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Issu d’une thèse doctorale soutenue à l’Université Laval de Québec, le livre de K. Harvill-Burton se propose un double objectif : d’abord dégager les éléments religieux du nazisme afin de faire voir la dimension théologique à l’oeuvre au sein de l’idéologie nazie, puis analyser les réactions et la posture de résistance à cette idéologie de quatre théologiens chrétiens, soit Paul Tillich et Karl Barth, en tradition protestante, et Pierre Chaillet et Gaston Fessard, en tradition catholique.
Après une très brève présentation de l’interprétation du régime nazi de Ian Kershaw, qu’elle estime devoir critiquer à partir d’autres travaux comme ceux de Gerald Fleming, mais qui la conforte dans la conviction que le nazisme comportait un objectif religieux, l’A. s’attarde aux deux ouvrages majeurs que sont Le mythe du xxe siècle d’Alfred Rosenberg et Mein Kampf d’Adolf Hitler. Sans faire l’impasse sur les différences importantes d’interprétation parmi les interprètes de ces ouvrages, la lecture qu’en fait Harvill-Burton la conduit à conclure que sans la prise en compte des éléments religieux et de l’objectif de facture proprement spirituelle qui guident selon elle leur argumentation, la véritable portée de leur projet commun ainsi que le sens de plusieurs concepts fondamentaux qui la supportent, comme celui de Lebensraum par exemple, ne peuvent être compris dans leur véritable intention.
Se trouve ainsi déroulée la toile de fond sur laquelle l’A. va ensuite présenter les grandes articulations de la réaction des quatre théologiens qu’elle a retenus. Auparavant, un bref chapitre assure cependant la transition. En quelques pages, Harvill-Burton, en des annotations pertinentes et suggestives, rappelle dans leurs grandes lignes les réactions des Églises catholique et protestantes, qui mettent en évidence leur aveuglement face à la menace concrète de l’idéologie nazie ainsi que leur compromission avec des intérêts politiques que le régime de Hitler a su exploiter. Bien que bref, ce tableau donne aux réactions et à la résistance des théologiens retenus tout leur relief.
Le choix de Karl Barth ne devrait surprendre ici personne. L’engagement de Barth et la fameuse Déclaration de Barmen sont généralement connus dans les milieux francophones. Les travaux de Tillich le sont moins. Grâce, entre autres, aux éditions récentes en français de ses écrits contre les nazis et à l’attention renouvelée à ses réflexions sur les rapports entre la religion et la culture, l’importance de ce théologien n’a cessé de s’imposer ces dernières années. On ne peut plus aujourd’hui évoquer la réaction chrétienne à l’idéologie nazie sans accorder une place de premier ordre aux écrits de Tillich. L’analyse proposée par Harvill-Burton le confirme. L’importance accordée à juste titre ici aux concepts tillichiens de religion, de « quasi-religion » et de démonique par exemple permet de mesurer tout l’enjeu de la situation qui prévalait à l’époque. Les critiques que l’A. estime devoir retenir cependant à l’égard de la position de Tillich (que la réponse de Tillich au national-socialisme souffrirait d’une faiblesse notoire due à son socialisme religieux, comme le prétend F. Feige, ou sa compréhension de ce qui distingue Tillich et Barth) ne feront sans doute pas tout à fait l’unanimité. Les remarques de Jean Richard dans sa préface à l’ouvrage paraissent ici pertinentes.
Le chapitre consacré aux deux théologiens français Pierre Chaillet et Gaston Fessard marque bien le caractère particulier de la résistance spirituelle et théologique française au nazisme. Le nom et l’oeuvre de Gaston Fessard sont bien connus, en particulier le fameux premier cahier de Témoignage chrétien « France, prends garde de perdre ton âme », paru clandestinement en 1941. Harvill-Burton met bien en évidence la signification de la théorie du prince-esclave de Fessard et sa portée dans son opposition au régime de Vichy. On a un peu oublié cependant Pierre Chaillet alors que son engagement dans ce qu’on peut appeler la résistance spirituelle au nazisme est pourtant de première importance. Les pages que Harvill-Burton lui consacre sont éclairantes, en particulier son rappel de l’arrière-plan théologique de ses interventions — on pense ici à l’ecclésiologie de J.-A. Moehler.
L’intérêt de cet ouvrage ne me paraît pas discutable. Le sujet qu’il aborde est central pour comprendre un moment charnière dans la rencontre du christianisme avec ce qu’on peut bien appeler le « monde » à l’époque moderne. Sa pertinence est aussi manifeste. Il n’y a pas beaucoup d’ouvrages en français sur ces questions et celui-ci rappelle bien d’une part ce qu’il peut en coûter aux Églises de chercher la protection des pouvoirs en place et, d’autre part, que la fonction de la théologie ne réside pas sans plus dans la défense des enseignements ou des politiques des hiérarchies religieuses et que la liberté des théologiens est le corollaire essentiel de leur responsabilité.
Cet ouvrage n’est cependant pas exempt d’importantes faiblesses qu’il convient de souligner brièvement. Ses objectifs exigeaient une compétence suffisante aussi bien dans le domaine de la recherche historique que dans celui de l’interprétation théologique. La première exigence est de s’assurer d’un accès personnel et direct aux sources. Trop de textes majeurs, en particulier les textes allemands, sont ici cités dans des traductions ou sont empruntés à des sources secondes. La base documentaire paraît bien limitée et l’ensemble laisse penser que tous les documents pertinents n’ont pas été étudiés (qu’en est-il des archives épiscopales, des correspondances ? Etc.) L’idéologie nazie, si elle a une dimension spirituelle, que l’A. met d’ailleurs bien en évidence, a aussi une dimension « culturelle » et politique intimement mêlée à la première. Les conditions économiques de l’époque, sur l’arrière-fond historique des deux guerres précédentes avec les contrecoups psychologiques du Traité de Versailles en ont constitué le terreau. Gommer ces différentes composantes peut facilement accréditer l’impression que les questions d’ordre théologique ou religieux en sont finalement indépendantes et qu’il est en fin de compte secondaire qu’elles aient été mises au service d’intérêts aussi « séculiers ». La bibliographie est mal organisée. Les notes manquent nettement de rigueur : on cite indifféremment un même ouvrage dans des éditions différentes, les noms des auteurs ne sont pas toujours notés de la même manière. Quant à l’interprétation théologique, si l’A. a jugé utile, et à bon droit, de préciser d’entrée de jeu certains termes comme celui de « théologie », ses références à cet effet sont d’une pauvreté étonnante.
On s’étonne également que l’éditeur ait laissé autant de fautes, coquilles, etc., déparer cet ouvrage et ait conservé autant de formulations françaises approximatives ou carrément boiteuses. Peut-être est-ce la même attention qui a présidé au choix de la maquette de couverture !