Camille Riquier, spécialiste de Bergson et vice-recteur à la recherche de l’Institut Catholique de Paris, propose aux théologiens et philosophes de la religion un essai qui saura plaire à plusieurs. Il y développe un modèle historique de la modernité occidentale qui dessine les rapports multiples entre la foi et le doute. Il postule que ces rapports ont été variables depuis la Réforme protestante, cheminant jusqu’à notre époque, un siècle qui fait preuve d’une réelle « impuissance à croire » (p. 9), et ce, autant pour les athées que pour les croyants. Afin de développer ce modèle, qui se veut « une contribution à une économie athéologique » (p. 228), il adopte une méthodologie qui interpelle divers penseurs, qu’il présente comme des « réflecteurs » de leur temps. Dans l’introduction, Riquier présente ce qu’il entend par foi et doute. Pour l’enfant, la foi est naturellement inscrite dans sa naïveté et les adultes fondent pour lui un univers de croyances vraies. La crédulité l’emporte alors sur le questionnement qui remet en doute cette vérité de la croyance. En vieillissant, en oubliant l’enfant qu’il était, l’humain replace sa foi dans un doute qui réinterroge la vérité de sa croyance religieuse. Historiquement, la proximité de Dieu des temps anciens a fait place à son absence, accompagnée de la montée de la sécularisation et de l’athéisme. L’humain de notre époque est cet être qui, étranger à son coeur, a oublié son temps d’enfance et qui a mis sa foi en veilleuse, conduisant au constat de l’impossibilité de croire. Dans le premier chapitre, Riquier dresse le bilan de la situation de la foi à notre époque, où l’on parle largement du « retour du religieux » (p. 33) sans bien saisir ce que cela signifie. Cependant, cette situation rend bien le fait du désir de croire qui habite l’humain contemporain déchristianisé, voire athée, et vivant dans un monde globalisé aux croyances plurielles. C’est en distinguant trois sens au terme « croire » (créance, confiance et fidélité) que Riquier formule un cadre qui lui sert d’assise théorique tout au long de son essai. Ce sont ces trois sens de la croyance qui lui servent à explorer les rapports entre la foi et le doute depuis le xvie siècle. Ce xvie siècle, pour Riquier, était un siècle de crédulité. C’est à Montaigne qu’il se réfère afin de montrer qu’à cette époque, « l’athéisme n’était pas une option envisageable » (p. 47). Il s’agit d’un siècle qui alliait une foi faible (fondée sur la créance) à un doute faible. On pouvait y croire, par exemple, aux sortilèges et le merveilleux se mêlait au terrifiant, justifiant notamment les guerres de religion et des persécutions de toutes sortes (sorcières, anabaptistes, etc.). L’époque d’Érasme et de Rabelais, où l’imagination régnait sur des âmes simples et peu éduquées, faisait preuve d’une « grande crédulité et [d’]un savoir qui [était] hors de la portée des hommes » (p. 59). Pour le xviie siècle, où une foi forte et un doute radical se sont manifestés, Riquier s’en remet à la pensée de Descartes, qui est parvenu à maintenir en équilibre le croire et la raison en utilisant la raison pour éclairer la foi dans une démarche méthodique cherchant à prouver des certitudes. Descartes, en faisant preuve d’un doute systématique, n’a pas pour autant abandonné la foi. Au contraire, manifestant une foi à la hauteur de ce doute, il a développé les assises de certitudes s’alimentant au solide roc de la raison, fondant ainsi les bases de la physique et de la pensée moderne, et ce, en « gard[ant] la foi dans sa …
Camille Riquier, Nous ne savons plus croire. Paris, Perpignan, Groupe Elidia - Éditions Desclée de Brouwer, 2020, 240 p.[Notice]
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Raphaël Mathieu Legault-Laberge
Université de Sherbrooke