Laval théologique et philosophique
Volume 70, numéro 3, octobre 2014 Les mondes grec et romain : définitions, frontières et représentations dans le « judaïsme », le « christianisme » et le « paganisme » Sous la direction de Anne Pasquier
Sommaire (15 articles)
Dossier
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Liminaire
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Quelques remarques épistémologiques et méthodologiques sur le judaïsme et le christianisme de l’Antiquité classique et tardive
Simon C. Mimouni
p. 413–423
RésuméFR :
Dans ces quelques remarques épistémologiques et méthodologiques sur les problèmes que posent les études historiques du judaïsme et du christianisme antiques, on se penche notamment sur les phénomènes de continuité et de discontinuité dont les incidences peuvent être « redoutables » dans les élaborations idéologiques contemporaines. On donne surtout des propos généraux sur le judaïsme et le christianisme dans l’Antiquité classique et tardive au regard des résultats de la recherche actuelle. On parle aussi des rapports entre judaïsme et christianisme à l’époque où ce dernier n’est qu’un mouvement parmi d’autres dans le cadre du premier, et des questions de légitimités qui ont débouché sur des conflits engendrant la distinction ou la séparation et la mise en place progressive de deux religions.
EN :
In these epistemological and methodological remarks on the problems posed by the historical studies of ancients Judaism and Christianity, one looks especially on the continuity and discontinuity phenomena whose impact can be “difficult” in the contemporary ideological elaborations. We give primarily general remarks on Judaism and Christianity in classical and late Antiquity with regard to the results of current research. We speak also on the relationship between Judaism and Christianity at the time where it is only one movement among others in the first, and on questions of legitimacy which resulted in conflicts causing the distinction or separation and the phasing of two religions.
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Judéens et chrétiens : « rupture », « séparation », « distanciation » ? Évolution d’un paradigme interprétatif de la recherche sur la « croisée des chemins » entre le « judaïsme » et le « christianisme » anciens
Steeve Bélanger
p. 425–448
RésuméFR :
Depuis le xixe siècle, la question de la « séparation » entre le « judaïsme » et le « christianisme » anciens a soulevé de nombreux débats entre spécialistes. Pour tenter d’expliquer ce phénomène historique complexe, les chercheurs n’ont pas hésité à recourir à de nombreuses métaphores et à divers paradigmes interprétatifs. Or, la recherche des trois dernières décennies a contribué à renouveler et à nuancer notre connaissance du « judaïsme » et du « christianisme » anciens obligeant alors à revoir les métaphores et paradigmes par lesquels on a tenté d’expliquer la « séparation » entre ces deux entités religieuses.
EN :
Since the 19th century, the question of the “separation” between the “Judaism” and “Christianity” in Antiquity has raised many debates among specialists. Many researchers have tried to explain this complex historical phenomenon, and they did not hesitate to use many metaphors and various interpretative paradigms. The research during the three last decades contributed to renew and to moderate our knowledge of “Judaism” and “Christianity.” The community then had to re-examine the metaphors and paradigms by which the “separation” between these two religious entities has been there explained.
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Traditions judéennes anciennes et catégories modernes : quand la recherche se moque de la réalité antique
Marie Chantal
p. 449–458
RésuméFR :
Cet article fait le point sur les travaux récents abordant le problème de l’utilisation des catégories modernes dans l’étude des traditions judéennes de l’Antiquité. La dernière décennie a en effet été marquée par la publication d’une série de recherches abordant d’abord le problème du concept moderne de « judaïsme » pour décrire une réalité antique portée par le grec Ioudaismos et se questionnant ensuite sur la façon juste de traduire Ioudaios pour respecter l’ethnicité du peuple se réclamant de cette appellation.
EN :
This paper provides a picture of the recent publications concerned with the problem of using modern categories for the study of ancient traditions from the Antiquity. In the last decade, many papers have been published first addressing the problem of the modern concept “Judaism” as a way to describe the Ancient reality related to the Greek term Ioudaismos, and second raising the question of the correct way to translate Ioudaios in respect with the ethnicity of the people related to this Greek term.
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Odio humani generis : apocalypticiens messianistes et historiens intégrés à l’époque des Guerres des Judéens
Pierluigi Piovanelli
p. 459–474
RésuméFR :
Tacite est le seul témoin explicite d’une persécution des « chrétiens » de Rome à la suite du célèbre incendie de la capitale, en 64 de notre ère, une catastrophe dont la population aurait attribué la responsabilité criminelle à l’empereur Néron, si les adeptes de cette « superstition pernicieuse » originaire de la Judée n’avaient pas été opportunément identifiés comme les coupables. Si, d’un côté, il est facile de comprendre la nécessité pour le pouvoir impérial de trouver rapidement des boucs émissaires, de l’autre, il n’est pas aisé de concevoir les raisons qui firent que le choix se porte sur les membres d’un groupe sectaire judéen tout à fait marginal. L’examen de quelques textes clés de Flavius Josèphe et des écrits apocalyptiques contemporains permet de mieux comprendre quelles étaient les attentes des milieux radicaux judéens et quelle était la perception que les Romains pouvaient avoir de ceux qui, à leurs yeux, n’étaient que des agitateurs et des brigands.
EN :
Tacitus is the only witness to the persecution of the “Christians” in Rome following the famous fire of 64 CE that severely burned the capital city ; a catastrophe for which Nero would have been considered responsible had the followers of that “most mischievous superstition” of Judean origins not been identified as the culprits. If, on the one hand, it is easy to understand the urgency for the imperial power to find scapegoats, on the other hand, it is not so easy to imagine the reasons why the members of a Judean sectarian, marginal group were eventually chosen. A new look at a series of key passages from the writings of Josephus and contemporary apocalyptic texts allow us to have a better understanding of the expectations at work among the members of Judean radical groups, as well as the perception that Romans could have had of those who, in their opinion, were simply agitators and bandits.
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Assemblées de Smyrne et de Philadelphie et congrégation de Satan : vrais et faux Judéens dans l’Apocalypse de Jean (2,9 ; 3,9)
Louis Painchaud
p. 475–492
RésuméFR :
Pendant près de deux millénaires, « faux-Judéens » et « synagogue de Satan » de Smyrne et de Philadelphie (Ap 2,9 ; 3,9) ont été considérés comme des « Juifs », membres des « synagogues » de ces villes, hostiles aux « chrétiens » qu’ils auraient même dénoncés auprès des autorités. Dans la deuxième moitié du xxe siècle, dans un contexte qui a suscité tout un courant de réflexion critique sur l’antisémitisme chrétien, plusieurs ont proposé de voir dans ces « Juifs » des factions hostiles à Jean au sein des assemblées auxquelles il s’adresse. L’hypothèse qui est proposée ici est de voir, dans ces Judéens accusés de blasphème et taxés d’être de faux Judéens ou des Judéens menteurs, des membres de l’ethnos Judéens souillés, aux yeux de Jean, un prophète judéen sectaire, par leur intégration dans le tissu associatif de la cité. Quant à la « congrégation de Satan » qu’ils formeraient, elle ne doit pas être entendue comme la désignation d’une communauté judéenne ayant une existence réelle dans la cité, mais comme une pure construction de Jean, prophète de Jésus le Vivant qui ne se savait pas encore chrétien, visant à démoniser non pas tous les Judéens de ces deux cités, mais certains Judéens infidèles aux commandements et, donc, à leur identité judéenne.
EN :
For nearly two thousand years, the Smyrneans and Philadelphians that the book of Revelation describes (2:9 ; 3:9) as “false Judeans” and as making up a “synagogue of Satan” have been taken to be “Jews,” members of the “synagogues” located in those cities, who were hostile to local “Christians,” to the point of denouncing them to the authorities. In the second half of the twentieth century, in a context in which Christian anti-Semitism was increasingly recognized and critiqued, many argued that these “Jews” were in fact members of the communities addressed by John, belonging to factions hostile to his message. In this paper, I will argue that the people whom John accuses of being blaspheming and false Judeans were members of the Judean ethnos who were seen by John — himself a Judean sectarian — as having become defiled through their integration into the social and professional fabric of the city. From this point of view, the “synagogue of Satan” is not to be seen as a real Judean community, but rather as the pure creation of John, a prophet of Jesus the Living One who did not know that later generations would consider him a “Christian.” Thus John does not intend to demonize all the Judeans in these two cities ; rather, his invective is directed at some Judeans, whom he sees as betraying the commandments and, hence, their own Jewish identity.
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Augustin dans le sermon Dolbeau 26 : un discours contre la confusion identitaire
Anne Pasquier
p. 493–505
RésuméFR :
Le sermon Dolbeau 26 provient d’un manuscrit datant de la deuxième moitié du xve siècle qui sortit de l’oubli grâce à la publication, en 1990, d’un catalogue de manuscrits de la Stadtbibliothek de Mayence (Mainz, Stadtbibliothek I, 9). Découvert par François Dolbeau, ce sermonnaire contient 63 sermons d’Augustin et un de Césaire d’Arles. L’intérêt pour ces oeuvres est d’autant plus grand que plusieurs des sermons sont partiellement ou complètement inédits. C’est le cas du sermon D. 26 en lequel s’élaborent plusieurs réflexions qu’Augustin exprimera par la suite dans la Cité de Dieu. Dans le cadre de cet article, seront examinés les thèmes et les enjeux identitaires que l’on peut déceler en particulier dans les chapitres 1 à 9 de ce sermon.
EN :
The sermon called Dolbeau 26 is part of a manuscript dating from the second half of the 15th century which came out of oblivion thanks to the publication, in 1990, of a catalogue of manuscripts in the Stadtbibliothek Mainz (Mainz, Stadtbibliothek I, 9). Discovered by François Dolbeau, this manuscript contains 62 different sermons from Augustine, and one from Caesarius of Arles. The fact that 26 of those sermons from Augustine are partially or completely unknown explains their great interest. This is the case of the sermon D. 26 in which Augustine develops many reflections that will be later expressed in the City of God. In the context of this article, will be examined the identity issues that can be detected particularly in chapters 1-9 of this sermon.
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Assimilation chrétienne d’éléments païens : construction apologétique ou réalité culturelle ?
Jean-Michel Roessli
p. 507–516
RésuméFR :
Cette brève contribution a pour but de revenir sur une question soulevée par Miguel Herrero de Jáuregui (« Christian Assimilation of “Pagan” Elements : An Apologetic Concept ? », New Perspectives on Late Antiquity, edited by David Hernández de la Fuente, Cambridge, 2011, p. 380-392), à propos de la façon dont les historiens de l’Antiquité tardive envisagent les contacts ou échanges entre Juifs, chrétiens et païens et, plus particulièrement, les phénomènes d’acculturation ou d’appropriation culturelle. Cette question est abordée à la lumière de la figure d’Orphée, dont Miguel Herrero se sert pour illustrer sa thèse dans le domaine de l’iconographie religieuse, alors qu’il recourt à d’autres thèmes ou motifs pour vérifier son hypothèse dans la sphère des rites et de la poésie. La question soulevée est de savoir si l’opinio communis selon laquelle certains éléments de la culture païenne ont été « assimilés » à et par la culture chrétienne (et peut-être juive avant elle) est une représentation biaisée qui se fonde sur une construction apologétique plus ou moins inconsciente ou s’il s’agit d’une réalité culturelle historiquement attestée.
EN :
This short paper aims to respond to a question raised by Miguel Herrero de Jáuregui (“Christian Assimilation of ‘Pagan’ Elements : An Apologetic Concept ?,” New Perspectives on Late Antiquity, edited by David Hernández de la Fuente, Cambridge, 2011, p. 380-392) with respect to the way historians of Late Antiquity see contacts or exchanges between Jews, Christians and Pagans and, more specifically, the phenomenon of acculturation or cultural appropriation. This question is addressed in the light of the mythological figure of Orpheus, which Miguel Herrero uses to illustrate his thesis in the field of religious iconography, while referring to other themes or motifs to verify his hypothesis in the area of rites and poetry. The issue raised is to know whether the opinio communis according to which elements of the pagan culture were “assimilated” to and by the Christian (and perhaps Jewish beforehand) culture is a biased representation based on a more or less unconscious apologetic construction or if it relies on a historically attested reality.
Articles spéciaux
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Les lecteurs impliqués d’Éphésiens 2,11-22 : ni citoyens d’Israël, ni citoyens de l’Empire romain, mais concitoyens des saints et membres de la maisonnée de Dieu
Robert Hurley
p. 517–537
RésuméFR :
Éphésiens 2 décrit l’offre de salut aux nations (les païens) comme ayant été rendue possible « par le sang de Christ » (2,13) et « par la croix du Christ » (2,16). La recherche actuelle tient pour acquis que le salut des nations dépend d’une troisième condition, à savoir leur incorporation dans la cité d’Israël. Une étude des lecteurs implicites et de l’auteur implicite de la lettre mène à une conclusion différente. Ce que Dieu accomplit dans le Christ a été ordonné avant la fondation du monde et a préséance sur toute revendication juive au privilège découlant des « alliances de la promesse ». Dans le Christ, Dieu abolit la Loi et fonde une nouvelle communauté de justice et de vérité. Les saints d’Éphèse y rejoignent les saints d’ailleurs dans le monde pour s’opposer à l’esprit à l’oeuvre dans l’Empire romain et aux fils de la désobéissance qui sont ses fidèles soutiens et alliés.
EN :
Ephesians 2 describes the offer of salvation to the nations (pagans) as having been made possible “by the blood of Christ” (2:13) and “through the cross of Christ” (2:16). In current research, a third condition for the salvation of the nations is believed to be present. Researchers have taken for granted that pagans must first be incorporated into the commonwealth of Israel before they can be saved. A study of the implied readers and implied author of the letter points to other conclusions. What God is doing in Christ was ordained before the foundations of the world and thus supersedes any Jewish claims of privilege flowing from the historical “covenants of promise”. In Christ, God abolishes the Law and founds a new commonwealth of justice and truth, in which the saints at Ephesus join the saints everywhere in their opposition to the spirit at work in the Roman Empire and its supporters.
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Myth as Revelation
Robert D. Miller
p. 539–561
RésuméEN :
This essay explores how myth functions as a means of revelation in Scripture. It first clarifies a definition of myth, and then discusses the appearance of myth in the Old Testament. Not only is myth found in the Bible, but its presence is of great importance. Considering the various functions of myths in general, it becomes indispensable that myth form a part of the inspired canon. Revelatory myth is essential, especially today. Finally, this essay considers how one might recapture an appreciative reception of biblical myths.
FR :
Cette contribution examine la fonction du mythe biblique. L’auteur y défend que le mythe est utilisé comme un instrument de révélation dans l’Écriture. Dans la première partie de cet article, l’auteur définit ce qu’est le mythe en général et comment il est employé dans l’Ancien Testament. Le mythe est non seulement présent dans la Bible, conclut-il, mais il y est d’une grande importance. En considérant les diverses fonctions du mythe, on ne peut que conclure que le mythe fait partie intégrante du canon inspiré. Aujourd’hui, le mythe révélateur est essentiel et, pour cette raison, la dernière partie de cet article examine comment on pourrait faire renaître une réception élogieuse du mythe biblique.
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La théorie de la prière chez Jamblique : sa fonction et sa place dans l’histoire du platonisme
Andrei Timotin
p. 563–577
RésuméFR :
L’objectif de cette étude est de dégager la structure générale et les articulations de la théorie de la prière de Jamblique et de préciser sa place dans l’histoire du platonisme. Elle montre comment la doctrine de la prière remplace, chez Jamblique, la démonologie médio-platonicienne en tant que théorie de la médiation (cosmologique et religieuse) entre les hommes et les dieux. Cette transformation permet de comprendre l’évolution de la théorie de la prière, dans le cadre de l’histoire du platonisme, d’une pratique religieuse à caractère philosophique (Second Alcibiade, Maxime de Tyr, Porphyre) vers une réalité d’ordre métaphysique (Jamblique).
EN :
The goal of this study is to bring out the general structure and the articulations of Iamblichus’ theory of prayer and to define its place in the history of Platonism. It shows how the doctrine of prayer replaces, in Iamblichus, the Middle-Platonic demonology as a theory of (cosmological and religious) mediation between men and gods. This transformation allows us to understand the evolution of the theories of prayer in the context of the history of Platonism from a religious practice with philosophical meaning (Second Alcibiades, Maximus of Tyre, Porphyry) to a metaphysical reality (Iamblichus).
Chroniques
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Littérature et histoire du christianisme ancien
Jeffery Aubin, Serge Cazelais, Marie Chantal, Julio Cesar Dias Chaves, Cathelyne Duchesne, Steve Johnston, Louis Painchaud, Paul-Hubert Poirier, Tuomas Rasimus, Gaëlle Rioual et Maryse Robert
p. 579–630