Corps de l’article
Depuis toujours, trois questions taraudent tous les êtres humains : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Les découvertes scientifiques font toujours des progrès spectaculaires mais elles n’élucident jamais ce triple questionnement. Jean-Michel Maldamé interroge, dans cet ouvrage d’une qualité exceptionnelle, les résultats des découvertes de l’astrophysique, les hypothèses entourant la théorie de l’évolution, etc. Pour lui, les lois de la mécanique ne suffisent pas à répondre aux questions fondamentales de l’homme : celle du sens de la vie humaine et celle de la liberté qui l’habite.
Maldamé entame alors un dialogue entre science, philosophie et théologie. Son enquête sur les origines le mène, dans un premier temps, à considérer la cosmologie et la théorie de l’évolution sur deux points : le commencement du monde et l’émergence de l’humanité dans le processus évolutif. D’entrée de jeu, le dominicain Maldamé oriente sa réflexion autour de deux concepts souventes fois confondus : commencement et origine.
La détermination du commencement n’est pas simple : « […] il ne s’agit pas d’une simple observation, comme l’inscription d’un point sur un axe temporel, ou la manifestation d’un chiffre sur un appareil. Il s’agit d’une décision ; si elle repose sur l’observation et la mesure, elle est un jugement sur l’identité du phénomène ou processus observé ». La question de l’origine — à distinguer toujours du commencement — est objet aussi de jugement et de décision. L’origine doit être considérée dans ses dimensions métaphysiques. Pour ce faire, elle utilise le mythe, entendu au sens positif. Ce dernier est un acte de pensée nourri de symboles et il implique la participation de tout l’être. Le mythe, au sens noble du mot, ouvre sur la transcendance.
Selon Maldamé, l’étude du cosmos recourt à un langage qui porte sur la totalité du monde et conduit inévitablement à l’ultime pourquoi des choses. Les lois universelles supposent une philosophie de la nature. Le cosmos a-t-il eu un commencement ? Il n’est pas toujours facile de répondre à cette question. La notion de commencement absolu est inconcevable. Qui peut prétendre pouvoir observer le point zéro ? La notion de création, par contre, relève de la théologie. La création est relation de tout ce qui est avec un Dieu transcendant et éternel qui lui donne d’être ce qu’il est en tout ce qu’il est. En d’autres termes, la notion de création n’est pas liée à la temporalité.
La création ne saurait se réduire à l’acte de Dieu au commencement du temps. Elle n’est pas ce qui est « sans commencement ni fin ». La création n’est pas une durée infinie, mais absence de succession temporelle. Et forcément, comme l’affirme Thomas d’Aquin, elle n’implique pas la finitude temporelle du monde. La notion de création ne se confond pas avec celle de premier commencement, puisque la création — faut-il le redire ? — est relation de tout ce qui est avec l’Éternel qui lui donne d’être ce qu’il est en tout ce qu’il est.
Alors quelle est l’origine de l’humanité ? La théorie de l’évolution permet de déterminer le point de séparation entre les espèces pour construire l’arbre des vivants. Mais à quel moment l’être humain est-il apparu ? Jean Maldamé fait ici intervenir la notion de commencement relatif et de commencement absolu.
Tous les travaux scientifiques se rallient à un point commun : les récits fondateurs rapportent une action. En restant dans l’ordre du commencement relatif, on privilégie la continuité du processus vital. La quête du commencement absolu suppose une réflexion explicitement philosophique sur ce qu’est l’homme.
Trois réponses possibles. D’abord, à une extrémité, la manière gnostique qui présume la chute, qui imagine une humanité parfaite au principe et voit l’homme comme un dieu tombé du ciel. À l’autre extrémité, le matérialisme le plus strict. Le concept de vie disparaît « puisque tout s’explique par l’agencement des éléments premiers et la physique-chimie considérée comme la science paradigmatique ». Alors qu’est-ce qui fait l’homme dans tout ce qu’il est ? La réponse vient d’elle-même : l’homme est un animal, mais il a une manière spécifique de l’être, une manière de devenir soi.
L’apparition de l’humanité est un commencement bien réel. La détermination de ce moment singulier échappe à l’observation. La question de l’apparition de l’homme laisse place à une liberté d’interprétation et donc à plusieurs anthropologies. Elle renvoie forcément à l’origine, c’est-à-dire à la raison d’être coextensive à la totalité de l’existence humaine. C’est pourquoi, l’anthropologie chrétienne parle du terme de la création. La création n’est pas seulement le premier instant de l’existence de l’espèce humaine, mais elle est coextensive à tout le cours de la vie. L’acte du Créateur est permanent ; il est don ; il est acte d’amour.
Jean-Michel Maldamé ne peut éviter le problème du mal dans l’humanité. Le récit biblique de la Genèse, à travers l’expérience du peuple élu, donne la racine du mal : la liberté humaine, trait qui différencie l’être humain de tous les autres animaux. En mettant en scène le personnage générique d’Adam, il exprime l’universalité du mal. Le texte sacré, d’une part, écarte la thèse d’une chute depuis un monde meilleur. D’autre part, les sages d’Israël rejettent tout fatalisme. La lecture chrétienne des premières pages de la Bible prend son principe dans la mort et la résurrection de Jésus. La présente création — qui a son origine en Dieu — ne peut être annihilée dans la temporalité de chaque être humain. Elle prépare, toujours par un don gratuit du Créateur, la nouvelle création, toute aussi mystérieuse que la première.
La distinction entre les deux types de commencements a conduit le lecteur à poser la question de l’origine. La reconnaissance de l’acte créateur se fait au présent et tout autant pour le passé depuis un point singulier qui reste toujours insaisissable. L’être humain occupe une place axiale dans l’univers. Les scientifiques peuvent bien expliquer, à partir de théories, le comment de son être. Son origine leur restera toujours mystérieuse. C’est dans la lumière de la résurrection que se dévoilent le sens de l’hominisation et celui de l’origine de l’humanité.