Dans la vaste production récente des « Handbooks », les éditions d’Oxford ont fait paraître en 2012 un important volume de 1 247 pages, comprenant trente-six contributions, un index général, des cartes et illustrations, coordonné par Scott Fitzgerald Johnson, professeur attaché à l’institut de Dumbarton Oaks. Le compte rendu d’une telle somme doit se faire selon deux axes différents : il faut d’abord évaluer l’architecture d’ensemble et ce qu’impliquent les choix éditoriaux en termes d’appréciation générale sur l’histoire de la période, sa périodisation et son extension géographique, avant d’en venir au contenu des trente-six contributions. En ce qui concerne le premier point, la dédicace du livre à Peter Brown et Averil Cameron, la préface de l’éditeur (p. xi-xxx) et le plan choisi pour l’ouvrage affirment d’emblée l’orientation de l’oeuvre : a été ici privilégiée la longue Late Antiquity (de 200 ap. J.-C. à 800 ap. J.-C. environ), orientée à l’Est, et dont l’histoire est totalement marquée par le « cultural turn » auquel invitait le livre de Peter Brown, The World of Late Antiquity, paru en 1971. Les centres d’intérêt de l’éditeur lui-même déterminent aussi l’organisation du volume : Scott Fitzgerald Johnson est en effet spécialisé dans l’histoire des voyages et des pèlerinages dans le monde oriental très tardif et il s’intéresse à la littérature orientale en grec, en syriaque ou en copte. Il avait d’ailleurs coordonné en 2006 un livre sur la Greek Literature in Late Antiquity : Dynamism, Didacticism, Classicism, Aldershot, 2006. Tout cela explique l’importance donnée à la religion et aux cultures et l’intérêt nouveau accordé à la littérature tardive dans la partie II, on y reviendra. Le volume est donc très peu « Late Roman » (selon la distinction d’H. Inglebert, dans son introduction, p. 3 et suivantes entre « Late Roman » et « Late Antique ») ; S.F. Johnson affirme ainsi dans sa préface p. xx : « […] the authors in the OHLA certainly do, from time to time, accept political borders for the examination of unifying structures, […] but the intra-Roman narrative of Gibbon has largely been abandoned in every quarter of the field ». C’est à l’évidence un monde romain tardif complètement déconstruit qui apparaît ici, où les marges comptent désormais autant, si ce n’est plus, que le centre. En ressort une vision d’un monde fragmenté en sous-régions aux particularités fortes, tel que l’ont déjà planté P. Horden et N. Purcell dans The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford, 2000. Dans la première et très longue partie consacrée à la « géographie et aux peuples » (p. 31-335), cette fragmentation est parfois soulignée avec force : ainsi dans le chapitre de C.H. Caldwell sur les « Balkans », p. 92-114, sont évoquées certaines micro-régions essentielles à l’histoire politique et militaire du « Bas Empire » — la vallée de la Save et le développement de la capitale de Sirmium, la côte dalmate et la construction du palais de Split, la Thrace —, sans que soient évoqués les liens pourtant réels qui unissaient ces espaces fragmentés entre eux. Pour en rester à l’exemple des Balkans, la péninsule n’y est pas assez décrite comme un axe essentiel de circulation et le couloir de passage des peuples « barbares » (même si l’établissement des Huns en Pannonie est rappelé), position qui explique qu’elle fut aussi le lieu de batailles décisives (comme Mursa ou Andrinople). Ce traitement particulier de la période montre combien les institutions impériales, et notamment l’armée, intéressaient peu l’éditeur : les capitales du pouvoir romain, leurs administrations et leurs cours, en Occident comme en Orient, ne …
Nouvelles perspectives sur l’Antiquité tardive[Notice]
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Christel Freu
Département des sciences historiques, Université Laval, Québec
À propos de Scott Fitzgerald Johnson, éd., The Oxford Handbook of Late Antiquity, New York, Oxford University Press (coll. « Oxford Handbooks in Classics and Ancient History »), 2012, xlvi-1 247 p.