Résumés
Résumé
Cet article s’intéresse à la signification et le rôle des solitaires–élus dans les logia 49-50 de l’Évangile selon Thomas. Après avoir répertorié les différents sens attribués au substantif monakhos par la recherche actuelle, nous proposons une interprétation nouvelle de l’expression au moyen d’une lecture synchronique et intratextuelle de l’EvTh. La conclusion est que les solitaires et les élus ne sont pas deux classes d’individus distincts, mais constituent plutôt un même groupe, une seule entité. L’EvTh caractérise les solitaires–élus comme ceux qui s’adonnent à la quête du sens des paroles de Jésus, afin de ne pas goûter la mort (EvTh 1). Étant issus du Royaume et de la lumière, ils sont aussi étrangers dans ce monde, à l’instar de Jésus, maître du plérôme.
Abstract
This article explores the function and meaning of the solitary–elect in logia 49-50 of the Gospel according to Thomas. Following a review of the various meanings attributed to the monakhos by modern scholarship, a fresh interpretation of this expression by means of a synchronic and intratextual reading of the GosThom. is offered. The conclusion is that the solitary and the elect are not two classes of individuals, but are rather a single unique group, a sole entity. The GosThom. characterizes the solitary–elect as those who seek the interpretation of the sayings of Jesus, in order to not taste death (GosThom. 1). Having originated from the Kingdom and the light, they are strangers in the world, just as Jesus, the lord of the Pleroma.
Corps de l’article
Cet article vise à explorer la signification des substantifs et dans les logia 49 et 50 de l’Évangile selon Thomas (l’EvTh)[1] dans une perspective synchronique et intratextuelle[2]. Ces deux logia présentent les « solitaires » et « élus » comme des étrangers venus du Royaume et de la lumière, qui un jour retourneront à leur lieu d’origine[3]. Pour l’auteur de l’EvTh, la figure de Jésus est la lumière même de la plénitude divine (EvTh 77) ; il est l’origine de toutes choses[4]. Les « solitaires » sont étrangers par le fait même qu’ils sont comme leur maître, Jésus (EvTh 108)[5] et n’appartiennent pas à ce monde[6], car ils possèdent en eux l’essence de la lumière. Les « solitaires » sont particulièrement caractérisées comme étrangers dans les logia 49-50 de l’EvTh. Il importe de faire une lecture des textes en question afin de mieux en apprécier le sens[7] :
(49) 1 Jésus dit : Heureux () les solitaires () et élus (), car vous trouverez le Royaume, 2 car vous êtes issus de lui, (et) vous y retournerez.
(50) 1 Jésus dit : S’ils vous disent « D’où venez-vous ? », dites-leur : « Nous sommes venus de la lumière, le lieu où la lumière est venue d’elle-même et s’est tenue debout, et elle est apparue parmi leurs images ». 2 S’ils vous disent : « Est-ce vous ? », dites-leur : « Nous sommes ses fils et nous sommes les élus () du Père vivant ». 3 S’ils vous demandent : « Quel est le signe de votre Père qui est en vous ? », dites-leur : « C’est un mouvement et un repos ».
I. À la recherche du sens de : des solutions trop rapides
Le substantif gréco-copte , traduit ici par « solitaire », a fait l’objet de plusieurs analyses philologiques et de commentaires[7]. La plupart des recherches ont tenté de retracer l’origine du terme dans ses rapports avec le monachisme des premiers siècles de l’ère chrétienne[9]. Plusieurs spécialistes ont d’ailleurs fait un rapprochement entre et le vocable (īḥīdāyā), un terme technique qu’on retrouve chez les écrivains syriaque au 4e siècle. R. Murray résume les significations possibles de dans les courants syriaques, où le mot désigne successivement : (1) quelqu’un consacré au célibat ; (2) quelqu’un d’entier — le contraire du δίψυχος, celui qui possède une âme double[10] ; (3) quelqu’un bénéficiant d’une relation spéciale avec le Christ, l’Unique engendré (μονογενής) — les ascètes devaient en effet se « revêtir » du Christ[11]. Pour ce qui est du rapport entre et l’EvTh, le lien avec la tradition syriaque est une avenue que certains privilégient. On reconnaît généralement que l’apôtre Thomas ou Thomas Didyme, dans les évangiles canoniques, est appelé Jude Thomas par les auteurs syriaques. Nous savons que l’auteur implicite de l’EvTh est désigné comme étant (le jumeau). Certains autres textes de la tradition thomasienne présentent Judas comme le « jumeau » du Seigneur[12]. Cette mention du jumeau de Jésus laisse croire que l’EvTh proviendrait possiblement d’Édesse (Syrie), lieu privilégié où circulait une telle tradition[13]. Plusieurs estiment en effet que le texte final de l’EvTh aurait été composé en syriaque vers 140 de notre ère. Par la suite, l’évangile aurait été traduit en grec et en copte. Le texte complet est d’ailleurs en copte et date du milieu du 4e siècle (vers 350). Or, il n’est pas surprenant que certains chercheurs estiment que est un mot grec calqué du substantif syriaque . Si tel est le cas, il faudrait comprendre comme le terme technique qui désigne les moines au 4e et 5e siècle. Ce vocable serait alors la seule évidence ou équivalence de avant le 4e siècle[14]. Mais nous n’avons pour l’instant aucune preuve matérielle de l’existence d’un original syriaque de Thomas. Ce que nous avons de l’EvTh avant le 4e siècle sont les Papyri d’Oxyrhynque (P.Oxy) 1, 654 et 655 — ils correspondent à environ 20 logia de l’EvTh en grec. Ces fragments ne font malheureusement pas état de l’utilisation du terme grec μοναχός ; nous sommes par conséquent réduits à spéculer sur son emploi possible dans la version grecque. Le plus ancien exemple documenté de l’utilisation du substantif grec μοναχός provient d’un papyrus grec portant la date du 6 juin 324[15]. Le P.Coll. Youtie 77 parle d’un moine (μοναχός) du nom d’Isaac. L’ascète y est présenté comme vivant seul, près d’une église, sans toutefois appartenir à une communauté cénobitique, ni vivre en ermitage. Ici, μοναχός désigne simplement quelqu’un qui est consacré et qui vit seul[16]. Cette définition ressemble quelque peu à celle que propose Murray. En effet, dans l’Église syriaque, le était célibataire (homme ou femme) et comptait parmi les « fils de l’alliance », les (bnay qyāmâ)[17]. Les premières mentions de se retrouvent au 4e siècle dans les Démonstrations d’Aphraate et dans les Homélies d’Éphrem le Syrien[18]. Nous sommes tout de même loin de 140 de notre ère, date approximative d’un original de Thomas. Il n’est donc pas étonnant que certains chercheurs ont traduit par célibataire[19]. Quispel suivi de DeConick optent pour une interprétation encratique du terme[20]. Les seraient des célibataires possédant une vision négative du mariage. Le Royaume serait donc strictement réservé à ceux qui s’abstiennent de sexualité. Mais doit-on automatiquement conclure que signifie célibataire en raison de son sens au 4e siècle ? N’est-il pas préférable de tenter de comprendre dans le contexte de l’EvTh ? Il n’est pas rare que l’auteur donne un nouveau sens aux traditions qui se rapprochent des synoptiques. Il ne serait donc pas surprenant qu’il en aille de même pour l’expression . J’estime que l’hypothèse selon laquelle l’EvTh est un texte destiné seulement à un groupe de célibataires ne prend pas suffisamment en compte l’incipit de l’EvTh (EvTh 1), où la vie éternelle est promise à ceux qui trouvent l’interprétation des dits cachés. Il n’est pas question ici de en tant que célibataires. Nous faisons certainement fausse route en cherchant à interpréter littéralement[21] ! N’oublions pas que le texte présente des paroles cachées dont le sens n’est pas obvie.
Cela étant dit, l’EvTh invite le lecteur à déchiffrer son contenu. Il importe donc de chercher à comprendre la signification de dans le texte de l’EvTh, en prenant garde de ne pas imposer un sens venant d’ailleurs. Nous savons bien que la signification d’une parole peut changer dépendamment du contexte où elle se retrouve. Il en est de même pour un vocable. Le texte fournit ses propres référents, ses propres clés herméneutiques.
L’approche que je privilégie dans cet article est intratextuelle, selon laquelle un texte témoigne d’une sorte de mémoire interne. Sur le plan littéraire, l’emploi reconnu des mots-crochet entre les différents logia par le compilateur de l’EvTh appuie en quelque sorte cette idée ; ils servent avant tout d’aide-mémoire[22]. Mais la construction des références intratextuelles du texte se fait aussi par le lecteur[23]. Il s’agit d’une démarche où tous les renvois intratextuels sont arbitraires et dépendent de la sensibilité du lecteur[24]. Selon Piégay-Gros, ce processus de lecture s’effectue lorsque « la mémoire est alertée par un mot, une impression, un thème […] comme un souvenir circulaire[25] ». La reconnaissance intratextuelle est donc déclenchée à la lecture du texte en question. C’est ici qu’il faut avouer que toute interprétation d’un texte, aussi savante qu’elle se veuille ou croie l’être, est teintée de subjectivité[26]. Le sens se construit toujours à partir des liens effectués par l’interprète.
II. Les , les élus et le Royaume (logion 49)
Le logion 49 contient une des dix béatitudes de l’EvTh[27]. On remarque également que les sont mentionnés de pair avec les (les élus). Est-il question ici de deux classes d’individus ? R. Valantasis estime pour sa part qu’il s’agit de deux groupes différents : les « solitaires » et les « élus »[28]. Dans son commentaire sur le Dialogue du Sauveur, P. Létourneau traite quelque peu des logia 49-50 de l’EvTh et avance l’idée que « les termes et pourraient faire référence à deux aspects complémentaires du salut, soit l’origine pléromatique des élus et la nature androgynique des solitaires[29] ». Mais il n’est pas nécessaire de comprendre ces deux expressions comme deux aspects du salut. Dans l’EvTh, ces deux termes désignent plutôt la même chose. En ce qui a trait à la mention des élus, le logion 23[30] parle de la condition spirituelle de ceux qui seront « choisis » () par Jésus. Elle est comparable à celle des (les « uns et seuls »). Les élus sont décrits comme « étant debout » , ce qui, dans l’EvTh, s’apparente à l’entrée dans le Royaume. R. Charron précise que cette idée exprime « la condition de celui qui atteint le salut », et appartient au « vocabulaire de la transcendance, elle correspond au grec ἑστάναι[31] ». L’état de transcendance des élus (logion 23) correspond parfaitement à celui des du logion 49 où « solitaires » et « élus » sont issus du Royaume et y retourneront. De plus, même si le logion 50 ne fait pas référence au terme , les élus sont présentés comme étant issus de la lumière — une référence certaine au Royaume. Encore une fois, à l’instar du logion 49, les élus du logion 50 sont des , puisqu’ils proviennent eux aussi du Royaume[32]. Il est donc plus avantageux, à l’instar de Plisch, dans son récent commentaire sur l’EvTh, de reconnaître la fonction epexégétique ou explicative de la conjonction [33]. De plus, W.-P. Funk signale que sans relatif précédant () et suivant un groupe nominal sans attribut est employé pour qualifier le groupe nominal[34]. Tous les exemples fournis par Funk montrent qu’il s’agit toujours d’une seule entité à laquelle on adjoint une description[35]. Selon Funk, il serait donc erroné de traduire « Heureux les solitaires et les élus », car cela donnerait la fausse impression qu’il s’agit de deux groupes de personnes. La meilleure façon de traduire le début du logion 49 est : « Heureux les solitaires et élus[36] ».
Il est intéressant de constater le passage de la 3e personne à la 2e personne du pluriel () dans la deuxième partie du logion[37]. Le changement de pronom, ainsi que la répétition du substantif permet d’établir un lien clair avec le logion 50 qui suit (ce qui n’est jamais automatique). Par l’interpellation à la 2e personne, le texte façonne l’identité des lecteurs/auditeurs, les forçant en quelque sorte à s’identifier ou à se percevoir comme les solitaires–élus[38]. La fin du logion 49 parle du Royaume comme l’origine et la destination finale des solitaires–élus. On peut relever la même thématique d’un retour à l’origine comme accès au Royaume dans certains d’autres logia de l’EvTh. Par exemple, au logion 18[39], après l’interrogation des disciples au sujet de leur fin, Jésus s’étonne de leur questionnement et établit un lien étroit entre le commencement et la fin :
(18) 1Les disciples dirent à Jésus : Dis-nous comment adviendra notre fin ? 2 Jésus dit : Avez-vous donc découvert le commencement pour que vous cherchiez la fin ? Car là où est le commencement , là sera la fin. 3 Heureux () celui qui se tiendra dans le commencement, et il connaîtra () la fin et il ne goûtera pas la mort ().
À l’instar du logion 49, EvTh 18 contient une béatitude : « Heureux celui qui se tient au commencement, puisqu’il connaîtra aussi la fin et ne goûtera pas la mort () ». Notons le rapport qui existe entre la connaissance () et l’expérience de « ne pas goûter la mort » (). Dans le logion 18, les disciples veulent connaître la façon dont adviendra leur fin (). Jésus rétorque en reliant le commencement () et la fin en un seul lieu ou moment. Être dans le commencement ouvre sur la connaissance de la fin et sur l’expérience de ne pas goûter la mort. En cherchant l’, le disciple obtient donc la connaissance et l’immortalité. Mais comment peut-il prendre place dans le commencement ? En reliant le commencement à l’acquisition de la connaissance, on peut certes comprendre l’ comme le lieu de la manifestation du salut[40]. Cela s’accorde précisément avec le programme de lecture énoncé dans le logion 1. Le disciple est dans le commencement lorsqu’il trouve l’interprétation des paroles cachées[41]. Et c’est bien au moyen de cette connaissance qu’il en arrive à ne pas goûter la mort (EvTh 1).
Des thèmes identiques se retrouvent également dans le logion 4 de l’EvTh[42] où il est question du vieillard, du petit enfant et du lieu de la vie[43] :
(4) 1 Jésus a dit : L’homme vieux dans ses jours n’hésitera pas à interroger un tout petit enfant () de sept jours concernant le lieu de la vie , et il vivra 2 car il y a beaucoup de premiers qui seront derniers, et ils deviendront uns et seuls ()[44].
Plutôt que de chercher à expliquer le sens de ce logion, les commentateurs se contentent généralement de dresser une liste de références parallèles hors texte[45]. Mais comment comprendre cette parole énigmatique ? On remarque d’abord l’opposition entre l’homme vieux dans ses jours et le tout petit enfant de sept jours . On constate d’ailleurs le renversement de ce qui pourrait constituer un comportement habituel. Ce n’est pas le petit enfant qui interroge le vieillard, mais bien le contraire. On n’est pas sans savoir que toute la tradition biblique estime qu’il faut miser sur l’âge en ce qui a trait à la sagesse et l’expérience de vie[46]. Mais ici, c’est le qui est garant de la connaissance du lieu de vie . Le logion se termine de façon inusitée : les premiers seront les derniers[47]. Pour mieux comprendre le sens de cette idée, il faut tenir compte du rapport temporel entre le vieillard et le tout petit enfant. Le vieillard est le premier à entrer dans ce monde, le tout petit enfant est le dernier. L’homme âgé qui interroge l’enfant cherche la réponse que possède le dernier. La connaissance du lieu de la vie provient du dernier. Il y a ici une correspondance avec le logion 18 où il est question de se tenir dans le commencement pour connaître la fin et ne pas goûter la mort. En EvTh 4, l’expérience même de la vie () est synonyme du fait de « ne pas goûter la mort » en EvTh 18, ainsi que de l’entrée dans le Royaume en EvTh 49. Il y a un renversement de perspective. Au logion 4, l’enfant est le dernier par rapport au vieillard, mais en EvTh 18, il est le commencement par rapport à la fin. En revanche, sur le plan de la temporalité, l’homme âgé est le premier en comparaison au tout petit enfant du logion 4. Mais il est situé à la fin, lorsqu’il vient après le commencement, en EvTh 18.
On notera l’importance de la formule uns et seuls () à la fin du logion 4. Après que les premiers seront devenus derniers, ils seront uns et seuls. En copte, équivaut au grec εἷς, tandis que signifie seul et peut correspondre à μόνος. Nous sommes devant une espèce d’« Unité-Solitude », où ceux qui obtiendront la connaissance et l’expérience du lieu de la vie deviennent uns et seuls. Il s’agit clairement d’un état de transcendance semblable à ce que constituerait l’entrée dans le Royaume ou l’expérience de « ne pas goûter la mort[48] ». De toute évidence, la figure du vieillard qui interroge l’enfant représente la quête conduisant au salut. Cette recherche est celle qui est énoncée dans l’incipit et les premières lignes de Thomas : trouver l’interprétation des paroles cachées afin de ne pas goûter la mort. En somme on peut facilement voir que les sont ceux qui ont trouvé le lieu de la vie (EvTh 4), ceux qui se tiennent dans le commencement (EvTh 18), et ceux qui sont issus du Royaume et qui y retourneront (EvTh 49). Les uns et seuls semblent clairement identifiables aux du logion 49.
On note également la mention des dans le logion 75 de l’EvTh[49], où on rapporte que les solitaires entreront dans la chambre nuptiale :
(75) Jésus a dit : Il y en a beaucoup debout à la porte, mais les solitaires rentreront dans la chambre nuptiale ().
Seuls les entreront dans la chambre nuptiale . Dans l’EvTh, la chambre nuptiale n’est pas un concept qui s’apparente à ce qu’on retrouve dans la gnose valentinienne (cf. l’Évangile selon Philippe), c’est-àdire, à ce que certains ont compris comme un sacrement ou un rite d’initiation[50]. À l’instar de plusieurs chercheurs, je suis plutôt d’avis qu’il faut comprendre ce lieu comme une métaphore du Royaume[51] ; or, accéder à la chambre nuptiale équivaut à entrer dans le Royaume[52]. Cela correspond clairement à ce qui est dit des solitaires dans le logion 49. Ceux qui sont solitaires sont élus, car contrairement à ceux qui se tiennent debout à la porte (EvTh 75), seuls les entrent dans la chambre nuptiale. Le principe s’apparente quelque peu à ce qu’on retrouve dans l’Évangile selon Matthieu : il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus[53].
III. Les , étrangers issus de la lumière (logion 50)
Le logion 50 offre au lecteur un peu plus de précision sur l’origine des solitaires–élus : ils sont issus de la lumière. On peut constater l’emploi continu de la 2e personne du pluriel. Jésus interpelle les lecteurs/auditeurs, les forçant à nouveau à s’identifier aux solitaires–élus. Il n’y a pas d’indice sur l’identité de ceux qui questionnent les élus[54]. Les interrogateurs doivent être compris comme des opposants. Mais ce qui est d’un intérêt certain est l’identité des élus, qui tirent leur origine de la lumière. C’est d’ailleurs en ce sens que les sont étrangers en ce monde. Il y a trois éléments significatifs dans ce logion. Premièrement, il faut chercher à comprendre ce qu’est la lumière. EvTh 77,1 nous offre une réponse très précise à ce sujet :
(77) 1 Jésus dit : Je suis la lumière () qui est au-dessus de tous ; je suis tout (). Tout est issu de moi, et tout est venu vers moi.
Cette auto-affirmation de Jésus n’est pas étrangère à la tradition biblique. Dans le quatrième évangile, Jésus est présenté comme la lumière du monde (Jn 8,12 ; 9,5 ; 12,46). Selon Thomas, Jésus serait donc l’origine et l’aboutissement de tout. Cela est en assonance, certes, avec le commencement et la fin du logion 18, le premier et le dernier du logion 4, et l’origine et la destinée des solitaires–élus dans les logia 49 et 50.
Deuxièmement, EvTh 50 affirme que la lumière est apparue parmi leurs images. Que signifie cet énoncé cryptique ? Une réponse se trouve peut-être du côté du logion 28 de l’EvTh :
(28) 1 Jésus dit : Je me suis tenu debout () au milieu du monde, et dans la chair je leur suis apparu (). 2 Je les ai tous trouvés ivres, nul d’entre eux je n’ai trouvé ayant soif. 3 Et mon âme a souffert pour les fils des hommes, parce qu’ils sont aveugles dans leur coeur et ne peuvent voir ; car vides, ils sont venus dans le monde, et vides ils cherchent à quitter le monde. 4 Mais maintenant ils sont ivres, lorsqu’ils auront rejeté leur vin, alors ils se repentiront.
Il est intéressant de constater que la formule copte (se tenir debout) est employée pour qualifier la venue de la lumière (EvTh 50,1), ainsi que la venue de Jésus dans le monde (EvTh 28,1). On remarque aussi l’utilisation du verbe (apparaître)[55]. La lumière est apparue parmi leurs images et Jésus est apparu aux fils des hommes. Les deux logia traitent en quelque sorte de l’incarnation ; nous sommes ici bien loin du rejet du monde matériel prôné par les gnostiques.
Troisièmement, les élus sont désignés de trois manières : (1) fils de la lumière ; (2) élus du Père vivant ; (3) fils du Père. En réponse à la question : « est-ce vous ? », les solitaires–élus affirment être « ses fils » , c’est-à-dire « fils de la lumière ». L’antécédent du pronom possessif masculin (ses) semble bien être le substantif (lumière), qui est, en copte, au masculin. Mais ne sont-ils pas appelés aussi les fils du Père ? Et de quel Père s’agit-il exactement ? Il serait normal de faire un lien avec ce qui précède, c’est-àdire le Père vivant (). En tant qu’élus du Père vivant, les semblent à la fois fils de la lumière et fils du Père vivant. Mais peut-on réconcilier l’idée qu’ils soient fils de Jésus (la lumière), ainsi que fils du Père vivant ? Il est peut-être possible d’obtenir une certaine réponse à cette énigme en regardant du côté du logion 15 :
(15) Jésus dit : Lorsque vous verrez celui qui n’est pas né d’une femme, prosternez-vous et adorez-le ; celui-là est votre Père .
Ce qui n’est pas engendré naturellement dans l’EvTh, c’est la lumière (la lumière est venue d’elle-même = ; EvTh 50). Jésus, en tant que lumière, ne serait pas né de la femme. Si tel est le cas, l’EvTh établirait une correspondance entre la lumière, Jésus et le Père vivant. Notons que Jésus est aussi désigné comme étant le vivant () dans l’incipit de cet évangile. On peut voir une certaine progression dans ces deux logia : Royaume → lumière (Jésus) → Père. Il serait, certes, intéressant d’examiner davantage la christologie de l’EvTh ; on pourrait certainement y voir des affinités avec plusieurs énoncés du quatrième évangile.
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En conclusion, qui sont donc les ? Ils sont d’abord des élus, les seuls à pouvoir accéder au Royaume ou à la chambre nuptiale. Les logia 49-50 traitent clairement de l’origine des solitaires–élus : ils viennent du Royaume et y retourneront (EvTh 49). Ils sont aussi issus de la lumière (Jésus) et appelés les fils du Père vivant (EvTh 50). Le retour aux origines correspond au retour au commencement (EvTh 18), à la connaissance du lieu de la vie (EvTh 4), et à l’état d’« Unité-Solitude » exprimé par l’expression , qui à son tour s’apparente au terme . Cet état de transcendance est réalisé au moyen de la quête du sens des paroles cachées de Jésus (EvTh 1) ; c’est d’ailleurs cela qui conduit le disciple à « ne pas goûter la mort ». Si l’EvTh parle d’ascèse, c’est précisément en ce sens : la quête de la sagesse et de la connaissance des paroles cachées exige un dévouement complet.
En terminant, on pourrait se demander ce qui fait des des étrangers. Ils sont issus du Royaume et de la lumière qui est au-dessus de tous. Ils sont comme Jésus ; ils viennent d’ailleurs. Comme la lumière, ils sont maintenant dans le monde, au milieu des hommes (cf. EvTh 28). Mais à travers leur quête du sens des paroles de Jésus le vivant, ils sont aussi sur la route du retour vers le Royaume. C’est ce mouvement qui est le signe de leur Père en eux, un retour au lieu de repos[56].
Parties annexes
Notes
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[1]
Les deux termes se retrouvent également ensemble dans le Dialogue du Sauveur 120,26 et 121,18-20 ; pour plus de détails, voir P. Létourneau, Le Dialogue du Sauveur NH III, 5, Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 29), 2003, p. 124-126.
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[2]
Le présent article entreprend plus spécifiquement une lecture intratextuelle des logia 49-50. Il importe toutefois de signaler que ces deux paroles font partie d’une structure concentrique plus large en EvTh 49-54 [A, B, C // C', B-1, A']. Pour plus de détails, voir A. Gagné, « Structure and Meaning in Gos. Thom. 49-53. An Erotapokritic Teaching on Identity and Eschatology », dans J. Schröter, éd., The Apocryphal Gospels within the Context of Early Christian Theology, Leuven, Peeters (coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium », 260), 2013, p. 529-538.
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[3]
Sevrin a bien noté qu’il fait sens de lire les logia 49-50 comme une seule unité littéraire. Le logion 49 explique que ceux qui trouvent le Royaume y retournent ; le logion 50 présente un commentaire plus détaillé du retour des solitaires–élus au lieu de la lumière ; voir J.-M. Sevrin, « Évangile selon Thomas », dans J.-P. Mahé, P.-H. Poirier, éd., Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 538), 2007, p. 318 ; d’autres partagent aussi cet avis, B. Gärtner, The Theology of the Gospel according to Thomas, New York, Harper & Brothers, 1961, p. 29 ; S. Patterson, The Gospel of Thomas and Jesus, Sonoma, Calif., Polebridge Press, 1993, p. 200 ; A. Pasquier, F. Vouga, « Le genre littéraire et la structure argumentative de l’Évangile selon Thomas et leurs implications christologiques », dans L. Painchaud, P.-H. Poirier, éd., Colloque international « L’Évangile selon Thomas et les textes de Nag Hammadi », Québec 21-31 mai, 2003, Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Études », 8), 2007, p. 358.
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[4]
A. Gagné, « Jésus, la lumière et le Père Vivant. Principe de gémellité dans l’Évangile selon Thomas », Apocrypha, 23 (2012), p. 209-221.
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[5]
Voir Id., « Lire un apocryphe en synchronie. Analyse structurelle et intratextuelle du logion 22 de l’Évangile selon Thomas », dans Id., J.-F. Racine, En marge du canon : études sur les écrits apocryphes juifs et chrétiens, Paris, Cerf (coll. « L’écriture de la Bible », 2), 2012, p. 247.
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[6]
À l’instar de la Première épître de Pierre (1 Pi 2,11) et de l’épitre aux Hébreux (He 11,13), les « solitaires » de l’EvTh doivent se considérer comme des étrangers en ce monde. Selon Thomas, ce qui les distingue du monde, c’est leur origine céleste. Pour l’auteur de l’EvTh, les sont des étrangers en ce monde, puisqu’ils proviennent du Royaume — désigné aussi comme étant la lumière (EvTh 19 ; 49-50 ; 83-84), et c’est aussi le cas de Jésus (EvTh 15 ; 28 ; 77), où il affirme ne pas être né d’une femme (EvTh 15), et qu’il est venu en ce monde dans la chair (EvTh 28), étant lui-même l’origine du Tout, c’est-àdire du Plérôme (EvTh 77).
-
[7]
Le texte copte provient de l’édition de B. Layton, « The Gospel according to Thomas », dans Id., éd., Nag Hammadi Codex II, 2-7 together with XIII, 2*, Brit. Lib. Or. 4926(1), and P.Oxy. 1, 654, 655, Leiden, Brill (coll. « Nag Hammadi », 20) 1989, p. 52-93.
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[8]
En tant que dérivé de μόνος, il est tout à fait convenable de traduire le substantif par solitaire.
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[9]
Par exemple, A. Vööbus, History of Asceticism in the Syrian Orient, vol. 1, The Origins of Asceticism, Early Monasticism in Persia, Louvain, Peeters (coll. « Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium », 184), 1959, p. 106-108 ; M. Harl, « À propos des LOGIA de Jésus : Le sens du mot ΜΟΝΑΧΟΣ », Revue des études grecques, 73 (1960), p. 464-474 ; A.F.J. Klijn, « The “Single One” in the Gospel of Thomas », Journal of Biblical Literature, 81 (1962), p. 271-278 ; F.-E. Morard, « Monachos, Moine. Histoire du terme grec jusqu’au 4e siècle. Influences bibliques et gnostiques », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 20 (1973), p. 332-411 ; et « Monachos : une importation sémitique d’Égypte ? Quelques aperçus nouveaux », dans E.A. Livingston, éd., Papers Presented at the 6th International Conference on Patristic Studies held in Oxford 1971, Berlin, Akademie-Verlag (coll. « Texte und Untersuchungen », 115), 1975, p. 242-246 ; E. Judge, « The Earliest Use of Monachos for ‘Monk’ (P.Coll. Youtie 77) and the Origins of Monasticism », Jahrbuch für Antike und Christentum, 20 (1977), p. 72-89 ; F.-E. Morard, « Encore quelques réflexions sur Monachos », Vigiliae Christianae, 34 (1980), p. 395-401 ; E. Dekkers, « ΜΟΝΑΧΟΣ. Solitaire, unanime, recueilli », dans A.A. Bastiaensen, A. Hilhorst, C.H. Kneepkens, éd., Fructus centesimus : mélanges offerts à Gérard J.M. Bartelink, Dordrecht, Kluwer, 1989, p. 91-104 ; M. Choat, « The Development and Usage of Terms for ‘Monk’ in Late Antique Egypt », Jahrbuch für Antike und Christentum, 45 (2002), p. 5-23 ; D.F. Bumazhnov, « Some Ecclesiological Patterns of the Early Christian Period and Their Implications for the History of the Term ΜΟΝΑΧΟΣ (Monk) », dans A.A. Alexeev, C. Karakolis, U. Luz, éd., Einheit der Kirche im Neuen Testament : dritte europäische orthodox-westliche Exegetenkonferenz in Sankt Petersburg, 24-31 August, 2005, Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, p. 251-264.
-
[10]
L’auteur de l’Épître de Jacques parle de l’homme partagé (ἀνὴρ δίψυχος, Jc 1,8) ainsi que de gens partagés (δίψυχοι, Jc 4,8).
-
[11]
R. Murray, Symbols of the Church and Kingdom. A Study in Early Syriac Tradition, Piscataway, N.J., Gorgias Press, 2004, p. 13-14.
-
[12]
Par exemple voir AcTh 39 et le Livre de Thomas l’athlète 138,4-10.
-
[13]
Pour plus de détails, voir R. Kuntzmann, Le symbolisme des jumeaux au Proche-Orient. Naissance, fonction et évolution d’un symbole, Paris, Beauchesne (coll. « Beauchesne Religions », 12), 1983, p. 164-212 ; Le Livre de Thomas. NH II,7, Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 16), 1986, p. 51-53 ; « Le Livre de Thomas (NH II,7) et la tradition de Thomas », dans L. Painchaud, A. Pasquier, éd., Les textes de Nag Hammadi et le problème de leur classification. Actes du colloque tenu à Québec du 15 au 19 septembre 1993, Québec, PUL ; Louvain, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Études », 3), 1995, p. 306 ; voir également J. Doresse, Les livres secrets des gnostiques d’Égypte, Paris, Plon, 1958, p. 40-56 ; K.V. Neller, « Diversity in the Gospel of Thomas : Clues for a New Direction », Second Century, 7 (1989-1990), p. 8 ; P.-H. Poirier, « Évangile de Thomas, Actes de Thomas, Livre de Thomas : Une traduction et ses transformations », Apocrypha, 7 (1996), p. 20-22 ; H.C. Merillat, The Gnostic Apostle Thomas « Twin of Jesus », Philadelphie, Xlibris Corporation, 1997, p. 58-61.
-
[14]
S.H. Griffith, « Asceticism in the Church of Syria : The Hermeneutics of Early Monasticism », dans V.L. Wimbush, R. Valantasis, éd., Asceticism, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 229.
-
[15]
E. Judge, « The Earliest Use of Monachos », p. 72 et 86-87.
-
[16]
Voir les remarques de F.-E. Morard dans « Encore quelques réflexions sur Monachos », p. 223.
-
[17]
S.P. Brock, « Early Syrian Asceticism », Numen, 20 (1973), p. 7-8.
-
[18]
S.H. Griffith, « Asceticism in the Church of Syria », p. 223-224.
-
[19]
Quispel offre son point de vue sur l’EvTh en ces termes : « The author of the Gospel of Thomas lived in Edessa in Mesopotamia. He was an encratite, rejecting women, wine and meat, and therefore taught that only bachelors could go to heaven. His religious ideal was typically Syrian, the ihidaja or monachos, i.e. the androgynous man or woman » (G. Quispel, « The Gospel of Thomas Revisited », dans B. Barc, éd., Colloque international sur les textes de Nag Hammadi. Québec, 22-25 août 1978, Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters [coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Études », 1], 1981, p. 235). Voir également, A.D. DeConick, Seek to See Him. Ascent and Vision Mysticism in the Gospel of Thomas, Leiden, Brill (coll. « Vigiliae Christianae Supplements. Texts and Studies of Early Christian Life and Language », 33), 1996, p. 4-5, 88-89 et 136. J’estime qu’il est difficile de faire un lien entre la vision négative du mariage endossée par l’encratisme et l’état des îhîdāyê de la tradition syriaque. Aphraate et Éphrem, ainsi que la communauté syrienne, ne font état d’aucune exhortation contre le mariage, même s’ils mettent en valeur le choix de ceux qui s’en abstiennent ; voir R. Murray, Symbols of the Church and Kingdom, p. 12-13.
-
[20]
Selon Irénée, l’encratisme provenait de Saturnus et Marcion, mais Eusèbe de Césarée et Jérôme furent plutôt d’avis que Tatien, l’auteur du Diatessaron, était le fondateur de l’encratisme à la fin du 2e siècle. Le terme grec ἐγκράτεια signifie continence, contrôle ou maîtrise de soi. Tatien estimait que l’homme devait refuser de se marier sous le prétexte d’éviter la corruption (cf. Ga 6,8) ; pour plus de détails sur l’encratisme, voir G.S. Gasparro, « Asceticism and Anthropology : Enkrateia and ‘Double Creation’ in Early Christianity », dans V.L. Wimbush, R. Valantasis, éd., Asceticism, Oxford, Oxford University Press, 1995 ; H.F. Stander, « Encratites », dans E. Ferguson, éd., Encyclopedia of Early Christianity, New York, Garland Publishing, 1990, p. 298-299.
-
[21]
L’interprétation encratique de DeConick la conduit aussi à comprendre la métaphore de la chambre nuptiale (EvTh 75) littéralement ; voir The Original Gospel of Thomas in Translation, New York, T&T Clark, 2007, p. 233.
-
[22]
Pour plus de détails sur l’agencement des mots-crochet, voir S. Patterson, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 99-102.
-
[23]
Selon A. Compagnon, l’intertexte peut aussi se comprendre comme une intentio lectoris. On pourrait comparer le tout à ce que certains appellent le reader response criticism ; voir A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil (coll. « Points Essais », 352), 1998, p. 130-131 ; et J. Resseguie, « Reader-Response and the Synoptic Gospels », Journal of the American Academy of Religion, 52 (1989), p. 411-434.
-
[24]
Genette cite Riffaterre pour qui « l’intertexte est la perception, par le lecteur, de rapports entre une oeuvre et d’autres qui l’ont précédée ou suivie » (G. Genette, Palimpseste : la littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, p. 9). Il importe ici de signaler que le rapport entre les textes est fait par le lecteur et non pas seulement par l’auteur d’une oeuvre quelconque.
-
[25]
Voir N. Piégay-Gros, Introduction à l’intertextualité, Paris, Nathan, 2002, p. 19.
-
[26]
Concernant la démarche interprétative de l’EvTh, J.-M. Sevrin écrit : « Engageant son lecteur dans un maquis de sentences qui presque toutes apparaissent énigmatiques, l’Évangile selon Thomas l’engage à y trouver son chemin par une lente et patiente lecture où les énigmes s’enchaînent et s’éclairent à mesure que percent des lueurs de sens et que se forme une interprétation. Le puzzle éparpillé se recompose peu à peu. […] Les sentences en effet, parce qu’énigmatiques (et peut-on arriver au bout de toutes les énigmes ?), permettent de nombreuses interprétations » (J.-M. Sevrin, « L’Évangile selon Thomas comme exercice spirituel », dans J.-P. Mahé, P.-H. Poirier, M. Scopello, éd., Les textes de Nag Hammadi. Histoire des religions et approches contemporaines. Paris, AIBL-Diffusion De Boccard, 2010, p. 211).
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[27]
Le terme est mentionné dans EvTh 7 ; 18 ; 19 ; 49 ; 54 ; 58 ; 68 ; 69 (2x) ; 103.
-
[28]
R. Valantasis, The Gospel of Thomas, New York, Routledge (coll. « New Testament Readings »), 1997, p. 126.
-
[29]
Pour Létourneau, le logion 50 décrit spécifiquement l’origine pléromatique des élus, mais une lecture synchronique des logia 49-50 — et jumelée à d’autres textes de l’EvTh — montre que les expressions et sont clairement interchangeables ; elles ne parlent pas de deux aspects du salut, mais caractérise plutôt la même classe d’individus ; voir P. Létourneau, Le Dialogue du Sauveur NH III, 5, p. 126.
-
[30]
Logion 23 : « Jésus dit : Je vous choisirai (), un parmi mille et deux parmi dix mille, et ils se tiendront debout (), étant uns et seuls () ».
-
[31]
R. Charron, « À propos des et de la solitude divine dans les textes de Nag Hammadi », dans L. Painchaud, P.-H. Poirier, éd., Coptica – Gnostica – Manichaica. Mélanges offerts à Wolf-Peter Funk, Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Études », 7), 2006, p. 124.
-
[32]
Il est donc difficile de se ranger du côté de Valantasis pour qui « those who are only solitaries (without being chosen) and those who are chosen (without being solitaries) will not find the Kingdom » (R. Valantasis, The Gospel of Thomas, p. 126).
-
[33]
U.-K. Plisch, The Gospel of Thomas. Original Text with Commentary, trad. G.S. Robinson, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2008, p. 128. Pour plus de détails sur la fonction epexégétique de καί, voir F. Blass, A. Debrunner, F. Rehkopf, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 1976, § 442.9. Cette perspective se reflète aussi dans la traduction de certains commentateurs ; voir par exemple A.D. DeConick, The Original Gospel of Thomas, p. 179 ; P. Pokorný, A Commentary on the Gospel of Thomas. From Interpretations to the Interpreted, London, T&T Clark (coll. « Jewish and Christian Texts Series »), 2009, p. 93 ; M. Grosso, Vangelo secondo Tommaso, Rome, Carocci editore, 2011, p. 182-183.
-
[34]
Les remarques grammaticales suivantes sur l’emploi de auw et- proviennent d’une communication électronique avec W.-P. Funk, du 15 janvier 2013.
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[35]
Parmi les exemples répertoriés par Funk, il y a un texte de Shenoute : ; « ceux qui font des faux serments et qui pratiquent toute tromperie » (Munier, Cat. gén., 1916, 103-4 = Canon 1, selon XC 59:30-33). Il m’a aussi fait part de plusieurs exemples tirés de textes en bohaïrique () du manuscrit de la Curzon Catena (éd. Lagarde 1886) : ; « Car le miséricordieux est celui qui est véritablement parfait et qui est aussi perfectionné en toute vertu » (131:35-36) ; ; « C’est lui, en effet, le tout-parfait et qui est perfectionné en tout progrès, vraiment comme Dieu » (186:24-25) ; ; « Donc, ce n’est pas le “noble”, cette race des Grands et qui l’est du renom, parmi la noblesse du pays ; le véritablement “noble” est plutôt celui qui parvient à l’existence vertueuse ».
-
[36]
Il est possible de traduire aussi par : « Bienheureux ceux qui sont solitaires et qui sont élus », ou « Bienheureux les solitaires-et-élus », ou encore « Heureux les solitaires, c’est-àdire, ceux qui sont aussi élus ».
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[37]
Plisch a aussi remarqué ce phénomène en EvTh 54, voir The Gospel of Thomas, p. 127.
-
[38]
R. Valantasis, The Gospel of Thomas, p. 126.
-
[39]
Ce rapport thématique avec le logion 18 a été jadis clairement expliqué par H.-C. Puech, dans En quête de la gnose II. Sur l’Évangile selon Thomas, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des sciences humaines »), 1978, p. 147-148 ; voir également J.-É. Ménard, L’Évangile selon Thomas, Leiden, Brill (coll. « Nag Hammadi Studies », 5), 1975, p. 151-152 ; M. Grosso, Vangelo secondo Tommaso, p. 183.
-
[40]
L’ comme lieu du salut correspond clairement au Royaume ; voir B.F. Miller, « A Study of the Theme of ‘Kingdom’. The Gospel According to Thomas : Logion 18 », Novum Testamentum, 9 (1967), p. 54 ; R. Uro, Thomas. Seeking the Historical Context of the Gospel of Thomas, New York, T&T Clark, 2003, p. 93 ; S.L. Davies, The Gospel of Thomas and Christian Wisdom Second Edition, Oregon House, Calif., Bardic Press, 2005, p. 59-60.
-
[41]
R. Valantasis, The Gospel of Thomas, p. 86-87.
-
[42]
Gärtner a déjà repéré ce lien thématique ; voir Theology of the Gospel according to Thomas, p. 227-228.
-
[43]
Même si je travaille sur la version copte du logion 4, il importe de signaler que l’on retrouve une version très proche de ce dit dans le P.Oxy 654 : « [Jésus a dit] : l’[homme vieux dans ses jours] n’hésitera pas à interroger [un tout petit enfant de sept jours] concernant le lieu [de la vie, et] il [vivra], car beaucoup qui sont [premiers] seront [derniers, et] les derniers seront premiers, et ils [deviendront un seul]. » Je me fie ici à la reconstruction d’Attridge. Par ailleurs, Fitzmyer restaure la fin du logion comme suit : « […] et ils [auront la vie éternelle] » ; pour plus de détails, voir H. Attridge, « The Gospel of Thomas. The Greek Fragments », dans J.M. Robinson, éd., The Coptic Gnostic Library : A Complete Edition of the Nag Hammadi Codices, Vol. 2, Leiden, Brill, 2000, p. 115 ; et J.A. Fitzmyer, « The Oxyrhynchus Logoi of Jesus and the Coptic Gospel According to Thomas », dans Essays on the Semitic Background of the New Testament, Missoula, Scholars Press, 1974, p. 379.
-
[44]
R. Charron rappelle que provient de εἷς μόνος et devrait être traduit par « un (et) seul » ou « unique et solitaire » ; voir « À propos des et de la solitude divine dans les textes de Nag Hammadi », p. 120 et 124.
-
[45]
Voir la liste dressée par W.D. Stroker, Extracanonical Sayings of Jesus, Atlanta, Scholars Press (coll. « Society of Biblical Literature Resources for Biblical Study », 18), 1989, p. 94-96.
-
[46]
Par exemple, voir Lv 19,32 ; 1 R 12,6-8 ; Job 12,12 ; 32,4-9.
-
[47]
Voir les parallèles synoptiques Mt 20,26 ; Mc 10,31 (// Mt 19,30 ; Lc 13,30).
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[48]
R. Charron, « À propos des et de la solitude divine dans les textes de Nag Hammadi », p. 124.
-
[49]
Selon R. Charron, il y a un lien indéniable entre les logia 49 et 75. Elle estime également que la condition spirituelle des correspond à celle des mentionnés dans le logion 22 de l’EvTh ; voir « À propos des et de la solitude divine dans les textes de Nag Hammadi », p. 132.
-
[50]
Pour plus de détails sur le concept de « chambre nuptiale », voir E. Segelberg, « The Coptic-Gnostic Gospel according to Philip and Its Sacramental System », Numen, 7 (1960), p. 189-200 ; K. Rudolph, Gnosis. The True Nature & History of Gnosticism, Edinburgh, T&T Clark, 1984, p. 245-246 ; W.W. Isenberg, « Introduction to the Gospel according of Philip », dans J.M. Robinson, éd., The Coptic Gnostic Library, Vol. 2, p. 136. Certains ne voient pas de rite spécifique rattaché à l’idée de la chambre nuptiale ; voir J.-M. Sevrin, « Les noces spirituelles dans l’Évangile selon Philippe », Muséon : Revue d’études orientales, 87 (1974), p. 143-193.
-
[51]
Voir par exemple, R. Valantasis, The Gospel of Thomas, p. 154 ; U.-K. Plisch, The Gospel of Thomas, p. 178.
-
[52]
C’est d’ailleurs peut-être semblable à ce que l’on retrouve dans la parabole des dix vierges (Mt 25,1-13) ; G. Quispel, Makarius, das Thomasevangelium, und das Lied von der Perle, Leiden, Brill (coll. « Novum Testamentum Supplements », 15), 1967, p. 26 ; R. Uro, « Is Thomas an Encratite Gospel ? », dans Thomas at the Crossroads. Essays on the Gospel of Thomas, Edinburgh, T&T Clark (coll. « Studies of the New Testament and Its World »), 1998, p. 159.
-
[53]
(Mt 22,14).
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[54]
La plupart des chercheurs comparent le questionnement des opposants en EvTh 50 à l’interrogation des archontes à l’endroit des gnostiques lors du retour à leur demeure céleste ; voir ApocJac III 33,11-34,20. Il faut cependant en rester aux données du texte : rien ne suppose la présence des archontes dans ce logion de l’EvTh.
-
[55]
R. Valantasis, The Gospel of Thomas, p. 128.
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[56]
Le mouvement () est en opposition à s’établir (). Le mouvement et le repos, c’est le retour au lieu d’origine : le Royaume et la lumière. Le signe du Père chez les élus, c’est le fait qu’ils aspirent à une quête en vue de ce retour.