Recensions

Fabrice Blée, Le désert de l’altérité. Une expérience spirituelle du dialogue interreligieux. Montréal, Éditions Médiaspaul (coll. « Spiritualités en dialogue », 1), 2004, 229 p.[Notice]

  • André Couture

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  • André Couture
    Université Laval, Québec

L’originalité de ce livre n’est pas d’aborder le sujet du dialogue interreligieux en général, mais d’offrir une vue d’ensemble de l’entreprise inédite que moines et moniales ont tentée en ce domaine. Le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux distingue quatre sortes de dialogue : les dialogues plus ou moins formels de la vie de tous les jours, les dialogues au cours du travail en commun pour une cause juste et humanitaire, les dialogues visant la juste compréhension de positions théologiques différentes et irréconciliables, et finalement les dialogues dont il est ici question et qui portent sur l’expérience spirituelle (cf. p. 15). Pour être plus précis, disons avec F. Blée qu’il s’agit moins de dialogue interreligieux, c’est-à-dire portant sur des ensembles religieux objectifs, que de dialogue « intrareligieux » (une expression de R. Panikkar), dont l’objet est ce qui est intérieur aux religions, ce qui se vit à l’intérieur des religions, et dont la matière est l’expérience spirituelle elle-même. Ce livre s’écarte donc de ce que la théologie produit habituellement en ce domaine : il explique comment certains moines en sont arrivés à s’impliquer dans cette aventure nouvelle ; il fait l’histoire de leurs hésitations, de leurs audaces, de leurs faux pas et tente de faire un premier bilan d’une situation complexe. Après un bref avant-propos (p. 7-8), une préface de Dom Pierre de Béthune (p. 9-12) et quelques pages d’introduction (p. 13-25), un premier chapitre présente l’oeuvre de pionniers comme Merton, Monchanin, Le Saux qui, pendant les années 1960 et 1970, ont renouvelé le monachisme occidental et tenté de l’inculturer à l’Asie (p. 27-64). Le deuxième chapitre montre un dialogue interreligieux qui, en l’espace de quelques années (en gros de 1977 à 1985), quitte le mode apologétique et missionnaire, et commence hardiment à se définir en tant même que voie originale fondée sur le partage entre moines et moniales d’expériences spirituelles spécifiques. C’est la période où ont été créés les premiers organismes interreligieux (p. 65-109). Le troisième chapitre (p. 111-146) cherche à faire le bilan d’expériences tous azimuts et parfois un peu échevelées. C’est une période de maturation que Fabrice Blée caractérise « par la prise de recul nécessaire pour donner au dialogue un nouvel élan et lui permettre de surmonter les malentendus et d’aller plus loin dans son exploration des profondeurs de l’altérité religieuse » (p. 111). Le livre se termine par une réflexion portant sur l’ouverture d’une nouvelle étape, celle de la construction d’une spiritualité fondée sur le dialogue interreligieux (p. 147-215). On se demandera en ouvrant ce livre pourquoi encore parler de « désert » dans ce contexte, et surtout de « désert de l’altérité » ? L’explication est limpide et l’on me permettra de citer ici longuement la justification qu’en présente l’auteur. Le contenu de ce livre est basé sur une longue enquête qui a d’abord débouché en 1999 sur une thèse de doctorat en théologie présentée à l’Université de Montréal, qui a été nourrie par des séjours au Japon, en Inde et aux États-Unis et de nombreux contacts personnels. Par-delà la narration des faits et les discussions qui s’ensuivent, j’ai pour ma part été frappé par certains thèmes qui sous-tendent plus ou moins directement l’ouvrage et mériteraient plus ample réflexion : le thème du pèlerinage (p. 91), celui de la confrontation ludique (p. 93), celui du mariage (p. 76, 82-83), etc. Je ne retiendrai ici que celui de l’hospitalité dont on dit en p. 97 qu’elle est « fondatrice ». Ce dialogue de l’expérience religieuse « est avant tout une praxis, une pratique et un processus dont la pierre angulaire est l’intériorisation de la …