Avec l’onde de choc provoquée par la pandémie de Covid-19 en 2020, l’humanité a durement expérimenté, autant sur le plan individuel que collectif, ce que signifie la « fragilité ». La Société canadienne de théologie (SCT) et l’Association catholique d’études bibliques au Canada (ACÉBAC) avaient déjà prévu de s’intéresser à cette thématique pour leur congrès annuel, avant que n’advienne l’imprévisible. Personne n’aurait imaginé avoir choisi un sujet aussi prophétique qu’exigeant. Au coeur de ce kairos qui a permis une prise de conscience mondiale de la fragilité de notre monde, des vulnérabilités laissées dans l’ombre ont refait surface : vulnérabilité de tout un chacun, susceptible de contracter la maladie, vulnérabilité des institutions médicales, scolaires, politiques et religieuses. Cette expérience de pandémie pousse à repenser la fragilité, et même à la voir comme un kairos, un moment propice pour faire théologie et exégèse autrement, avec une attention accrue à la fragilité constitutive de la vie humaine, mais aussi celle de l’environnement et des liens sociaux. D’emblée, des distinctions s’imposent : les termes « fragilité », « vulnérabilité », ou « faiblesse » ne sont pas synonymes. La vulnérabilité renvoie à une caractéristique ontologique de l’humain en même temps qu’il existe aussi des vulnérabilités circonstancielles ou contextuelles : elle consiste en cette capacité à se laisser toucher, atteindre par ce qui est hors de soi. Or, puisque les échanges avec le monde extérieur sont essentiels à toute vie, une certaine perméabilité à notre environnement se comprend comme constituant de notre humanité. Et cette perméabilité comporte des risques. La fragilité quant à elle renvoie précisément au risque d’être cassé, brisé. « La fragilité humaine peut être pensée comme une ligne de faille, une potentielle cassure non encore actualisée. » La fragilité se ressent plus fondamentalement comme une « violence » imposée, à la fois dans la crainte, dans l’expérience et dans la trace que laisse la fracture qui menace. La tradition judéo-chrétienne comporte plusieurs textes fondateurs qui invitent à la réflexion au sujet de la fragilité. Le grand Moïse naît dans un contexte d’oppression violente et risque la mort ; la vie de Job est littéralement « brisée » de maladie, de deuils et de souffrance ; les prophètes témoignent des « blessures » incessantes subies par le peuple de Dieu, par sa « bien-aimée ». De leur côté, les Évangiles racontent non seulement comment Jésus de Nazareth accorde une place importante à sa vulnérabilité, mais aussi (et peut-être surtout) quelle attitude il adopte face à la fragilité qu’il rencontre. Les récits décrivent son contact avec des personnes handicapées ou malades, des exclus et des marginaux. Il « ne brise pas le roseau froissé, n’éteint pas la mèche qui fume » (Mt 12,20), mais il n’hésite pas non plus à maudire le figuier sans fruits (Mc 11,14). Lui-même meurt de mort violente. Notre fragilité rencontre la fragilité divine. Sur la croix, Jésus crie son abandon ; il rend son souffle et passe par l’expression ultime de la fragilité : la mort. La fragilité appelle une guérison, une restauration. Elle appelle un salut. La tradition chrétienne ne saurait nier la complexité de ce qu’implique et engage la fragilité humaine. Elle invite à redécouvrir et à repenser nos fragilités. Ni la souffrance ni la fragilité n’apportent le salut. Ce sont des espaces de mort. Mais le mystère chrétien n’en finit jamais de nous bousculer et de nous provoquer : c’est justement au coeur de cette mort que s’ouvre un espace de salut. Seuls les malades peuvent guérir. Seuls les morts peuvent ressusciter. Paul le dit bien en affirmant : « C’est quand je suis faible …
LiminaireLa fragilité - dynamiques, postures et appels[Notice]
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Elaine Champagne
Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, QuébecSébastien Doane
Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Québec