Résumés
Résumé
La préface auctoriale de la première édition allemande du Capital nous renseigne aujourd’hui sur les desseins de son auteur — Marx —, en plus de nous fournir de précieuses indications sur la manière dont ce dernier espérait être compris de ses lecteurs. Cette préface suggère une lecture du Capital qui n’est pas du tout celle que suggère la postface de la seconde édition de l’ouvrage, à laquelle la tradition commentatoriale s’est surtout intéressée jusqu’ici. Et pour cause : ces deux productions paratextuelles (Genette) assurent des fonctions littéraires différentes. Le commentaire linéaire que l’on s’apprête à lire porte sur les fonctions de la préface auctoriale de la première édition allemande du Capital, et sur la lecture qu’elle suggère de cet ouvrage, c’est-à-dire une lecture éthique.
Abstract
According to Gérard Genette, the chief function of an authorial preface is to ensure that the text is read properly. In other words, the purpose of the preface is to attract the reader’s attention and to steer him or her toward a particular understanding of the book. A preface, then, aims to get readers to read the book and often on certain terms, i.e., the author’s. As such, the authorial preface of Marx’s Capital (1867) is especially important — it allows us to understand how Marx himself hoped to be understood by his readers. Commentators, whether hostile or sympathetic, usually focus on the postface to the second edition of Marx’s work. We will instead focus on the preface to the first edition, as to uncover Marx’s immediate political aims and ethical concerns.
Corps de l’article
Introduction
Une oeuvre littéraire, nous rappelle Gérard Genette, consiste, exhaustivement ou essentiellement, en un texte. Mais ce texte se présente rarement à l’état nu, sans le renfort d’un certain nombre de productions, verbales ou non, dont nous ne savons pas toujours très bien si elles appartiennent au texte, mais qui l’entourent et le prolongent pour le présenter[1]. Cet accompagnement constitue le paratexte de l’oeuvre. Glissé entre le texte et le hors-texte, il constitue — Genette, toujours —, le « lieu privilégié d’une pragmatique et d’une stratégie, d’une action sur le public au service, bien ou mal compris et accompli, d’un meilleur accueil du texte et d’une lecture plus pertinente — plus pertinente, s’entend, aux yeux de l’auteur et de ses alliés[2] ».
Placé sous la responsabilité de l’éditeur, ou peut-être, plus abstraitement, mais plus exactement, de l’édition, c’est-à-dire du fait qu’un livre est édité, et éventuellement réédité, le paratexte éditorial ne possède pas le même intérêt herméneutique que le paratexte auctorial, qui doit assurer au texte un « sort conforme au dessein de l’auteur[3] ». Une préface auctoriale a d’ailleurs elle-même pour « fonction cardinale d’assurer au texte une bonne lecture[4] ».
I. La préface auctoriale de la première édition allemande du Capital
Rédigée à Londres, à la fin du mois de juillet 1867, la préface de la première édition allemande du Capital nous renseigne aujourd’hui sur la manière dont Marx espérait être compris de ses lecteurs. C’est ce (para)texte que nous tenterons ici de comprendre et de faire comprendre, en prenant soin de le placer en rapport avec le texte qu’il présente et qu’il annonce.
Le Capital tolère différentes interprétations, et Marx y poursuit différents objectifs[5]. Mais Marx était lui-même un homme de son temps et il partageait les préoccupations de ses contemporains[6]. Les débats intellectuels et politiques houleux auxquels il a historiquement pris part, et qui l’opposaient, en outre, aux représentants de l’École historique allemande d’économie politique, ne sont plus les nôtres[7]. La misère de la classe ouvrière anglaise, par exemple, qui occupait une place importante dans ces débats, ne nous émeut évidemment plus aujourd’hui comme elle émouvait Marx, ses lecteurs et ses interlocuteurs[8]. L’histoire fait et défait les épistémès ; elle fait et défait les polémiques. À titre d’éditeur des oeuvres de Marx, Maximilien Rubel a ainsi remanié les chapitres du Capital consacrés à la durée de la journée de travail (chap. X), à la mécanisation de la production (chap. XV) ou à la loi générale de l’accumulation capitaliste (chap. XXV), puisque ces chapitres étaient encombrés, selon lui, de « matériaux statistiques et descriptifs qui appartiennent, comme on le dit avec raison, à l’histoire[9] ». Or, ce sont justement ces chapitres-là que Marx annonce en préface de son livre. Comme l’avait d’ailleurs compris Rubel, le Capital est une « oeuvre scientifique au même titre qu’un message éthique. C’est un livre enfanté par la misère même qu’il analyse[10] ». Ce qu’il avait toutefois mal compris, c’est la fonction rhétorique (ou argumentative) de ces matériaux que Marx avait patiemment recueillis en Angleterre et ce qu’il espérait accomplir en les rapportant à ses lecteurs allemands. Tirés des enquêtes parlementaires anglaises (Blue Books), ces matériaux constituent-ils une « phénoménologie de la vie individuelle des travailleurs[11] » comme le croyait, par exemple, Michel Henry ? En partie, peut-être ; mais ils constituent d’abord un argument moral en faveur des pressantes réformes législatives que réclame Marx dans le Capital.
Car Marx espérait d’abord convaincre ses lecteurs de l’urgence qu’il y avait d’adopter une législation de fabrique, comme on l’avait fait en Angleterre trente-cinq ans plus tôt. C’est en tout cas ce que nous espérons démontrer au cours des pages suivantes, en explicitant un à un chacun des quatorze paragraphes [§ 1-14] qui composent la préface de la première édition allemande du Capital, sans pour autant ignorer les autres indications, les autres instructions ou les autres directives que Marx donne aux lecteurs dans ces pages irrémédiablement marquées par les vicissitudes de l’histoire. D’aucuns l’auront donc compris, ce commentaire linéaire a été conçu afin d’accompagner la lecture du texte de Marx et d’aider le lecteur à l’appréhender dans une perspective historique.
II. Premières indications [§ 1-3]
[§ 1-2] Le Capital paraît en septembre 1867 chez un petit éditeur — Meißner Verlag —, dont le catalogue était alors composé de belles-lettres, et non pas chez un éditeur scientifique de renom (Oldenbourg, Heymanns ou Nicolai Verlag, par exemple)[12]. Marx s’adresse d’emblée à ses lecteurs :
L’ouvrage dont je livre au public le premier volume forme la suite d’un écrit publié en 1859, sous le titre de [Zur Kritik der politischen Ökonomie]. Ce long intervalle entre les deux publications m’a été imposé par une maladie de plusieurs années. Afin de donner à ce livre un complément nécessaire, j’y ai fait entrer, en le résumant dans le premier chapitre l’écrit qui l’avait précédé. Il est vrai que j’ai cru devoir dans ce résumé modifier mon premier plan d’exposition. Un grand nombre de points d’abord simplement indiqués sont ici développés amplement, tandis que d’autres, complètement développés d’abord, ne sont plus qu’indiqués ici. L’histoire de la théorie de la valeur et de la monnaie, par exemple, a été écartée ; mais par contre le lecteur trouvera dans les notes du premier chapitre de nouvelles sources pour l’histoire de cette théorie[13].
Marx avait publiquement annoncé en 1859 son intention d’étudier les conditions d’existence économiques (ökonomischen Lebensbedingungen) des trois — pas deux ! — grandes classes (drei großen Klassen) qui composaient, selon lui, la société bourgeoise (bürgerliche Gesellschaft)[14]. Il a toutefois révisé v. 1862-1863 le plan d’exposition en six rubriques (Rubriken) qu’il avait initialement présenté à ses lecteurs[15]. Le Capital couvre ou présente ainsi à lui seul trois des six rubriques que Marx avait d’abord projeté d’étudier, c’est-à-dire le capital (Kapital), la propriété foncière (Grundeigentum) et le travail salarié (Lohnarbeit)[16]. Marx présente plus loin à ses lecteurs le plan d’exposition qu’il a finalement adopté [§ 13].
[§ 3] Il leur sert entretemps un adage populaire, alors bien connu, afin de les inciter ou de les encourager à lire son livre en entier — tout est toujours difficile au début, leur dit-il prosaïquement (aller Anfang ist schwer)[17]. Marx savait que ses lecteurs allemands auraient du mal à accepter une démonstration dialectique — logique, s’entend —, puisqu’on les avait habitués aux seules démonstrations historiques au cours des décennies précédentes[18]. Le premier chapitre du Capital, concède-t-il ainsi, est d’une « intelligence un peu difficile[19] ». Pour cause — Marx y a fait rentrer son ouvrage précédent, qui était presque entièrement consacré à la théorie ricardienne de la valeur et de la monnaie, dont ses lecteurs ignoraient à peu près tout[20]. Il s’empresse néanmoins d’ajouter qu’il a rendu « aussi clair que possible et accessible à tous les lecteurs[21] » l’analyse des deux facteurs de la marchandise, à savoir la valeur d’usage (Gebrauchswert) et la valeur d’échange (Tauschwert) ou la valeur proprement dite (Wert). Voyant qu’un ami à qui il avait montré les épreuves du Capital quelques semaines plus tôt — Ludwig Kugelmann — n’avait rien compris à cette analyse, il avait en effet rédigé à la hâte, entre le 17 et le 22 juin 1867, un texte didactique consacré à la forme de la valeur réalisée dans la forme monnaie — la valeur d’échange —, qu’il a ensuite fait placer en annexe de son livre, tout juste avant sa publication[22]. Marx avait initialement rédigé son analyse de la forme de la valeur dans un style ricardien en 1865, alors qu’il s’adressait à un public anglais[23]. Suivant une suggestion expresse de Friedrich Engels, il a reformulé cette analyse dans le style didactique qu’employait Hegel dans ses propres ouvrages[24]. Il a ainsi composé une série de courts paragraphes logico-mathématiques, qu’il a numérotés (§ 1, § 2, § 3…) ou identifiés à l’aide de caractères grecs (α, β, γ…) et qu’il a ensuite coiffés de titres aux fortes intonations spéculatives[25]. Connu des seuls lecteurs allemands (ou germanophones) de la première édition du Capital, ce texte semble ainsi tout droit tiré de l’Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften im Grundrisse de Hegel (1817)[26]. C’est dans ce texte didactique que Marx a coqueté avec la manière particulière qu’avait Hegel de s’exprimer, comme il le dira lui-même quelques années plus tard : « […] kokettierte sogar hier und da im Kapitel über die Werththeorie mit der ihm eigentümlichen Ausdrucksweise[27] ». Les lecteurs de la première édition du Capital étaient donc maladroitement invités à interrompre leur lecture du premier chapitre pour lire ce texte placé en annexe, et à reprendre par la suite leur lecture du premier chapitre là où ils l’avaient interrompu[28]. Ce double exposé (doppelte Darstellung) de la forme de la valeur était un pis-aller, dont Marx ne pouvait évidemment pas se satisfaire. De fait, il l’a retranché de la seconde édition du Capital (1872) pour l’intégrer au premier chapitre. Marx évoque cet épisode dans la postface de cette seconde édition, mais pas ici ; il affirme plutôt ici que la rédaction d’un texte didactique consacré à la forme de la valeur lui avait paru nécessaire puisqu’un rival — Ferdinand Lassalle — avait dénaturé les idées qu’il avait d’abord exposées en 1847, lors d’une conférence prononcée devant l’Association des ouvriers allemands de Bruxelles, et dont le texte avait été reproduit deux ans plus tard dans la Neue Rheinische Zeitung[29].
III. La valeur et la monnaie [§ 4-6]
[§ 4] C’est à la « forme de la valeur réalisée dans la forme monnaie[30] » que s’intéresse Marx dans le premier chapitre du Capital. Les marchandises, incluant la monnaie — l’or —, viennent au monde, selon Marx, sous la forme de valeurs d’usage ou de matières marchandes (fer, toile, laine, etc.). C’est là leur forme naturelle (Naturalform). Mais elles ne sont marchandises que parce qu’elles sont deux choses à la fois, objets d’utilité et porte-valeur. En fait, elles ne peuvent entrer en circulation qu’autant qu’elles se présentent sous une double forme, leur forme de nature et leur forme de valeur[31]. « Chacun sait, poursuit Marx, lors même qu’il ne sait rien autre chose, que les marchandises possèdent une forme valeur particulière qui contraste de la manière la plus éclatante avec leurs formes naturelles diverses, la forme monnaie[32] ». C’est ainsi que Marx se propose de faire dans le Capital ce que l’économie bourgeoise n’aurait jamais fait, à savoir exposer la genèse de la forme monnaie (Genesis dieser Geldform[33]). Afin de pallier cette lacune, Marx développe dans son livre « l’expression de la valeur contenue dans le rapport de valeur des marchandises depuis son ébauche la plus simple, jusqu’à cette forme monnaie qui saute aux yeux de tout le monde[34] ». La théorie marxienne de la valeur, il faut insister, est une théorie monétaire, comme l’ont notamment compris Heinrich[35] ou Backhaus[36]. De son propre aveu, Marx espérait en effet résoudre « l’énigme de la monnaie[37] » dans le Capital, en y montrant, avec un luxe de détails théoriques et historiques, que l’or, c’est-à-dire l’équivalent universel, ne possédait pas de valeur in propria persona[38]. L’affaire était d’une actualité brûlante à cette époque, puisque les États adoptaient alors un à un l’étalon-or. Marx n’avait donc pas à s’expliquer ni à se justifier. Il se borne d’ailleurs à constater dans ce passage que la « forme de la valeur réalisée dans la forme monnaie est quelque chose de très simple. Cependant l’esprit humain a vainement cherché depuis plus de deux milles ans à en pénétrer le secret, tandis qu’il est parvenu à analyser, du moins approximativement, des formes bien plus complexes et cachant un sens plus profond. Pourquoi[39] ? » La réponse qu’il offre à cette question oratoire est difficilement compréhensible aujourd’hui, puisque nous ignorons tout, ou presque, de la méthode historique et physiologique (Historisch-physiologische Methode) de l’École historique allemande d’économie politique. Marx détourne à son avantage un texte programmatique, originellement publié en 1843 par le fondateur de l’École historique allemande d’économie politique — Wilhelm Roscher —, et qui était alors familier à la majorité de ses lecteurs[40]. On ne va pas de la forme monnaie à la forme de la valeur, leur dit-il en somme, mais bien plutôt de la forme de la valeur à la forme monnaie. La tradition commentatoriale s’est beaucoup intéressée au vocabulaire aristotélicien qu’emploie Marx dans ce passage — forme, substance, matière, etc. —, ou ailleurs dans le Capital, mais tous les économistes allemands employaient ce vocabulaire au milieu du xixe siècle[41]. L’emploi qu’en fait Marx n’a en soi rien de particulier. Il préfigure simplement ici le contenu du premier chapitre du Capital, où Aristote apparaît comme ce « grand penseur qui a analysé le premier la forme valeur[42] ».
[§ 5] Préoccupé par la réaction de Kugelmann, qui n’avait rien compris à sa propre analyse de la forme de la valeur, Marx rassure d’emblée ses lecteurs potentiels : « […] à part ce qui regarde la forme de la valeur, leur dit-il, la lecture de ce livre ne présentera pas de difficultés Je suppose naturellement des lecteurs qui veulent apprendre quelque chose de neuf et par conséquent aussi penser par eux-mêmes[43] ». Comme Kant lui-même, Marx enjoint à ses lecteurs d’abandonner leurs préjugés (Vorurteile) et d’utiliser leur propre raison (Vernunft)[44]. Cette invitation s’adresse aux économistes allemands, qui rejetaient alors dogmatiquement l’économie politique ricardienne[45].
[§ 6] Car Marx s’inscrit en faux par rapport aux économistes allemands, qui croyaient que l’organon de l’économie politique devait consister dans les résultats de monographies historiques et dans les généralisations qu’on en tirait[46]. Le Capital, s’explique donc Marx, expose le « mode de production capitaliste et les rapports de production et d’échange qui lui correspondent[47] ». L’Angleterre, poursuit-il, est « le lieu classique de cette production. Voilà pourquoi j’emprunte à ce pays les faits et les exemples principaux qui servent d’illustration au développement de mes théories[48] ». Cette formule méthodologique est bien connue de la tradition commentatoriale, qui n’en a toutefois pas toujours pris la juste mesure. La tradition ignore d’ailleurs que Marx répète ici mot à mot ce que Engels a écrit vingt ans plus tôt dans Die Lage der arbeitenden Klasse in England (1844). Il suffit pour s’en convaincre de (re)lire les premières pages de cet ouvrage à demi oublié, dans lequel Engels a d’abord exposé à ses lecteurs allemands les conditions de vie abjectes des ouvriers anglais ; en fait, Marx ressert dans le Capital l’avertissement qu’Engels avait lui-même servi aux autorités prussiennes — un sort terrible guette les ouvriers allemands[49]. Mais voilà, Marx ne cite pas Engels ; non, c’est plutôt Horace qu’il cite, afin d’alerter ceux qui se permettraient, en lisant son livre, un « mouvement d’épaules pharisaïque à propos de l’état des ouvriers anglais, industriels et agricoles, ou qui se ber[cent] de l’idée optimiste que les choses sont loin d’aller aussi mal en Allemagne[50] ». Passant savamment au latin, il rapporte un vers des Satires, dans lequel un poète tourne en dérision un thésauriseur, avant de faire volte-face et de demander à son interlocuteur amusé : « […] tu ris ? Change le nom ; sa fable est ton histoire (quid rides ? mutato nomine de te fabula narratur)[51] ». Nous avons là l’idée directrice du Capital, qui place un argument téléologique au service de pressantes revendications politiques. Ce qui s’est produit en Angleterre est appelé à se produire en Allemagne, martèle Marx, et, si rien n’est fait, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants de la classe ouvrière y pâtiront, à leur tour, du développement du mode capitaliste de production[52].
IV. Les revendications de Marx [§ 7-12]
[§ 7] Marx a presque toujours considéré l’Angleterre comme le démiurge (δημιουργός) du cosmos bourgeois[53]. Il se défend toutefois d’établir dans le Capital des parallèles historiques (Parallelismenbildung) entre les différents États européens, afin de mesurer leur développement respectif, comme on le faisait alors couramment en Allemagne : « […] il ne s’agit point ici du développement plus ou moins complet des antagonismes sociaux qu’engendrent les lois naturelles (Naturgesetz) de la production capitaliste, mais de ces lois elles-mêmes, des tendances qui se manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer[54] ». Nous verrons plus loin quelles sont au juste ces lois (§ 11). Retenons plutôt ici que la démarche de Marx tenait, à sa face même, de la métaphysique pour les représentants de l’École historique allemande d’économie politique — Bruno Hildebrand, par exemple —, qui contestaient ou niaient l’existence de ces lois naturelles (Naturgesetze) que Marx, lui, prétendait au contraire étudier[55]. Selon Marx, donc, l’État anglais montre téléologiquement aux États qui le « suivent sur l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir[56] ». Marx ne voulait évidemment pas dire par là que les institutions juridico-politiques (juristischer und politischer Überbau) de l’Allemagne en viendraient à ressembler extérieurement à celles de l’Angleterre, mais il était persuadé que l’État allemand, qui était encore un État féodal, en viendrait, lui aussi, à prendre la forme d’un État bourgeois, au rythme de l’inexorable développement historique de sa base économique (ökonomische Struktur)[57]. C’est d’ailleurs là où il en vient dans le troisième livre du Capital, où il affirme que la forme économique spécifique, dans laquelle du surtravail non payé est extorqué aux producteurs directs, détermine le système de domination et de servitude (das Herrschafts- und Knechtschaftsverhältniß) tel qu’il résulte directement de la production ; c’est sur ce fondement, dit-il, que repose la superstructure juridico-politique de la société. Selon Marx, en effet, c’est toujours dans les rapports immédiats entre les propriétaires des conditions de production et les producteurs directs qu’il faut chercher le secret le plus intime (innerste Geheimniß) de toute la structure sociale, ainsi que de la forme politique des rapports de souveraineté et de dépendance (und daher auch der politischen Form des Souveränitäts- und Abhängigkeitsverhältnisses), bref de la forme de l’État à une époque donnée[58]. Une même base économique (ökonomische Basis) peut présenter des variations et des nuances infinies (unendliche Variationen und Abstufungen), sous l’influence de conditions empiriques contingentes, comme le reconnaît Marx, lui qui a délibérément construit une moyenne idéale (idealen Durchschnitt) à partir de l’exemple anglais, afin d’exposer l’organisation interne du mode capitaliste de production (die innere Organisation der kapitalistischen Produktionsweise)[59].
[§ 8] Persuadé que l’Allemagne entamait formellement son passage du féodalisme au capitalisme, Marx interpelle ses compatriotes : « […] chez nous — en Prusse, s’entend —, là où la production capitaliste a pris pied, par exemple dans les fabriques proprement dites, l’état des choses est de beaucoup plus mauvais qu’en Angleterre, parce que le contrepoids des lois anglaises fait défaut[60] ». Il s’agit ici d’un point décisif, qui nous renseigne sur ce que Marx espérait accomplir en publiant son ouvrage. À la différence de la plupart de ses lecteurs, il savait que la situation des ouvriers allemands se détériorait rapidement. Alors qu’ils travaillaient 12 ou 13 heures par jour au milieu du xviiie siècle, ils en travaillaient désormais 14 ou 15, voire plus encore[61]. La journée de travail n’en finissait plus. Les autorités prussiennes toléraient des choses que ne toléraient plus les autorités anglaises. L’ouvrier de l’industrie anglaise du coton — l’industrie modèle du pays —, écrit ainsi Marx, est à tout point de vue dans une situation supérieure à celle de son compagnon de misère sur le continent : « […] en Prusse, l’ouvrier de fabrique travaille au moins 10 heures de plus par semaine que son rival anglais et quand il travaille chez lui sur son propre métier, cette limitation même de ses heures de travail supplémentaires s’évanouit[62] ». En raison même de la paucité des sources allemandes, Marx cite dans le Capital le rapport d’un fonctionnaire anglais — Alexander Redgrave —, afin d’instruire ses propres lecteurs sur ce qui se passait réellement dans les fabriques de la Prusse[63]. Pis encore, renchérit-il en préface de son livre, où il dénonce à demi-mot l’absolutisme prussien : « […] nous endurons en Allemagne une longue série de maux héréditaires provenant de la végétation continue de modes de production qui ont vécu, avec la suite des rapports politiques et sociaux à contretemps qu’ils engendrent[64] ». Le « mort saisi le vif ! » s’exaspère-t-il devant la vétusté des institutions féodales allemandes[65]. Cette ancienne maxime française était employée au Moyen Âge en matière de dévolution successorale, pour rappeler que la saisine des biens et des droits du défunt est acquise au jour même de la mort à son héritier[66]. Marx l’emploie de manière métaphorique. Les ouvriers allemands, dit-il en clair, souffrent à la fois du développement du mode capitaliste de production et de la survivance de la vieille propriété (überlieferter Eigentumsverhältnisse) féodale, qui permet, en outre, aux propriétaires fonciers (Junkers) de s’enrichir sans travailler et de se maintenir indûment au pouvoir[67]. Il aborde plus loin cette question, en conclusion de la préface, après avoir discuté de la paucité des sources allemandes.
[§ 9] En fait, Marx répète mot pour mot ce que Engels a dit à ce sujet vingt ans plus tôt[68]. Les sources allemandes sont médiocres comparées aux sources anglaises, elles ne rendent pas compte de ce que les ouvriers sont contraints d’endurer dans les fabriques de Prusse[69]. Aussi Marx réclame-t-il à son tour l’établissement de commissions d’études périodiques sur la situation économique de l’Allemagne :
Nous serions effrayés de l’état des choses chez nous, si nos gouvernements et nos parlements établissaient, comme en Angleterre, des commissions d’études périodiques sur la situation économique ; si ces commissions étaient, comme en Angleterre, armées de pleins pouvoirs pour la recherche de la vérité ; si nous réussissions à trouver pour cette haute fonction des hommes aussi experts, aussi impartiaux, aussi rigides et désintéressés que les inspecteurs de fabriques de la Grande-Bretagne, que ses reporters sur la santé publique (Public Health), que ses commissaires d’instruction sur l’exploitation des femmes et des enfants, sur les conditions de logement et de nourriture, etc.[70]
La législation de fabrique (Factory Act) à laquelle Marx fait allusion ici a été adoptée en 1833, peu de temps après l’entrée en vigueur du Reform Bill, une loi électorale qui visait, comme le résume Hegel, à instaurer une plus grande justice et une plus grande équité (Gerechtigkeit und Billigkeit) dans la participation des différentes classes de la société à l’élection des membres du Parlement[71]. Arrachée à la bourgeoisie, la législation de fabrique de 1833 stipule que la journée de travail normale ne devait pas débuter avant 5 h 30 et s’achever après 20 h 30. Elle introduit en outre une première réglementation du travail des enfants dans l’industrie textile — elle interdit le travail de nuit pour les travailleurs de moins de 18 ans, limite la journée de travail à 12 heures pour les enfants de 14 à 18 ans, et à 8 heures pour ceux entre 9 et 13 ans, et, enfin, elle interdit d’employer des enfants de moins de 9 ans. Cette législation, qui limite la durée de la journée de travail normale, constitue, selon Marx, la « première réaction consciente et méthodique de la société contre son propre organisme tel que l’a fait le mouvement spontané de la production capitaliste[72] ». Il lui consacre ainsi de nombreuses pages dans le Capital, en plus d’y condamner la « résistance fanatique[73] » que les maîtres fabricants anglais y ont opposée. C’est que le contrat synallagmatique — le contrat de travail — renferme, selon lui, une antinomie : d’une part, le capitaliste soutient dûment son droit comme acheteur lorsqu’il cherche à prolonger la journée de travail aussi longtemps que possible ; d’autre part, la nature particulière de la force de travail exige que sa consommation par l’acheteur ne soit pas illimitée, et le travailleur soutient dûment son droit à lui, comme vendeur, lorsqu’il veut restreindre la journée de travail à une durée normalement déterminée. Entre deux droits égaux qui décide, demande Marx ? La force, répond-il sans hésiter. Aussi la réglementation de la journée de travail se présente-t-elle dans « l’histoire de la production capitaliste comme une lutte séculaire pour les limites de la journée de travail, lutte entre le capitaliste, c’est-à-dire la classe capitaliste, et le travailleur, c’est-à-dire la classe ouvrière[74] ». La législation de fabrique de 1833 était, selon Marx, un véritable triomphe pour la classe ouvrière anglaise[75]. En plus de limiter la durée de la journée de travail, la législation a mis en place un tout premier corps indépendant d’inspecteurs chargés de l’application de la loi[76]. Ces inspecteurs apparaissent dans le Capital comme les représentants de cette classe universelle (allgemeine Stand), dont Hegel disait qu’elle était chargée des intérêts généraux de la société (allgemeinen Interessen des gesellschaftlichen)[77]. Marx encense d’ailleurs nommément l’un d’entre eux — Leonard Horner. M. Horner, écrit Marx, a acquis des « droits immortels à la reconnaissance de la classe ouvrière anglaise[78] ». Cet incorruptible fonctionnaire anglais a mené un « long combat non seulement contre les fabricants exaspérés, insiste-t-il, mais encore contre les ministres qui trouvaient infiniment plus important de compter “les voix” des maîtres fabricants dans la Chambre des communes que les heures de travail des “bras” dans la fabrique[79] ». Marx fait dans le Capital un usage argumentatif, voire polémique, extrêmement important des rapports qu’ont tour à tour rédigés Horner et ses collègues, afin de prévenir ses lecteurs du sort qui guettait maintenant les ouvriers allemands, ou qui les avait peut-être déjà frappés, là où la production capitaliste a déjà pris pied.
[§ 10] Il ne faut pas se faire d’illusion, insiste Marx donc, ce qui s’est produit en Angleterre est appelé à se produire en Allemagne : « […] de même que la guerre de l’indépendance américaine au dix-huitième siècle a sonné́ la cloche d’alarme pour la classe moyenne en Europe, de même la guerre civile américaine au dix-neuvième siècle a sonné le tocsin pour la classe ouvrière européenne[80] ». Marx considérait en effet la Révolution américaine comme une sorte de prélude à la Révolution française, qui, autrement large, avait marqué le triomphe historique de la propriété bourgeoise (bürgerlichen Eigentums) sur la propriété féodale, du sentiment national sur le provincialisme, de la concurrence sur le corporatisme, du partage sur le majorat, des Lumières (Aufklärung) sur la superstition, de la famille sur le nom, de l’industrie sur la paresse héroïque, du droit bourgeois sur les privilèges moyenâgeux, etc.[81] La fin de la guerre civile américaine, qui opposait, selon Marx, une société féodale, dominée par les propriétaires fonciers, à une authentique société industrielle, allait enfin permettre à la classe ouvrière européenne de rejoindre la classe ouvrière anglaise sur la scène historique mondiale[82]. Publiquement impliqué dans les débats intellectuels et politiques de son temps, Marx a beaucoup écrit sur la guerre civile américaine, dont il a suivi le déroulement avec attention, voire avec effroi[83]. Et pour cause — le monde n’avait encore jamais connu une pareille montée de violence[84]. En plus de coûter la vie à quelque 700 000 soldats et à plus de 50 000 civils à travers les États-Unis, la guerre a entraîné l’interruption soudaine des exportations américaines de coton en balles vers le Lancashire. La disette de coton du Lancashire (Lancashire Cotton Famine) allait elle-même condamner au chômage ou au surmenage, selon le cas, quelque 400 000 tisserands anglais. La guerre civile américaine a ainsi engendré au Lancashire un paupérisme affreux, que Marx n’hésitait pas à comparer à celui qu’avait connu l’Irlande vingt ans plus tôt[85]. « Mais quelque chose d’encore plus affreux, précise-t-il dans le Capital, c’est la manière dont les changements dans les procédés de production s’effectuaient aux dépens de l’ouvrier. C’étaient de véritables expériences in corpore vili, comme celles des vivisecteurs sur les grenouilles et autres animaux à expériences[86] ». Les maîtres fabricants profitèrent en effet de la disette pour imposer aux tisserands surnuméraires des conditions de travail proprement inhumaines, pour leur arracher des concessions salariales ou pour allonger encore davantage la journée de travail[87]. Affamés, terrifiés et placés directement en compétition les uns contre les autres, les tisserands eurent beaucoup mal à leur résister, en dépit des lois qu’on avait adoptées en leur faveur. Ce gâchis ne profita d’ailleurs pas aux maîtres fabricants, qui dilapidèrent plutôt prématurément la force de travail des ouvriers. Comme le montre Marx dans son livre, la valeur de la force de travail (Arbeitskraft) comprend la valeur des marchandises sans lesquelles la reproduction du salarié ou la propagation de sa classe seraient impossibles. Si la prolongation contre nature de la journée de travail, à laquelle aspire nécessairement le capital en raison de son penchant démesuré à se faire valoir toujours davantage, raccourcit la période vitale des ouvriers, et par suite la durée de leurs forces de travail, la compensation des forces usées doit être nécessairement plus rapide, et en même temps la somme des frais qu’exige leur reproduction plus considérable, de même que pour une machine la portion de valeur qui doit être reproduite chaque jour est d’autant plus grande que la machine s’use plus vite : « […] il semblerait en conséquence que l’intérêt même du capital réclame de lui une journée de travail normale[88] ». En d’autres termes, la limitation de la journée de travail sert les intérêts de la bourgeoisie, et non pas uniquement ceux des ouvriers. C’est ça que Marx annonce en préface de son livre :
Abstraction faite de motifs plus élevés, leur propre intérêt commande donc aux classes régnantes actuelles d’écarter tous les obstacles légaux qui peuvent gêner le développement de la classe ouvrière. C’est en vue de ce but que j’ai accordé dans ce volume une place si importante à l’histoire, au contenu et aux résultats de la législation anglaise sur les grandes fabriques. Une nation peut et doit tirer un enseignement de l’histoire d’une autre nation[89].
Comme l’écrit si justement Rubel, l’adhésion de Marx à la cause ouvrière est historiquement antérieure à la justification scientifique de cette adhésion : « […] elle est le fruit d’une décision éthique et non de la critique de l’économie politique. L’étude de l’évolution intellectuelle de Marx apporte la démonstration irréfutable de ce fait décisif pour la compréhension de toute son oeuvre[90] ». Que nous partagions ou non l’avis de Rubel, ou que nous le partagions en partie seulement — nous le partageons entièrement —, l’histoire elle-même nous montre que la situation de la classe ouvrière en Angleterre horrifiait les observateurs du xixe siècle. Comme Engels, Marx lui-même bouillait d’indignation devant toute cette misère. Mais rien ne nous émeut moins que ce qui nous émouvait hier, et il peut parfois être difficile d’accepter que Marx, à titre d’auteur, ait pu être animé par un sentiment éthique, et non pas, disons, par le désir de remettre Hegel sur ses pieds, ou par celui d’avoir raison sur lui, et qu’il ait effectivement pu chercher à influencer les hommes politiques de son temps. Les passages du Capital rédigé d’après les rapports anglais ont trait à une situation de fait, regrette ainsi Michel Henry ; loin de pouvoir en rendre compte, ils en seraient la simple description et ils la présupposeraient. Leur présence révélerait, selon Henry, une facticité, à savoir l’idéologie à la lumière de laquelle ces rapports ont initialement été rédigés, à la lumière de laquelle Marx lui-même reçut leur enseignement pour l’inclure dans son ouvrage. La structure littéraire déroutante du Capital s’explique par un constat historique, conclut Henry, et non par une analyse conceptuelle : « […] théoriquement, le Capital est un livre incohérent[91] ». Comme tant d’autres, Henry, nous le voyons, peine à comprendre ce que Marx espérait surtout accomplir — pas uniquement, mais surtout — en publiant son livre, c’est-à-dire convaincre ses lecteurs de l’urgence qu’il y avait d’adopter une législation de fabrique, et éviter par là des souffrances inutiles à des millions d’hommes, de femmes et d’enfants de la classe ouvrière allemande. Car le « capital, s’indigne-t-il, ne s’inquiète point de la santé et de la durée de la vie du travailleur, s’il n’y est pas contraint par la société[92] ». La révolution industrielle avait déjà réduit à rien, ou à presque rien, les ouvriers anglais au moment où Kant enjoignait à ses contemporains de toujours traiter l’humanité comme fin et jamais simplement comme moyen[93]. Mais voilà que les ouvriers allemands étaient menacés à leur tour par le développement du mode capitaliste de production. Car l’interruption des exportations américaines de coton en balles entre 1861 et 1865 a eu de graves conséquences économiques sur le continent — chômage, surmenage, réduction des salaires, concentration de la production, mécanisation, prolongement de la journée de travail, etc.[94] En somme, la guerre civile américaine accélérait ou confirmait le passage de l’Allemagne du féodalisme au capitalisme alors que Marx achevait la rédaction de son livre. Il est impossible d’échapper à l’histoire, écrit ainsi Marx, mais, à l’instar de l’Angleterre, la Prusse doit adopter une législation de fabrique sans tarder plus tarder : « […] lors même qu’une société est arrivée à découvrir la piste de la loi naturelle qui préside à son mouvement — et le but final de cet ouvrage est de dévoiler la loi économique du mouvement de la société moderne —, elle ne peut ni dépasser d’un saut ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel ; mais elle peut abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement[95] ». Une nation (l’Allemagne) peut et doit tirer un enseignement de l’histoire d’une autre nation (l’Angleterre), qui a mis trop de temps à adopter des lois en faveur de la classe ouvrière.
[§ 11] Marx enchaîne justement avec quelques mots sur les classes sociales. David Ricardo fut, selon lui, le premier économiste à délibérément faire de « l’antagonisme des intérêts de classe, de l’opposition entre salaire et profit, profit et rente, le point de départ de ses recherches[96] ». Comme l’a d’abord montré Ricardo, en effet, le produit de la terre, c’est-à-dire tout ce que l’on retire de sa surface par l’utilisation conjointe du travail, des machines et du capital, est subséquemment réparti entre les trois grandes classes de la société — les propriétaires fonciers (proprietor of the land), les détenteurs du fonds ou du capital nécessaire à son exploitation (owner of the stock or capital necessary for its cultivation), et les ouvriers qui la cultivent (labourers by whose industry it is cultivated)[97]. Chacune de ces trois classes, dit Ricardo, obtiendra au détriment des autres une part aliquote de la production nationale sous la forme de rente (rent), de profit (profit) ou de salaire (wages). Déterminer les lois qui gouvernent cette répartition constitue donc le principal problème (principal problem) de l’économie politique[98]. C’est à ces lois que Marx a fait allusion plus tôt, et qui se manifesteraient et se réaliseraient, selon lui, avec une nécessité de fer (§ 7). Pour parler comme Collingwood, le Capital est la réponse que Marx a donnée au principal problème de l’économie politique[99]. C’est d’ailleurs pourquoi il a décrit le Capital, en privé, comme le plus terrible missile (furchtbarste Missile) jamais lancé aux bourgeois (Bürgern) et aux propriétaires fonciers (Grundeigenthümer) allemands[100]. Mais Marx savait d’expérience que son livre serait mis à l’index par la censure s’il s’en prenait publiquement à eux — il était plus prudent de s’en prendre aux bourgeois et aux propriétaires fonciers anglais, dont on était d’ailleurs déjà convaincu en Allemagne qu’ils étaient cupides. Marx se défend néanmoins contre les accusations qui auraient pu être déposées contre lui en Allemagne :
Pour éviter des malentendus possibles, encore un mot. Je n’ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes, qu’autant qu’elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d’intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue, d’après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu’il puisse faire pour s’en dégager[101].
La durée de la journée de travail, par exemple, ne dépend pas simplement de la bonne ou de la mauvaise volonté d’un capitaliste individuel, comme le savait Marx : « […] la libre concurrence impose aux capitalistes les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes[102] ». L’État doit conséquemment légiférer, redit-il en somme Marx à ses lecteurs — il doit limiter la durée de la journée de travail, interdire le travail des enfants, établir le taux minimum du salaire, etc. Ces choses ne peuvent pas être abandonnées à la société civile, où luttent entre elles les trois grandes classes qui composent la société bourgeoise. Comme le souligne par ailleurs Rubel, ce passage résolument déterministe de la préface du Capital rappelle l’Éthique de Spinoza, que le jeune Marx avait beaucoup fréquenté dans ses années universitaires[103].
[§ 12] Marx ne se présente pas pour autant comme un éthicien ou un moraliste, mais comme un scientifique désintéressé, ce qu’il n’a jamais été. « Sur le terrain de l’économie politique déplore-t-il ainsi, la libre et scientifique recherche rencontre bien plus d’ennemis que dans ses autres champs d’exploration. La nature particulière du sujet qu’elle traite soulève contre elle et amène sur le champ de bataille les passions les plus vives, les plus mesquines et les plus haïssables du coeur humain, toutes les Furies de l’intérêt privé[104] ». Dit autrement, on y rencontre les trois déesses infernales que Dante Alighieri a d’abord rencontrées à Dité, la ville intérieure de l’Enfer, où sont punis les péchés commis par malice, et non pas par erreur ou par maladresse — Mégère, Tisiphone et Alecto[105]. C’est donc sous le couvert de la science que Marx dénonce le maintien de la vieille propriété féodale en Prusse. Irrévérencieux, mais prudent, il préfère par ailleurs s’en prendre à l’Église anglicane qu’à l’Église luthérienne, que le roi Friedrich Wilhelm III avait élevée au rang d’Église d’État quelques années plus tôt[106]. L’Église anglicane, ironise-t-il par conséquent, pardonnera bien plus facilement une « attaque contre trente-huit de ses trente-neuf articles de foi que contre un trente-neuvième de ses revenus[107] ». C’est l’Église allemande, qui est visée. Mais peut-être Marx songeait-il, en écrivant ces mots, à l’économiste Thomas Malthus, ce prêtre anglican qui s’était fait l’avocat des propriétaires fonciers anglais au début du xixe siècle et dont Roscher et ses consorts diffusaient désormais les idées en Allemagne ; comparé à la « critique de la vieille propriété (Eigentumsverhältnisse), en tout cas, l’athéisme est aujourd’hui une culpa levis[108] ». Or, c’est justement cette vieille propriété qui entrave le développement historique du mode capitaliste de production en Allemagne, comme elle l’avait d’ailleurs longtemps entravée dans le sud des États-Unis d’Amérique. Marx évoque alors deux sources de langue anglaise, publiées quelques semaines plus tôt, et qui prouveraient, selon lui, que la vieille propriété féodale était alors sur le point d’être définitivement abolie. Il évoque tout d’abord un livre bleu (Blue Book), dans lequel le secrétaire d’État des Affaires étrangères (Secretary of State for Foreign Affairs) d’alors, Lord Edward Henry Stanley, met ouvertement en garde le Parlement anglais contre l’essor industriel imminent des rivaux continentaux de l’Angleterre, a fortiori l’Allemagne[109]. Il évoque ensuite une allocution que le président pro tempore du Sénat américain, Benjamin Wade, a prononcée en Ohio, le 10 juin 1867, et sur laquelle un correspondant — Friedrich Adolph Sorge — avait attiré son attention quelques jours plus tard[110]. Comme le résume Marx, Wade a annoncé son intention de réformer en profondeur la propriété foncière aux États-Unis, maintenant que l’esclavage y avait enfin été aboli. Ce sont là des « signes (Zeichen) du temps, dit Marx, que ni manteaux de pourpre ni soutanes noires (Purpurmäntel oder schwarze Kutten) ne peuvent cacher. Ils ne signifient point que demain des miracles (Wunder) vont s’accomplir. Ils montrent que même dans les classes sociales régnantes, le pressentiment commence à poindre, que la société actuelle, bien loin d’être un cristal solide, est un organisme susceptible de changement et toujours en voie de transformation[111] ». Marx paraphrase ici la lettre que lui a fait parvenir Sorge, qui lui-même y paraphrasait un passage de la Bible, dans lequel le Christ dénonçait l’incrédulité de ceux qui exigeaient de lui des signes et des miracles prodigieux en échange de leur foi (« Und Jesus sprach zu ihm : Wenn ihr nicht Zeichen und Wunder seht, so glaubet ihr nicht », Johannes 4:48). Cela dit, Marx a également glissé dans ce passage un vers du poète Nikolaus Lenau (« […] Purpurmäntel oder schwarze Kutten […] »), qui avait non seulement vécu plusieurs années aux États-Unis, mais qui avait de plus dénoncé l’hypocrisie, réelle ou alléguée, de l’Église dans un de ses poèmes les mieux connus du public allemand[112]. Les propriétaires terriens, qui tirent leur richesse de cette vieille propriété féodale que l’on n’ose pas critiquer en Allemagne, sont appelés à disparaître, dit in fine Marx, à l’instar des grands propriétaires terriens du sud des États-Unis — l’époque du servage et de l’esclavage est révolue. Si cette prophétie semble inoffensive aujourd’hui, il faut se rappeler que l’aristocratie prussienne tentait de refouler les idées républicaines qui parvenaient des États-Unis, alors même qu’on rédigeait, sous l’égide de Bismarck, la constitution de la confédération de l’Allemagne du Nord (Verfassung des Norddeutschen Bundes)[113].
V. Dernières indications (§ 13-14)
[§ 13] Marx en (re)vient finalement au plan d’exposition du Capital et aux modifications qu’il a été contraint de lui apporter [§ 1-2]. Le premier volume du Capital, explique-t-il maintenant à ses lecteurs, est entièrement consacré à la production du capital[114]. Le second volume, leur annonce-t-il, traitera de la « circulation du capital (livre II) et des formes diverses qu’il revêt dans la marche de son développement (livre III). Le troisième et dernier volume exposera l’histoire de la théorie[115] ». Nous trouvons donc dans ce passage le plan définitif du Capital, que Marx a adopté v. 1862-1863, mis à part le découpage en tomes qui s’est trouvé légèrement modifié par Engels suite à une contrainte d’atelier. Au lieu d’un seul volume, il en faudra trois à Engels pour publier les livres II (1885) et III (1894). Quant au dernier livre du Capital, ce n’est pas un, mais trois volumes que Karl Kautsky, le secrétaire personnel d’Engels, publiera finalement au tournant du xxe siècle.
[§ 14] Marx conclut la préface du Capital en citant un auteur canonique, à qui il a déjà fait allusion et envers lequel il se reconnaissait une dette intellectuelle — Dante[116]. Au cinquième chant de la Divine Comédie, le poète Virgile enjoint Dante à ignorer les spectres des pécheurs morts de mort violente et repenti in extremis qui commentaient mesquinement son apparence — Dante projette une ombre, mais pas eux —, et à le suivre, lui qui se dirigeait alors vers la cime du mont Purgatoire. « Que peut te faire ce qu’on murmure ici ? demande-t-il à Dante, viens derrière moi, et laisse les gens dire (“Perché l’animo tuo tanto s’impiglia”, disse ’l maestro, “che l’andare allenti ? che ti fa ciò che quivi si pispiglia ? Vien dietro a me, e lascia dir le genti”)[117] ». C’est cette injonction morale, chère à Dante, que paraphrase ici Marx lorsqu’il écrit, avec une pointe d’orgueil, qu’il se moque des préjugés de l’opinion publique, alors qu’il ne tolère en réalité aucune critique, hormis celles qu’ose parfois lui faire Engels[118]. Or, ce ton orgueilleux, digne d’Arachné, Dante l’aurait presque certainement condamné.
Conclusion
Une préface permet à un auteur de « retenir et guider le lecteur en lui expliquant pourquoi et comment il doit le lire le texte[119] ». En dépit de son importance, la préface auctoriale de la première édition du Capital a été négligée par la tradition commentatoriale, qui lui a presque toujours préféré la postface de l’édition suivante, dans laquelle Marx présente un « hommage vague et ambigu[120] » à Hegel. Or, cette postface s’adressait à ceux qui venaient alors tout juste de terminer la lecture du Capital, et non pas du tout à ceux qui s’apprêtaient, au contraire, à la débuter. La tradition nous a ainsi légué une précompréhension ésotérique du Capital, qui donne, en outre, une importance excessive à la philosophie de Hegel et qui nous interdit en quelque sorte de reconnaître que Marx cherchait d’abord à convaincre ses lecteurs de l’urgence qu’il y avait d’adopter une législation de fabrique, alors même que l’Allemagne entamait formellement son passage du féodalisme au capitalisme. En d’autres termes, la clé de lecture du Capital se trouve dans la préface de l’ouvrage, ce (para)texte négligé, et non pas dans cet autre (para)texte rédigé cinq ans plus tard, dans lequel Marx règle ses comptes avec Eugen Dühring, qui l’avait comparé au vieil hégélien Lorenz von Stein afin de le discréditer[121]. Et cette clé de lecture, c’est l’éthique.
L’aversion de Marx pour l’immoralité du travail industriel se voit dans la description qu’il donne de la situation de la classe ouvrière anglaise, à partir des rapports rédigés par M. Honer et ses collègues. Le décès de Mme Mary Anne Walkley, une jeune ouvrière morte de surmenage dans un atelier de modiste, après avoir travaillé 26 heures sans interruption, l’avait d’ailleurs profondément ému[122]. Aussi accorde-t-il dans le Capital une place décisive à la réduction de la journée de travail, qui constituait, selon lui, la condition nécessaire (Grundbedingung) de la libération du genre humain[123]. Mais la réduction de la journée de travail exige l’intervention de l’État.
Marx considérait l’État avec le sérieux qui s’impose, tout comme Hegel[124]. Mais alors que Hegel abandonne les pauvres à leur destin (Schicksal) et à la mendicité (öffentlichen Bettel) dans sa philosophie du droit, où il paraphrase, semble-t-il, Thomas Malthus, Marx, lui, se révolte plutôt contre cette idée[125]. La critique de la philosophie hégélienne du droit aboutit d’ailleurs, selon lui, à l’impératif catégorique (kategorischen Imperativ) de renverser toutes les conditions sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable ou réduit en esclavage[126]. Les « jugements scientifiques et les postulats éthiques[127] » s’entremêlent ainsi dans tous ses écrits, bien que Marx lui-même se présentait comme un scientifique désintéressé. Indigné par la situation de la classe ouvrière anglaise, qu’il a d’abord découverte v. 1844-1845, Marx espérait toujours en 1867 éviter des souffrances inutiles aux ouvriers allemands[128]. Éthicien, il voyait un impératif dans la révolution. Mais ce sont d’abord des réformes législatives qu’il réclame dans le Capital.
Parties annexes
Notes
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[1]
G. Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987, p. 7.
-
[2]
Ibid., p. 8.
-
[3]
Ibid., p. 374.
-
[4]
Ibid., p. 183.
-
[5]
Cf. T. Bottomore, Interpretations of Marx, London, Blackwell, 1988.
-
[6]
J. Sperber, « Karl Marx the German », German History, 31, 3 (2013), p. 383-402.
-
[7]
Id., Karl Marx. A Nineteenth Century Life, New York, W.W. Norton, 2013, p. 419-464.
-
[8]
Cf. G. Riello, P.K. O’Brien, « The Future is Another Country. Offshore Views of the British Industrial Revolution », Journal of Historical Sociology, 22, 1 (2009), p. 1-29.
-
[9]
M. Rubel, « Notice - le Capital », dans K. Marx, Oeuvres, t. I, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1963, p. 540.
-
[10]
Id., Karl Marx. Essai de biographie intellectuelle, Paris, Marcel Rivière, 1957, p. 344.
-
[11]
M. Henry, Marx, t. II, Paris, Gallimard, 1991, p. 414.
-
[12]
Cf. M. Rubel, « La première édition du Capital. Note sur sa diffusion », Revue historique, 239, 1 (1968), p. 101-110.
-
[13]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II/7, Berlin, Dietz, 1989 [1867], p. 11 (modifié).
-
[14]
Id., « Zur Kritik der politischen Ökonomie », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II/2, Berlin, Dietz, 1980 [1859], p. 99.
-
[15]
H. Grossmann, « Die Änderung des ursprünglichen Aufbauplans des Marxschen Kapital und ihre Ursachen », Archiv für die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung, 14 (1929), p. 305-338.
-
[16]
Cf. M. Heinrich, « Entstehungs- und Auflösungsgeschichte des Marxschen “Kapital” », dans W. Bonefeld, M. Heinrich, éd., Kapital & Kritik. Nach der « neuen » Marx-Lektüre, Hamburg, VSA Verlag, 2011, p. 169-178.
-
[17]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 11.
-
[18]
Cf. M. Heinrich, Wie das Marxsche Kapital lesen ?, Bd. 1, Stuttgart, Schmetterling, 2008, p. 259.
-
[19]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 11.
-
[20]
La remarque de Marx se rapporte à l’édition originale du Capital, dont le premier chapitre ne comptait que trois sous-titres indistincts, à la différence des éditions subséquentes de l’ouvrage qui nous sont familières aujourd’hui et qui en comptent beaucoup plus. En fait, ce premier chapitre dont parle ici Marx est devenu la première section du Capital, qui compte trois chapitres. Ces trois chapitres reprennent donc l’ouvrage précédent de Marx, dont seule la préface a retenu l’attention de la tradition commentatoriale.
-
[21]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 11.
-
[22]
Id., « Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie. Erster Band (Hamburg, 1867) », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II/5, Berlin, Dietz, 1983 [1867], p. 626-649.
-
[23]
Cf. R.P. Wolff, Moneybags must be so Lucky. On the Literary Structure of Capital, Amherst, The University of Massachusetts Press, 1988, p. 15-19.
-
[24]
Cf. F. Engels, « Friedrich Engels an Karl Marx in London. Manchester, Sonntag, 16. Juni 1867 », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe digital, éd. Internationalen Marx-Engels-Stiftung, Berlin, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, 1867, voir http://megadigital.bbaw.de/briefe/detail.xql?id=B00278.
-
[25]
Cf. K. Marx, « Karl Marx an Friedrich Engels in Manchester. London, Samstag, 22. Juni 1867 », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe digital, éd. Internationalen Marx-Engels-Stiftung, Berlin, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, 1867, voir http://megadigital.bbaw.de/briefe/detail.xql?id=B00281.
-
[26]
Id., « Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie. Erster Band (Hamburg, 1867) », p. 626-649.
-
[27]
Id., « Das Kapital. Kritik der Politischen Ökonomie. Erster Band (Hamburg, 1872) », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II/6, Berlin, Dietz, 1987 [1872], p. 709.
-
[28]
« Ich rathe daher dem nicht durchaus in dialektisches Denken eingewohnten Leser, den Abschnitt von p. 15 (Zeile 19 von oben) bis Ende p. 34 ganz zu überschlagen, und statt dessen den dem Buch zugefügten Anhang : “Die Werthform” zu lesen. Dort wird versucht, die Sache so einfach und selbst so schulmeisterlich darzustellen, als ihre wissenschaftliche Fassung erlaubt. Nach Beendigung des Anhangs kann der Leser dann im Text wieder fortfahren mit p. 35 » (Id., « Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie. Erster Band [Hamburg, 1867] », p. 12).
-
[29]
Cf. F. Lasalle, Herr Bastiat-Schulze von Delitzsch, der ökonomische Julian, oder : Capital und Arbeit. Berlin, R. Schlingmann, 1864, p. 98-129.
-
[30]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 12.
-
[31]
Ibid., p. 30.
-
[32]
Ibid., p. 31.
-
[33]
Id., « Das Kapital. Kritik der Politischen Ökonomie. Erster Band (Hamburg, 1872) », p. 81.
-
[34]
Id., « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 31.
-
[35]
Cf. M. Heinrich, Die Wissenschaft vom Wert. Die Marxsche Kritik der politischen Ökonomie zwischen wissenschaftlicher Revolution und klassischer Tradition, Münster, Westfälisches Dampfboot, 2011.
-
[36]
Cf. H.-G. Backhaus, Dialektik der Wertform. Untersuchungen zur Marxschen Ökonomiekritik, Freiburg, Ça Ira Verlag, 2006 [1997].
-
[37]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 31.
-
[38]
Ibid., p. 71-117.
-
[39]
Ibid., p. 11-12.
-
[40]
Cf. W. Roscher, System der Volkswirtschaft. Erster Band, die Grundlagen der Nationalökonomie enthaltend, Stuttgart, Cotta, 1854 [1843], p. 45.
-
[41]
G. Campagnolo, « Elements of the Reception of Aristotelian Thought in 19th Century German-language Philosophy and Economics », Philosophia, 73, 2 (2013), p. 13-36.
-
[42]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 41.
-
[43]
Ibid., p. 12.
-
[44]
« Sapere aude ! Habe Mut, dich deines eigenen Verstandes zu bedienen ! ist also der Wahlspruch der Aufklärung » (I. Kant, « Beantwortung der Frage : Was ist Aufklärung ? », dans Kants Werke Akademie-textausgabe, Bd. 8, Berlin, De Gruyter, 1971 [1780], p. 35).
-
[45]
« Vers le milieu du siècle, plusieurs des principaux économistes entreprirent l’application des grands principes de l’historicisme à l’analyse des phénomènes économiques. Ils écartaient l’emploi de la méthode déductive et la quantification des concepts incluse dans la doctrine ricardienne. Cette doctrine était pour eux le produit d’une philosophie sociale “matérialiste” et “chrématistique” qu’ils tenaient pour incompatible avec la haute portée des principes moraux et sociaux de l’Allemagne. Ils espéraient obtenir, en accumulant le maximum possible de données historiques, une intelligence complète de tous les événements économiques avec leurs caractéristiques nationales et leur déterminisme historique propre. Ils pensaient qu’une analyse comparative des résultats de ces recherches permettrait de découvrir certaines constantes, certaines tendances, certaines “lois” sociales ou économiques » (K. Pribram, Les fondements de la pensée économique, Paris, Economica, 1986, p. 217).
-
[46]
Cf. J.A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique, t. III, Paris, Gallimard, 1983 [1954], p. 85 et suiv.
-
[47]
Ibid.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
Cf. F. Engels, « Die Lage der arbeitenden Klasse in England », dans Marx-Engels-Werke, Bd. 2, Berlin, Dietz, 1962 [1844], p. 233.
-
[50]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 12.
-
[51]
Horace, Satires (édition bilingue), Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 10.
-
[52]
Cf. F. Engels, « Die Lage der arbeitenden Klasse in England », p. 233.
-
[53]
K. Marx, F. Engels, « Revue. Mai bis Oktober 1850 », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II/10, Berlin, Akademie Verlag, 1850, p. 466.
-
[54]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 12.
-
[55]
Cf. B. Hildebrand, « Die gegenwärtige Aufgabe der Wissenschaft der Nationalökonomie », Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, 1, 1 (1863), p. 3, 145-146.
-
[56]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 12.
-
[57]
Cf. Id., « Zur Kritik der politischen Ökonomie », p. 100-101.
-
[58]
Id., « Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie. Dritter Band », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II/15, Berlin, Dietz, 1989 [1861-1863], p. 766-767.
-
[59]
Ibid., p. 805.
-
[60]
Id., « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 12.
-
[61]
J.J. Lee, « Labor in German Industrialization », dans P. Mathias, M.M. Postan, éd., The Cambridge Economic History of Europe, vol. 7, 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 483.
-
[62]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 225.
-
[63]
Ibid.
-
[64]
Ibid., p. 12.
-
[65]
Ibid., p. 13.
-
[66]
P. Ourliac, J. de Malafosse, Histoire du droit privé, t. III, Paris, PUF, 1968, p. 418.
-
[67]
« L’aristocratie […] en Prusse, était essentiellement foncière, propriétaire et gestionnaire de grands domaines où les paysans avaient été réduits au cours des siècles à l’état de servitude, attachés à la glèbe et au service du seigneur. Celui-ci était à la fois Gutsherr (propriétaire du sol et du domaine), Gerichtsherr (maître de justice), Patronatsherr (nommant les pasteurs et les instituteurs, là où il y en avait) et maître de l’administration publique à partir du moment où le roi, en nommant des Landräte, fit apparaître un embryon de celle-ci, les Landräte étant pris exclusivement parmi les nobles du secteur, du Kreis » (J. Rovan, « Bismarck, la Prusse et l’Allemagne », dans G. Krebs, G. Schneilin, dir., La naissance du Reich, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 1995, p. 209).
-
[68]
Cf. F. Engels, « Die Lage der arbeitenden Klasse in England », p. 232.
-
[69]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 13.
-
[70]
Ibid.
-
[71]
G.W.F. Hegel, « Über die englische Reformbill », dans Werke, Bd. 11, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1986 [1831], p. 83.
-
[72]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 417.
-
[73]
Ibid., p. 418.
-
[74]
Ibid., p. 194.
-
[75]
M. Rubel, Pages choisies pour une éthique socialiste, Paris, Marcel Rivière, 1948, p. xlvi-xlvii.
-
[76]
Cf. G.M. Young, W.D. Hancock, éd., English Historical Documents, Volume XII (1), 1833-1874, New York, Oxford University Press, 1956, p. 949-952.
-
[77]
G.W.F. Hegel, « Grundlinien der Philosophie des Rechts oder Naturrecht und Staatswissenschaft im Grundrisse », dans Werke, Bd. 7, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1986 [1821], § 205.
-
[78]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 185.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Ibid., p. 13.
-
[81]
Id., « Die Bourgeoisie und die Kontrerevolution », dans Marx-Engels Werken, Bd. 6, Berlin, Dietz, 1848, p. 107.
-
[82]
Cf. Id., « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 255.
-
[83]
G. Runkle, « Karl Marx and the American Civil War », Comparative Studies in Society and History, 6, 2 (1964), p. 117-141.
-
[84]
Cf. K. Marx, F. Engels, « Der Amerikanische Bürgerkrieg », dans Marx-Engels Werken, Bd. 15, Berlin, Dietz, 1961 [1862], p. 486.
-
[85]
Cf. Id., « Die Krise in England », dans Marx-Engels Werken, Bd. 15, Berlin, Dietz, 1961 [1861], p. 348.
-
[86]
Id., « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 395.
-
[87]
Ibid., p. 393-396.
-
[88]
Ibid., p. 222-223.
-
[89]
Ibid., p. 13.
-
[90]
M. Rubel, « Science, éthique et idéologie », Cahiers Internationaux de Sociologie, 42 (1967), p. 135-136.
-
[91]
M. Henry, Marx, t. II, p. 422.
-
[92]
Ibid., p. 226.
-
[93]
I. Kant, « Grundlegung zur Metaphysik der Sitten », dans Kants Werke Akademie-textausgabe, Bd. 6, Berlin, De Gruyter, 2004 [1785], p. 389.
-
[94]
W.O. Henderson, The Lancashire Cotton Famine 1861-65, Manchester, Manchester University Press, 1969, p. 132-145 ; Id., The Rise of German Industrial Power 1834-1914, Berkeley, University of California Press, 1973, p. 143-149.
-
[95]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 13.
-
[96]
Ibid., p. 692.
-
[97]
D. Ricardo, « On the Principles of Political Economy and Taxation », dans P. Sraffa, ed. with the collaboration of M.H. Dobb, The Works and Correspondence of David Ricardo, vol. I, Indianapolis, Liberty Fund, 2005 [1817], p. 5.
-
[98]
Ibid.
-
[99]
« Les auteurs (les bons auteurs, du moins) écrivent toujours pour leurs contemporains, et en particulier pour ceux qui ont de “fortes chances d’être intéressés”, c’est-à-dire ceux qui sont déjà en train de poser la question pour laquelle une réponse est proposée ; de ce fait, un auteur dit rarement la question à laquelle il est en train de répondre. Plus tard, lorsqu’il est devenu un “classique” et que ses contemporains sont disparus, la question a été oubliée ; et cela surtout si la réponse qu’il a donnée a été reconnue comme étant la bonne réponse ; car dans ce cas, les gens arrêtent de poser la question, et commencent à demander quelle nouvelle question cela soulève. De sorte que la question posée par l’auteur de départ ne peut être reconstruite qu’historiquement » (R.G. Collingwood, Toute histoire est histoire d’une pensée, Paris, Epel, 2010 [1939], p. 63).
-
[100]
K. Marx, « Karl Marx an Johann Philipp Becker in Genf. Hannover, Mittwoch, 17. April 1867 », dans Marx-Engels Gesamtausgabe digital, hrsg. von der Internationalen Marx-Engels-Stiftung, Berlin, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, 1867 ; voir http://megadigital.bbaw.de/briefe/detail.xql?id=B00249.
-
[101]
Id., « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 14.
-
[102]
Ibid., p. 226.
-
[103]
M. Rubel, « Notes et variantes », dans K. Marx, Oeuvres, t. I, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1963, p. 1 631.
-
[104]
Ibid.
-
[105]
Cf. D. Alighieri, The Divine Comedy, Italian Text. Purgatorio, vol. 1, 1, translated, with a commentary by Charles S. Singleton, Princeton, Princeton University Press, 1973 [1308-1320], p. 91 (v. 36-66).
-
[106]
F. Hartweg, « Prusse et protestantisme au xixe siècle », Histoire, Économie et Société, 21, 1 (2002), p. 9.
-
[107]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 14.
-
[108]
Ibid.
-
[109]
H.S. Stanley, Correspondence with Her Majesty’s Missions abroad, regarding Industrial Questions and Trade Unions. Presented to both Houses of Parliament by Command of Her Majesty, London, Harrison and Sons, 1867, p. 2.
-
[110]
F.A. Sorge, « Friedrich Adolf Sorge an Karl Marx in London. Hoboken, Mittwoch, 10. Juli 1867 », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe digital, éd. Internationalen Marx-Engels-Stiftung, Berlin, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, 1867, voir http://megadigital.bbaw.de/briefe/detail.xql?id=B00295.
-
[111]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 14.
-
[112]
Cf. N. Lenau, Die Albigenser, Tübingen, Cotta, 2013 [1842], p. 104.
-
[113]
Cf. G.A. Craig, Germany 1866-1945, Oxford, Oxford University Press, 1978, p. 44.
-
[114]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 19.
-
[115]
Ibid., p. 14.
-
[116]
Cf. W.C. Roberts, Marx’s Inferno, Princeton, Princeton University Press, 2017.
-
[117]
D. Alighieri, The Divine Comedy, Italian Text. Purgatorio, vol. 1, 1, p. 45 (v. 13-15).
-
[118]
T. Hunt, Marx’s General. The Revolutionary Life of Friedrich Engels, New York, Picador, 2010, p. 234.
-
[119]
G. Genette, Seuils, p. 220.
-
[120]
M. Rubel, « Notes et variantes », p. 1 634.
-
[121]
Cf. E. Dühring, « Marx, Das Kapital, Kritik der politischen Oekonomie, 1. Band, Hamburg 1867 », Ergänzungsblätter Zur Kenntnis Der Gegenwart, 3, 3 (1867), p. 182-186.
-
[122]
K. Marx, « Le capital (Paris 1872-1875) », p. 211-213.
-
[123]
Cf. Id., « Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie. Dritter Band », p. 795.
-
[124]
Cf. D. MacGregor, Hegel Marx & the English State, Toronto, University of Toronto Press, 1996.
-
[125]
Cf. G.W.F. Hegel, « Grundlinien der Philosophie des Rechts oder Naturrecht und Staatswissenschaft im Grundrisse », § 245.
-
[126]
K. Marx, « Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. I/2, Berlin, Dietz, 1982 [1843], p. 177.
-
[127]
M. Rubel, Karl Marx. Essai de biographie intellectuelle, p. 256.
-
[128]
Cf. A. Cornu, Karl Marx et Friedrich Engels. Leur vie et leur oeuvre, t. IV, Paris, PUF, 1970, p. 144 et suiv.