Notes critiques

Sartre le maître du soupçonCritique de l’étude sur Nietzsche et Sartre : Le nihilisme est-il un humanisme ? [Notice]

  • Simon Bouchard

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  • Simon Bouchard
    Faculté de philosophie
    Université Laval, Québec

Outre les dialogues plus explicites avec Marx et Freud, Nietzsche fut sans aucun doute l’un des maîtres du soupçon les plus présents dans la pensée de Jean-Paul Sartre. Bien que ses oeuvres philosophiques semblent témoigner du contraire, ses oeuvres littéraires comptent presque toutes un personnage nihiliste, un insensé qui incarne les valeurs nietzschéennes. Dans Le nihilisme est-il un humanisme ?, Christine Daigle nous dit vouloir répondre à un manque de littérature comparative entre les philosophies de Nietzsche et Sartre en offrant une première étude sérieuse sur le sujet. Les deux philosophes y sont présentés comme des proches parents dont la convergence de pensée l’emporte sur la divergence en ce qui a trait aux problématiques générales du nihilisme, de la quête de sens et de l’éthique. Selon l’auteur, Nietzsche et Sartre composent, à partir du même nihilisme, une morale humaniste dont l’idéal est deviens ce que tu es. Ainsi, ils offrent deux réponses positives à la question du sens dans lesquelles l’être humain est posé comme créateur et attributeur de sens. Le texte que nous livre Christine Daigle montre qu’une compréhension au premier degré de l’humanisme permet un rapprochement entre les deux auteurs. Dans L’existentialisme est un humanisme (1946), Sartre résume ce premier degré de compréhension lorsqu’il affirme qu’« il n’y a pas d’autre univers qu’un univers humain, l’univers de la subjectivité humaine » (EH, p. 93). Cependant, cette compréhension de premier degré est incomplète en ce qu’elle contient en son sein la liberté absolue du sujet et, par conséquent, la possibilité du mal moral. En effet, nous pourrions dire qu’il y a un anti-humanisme implicite à cette compréhension, car la liberté humaine peut vouloir le mal en s’exprimant. Pour être authentique, l’humanisme doit donc atteindre un second degré de signification en répondant à ce problème, bref, il doit dépasser le nihilisme et l’anti-humanisme qui le rongent de l’intérieur. Puisque nous ne retrouvons pas de réponse convaincante à cette question du mal dans l’essai, il semble que, pour l’auteur, ce n’est pas tant le nihilisme qui est un humanisme que l’humanisme qui est un nihilisme. Or, si tel est le cas, pouvons-nous vraiment parler d’humanisme ? La question peut sembler banale et pourtant, Nietzsche nous en a bien montré l’importance en situant, au coeur de ses réflexions, la profondeur de cette force vitale de l’humanité qui s’élève par-delà le bien et le mal. Mais la difficulté persiste. Malgré les arguments présentés, l’humanisme de Nietzsche semble, au profit de la volonté de puissance, conserver en son sein le problème du mal qui culmine dans la destruction humaine. En contrepartie, Sartre se confronte directement à cette difficulté puisque c’est précisément ce fait existentiel — les deux guerres en sont la preuve — qui lui a permis de déduire la mort de Dieu. En réaction au nihilisme incomplet de la tradition métaphysico-religieuse qui « place le centre de gravité de la vie non dans la vie, mais dans “l’au-delà” » (Antéchrist, § 43) ou dans un « arrière-monde » fictif, Nietzsche répond à cette dévalorisation du monde humain par le nihilisme complet. Par l’annonce de la mort de Dieu, ce nihilisme se veut destruction des anciennes tables (tabula rasa) et construction de nouveaux fondements. Comme le soutient Daigle, Nietzsche et Sartre se sont tous deux interrogés sur l’impact de cette mort symbolique sur la condition humaine et, plus particulièrement, sur l’enjeu éthique ou moral occasionné par cette perte de sens. « Tout est permis si Dieu n’existe pas » (EH, p. 35-37), car, en l’absence d’un Dieu créateur de sa nature, l’homme se …

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