Recensions

Mathieu Boisvert, avec la collaboration d’Isabelle Wallach, Karine Bates et Mathilde Viau-Tassé, Les hijras. Portrait socioreligieux d’une communauté transgenre sud-asiatique. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal (coll. « Matière à pensée »), 2018, 251 p.[Notice]

  • André Couture

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  • André Couture
    Université Laval, Québec

Le livre que vient d’écrire Mathieu Boisvert avec la collaboration d’autres chercheurs est à la fois original et novateur. Il porte sur des communautés transgenres des villes de Mumbai et de Pune (dans le Maharashtra, en Inde) et repose sur une série d’entrevues d’environ quatre heures chacune avec vingt-six hijṛās. La méthodologie est multiple, lit-on en page 20 : « […] elle intègre l’analyse de récits de vie, l’entretien semi-dirigé et l’observation sur le terrain ». On trouve dans une sorte d’annexe, insérée avant la conclusion (« Les récits », p. 191-227), deux exemples de récits de vie, ainsi qu’un fascinant récit d’Utkarsha Kotian, une des interprètes qui a travaillé sur ce projet, et qui s’intitule « Quand j’ai regardé celles que l’on ne veut pas voir ». L’essentiel du livre consiste en sept chapitres rédigés par l’auteur principal : 1. « Le thème de la religion chez les hijras » (p. 27-33) ; 2. « Le rīt » (le rituel d’entrée) (p. 35-48) ; 3. « Le nirvāṇ » (le rituel de l’ablation totale du pénis et des testicules) (p. 49-62) ; 4. « Le pèlerinage » en tant qu’actualisation de certains mythes (p. 63-80) ; 5. « Les pratiques rituelles de bénédiction » (p. 81-98) ; 6. « Les rituels funéraires et postfunéraires » (p. 99-108). Les derniers chapitres me semblent particulièrement bien réussis : 7. « La famille et la structure sociale » (p. 109-144) ; 8. « Les perceptions et les expériences du vieillissement », rédigé par Isabelle Wallach (p. 145-164) ; et 9. « L’acquisition de droits », rédigé par Mathilde Viau-Massé et Karine Bates (p. 165-190). Outre la conclusion qui couvre les pages 229-236, on trouvera un glossaire et une bibliographie, ainsi qu’un tableau des vingt-six participantes à cette recherche identifiées par des pseudonymes, sauf dans le cas des deux qui souhaitaient être présentées sous leur véritable identité. Une série de photos en couleur figure dans un encart après la page 144 et complète agréablement une somme impressionnante de recherche dans un milieu réputé difficile à percer. La thèse qui se profile peu à peu à l’horizon de ce livre, et qui apparaît en clair dans sa conclusion, donne à penser que les hijṛās formeraient une sorte de nouvelle communauté d’« ascètes » avec une structure sociale spécifique et un ensemble de pratiques grâce auxquelles ils se confectionneraient une nouvelle identité de la même façon que les saṃskāra (les rites échelonnés tout au long de la vie) servent à « parfaire » progressivement l’individualité du petit d’homme. Les hijṛās posséderaient donc leur propre dharma, soit un univers de sens et de pratiques complexes qui leur sont propres (voir p. 232). Leur univers serait en quelque sorte polarisé par le travail du sexe et les pratiques rituelles de bénédiction. La badhāī est un rite plus solennel de « félicitations » lors d’une naissance, d’un mariage ou de l’ouverture d’un commerce, tandis que la maṅgtī consiste simplement en la sollicitation d’une « aumône », les deux rites culminant avec l’octroi soit de bénédictions (āśirvād) pour écarter le mauvais oeil soit de malédictions sur ceux et celles qui repoussent l’intervention du hijṛā. Boisvert avait montré au chapitre 4 qu’une série de pèlerinages à des déesses ou des saints servaient en fait à légitimer aux yeux de la société le statut de ces hijṛās et leur pouvoir de bénédiction (voir p. 232). Un peu comme les devadāsīs étudiées par F. Apffel-Marglin, tout en exerçant un métier impur, celui du sexe, les hijṛās tendent à se définir par l’auspicieux. …

Parties annexes