Weilienne de longue date, c’est de son propre aveu (p. xi) par la lecture de Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale que Elizabeth Jane Doering est entrée dans l’oeuvre de Simone Weil, militante et penseur politique, philosophe et mystique française (1909-1943). Docteur de la Northwestern University, Illinois, l’auteur enseigne à Notre Dame et participe aussi régulièrement, en Europe, aux colloques annuels de la Société pour l’étude de la pensée de Simone Weil, qu’à ceux de l’American Weil Society en Amérique du Nord. S’efforçant d’embrasser et d’approfondir dans son entier tout ce que son auteur a pu écrire sur ce thème de la force, qui dans la perspective weilienne englobe celui de la violence, E. Jane Doering ne s’est pas contentée d’utiliser les traductions anglaises existantes, elle est toujours allée aux originaux, traduisant elle-même, lorsque cela n’avait pas été fait, les citations qu’elle en a extraites et présentant en appendice, à la fin de son livre, un précieux relevé des nombreux articles — surtout de ceux de l’avant-guerre — ayant fait ou non l’objet d’une traduction anglaise (p. 240-242), avec leurs titres dans chacune des deux langues. Ce qui contribue, au-delà même du thème qu’il développe, et à un point sans aucun doute inégalé à ce jour, à rendre cet ouvrage utile à tout lecteur anglophone de Simone Weil. Si même, ne pouvant a priori le faire, il ne rend pas compte de la pensée tout entière de Simone Weil, il n’aurait de toute évidence pu être écrit sans la connaissance approfondie et sans l’empathie dont tout au long de son livre E. Jane Doering ne cesse de fournir à chaque page un surcroît de preuve. Le scrupuleux souci de se tenir au plus près du texte weilien, point sur lequel il serait bien difficile de la prendre en défaut, n’en a pas moins son ombre. Si justement soucieuse que se soit effectivement montrée l’auteur de situer la pensée de Simone Weil « against the backdrop of the violent events of her times » (p. x), on aurait souhaité qu’elle prît davantage le risque de l’articuler plus vigoureusement aux événements — eux aussi violents et dramatiques, voire tragiques — de sa propre vie à elle, Simone Weil. Le risque — c’est bien le mot en effet — n’est pas mince. Tout cet ouvrage est tendu en effet vers la pensée dernière, toute mystique et tout engagée, de Simone Weil — à propos de la force comme de tout autre point — comme l’auteur en fait à juste titre l’aveu dès la première page de sa préface (p. ix), à telle enseigne qu’on peut estimer que le mieux venu de ses chapitres est à cet égard le septième, « Justice and the Supernatural » (p. 183-209), auquel il faut ajouter les pages 238-239 qui concluent à la fois le dernier chapitre, consacré aux sources de la réception weilienne aux États-Unis, et l’ouvrage dans son entier. On peut critiquer en effet l’idée que, s’agissant de Simone Weil, « her thought was developing in a linear fashion » (p. xi) : rien de moins prévisible a priori que la vie et la pensée de Simone Weil, et il est bien hasardeux, ou présomptueux, au regard de la lecture weilienne bien ultérieure de la Parabole duSemeur évoquée par l’auteur (p. 238 et 264), de tenir pour acquis que « her […] works from her earlier years […] contain seeds of what eventually became her unique mystical philosophy » (p. ix). (Comme si elle n’avait eu qu’à attendre tranquillement que ça pousse …
E. Jane Doering, Simone Weil and the Specter of Self-perpetuating Force. Notre Dame, Ind., The University of Notre Dame Press, 2010, xii-269 p.[Notice]
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Gabriël Maes
Zele