L’ouvrage de Jean Philopon et le travail d’introduction de Marie-Hélène Congourdeau ont déjà été présentés, en 2005, dans la Chronique du Laval théologique et philosophique (61, 1), par Moa Dritsas-Bizier. Inutile de revenir sur le contenu du traité, si ce n’est pour rappeler que La Création du monde, rédigé peu avant 553 (date de la condamnation de Théodore de Mopsueste, contre qui Philopon prend parti), cherche à montrer, en accord avec l’exégèse de Basile de Césarée (ive siècle), que l’Hexaemeron s’harmonise avec les explications scientifiques de la nature. Le traité porte donc sur l’accord possible entre la foi et la raison, n’hésitant pas à soutenir que plusieurs doctrines des philosophes grecs, loin de contredire les données de la Bible, s’en inspirent. Soulignons que, lorsqu’il entreprend ce travail, Philopon possède une profonde connaissance des penseurs anciens, particulièrement d’Aristote qu’il a abondamment et minutieusement commenté sous l’influence d’Ammonius, au sein de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie. Cela se reflète dans ses nombreux traités théologiques. L’oeuvre abondante de Philopon fait présentement l’objet de plusieurs recherches universitaires, mais elle demeure peu accessible à qui ne connaît le grec ancien. On devrait donc se réjouir qu’existe enfin une version française de La Création du monde. Moa Dritsas-Bizier considère que la traduction de Marie-Claude Rosset et Marie-Hélène Congourdeau « adopte un vocabulaire et une syntaxe clairs et accessibles ». Bernard Sesboüé, dans les Recherches de science religieuse (94, 4 [2006], p. 616), parle « du service rendu par cette excellente traduction ». Cependant, une lecture attentive nous met en présence d’un Philopon dont le vocabulaire manque de précision, dont les arguments souvent se contredisent et dont les énoncés n’ont parfois aucun sens. On se rend pourtant compte, en se référant au texte grec, que l’auteur n’est pas moins rigoureux dans La Création du monde que dans ses ouvrages antérieurs. En fait, c’est la traduction qui trahit à de multiples reprises sa pensée. Il est impossible, en quelques pages, d’analyser la cinquantaine d’erreurs que nous y avons décelées. Nous nous contenterons d’exemples significatifs. Pour faciliter la vérification des passages dont il sera question, nous donnerons la pagination de la traduction française (F) et celle de l’édition du texte grec de G. Reichardt, Joannis Philoponi de opificio mundi libri VII, Leipzig, Teubner, 1897 (G). Illustrons d’abord le manque de familiarité des traductrices avec les concepts philosophico-scientifiques utilisés par Philopon. Au chapitre 3 du livre 1, Philopon, qui cherche à déterminer le sens du mot ἀρχη au début de la Genèse, privilégie le sens temporel où ἐν ἀρχη signifie « au commencement ». Mais, précise-t-il, dans le récit de la Création, cette archè correspond au commencement même du temps, contrairement, par exemple, au commencement de chacun de nous qui est précédé d’une durée temporelle. Pour montrer qu’un début hors temps du temps est possible, Philopon établit alors, à l’aide d’un exemple, une distinction conceptuelle entre ce qu’est un commencement et ce dont il est le début : de même que le point de départ d’une ligne s’en distingue puisqu’il est sans dimension, alors que la ligne en a une ; de même le point de départ d’une durée temporelle est essentiellement distinct de la durée qui s’ensuit. Ainsi, on peut concevoir que l’archè où Dieu crée le ciel est à l’origine du temps sans elle-même faire partie du temps. Prenons un extrait du texte (G 8, 1-9) accompagné de la traduction française (F 37). C’est nous qui soulignons certains termes. Le mot νῦν, dans l’extrait, est un terme technique qu’on retrouve souvent dans les écrits philosophiques de Philopon : c’est l’instant. Or, faute de …
À propos de La Création du monde de Jean Philopon[Notice]
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Sylvie Laramée
Département de philosophie
Université du Québec à Trois-Rivières