qui est polysémique et signifie entre autres image, n’est pas traduit dans le titre en anglais ; il est transcrit phonétiquement en pinyin. L’auteur regrette que ce mode de pensée soit tombé en désuétude en Chine, à la suite de son occidentalisation (p. 1).
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[45]
Gilles Deleuze, Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991, p. 8.
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[46]
Rodolphe Gashé, « L’hypotypose ou Kant et la rhétorique », trad. fr. Martin Rueff, Po&sie, 148, 2 (2014), p. 122-138 (p. 136 en particulier). Cf. aussi A. Ghiglione, La pensée chinoise ancienne et l’abstraction, Paris, You Feng, 1999.