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Qu’est-ce qu’une religion ? On croit le savoir, affirme l’auteur de ce petit ouvrage. Mais, dans les faits la frontière n’est pas facile à tracer entre religion, spiritualité, sagesse humaine, attitude réceptive à l’égard de tout ce qui dépasse l’humain.
Au cours de l’histoire, nombre de théologiens et de philosophes se sont risqués à définir la religion. Au total, il semble que la religion soit faite de « croyances obligatoires », de préceptes à accomplir, de rites à observer. Elle renvoie habituellement à un Dieu qui prend différentes formes dans l’histoire de l’humanité. La religion imprègne le lien social et donne un ordre sensé au monde, aux pratiques et aux identités humaines.
La société sécularisée, la mise en place d’États laïques, la perte du sens du sacré font en sorte que l’Occident, tout particulièrement, perd de plus en plus ses traditions religieuses. On assiste moins, cependant, à une négation du religieux qu’à un déplacement, un transfert d’un ordre à un autre. Le politique prenant toute la place dans les sociétés modernes, celui-ci devient la religion du plus grand nombre.
Le New Age peut servir d’illustration. Dieu perd son statut et les croyances se modifient. Le Grand Tout, dont chacun est une partie, appelle à la divinisation de l’homme par lui-même. La naissance de nouveaux mouvements religieux, comme la scientologie et celui de l’Ordre du Temple solaire viennent renforcer l’idée que Dieu n’est pas mort mais que l’Homme devient dieu ou espère le devenir, par ses propres moyens. Le Dieu personnel est détrôné et remplacé par des énergies cosmiques. La croyance au Dieu personnel et créateur de l’univers n’existe plus. Croire, c’est savoir et ne saurait être autre chose qu’un savoir. En christianisme, le thème de la conversion personnelle (born again) avec prééminence de la Bible bouleverse la grande tradition catholique romaine. Toute hiérarchie est abolie. Chacun invente sa voie et accède ainsi au divin.
Cicéron, dans l’Antiquité romaine, donne une première définition classique de la religion. Il s’agit d’un rapport au cosmos, fait de sagesse et de mesure, lié à la condition humaine. Il y a des rites à accomplir, en tel lieu, par chacun, afin d’éviter les catastrophes possibles. Thomas d’Aquin s’inscrit dans la foulée de Cicéron lorsqu’il distingue le croire de la religion. Celle-ci relève chez lui d’une « vertu humaine », d’une vertu de sagesse.
Marqué par le christianisme, l’Occident est fondé, tout au contraire, sur un Dieu transcendant, vivant dans l’histoire humaine, l’imprégnant de sa présence. Dieu, le Très Haut, se fait le très bas. Cet héritage de longue durée, inscrite dans la Bible, est fait de mesure. Notre temps ne favorise plus l’acceptation d’un tel arrangement, lui qui ne vit que de dérégulations, de critiques de l’institution, de référence au pôle individuel. La fin de l’homme n’est plus la rencontre avec le Créateur mais l’union intime, harmonieuse avec l’univers.
Le statut de la religion, dans le monde contemporain, est donc relié aux modulations socio-historiques de la vie. L’A. refuse de donner une définition de ce que serait le religieux dans son essence propre ou dans une expérience primordiale. Son choix est de s’ajuster à l’ensemble du problème selon les données du paysage actuel, le flottement qui s’y trouve. La religion demeure une dimension de qui fait l’humain. Elle symbolise le monde, marque l’espace et scande le temps, permet des points de repères et crée une mémoire. La religion n’est pas en soi liée à une réalité surnaturelle qui requerrait une adhésion. La religion porte sur ce qui médiatise notre rapport au monde et à nous-mêmes. Ces méditations sont le lieu de la religion.