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Cet ouvrage présente de façon chronologique des écrits de jeunesse de Descartes qui n’étaient pas rassemblés en un volume. Il ne s’agit pas de découvertes nouvelles mais d’une remise en ordre par Vincent Carraud et Gilles Olivo de textes et de fragments rapportés par Adrien Baillet ou recopiés par Leibniz. Outre la richesse des notes historiques et philosophiques, son intérêt tient à l’ordonnancement de ces textes qui reconstitue la progression de la pensée de Descartes en restituant les étapes de son cheminement intellectuel : depuis le Placard de sa licence en droit à Poitiers et ses 40 thèses (1616) où se trouve la première référence à l’« humana ingenia », désignant l’union de la science et de la vertu, ensuite le Registre de 1619 attestant les premières marques de l’intérêt témoigné par Descartes pour la philosophie dans ses pensées éparses sur Dieu, la vertu qui est une, le libre arbitre, le détrônement des Anciens…, présentées et éclairées ici par des notes comparatives, puis les Olympiques offrant la découverte des « fondements de la science admirable », l’Étude du bon sens…, où déjà il veut s’avancer masqué (larvatus, ou « qui latuit »), les auteurs rappelant que « Descartes acteur et auteur n’a donc pas cessé d’être masqué » (p. 83) — du moins jusqu’à son départ des Pays-Bas — et sa proximité avec les Regulae ad directionem ingenii, et encore le « Jugement sur Guez de Balzac » (texte latin et traduction française de Clerselier) dû à l’amitié philosophique de Descartes pour Balzac, enfin La recherche de la vérité par la lumière naturelle provenant des papiers de Leibniz — dont la traduction française du texte néerlandais, ici inaugurale, par Corinna Vermeulen, est accompagnée de notes.
La présentation de cet ensemble de textes, ainsi établie chronologiquement, ponctue le cheminement intellectuel du jeune Descartes ; elle permet de voir naître sa pensée et s’effectuer le passage du savant au philosophe, plus précisément à partir de 1619. Elle donne à comprendre l’intelligence du processus intellectuel du jeune cavalier, les inflexions de sa décision inaugurale, comme l’expose l’Avant-propos de l’ouvrage. Cela confirme définitivement l’histoire intellectuelle qu’exposera le Discours de la méthode (1637).
Vincent Carraud et Gilles Olivo soulignent combien l’Étude du bon sens (Studium bonae mentis) se révèle centrale « pour comprendre par quelle nécessité Descartes, de savant qu’il était, devait se faire philosophe » (p. 7). On voit « le rôle absolument décisif » de ce « premier projet de philosophie » que les auteurs désignent comme la « clef qui ouvre à l’ensemble de l’entreprise ». Ici soigneusement examiné selon la critique historique et philosophique, ce texte qui s’assigne pour objet l’esprit — mens — comme « fondement de toute science possible », et s’arrête devant l’étude de l’entendement, renvoie aux Regulae… qui réaliseront ce que le Studium… entrevoyait seulement (p. 122). Ainsi cet ordre personnel des pensées de Descartes est-il le véritable ordre des raisons qui en rendent compte. Il n’avait pas été mis en évidence depuis trois siècles : ni par Baillet son biographe, qui n’en fournit que des extraits, ni par Henri Gouhier. Les auteurs soulignent ainsi l’apport essentiel obtenu par le rapprochement de ces textes et leur inscription chronologique qui éclaire la progression de la pensée du jeune Descartes : il ne s’agit pas de « conjectures » mais la restitution ordonnée des jalons de cette pensée offre la compréhension de sa genèse en tant que pensée philosophique.
Cet ouvrage sera particulièrement apprécié par les familiers de la pensée de Descartes qui y trouveront non seulement des confirmations et des compléments, mais des liens historiques et philosophiques maintenant établis, qui renforcent la connaissance intime du jeune Descartes et l’intelligence de son entreprise. Il introduira d’emblée les autres à la compréhension personnelle directe de son cheminement.