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Jean Grondin est professeur titulaire au Département de philosophie à l’Université de Montréal depuis 1991, après avoir été professeur à l’Université Laval de 1982 à 1990 et à l’Université d’Ottawa en 1990-1991. Professeur invité aux Universités de Nice (1998), Lausanne (1998, 2000), à l’European Humanities University de Minsk (2001, 2003), l’Istituto Italiano per gli Studi filosofici de Naples (2003) et à l’Universidad Centroamericana (UCA) de San Salvador (2005), il est membre de l’Académie des lettres et des sciences humaines de la Société Royale du Canada. Ses champs de réflexion : histoire de la métaphysique, philosophie allemande classique et contemporaine, herméneutique, phénoménologie.
L’ouvrage Introduction à la métaphysique vise à introduire à la discipline de pensée que forme la « métaphysique ». L’A. de ce livre plus que remarquable n’a pas connu les manuels classiques où on parlait de la métaphysique comme étant la reine des sciences. Il est issu de la génération à qui on a enseigné qu’il fallait se débarrasser de l’emprise tyrannique, illusoire, répressive de la métaphysique. L’A. a vécu l’époque où les grands courants de la pensée contemporaine — la phénoménologie, la philosophie analytique, la déconstruction — s’entendaient pour affirmer que la métaphysique était chose du passé et qu’il fallait la dépasser par une nouvelle pensée postmétaphysique, difficile à définir et à cerner.
Pour réveiller la question de l’être qui semble somnoler dans l’esprit de ses contemporains, l’A. s’applique, à travers toute l’histoire de la philosophie, à démontrer comment la question métaphysique reste et demeure la question fondamentale de la philosophie.
Selon l’A., les Anciens ignoraient tout du terme métaphysique, lequel n’est apparu qu’au xiie siècle. On retrouve les premiers balbutiements de la réflexion sur l’être en tant qu’être — ce que depuis quelques siècles nous appelons « métaphysique » — chez Parménide, Platon et Aristote. Les thèses parménidiennes posent l’être dans l’immobilisme. Celles de Platon dans le monde des Idées. Pour Aristote, l’évidence du mouvement des choses l’amène à rejeter l’enseignement de son maître. Il parle cependant d’une philosophie première, dont l’objet reste énigmatique. Bref, la démarche métaphysique restera si peu dominante dans le monde grec qu’aucune des écoles grecques (épicurisme, stoïcisme, scepticisme) ne la reprendra dans le monde romain.
Il est aussi assez étonnant que le monde médiéval n’ait connu que très tardivement une authentique pensée métaphysique. La métaphysique classique, celle d’Aristote, renfermait des éléments contraires à la Révélation, en commençant par l’idée d’une éternité du monde. L’Église catholique ne l’adoptera que sur le tard pour contrebalancer certaines visions augustiniennes. La métaphysique d’Aristote a pu pénétrer la pensée occidentale par le biais du monde oriental, byzantin, puis syriaque et arabe. Thomas d’Aquin sera le grand commentateur de celui qu’il appellera le philosophe. Non sans se voir condamner par l’Église à laquelle il avait voué sa vie.
La modernité, dans son ensemble, depuis Descartes, en passant par Kant et Hegel, s’est appliquée le plus souvent à s’opposer à la pensée métaphysique, au nom d’une nouvelle « philosophie première » porteuse d’une conception plus rigoureuse du réel, qui en cernerait mieux l’être, l’essence et les raisons. Tentatives vaines, semble-t-il, puisque tous ces nouveaux courants, en essayant de mieux comprendre l’être véritable des choses, ont été placés devant le fait qu’il est difficile d’atteindre ce but sans présupposer la métaphysique que l’on veut dépasser ou abolir.
L’A. affirme que la métaphysique reste peut-être la présupposition insurpassable de toute la pensée dans la mesure où c’est elle qui aura porté le projet d’une compréhension du monde, à vocation universelle, qui s’interroge sur l’être et le pourquoi des choses.
L’A. propose donc, pour remplacer les livres classiques, souvent teintés de scotisme et de thomisme, une nouvelle et brillante introduction historique à la métaphysique. Cet ouvrage s’intéresse aux étapes les plus déterminantes de l’histoire de la métaphysique occidentale dans l’espoir de faire ressortir la continuité d’une discipline de pensée qui est sans doute constitutive de la pensée philosophique comme telle.
L’A. s’appuie surtout sur des textes classiques en leur jetant un regard tout neuf. À travers la présentation des textes de Parménide, Platon, Aristote, Plotin, Augustin, Avicenne, Anselme, Thomas d’Aquin, Duns Scot, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant, Hegel, Heidegger, mais aussi Sartre, Gadamer, Derrida et Lévinas, l’A. brosse un vaste et rafraîchissant tableau des temps forts de cette pensée fortement oubliée aujourd’hui.
Ce livre est d’une objectivité à toute épreuve. Il expose les métaphysiques principales. Il laisse au lecteur le soin de prendre position devant elles. En conséquence, il pourrait servir aisément de livre de base pour les étudiants qui abordent Les conceptions de l’être humain au niveau collégial.