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Louis Audet Gosselin est doctorant et enseignant au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Ce livre est un mémoire de maîtrise en histoire. C’est une monographie, résultats d’enquêtes sociologiques menées sur le terrain burkinabé. Il vise à expliquer la relation entre l’histoire, la politique et la religion, en l’occurrence l’islam ouagalais, en rapport avec la gestion du pouvoir et la lutte pour y participer ou pour le conserver (p. 2-4). L’occasion lui est offerte par le projet ZACA (Zone d’aménagement commerciale et administrative), autour du grand marché de Rood Woko au centre-ville de Ouagadougou au Burkina Fasso.
Le livre a trois parties annoncées par une introduction (p. 13-14) : la présentation du projet ZACA à Ouagadougou, la description du quartier Zangouettin visé par le projet et celle de ses habitants, les relations tendues entre l’État, initiateur du projet, et les habitants en majorité musulmans.
La méthode utilisée est celle d’enquêtes sociologiques sur le terrain (p. 9-13). L’auteur part de faits historiques, de la pénétration des musulmans à Ouagadougou et des exigences restrictives du pouvoir politique d’alors, puis il explique le manque d’intégration de ces derniers dans l’histoire politique de la ville. Leur seul point d’ancrage étant commercial et économique, la crise qui frappe le pays depuis l’indépendance a fait d’eux une population de quartier pauvre. Voilà qui légitime le projet de l’État de déloger les habitants de ce quartier, en majorité musulmans, en vue de sa modernisation.
L’auteur présente le projet ZACA comme une occasion pour les musulmans de régler ce litige dont la situation et l’enjeu se trouvent dans le sous-titre de l’ouvrage : « marginalisation, résistances et reconfigurations de l’islam ».
En outre, L’auteur dévoile la posture inconfortable de cet islam qui cherche à se donner une visibilité politique à l’extérieur de sa communauté et, en même temps, tente de convaincre ses jeunes adeptes de la pertinence d’une démarche politique ou de développement fondée aujourd’hui sur la religion, dans un pays laïc qui se veut comme un espace de solidarités citoyennes plus que religieuses. Car, ces jeunes, de plus en plus tournés vers la modernité, ont des références différentes de celles de leurs imams. La conséquence en est que la communauté musulmane expulsée du quartier, avec ses divisions internes, risque de ne pas être audible et de laisser échapper l’occasion de se rendre politiquement et socialement visible. Sa faiblesse, due entre autres à ses divisions internes, permet à l’État de passer outre ses revendications et de réaliser le projet.
De lecture très aisée grâce à une impression et une édition impeccables, le livre s’appuie sur une documentation précise et récente, constituée en grande partie d’articles — voir les notes infrapaginales. Il se termine par une bibliographie centrée sur son sujet et bien localisée (au Burkina), avec une ouverture à l’Afrique, bien que le cas de l’islam burkinabé soit unique selon l’auteur (p. 133-144).
Ce dernier a réussi, à partir d’une réflexion locale, à donner de l’islam une conception non courante, à savoir un islam majoritaire mais politiquement non dominateur, voire peu actif. Même si certains passages semblent dire que cet islam paisible et politiquement indifférent n’est qu’une erreur de lecture ; c’est aussi « un islam combatif mais divisé » (p. 89).
En relisant le titre après avoir parcouru tout l’ouvrage, je remarque que l’auteur présente le projet ZACA comme une occasion propice pour étudier les relations tendues entre les musulmans et l’État burkinabé. Dans ce cas, l’objet de la recherche est moins « le projet ZACA » — le titre du livre — que la « marginalisation, résistances et reconfigurations de l’islam à Ouagadougou » — sous-titre du livre. Il y a donc lieu d’intervertir le titre et le sous-titre.
En plus, la situation étant présentée de façon limitative, il est difficile de voir d’autres acteurs et de dire si ce conflit entre les musulmans et l’État n’est pas perçu comme un conflit de religions, un conflit de pouvoir entre une majorité religieuse musulmane impuissante et une minorité — chrétienne et animiste — agissante, favorisée par l’histoire ancienne et par la colonisation occidentale.
Enfin, puisqu’il y a exode rural partout en Afrique, il serait intéressant de savoir si les musulmans burkinabés non ouagalais vivent des réalités sociales analogues ; cela permettrait de comprendre la position de ceux de ce quartier, c’est-à-dire si leur combat pour l’intégration économique et sociale est un cas isolé ou s’ils mènent un combat d’arrière-garde, une lutte perdue d’avance.
D’où ces questions : le réveil tardif de l’islam ouagalais profitera-t-il de sa majorité — majorité au sens statistique, et aussi au sens de la maturité — pour se transformer en une force politique et prendre le pouvoir, malgré le refus de sa jeunesse de se replier dans les mosquées et de prendre le pouvoir à partir de la religion ? D’autre part, si ces membres jeunes ne trouvent leur compte ni dans l’État ni dans la religion, ne seront-ils pas tentés d’explorer une troisième voie, on ne sait laquelle ? Pour terminer, la « complaisance » de l’islam envers le pouvoir burkinabé est-elle liée simplement aux conditions historiques restrictives de son implantation, ou bien y a-t-il quelque faiblesse doctrinale et idéologique dans son interprétation des lois islamiques qui ont toujours fait de cette religion une religion forte et de conquête ?
Ces quelques questions montrent combien ce livre est un chantier intéressant. Il recèle plusieurs sillons à labourer pour prolonger sa réflexion en sciences des religions.