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LiminaireActualité de Louis Lavelle[Notice]

  • Jean-Louis Vieillard-Baron

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  • Jean-Louis Vieillard-Baron
    Centre de recherche sur Hegel et l’idéalisme allemand (EA 2626), UFR Sciences humaines et Arts, Université de Poitiers

Le spiritualisme de Lavelle est centré sur un concept, original et ancestral à la fois, celui de la participation. Aujourd’hui, où la démocratie est « participative », ce concept est très actuel. Et pourtant, la participation vient de Platon, où elle désignait le rapport de la chose à l’Idée de cette chose ; les beaux corps sont beaux parce qu’ils participent à l’Idée du Beau. Mais chez Lavelle, il s’agit d’autre chose : nous participons à l’être parce que nous sommes immergés dans l’être. En fait participer, c’est avoir part à la présence de l’être, qui est présence totale. Mais la participation est à la fois active et passive ; par notre liberté, par notre action, nous participons à l’être total qui est Dieu. Mais en même temps, notre existence est participée ; nous n’existons pas par nous-mêmes, et l’existence nous est donnée. En nous créant, Dieu nous communique son être ; pour Lui, créer, c’est nous appeler à participer à son être. Mais la participation passive ne concerne que les êtres naturels, alors que l’homme participe passivement seulement dans la mesure où, ne produisant pas lui-même son existence, il la reçoit, mais il participe activement en tant que son acte d’être est un acte de liberté. En ce sens, c’est la création divine qui est une forme de passivité. Lavelle écrit : « La grandeur de Dieu éclate dans cette vue que créer, pour lui, c’est se faire participer  ». Dans le spiritualisme de Lavelle, Dieu est le Dieu des âmes : l’homme créé libre est capable d’avoir une âme, autrement dit d’exprimer sa spiritualité, non d’une manière substantielle, mais à la façon d’un projet libre. Le Dieu des âmes est le Dieu-Esprit qui fonde le lien social et intersubjectif. Si l’âme est l’unité spirituelle de la personnalité singulière, l’être-ensemble ne peut se fonder que sur Dieu participé par chacun. Le recueil posthume d’articles de Lavelle intitulé De l’intimité spirituelle associe, très justement, liberté et participation, car il n’y a pas de participation à la liberté divine hors de la liberté humaine des êtres singuliers, en tant qu’ils sont doués d’âme. La liberté implique le problème du temps, sur lequel Lavelle est particulièrement original et perspicace. Il faut renverser l’ordre ordinaire du temps pour le comprendre. « Car si l’on ne considère pas l’avenir comme réalisé, c’est-à-dire comme déjà passé, si on le considère en tant qu’avenir, c’est-à-dire en tant que possible, il est évident qu’il est antérieur au passé, car c’est toujours le futur qui devient du passé ». L’ordre linéaire passé-présent-avenir, critiqué dès 1927 par Heidegger dans Sein und Zeit, est, selon Lavelle, « l’ordre des réalisations accomplies et non pas des réalisations qui s’accomplissent, l’ordre selon lequel les choses sont faites et non pas l’ordre selon lequel elles se font. Il est rétrospectif et non pas prospectif ». Bergson avait montré, dès 1889 et l’Essai sur les données immédiates de la conscience, que le déterminisme rend impossible la compréhension de l’acte libre, car il nie l’imprévisibilité de l’événement. La liberté ne peut être comprise rétrospectivement. On ne peut pas prévoir l’acte de Pierre si l’on n’est pas Pierre. Lavelle va plus loin en disant que la liberté qui se réalise, la liberté en train de se faire, ne cesse d’opérer la conversion de l’avenir en passé, qui est la genèse du temps. Mais le spiritualisme nous fait comprendre qu’à cette première conversion fait suite une seconde, à savoir la conversion du passé en avenir spirituel ; toutes nos idées sont des souvenirs dédatés, et le passé peut alors être défini comme présent …

Parties annexes