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L’ouvrage de Gisel s’inscrit dans la collection dirigée par Philippe Capelle-Dumont, « Philosophie & Théologie », dont la mission est de révéler « le rapport entre les deux traditions qui se trouve désormais engagé dans la reconnaissance et la communication de rationalités irréductibles ». La collection a déjà fait paraître une cinquantaine d’ouvrages depuis 1996.
La particularité de cet ouvrage qui est divisé en trois parties est que ces douze chapitres correspondent à douze présentations que l’auteur a offertes entre 2009 et 2011 dans le cadre de différentes activités (colloque, journée d’étude, conférence, rencontre, exposé, article). Si l’unité de l’ouvrage peut s’en trouver quelque peu diminuée, chacun des textes aura le mérite de nous offrir néanmoins un contenu dont la valeur supplée largement à l’organisation de la matière.
Dans la première partie de son ouvrage, « Philosophie, théologie, sciences des religions et de la culture », Gisel s’interroge : « Une étude de la religion qui soit autre que et décalée de la conscience croyante est-elle possible ? » (p. 19). Il se demande aussi si l’effacement de la transcendance dans le socioculturel contemporain doit être interprété et apprécié comme un accomplissement heureux du motif d’un Dieu vidé de sa toute-puissance ou comme le lieu symptomatique de données plus problématiques (p. 49). En fond, c’est d’abord à la théologie qu’il s’adresse. La théologie peut-elle se recentrer et participer avec les sciences sociales et religieuses à l’émergence d’un questionnement et d’une critique qui, en soi, ne porte pas la fin de la croyance ? En d’autres mots, la théologie peut-elle prendre comme point de départ le monde tel qu’il est (p. 90) ? Assumer un nouveau rôle à partir de la société civile ?
Dans la deuxième partie, « Déplacements en histoire récente de la théologie », Gisel retrace la route des déplacements théologiques significatifs du dernier siècle. En faisant intervenir les figures de Bultmann, Harnack, Troeltsch, Ricoeur et Scholem, il démontre comment des questions comme celle de Dieu se sont déplacées (p. 127). Devant le fait accompli d’une relecture du christianisme qui s’imposait, comment se sont opérés les rapports entre les nouveautés de la relecture d’avec l’histoire du christianisme (p. 135) ? Comment, en notre temps, construire des problématisations qui laisse aux différents champs — philosophie, théologie, théorie littéraire, théorie sociétale ou psychologique — le soin de féconder les nouveaux lieux de réflexion (p. 176) ? Comment poser la question des traditions particulières en modernité et dans un monde pluriel (p. 180) ? Comment sortir de l’anthropocentrisme occidental pour rétablir de nouveaux rapports avec le cosmos et la nature qui puissent permettre à l’humain de se décentrer et de rétablir une extériorité qui le replace au coeur même de son existence (p. 200) ?
Dans la troisième partie, « Que faire de la Bible ? Et que faire de Jésus ? Mémoire et figure de référence », Gisel s’interroge sur la manière de reconduire les fondements mêmes du christianisme dans la société civile au moment où la modernité s’ouvre à la culture du mystère en contrepoids aux « savoirs réputés rationalistes, techniques et instrumentaux ». L’Écriture peut-elle de nouveau être l’occasion d’un itinéraire de l’âme (p. 240) ? La théologie peut-elle déplacer les Écritures sur ce terrain ? Serait-il possible de construire une théologie de la vie de Jésus articulée au réel, au monde, à l’humain ? Une théologie d’un Jésus moins historique et plus en lien à du social et à de l’idéologique (p. 259) ?
Avec une acuité qui lui est habituelle, Gisel problématise les enjeux du religieux, du théologique et du social non pas comme des phénomènes séparés, mais comme un ensemble hétéronomique dont l’enjeu fondamental est l’humain.
Ses douze travaux ouvrent des horizons pour la théologie à partir de questions que suscite la quête moderne. L’inversion qu’il propose, c’est-àdire construire des avenues théo-logiques à partir de la réalité de l’humain pour l’humain et non essentiellement de la réalité de l’Église pour l’Église, saurait-elle, comme il semble le prétendre, redonner à la théologie et au théologien la pertinence et la légitimité de leur fonction dont les deux manquent et en souffrent éperdument ? Peut-on se rallier à Gisel et dire comme lui que « le lieu de l’exercice repris à la théologie (arraché à la théologie ?) mis en avant est celui de la société civile, humaine, séculière et plurielle » (p. 90) ? La théologie comme lieu de médiation entre la quête de l’homme envers Dieu et la quête de Dieu envers l’homme nous apparaît certes comme un lieu dont la théologie ne peut se priver.
La valeur de l’ouvrage se trouve incontestablement dans les questions que Gisel propose à cet effet. Tout programme qui pourrait en découler découvrira dans ses propos des amorces de réflexions qui sauront l’accompagner dans ses traversées et ses déplacements.