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Le volume, dirigé par Marc-Antoine Gavray, publie pour la première fois ensemble six études d’Étienne Évrard, dont deux inédites, sur Jean Philopon. Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’oeuvre de Jean Philopon en 2007 et que je me suis mis à réunir la littérature secondaire pertinente, j’ai rapidement remarqué le nom d’Étienne Évrard et les titres intéressants de ses oeuvres qui traitent de l’univers philosophique philoponien. À mon premier enthousiasme a succédé immédiatement une certaine déception, lorsque j’ai pris conscience qu’une partie du travail effectué sur Philopon était toujours inédite et restait difficilement accessible. Nous sommes aujourd’hui redevables à Marc-Antoine Gavray qui a eu cette belle idée de rassembler les études inédites et publiées d’Évrard et de les présenter chronologiquement dans un même volume. Son effort profitera certainement au discours philosophique à venir sur Jean Philopon.
La première étude d’Évrard sur Jean Philopon fut son essai sur le premier livre du Contre Aristote de Philopon (mémoire de licence, Université de Liège), en 1942-1943. Cet essai n’avait jamais été publié et est aujourd’hui considéré par le directeur du volume comme perdu. Dix ans plus tard, Évrard revient à Philopon et publie son article « Les convictions religieuses de Jean Philopon et la date de son Commentaire aux Météorologiques » (1953). Quatre ans plus tard, il achève sa thèse de doctorat intitulée L’École d’Olympiodore et la composition du Commentaire à la Physique de Jean Philopon (1957) qu’il ne publiera jamais. Quelques années plus tard, il rassemble et traduit en français les fragments des livres I et II du Contre Aristote de Philopon (1961) proposant une reconstitution du texte grec original et de la structure générale de l’ouvrage. Évrard a également écrit un article sur le commentaire de Philopon sur l’Arithmétique de Nicomaque (« Jean Philopon, son Commentaire sur Nicomaque et ses rapports avec Ammonius [à propos d’un article récent] », 1965) par lequel il répond à un article de L.G. Westerink. Puis il met de côté l’étude de Philopon pendant vingt ans jusqu’à la publication de deux autres articles sur les points de vue de Philopon sur la création du monde, à savoir le « Philopon, la ténèbre originale et la création du monde » (1985) et le « Aristote, Philopon, Simplicius et Thomas d’Aquin sur l’éternité du monde » (1996).
La collection des études d’Évrard sur Philopon nous montre les deux intérêts qu’il nourrissait particulièrement : en premier lieu, la création et l’éternité du cosmos et ensuite, la physique à travers le prisme des convictions religieuses de Philopon. Les deux sujets étant finalement liés de façon intime, les travaux d’Évrard s’avèrent d’une grande importance pour l’étude de la cosmologie de Philopon au xxe siècle. Des études ultérieures — comme celles de Richard Sorabji, Christian Wildberg et Frans De Haas dans les années 1980-1990[1] — montrent que les études d’Évrard ont été centrales, dans la durée, dans les discussions philosophiques à propos de Philopon.
Jean Meyers évoque la méthode de travail particulière d’Évrard dans sa préface (p. 7-8), comme le fait Marc-Antoine Gavray dans son introduction au volume (p. 15-16). En effet, Évrard utilise une manière unique d’aborder les textes anciens : il compare de façon exhaustive la langue des passages et leur contenu philosophique pour obtenir une meilleure reconstitution d’oeuvres fragmentaires (comme le Contre Aristote) ou pour justifier l’ordre chronologique des oeuvres de Philopon ; il suit méticuleusement les intentions structurelles de Philopon dans la composition de ses commentaires expliquant, pour la première fois, le schéma particulier de la double exégèse appliquée par le commentateur (notamment dans son commentaire sur la Physique d’Aristote). Il a également été parmi les premiers érudits à avoir tenté de lire les traités théologiques de Philopon à la lumière de sa philosophie, offrant quelques remarques holistiques sur les questions dont traite le philosophe. De ce fait, le spécialiste moderne de Philopon qui lit ce volume bénéficie d’un double avantage : d’une part, il accède désormais à deux études inédites sur Philopon et, d’autre part, il peut parvenir à de nouvelles perspectives intéressantes grâce à la méthode caractéristique d’Évrard.
Marc-Antoine Gavray a tâché de reproduire ces six essais d’Évrard qui auraient dû poser à lui-même un certain nombre de questions sans réponse, comme par exemple l’ouvrage non peaufiné et incomplet sur le Contre Aristote de Philopon. Gavray devait également préparer un index locorum et un index nominum ainsi qu’une bibliographie pour l’ensemble des essais. De plus, Gavray procède à de nouvelles modifications rédactionnelles afin de moderniser l’aspect général des textes d’Évrard (citations, références aux textes anciens, éditions de textes plus récentes). Il a également anticipé que le lecteur pourrait vouloir accéder à la numérotation originale des pages et l’a conservée entre parenthèses. Gavray a aussi ajouté un tableau très utile (Table de correspondances, p. 333-334) à la fin de l’essai sur Contre Aristote indiquant les fragments du texte de Philopon apud Simplicium tels qu’on les trouve chez Évrard et Wildberg. En revanche, j’attendais, en tant que lecteur, une brève présentation de la position philosophique d’Évrard envers l’oeuvre de Philopon, comme certaines de ses principales revendications, dans l’introduction du volume. Je pense que cela compléterait un travail aussi minutieux qui rassemble et met en forme les études d’Évrard sur Jean Philopon. Le travail éditorial de Gavray est un fin travail qui ré-/introduit les écrits d’Évrard dans le xxie siècle, procédant avec un regard frais et contemporain.
Parties annexes
Note
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[1]
Richard Sorabji, dir., Philoponus and the Rejection of Aristotelian Science, London, Institute of Classical Studies, 20102 [1987] ; Christian Wildberg, trad., Philoponus. Against Aristotle on the Eternity of the World, London, Duckworth, 1987 ; Id., John Philoponus’ Criticism of Aristotle’s Theory of Aether, Berlin, New York, W. de Gruyter, 1988 ; Frans A.J. De Haas, John Philoponus’ New Definition of Prime Matter. Aspects of its Background in Neoplatonism and the Ancient Commentary Tradition, Leiden, New York, Köln, Brill, 1997.