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Le point de départ de cet ouvrage est l’expérience de souffrance des chrétiens arabes qui interrogent leur foi dans le but de comprendre le sens de leurs afflictions. Ce questionnement est accompagné par une réflexion théologique menée au sein de plus d’une communauté chrétienne arabe. L’auteur qui considère la théologie arabe comme atteinte de « vieillesse, de dislocation et de mollesse », conduit sa recherche dans le but d’une « réforme et d’une actualisation », lesquelles devraient être menées par des chrétiens arabes qui se consacrent à cette tâche. Cet ouvrage se veut une contribution à ce projet.
Aoun commence sa réflexion par une investigation sur l’identité de la théologie chrétienne, dans le but d’en tirer l’expression la plus adéquate pour les chrétiens souhaitant exprimer leur expérience de foi vécue au sein d’un contexte culturel bien précis. Le point de départ de son investigation prend source dans le Concile de Vatican II, passe par un très bref survol historique des sens de la discipline théologique, examine les rapports entre la théologie d’une part et la philosophie et les sciences positives d’autre part, pour finir par souligner l’importance de l’expérience de foi vécue pour le discours théologique.
Deux chapitres traiteront ensuite du dossier historique de la question, ce qui permettra au lecteur de comprendre la souffrance des chrétiens arabes, et plus particulièrement libanais. Tout en mentionnant les théologiens et les penseurs arabes originaux, l’auteur évoque rapidement l’histoire des chrétiens orientaux, et le rôle de l’apparition de l’islam en Orient. Il mentionne les raisons historico-religio-politiques qui, tout en favorisant une pensée laïque menée par des chrétiens, ont été responsables de l’absence d’une production théologique arabe. Le contexte libanais est considéré comme une référence afin de mener une analyse théologique et croyante. L’auteur s’attarde sur deux axes : celui de la communication de l’évangile dans un discours théologique arabe contemporain, et celui de la liberté religieuse.
Un quatrième chapitre traite des conditions théoriques nécessaires pour l’élaboration d’une théologie chrétienne arabe qui corresponde à un éveil humaniste arabe contemporain. Celui-ci permettrait au témoignage chrétien de s’engager dans des voies de renouveau, et provoquerait l’appartenance aux causes mêmes de cet éveil humaniste. Parler de conditions théoriques passe forcément par une investigation de l’état de la théologie dans le contexte arabe, et de sa pratique. L’auteur souligne, entre autres, le rôle négatif joué par nombre de hiérarchies ecclésiastiques, lesquelles ne favorisent pas la réforme théologique, ainsi que le problème théologico-politique manifesté surtout par un repliement sur une théologie atemporelle qui voudrait éviter les tensions confessionnelles. L’actualisation de la théologie est enfin présentée comme une solution au déclin du christianisme arabe.
Le cinquième chapitre traite d’une problématique linguistique centrale et ardue, celle de la langue arabe et des méthodes qu’il faudrait mettre en œuvre afin de forger de nouveaux termes nécessaires à la théologie chrétienne arabe et à son expression. La langue arabe est présentée comme une langue très riche en possibilités et pleine de créativité. La théologie arabe a besoin d’une langue arabe solide, renouvelée et contemporaine, qui puisse lui permettre d’exprimer sa pensée. Aoun donne maints exemples et propositions pour la création de nouveaux termes.
Le sixième chapitre traite des questions de l’appartenance au monde arabe, de la cause et de la méthode dans la pensée arabe religieuse chrétienne contemporaine. La cause de la théologie arabe est celle de l’existence chrétienne libre en Orient, existence évitant la dichotomie entre les mondes de la politique et de la foi, s’exprimant au sein du contexte de l’homme arabe, et écartant l’emprise du religieux sur le politique. C’est une théologie qui assume les causes arabes (problème du sionisme, réformes, identité culturelle), et entre en dialogue profond avec l’islam et la pensée laïque : « […] cette pensée chrétienne devrait parler un discours théologique arabe par son appartenance, musulman dans sa profondeur, laïque dans sa sensibilité et universel dans sa visée » (p. 163). Il en est ainsi parce que la réalité du Christ se manifeste à travers les différentes existences du monde arabe. Et c’est à partir de cette réflexion que l’ouvrage se termine par un chapitre qui tente de proposer une pensée christologique arabe.
L’auteur n’hésite pas à s’inscrire dans un cadre christologique contextuel en parlant explicitement d’un « Christ arabe », ou du « Christ des chrétiens arabes ». Cette christologie qui se situe au centre du témoignage des chrétiens arabes s’articule à partir de leur contexte, et passe forcément par un dialogue avec l’islam et avec la laïcité arabe. La révélation divine n’est pas considérée comme épuisée par la théologie chrétienne, et il est possible, dans un cadre de dialogue et d’échange, de comprendre le mystère du Christ à travers l’islam. La théologie arabe devrait forcément passer par l’islam et aussi par la pensée laïque, non dans un esprit polémique, mais dans une recherche de la paix portée au monde.
Force est de constater avec l’auteur qu’une telle réforme et actualisation théologiques sont une nécessité en cette période politique difficile, dans laquelle les chrétiens sont de plus en plus minoritaires et éprouvent des craintes et inquiétudes diverses. On peut espérer que cette réflexion originale, fraîche, critique et actuelle, mènera à des dialogues, à des débats et à des réformes, dans un contexte qui ne favorise pas la pensée, qui se nourrit d’exclusivismes et qui craint les ouvertures et les changements.