Résumés
Résumé
Grâce à l’analyse de manuels scolaires, qui, par leur caractère succinct, se manifestent comme des sources principales pour reconstituer des mentalités théologiques, nous cherchons dans cette étude à découvrir quel était le paradigme interreligieux qui prévalait dans les cercles catholiques du Canada français (Québec) avant et pendant Vatican II. Nous avons essayé de mettre au point la relation entre le paradigme interreligieux et la représentation des religions non chrétiennes dans les manuels d’apologétique utilisés dans l’enseignement religieux catholique et francophone au Québec (1900-1950). Cette recherche a donné des résultats surprenants : le paradigme interreligieux sous-jacent n’était pas exclusiviste mais inclusiviste. Dans le présent article, nous exposons en détail les éléments constitutifs de ce paradigme inclusiviste. Le cas échéant, nous signalons les continuités avec Vatican II.
Abstract
By examining religious school textbooks — which constitute a crucial source for the reconstruction of theological mentalities precisely because of their concise nature — this study attempts to gain insight into the inter-religious theological discourse that prevailed in French Canadian (Québec) Catholic circles before and around the time of Vatican II. We have made a first attempt at a consistent definition of the relationship between the underlying Catholic inter-religious theological paradigm and the representation of non-Christian religions that is presented in French Canadian religion textbooks on apologetics in Catholic secondary religious education (1900-1950). This research provides some surprising results : the dominant inter-religious paradigm turned out not to be exclusivistic but inclusivistic in nature. In this article we will explore the details of this inclusivistic mindset. Whenever possible, we will focus on the continuity with Vatican II.
Corps de l’article
I. Problématique
Que penser de l’opinion généralisée qui considère que la théologie des religions non chrétiennes, qui prévalait autant dans l’enseignement religieux catholique[1] que dans l’ensemble de l’Église catholique, aurait été « exclusiviste » avant Vatican II et serait devenue « inclusiviste » dans la foulée du Concile[2] ? Cette question a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il nous apparaît toutefois que cette question sur le paradigme interreligieux qui a présidé à l’enseignement religieux catholique sur les autres religions n’a pas encore été étudiée sous toutes ses facettes et a été réduite à un point de vue assez restreint. Ce n’est pas parce que l’image des autres religions présentée dans les manuels de religion catholique avant Vatican II était négative, et parfois même très négative, qu’il faut conclure que l’attitude théologique était elle-même strictement exclusiviste, sans plus.
Dans le présent exposé, nous voulons examiner, par une étude plus approfondie et plus nuancée, portant sur le Canada français (Québec) de la période 1900-1950, quel était le paradigme théologique interreligieux sous-jacent aux cours de religion catholique dispensés dans les Écoles Normales[3], dans les écoles secondaires[4], dans les collèges classiques et dans les séminaires. Quant à la restriction de notre recherche aux manuels d’apologétique, nous pouvons en donner plusieurs raisons. D’une part les manuels d’apologétique forment dans le corpus des manuels scolaires de religion la meilleure source pour le genre d’analyse que nous voulons effectuer. Contrairement aux autres manuels de religion, comme les petits ou grands catéchismes et les « histoires saintes » où l’attention se concentre surtout sur les contenus spécifiques et la morale de l’Église catholique, les manuels d’apologétique, tout comme les manuels d’« histoire de l’Église », insistent essentiellement sur la place de l’Église catholique dans le monde. Par conséquent, ils abordent aussi la relation de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes. Il y a une raison méthodologique et pragmatique pour ne pas avoir incorporé les manuels d’histoire de l’Église dans notre présent exposé. Beaucoup plus encore que ces derniers manuels, les manuels d’apologétique visaient à défendre le catholicisme et à démontrer sa supériorité et l’infériorité de toutes les autres religions qui se disputaient la foi des hommes. En outre, pour une étude comme la nôtre, qui a pour but de rechercher plutôt les principes théologiques du comportement de l’Église catholique envers les religions non chrétiennes, les manuels d’apologétique, où la discussion et la soutenance de thèses sont la manière par excellence pour communiquer les vérités de la foi aux élèves, se révèlent comme les sources primaires les plus pertinentes. En plus, les destinataires des manuels d’apologétique sont sans exception des personnes plus « avancées » dans la foi : plus de la moitié des manuels que nous avons répertoriés sont même destinés aux élèves de rhétorique et des deux années de philosophie[5]. Ceci réduit fortement la probabilité de rencontrer des discours simplistes qui ne permettraient guère de dégager des conclusions solides. D’autre part, l’extension de la recherche aux manuels d’histoire de l’Église risquerait de rendre les sources tellement volumineuses qu’il serait impossible de les étudier ici dans le cadre d’un seul article. Cette même contrainte d’espace nous empêche, en raison du trop grand nombre de citations et de références que cela signifierait, de traiter d’une manière suffisante tous les manuels d’apologétique disponibles. C’est pourquoi la présente enquête portera seulement sur les manuels de deux des auteurs les mieux connus, c’est-à-dire Arthur Robert et Auguste Boulenger[6].
La délimitation chronologique nous a été dictée par la situation scolaire québécoise, qui sert de point de départ à cette recherche. Le cours d’apologétique, compris dans l’enseignement de la religion, ne commence à rayonner qu’à partir du début du xxe siècle, pour atteindre son paroxysme dans les années 1930[7], où la matière même du cours finit par s’imposer pour l’examen du baccalauréat en philo II[8]. À partir de 1950, le cours d’apologétique disparaît presque partout du programme de religion. Ces dates correspondent avec les données de notre corpus de recherche : le plus ancien manuel d’apologétique utilisé dans l’enseignement secondaire canadien français qui a été découvert date en effet de 1899[9] et le plus récent date de 1951[10].
Nous partons de deux thèses. La première est que le paradigme interreligieux sous-jacent à la représentation des religions non chrétiennes dans les manuels d’apologétique utilisés pour l’enseignement religieux au Québec entre 1900 et 1950 n’était pas exclusiviste mais inclusiviste. De cette première thèse, il en résulte une seconde : au Québec, l’enseignement interreligieux de Vatican II n’apparaît pas comme une « révolution copernicienne » par rapport à l’enseignement de l’Église catholique d’avant le Concile. Rien n’est plus logique. En effet, s’il ressort de cette étude que le paradigme théologique chez les apologistes par rapport aux autres religions ne se montre pas en opposition avec la doctrine interreligieuse de Vatican II, il est évident alors que les critères interreligieux de Vatican II sont en continuité avec ce que l’Église enseignait antérieurement, du moins au Québec. Pour corroborer cette dernière thèse, nous irons directement aux textes parallèles de Vatican II pour voir s’ils sont compatibles avec les théories défendues par les apologistes. Dans plusieurs cas, il serait facile de multiplier les citations empruntées aux écrits conciliaires. Toutefois, pour éviter une énumération, nous nous limiterons chaque fois à citer en exemple une seule référence.
Il convient, enfin, avant de présenter notre enquête, de déterminer au plus près la signification des termes « exclusivisme » et « inclusivisme ». Ceci n’est pas une tâche facile : si on consulte la littérature scientifique pertinente, l’exclusivisme et l’inclusivisme apparaissent comme des conceptions complexes et plurivoques. En ce qui concerne le modèle exclusiviste, on constate par exemple que l’exclusivisme d’un Karl Barth se distingue de celui d’un Leonard Feeney. Barth estime toute forme de « religion humaine », y compris la religion chrétienne, comme fondamentalement négative[11], alors que Feeney considère l’Église catholique littéralement comme le seul moyen d’acquérir le salut éternel[12]. La même constatation vaut pour le soi-disant modèle de l’inclusivisme, qui manifeste toute une gamme d’opinions et de tendances. Pour sa part, Peter Schineller a tiré l’attention sur une distinction ecclésiologique entre Karl Rahner et Hans Küng[13]. Schineller est convaincu que, pour Rahner, l’Église catholique et le Christ sont les médiateurs indispensables du salut[14], tandis que, pour Küng, l’Église catholique a un statut de médiateur de salut unique mais non indispensable[15]. Terrence Merrigan, d’autre part, signale la place variable que Jésus occupe dans le plan de salut, dans une perspective inclusiviste[16] : chez Rahner, Jésus est comme source de toute grâce[17], chez Küng, Jésus est vu comme la référence ultime à laquelle toutes les religions, et donc la religion chrétienne, doivent être comparées[18], tandis que chez D’Costa, Jésus est défini comme le catalyseur de toute vérité et de tout salut, qui, par l’action de l’Esprit Saint, imprègne toutes les religions[19]. Néanmoins, pour des raisons de clarté, nous allons adopter une définition de ces deux modèles théologiques difficiles à circonscrire. Sous le mot exclusivisme, il faut entendre le paradigme théologique qui prétend que le christianisme, en tant que religion, et, plus spécifiquement, l’Église catholique, monopolise la vérité et le salut. L’inclusivisme, d’autre part, reconnaît qu’il est possible de trouver de la vérité partielle et certains moyens de salut dans les religions non chrétiennes, à condition que Jésus-Christ soit la norme ou l’élément constitutif de cette vérité et de ce salut.
II. Définition commune : Dieu est à la base de toute religion
Toute investigation sur la relation entre le christianisme et les autres religions doit d’abord se demander ce qu’on entend par le terme « religion ». A. Robert et A. Boulenger voient la religion principalement comme un phénomène humain et universel qui est toujours en rapport avec Dieu. Avec les termes « humain » et « universel » ils veulent signifier que tout homme ayant des capacités intellectuelles normales peut reconnaître qu’il existe quelque chose qui transcende le temps et l’espace, et qui, à la fois, fonde et oriente son existence. Cet aspect transcendant ou, si on veut utiliser le terme thomiste auquel les auteurs recourent parfois, « la Cause première[20] », est conceptualisé en tant que « Dieu ». Se basant sur ces prémisses, les auteurs définissent essentiellement la religion comme « le lien qui unit l’homme à Dieu[21] ». Ces passages nous montrent ce que nous appellerions aujourd’hui les principes ab ovo d’un modèle universel de la religion de type rahnérien, où toutes les religions originent de l’expérience que fait l’homme d’un horizon transcendantal qui n’est rien d’autre que la première ou fondamentale manifestation de Dieu[22]. Les Pères du Concile Vatican II, pour leur part, quoiqu’ils ne recourent pas au vocabulaire scolastique, adoptent explicitement une pareille conception de la religion. Dès le début de leur traité sur les diverses religions non chrétiennes, les religions sont définies sans hésitation aucune comme le résultat d’une « certaine sensibilité » de l’homme par rapport à « cette force cachée qui est présente au cours des choses[23] ». Il est clair que cette description est directement équivalente à la rencontre humaine avec l’horizon transcendantal. Aussi est-il clair que le caractère universel de la religion est explicitement reconnu par le Concile lorsqu’il affirme en même temps que cette perception du divin par l’homme se manifeste « depuis les temps les plus reculés jusqu’à aujourd’hui[24] ».
La relation entre Dieu et le monde, qui constitue le fondement de toute religion[25], est inscrite par les apologistes dans une doctrine extrêmement classique de la création et de la grâce, dont nous retenons ici, seulement d’une façon très générale, les aspects les plus importants pour notre recherche. Le point de départ est Dieu qui, dans sa toute puissance, a créé le monde avec ses différentes espèces et ses objets, visibles et invisibles[26]. L’homme, pour sa part, est le « chef-d’oeuvre » de la création en tant qu’il a été créé à l’image de Dieu. En plus, l’homme a été gratifié par Dieu d’un principe spirituel et immortel (appelé âme[27]), origine du libre arbitre[28] et de la pensée[29] mais surtout d’un « désir naturel vers la vérité et le bonheur parfait et sans limite[30] », c’est-à-dire vers Dieu lui-même. À cause du péché originel, la raison humaine est devenue incapable d’atteindre par ses propres forces la vérité et le bonheur éternel. Pourtant, Dieu, dans sa sagesse et bonté infinies, n’a pas laissé tomber l’homme et, par un don tout à fait gratuit et s’appuyant sur sa Providence[31], il a daigné assigner à tout homme sans distinction les moyens adaptés pour acquérir la somme des vérités religieuses nécessaires pour parvenir au bonheur éternel[32].
Le lecteur attentif remarquera rapidement l’alternance de la vérité avec le salut. Plus loin, nous examinerons de plus près dans quel rapport se trouvent ces deux données fondamentales l’une à l’égard de l’autre. Ce qui nous importe ici, c’est le double universalisme. D’une part, les apologistes nous apprennent qu’il existe une unité fondamentale de tous les êtres humains en tant que créatures de Dieu et en tant qu’ils sont orientés ultimement vers Lui. D’autre part, les auteurs professent une volonté salvifique et providentielle de Dieu qui englobe dans sa sphère les hommes de tous les temps et de toutes les longitudes. On retrouve les traces de ce double universalisme dans la Déclaration sur les relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes. L’article initial de ce document répète quasi exactement les mêmes principes : « Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter toute la race humaine sur la face de la terre ; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous[33] ».
On ne peut pas saisir la vision des apologistes sans reconnaître deux autres conceptions à la base de leur construction sur l’interreligieux. Il s’agit d’abord de la distinction scolastique très traditionnelle entre la religion « naturelle » et la religion « surnaturelle ». La religion naturelle a pour objet la vérité divine que l’homme peut discerner à l’aide de sa raison. La religion surnaturelle implique la vérité divine que Dieu a communiquée aux hommes par suite d’une révélation et qui ne découle pas nécessairement de la nature des choses[34]. Il faut dire que, selon eux, la religion surnaturelle n’exclut pas la religion naturelle. Au contraire, elle corrobore et renforce la religion naturelle[35]. Pour des raisons de clarté, il faut également souligner que, du fait que la religion surnaturelle est communiquée aux hommes par un acte volontaire de Dieu qui surpasse l’ordre naturel de ce monde, acte appelé révélation divine, Robert et Boulenger qualifient aussi la religion surnaturelle de religion « révélée ». Ce qui importe pour notre propos, c’est de savoir que, dans l’opinion unanime des apologistes, tenant compte de la perspective du salut éternel, cette révélation divine ou surnaturelle était nécessaire pour l’ensemble du genre humain d’un double point de vue. Dans le cas de la religion surnaturelle, la révélation divine est d’une nécessité absolue : l’homme est incapable par ses seules forces d’acquérir toutes les vérités religieuses pour atteindre la vie éternelle[36]. En ce qui concerne la religion naturelle, la révélation divine est moralement ou relativement nécessaire pour que tous les hommes puissent arriver à une connaissance certaine et sans erreur de la somme des vérités divines[37].
Est-ce que l’accord existe entre cette théologie et l’enseignement de Vatican II ? Il faut d’abord souligner que le but du Concile n’étant ni l’élaboration d’un système philosophique[38] ni celle d’un traité apologétique, il s’abstient prudemment de toute spéculation sur la nature « surnaturelle » de la Révélation divine ou de la religion révélée. Il transmet simplement le message révélé et les solutions données par la tradition conciliaire de l’Église catholique en reprenant la doctrine du Vatican I sur ce point. Néanmoins les ressemblances entre Vatican II et le sens des arguments en faveur de la nécessité de la révélation divine établis par Robert et Boulenger sont indéniables. À titre d’exemple, nous citons in extenso le 6e paragraphe de la Constitution Dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum :
Par la Révélation divine, Dieu a voulu se manifester et se communiquer lui-même ainsi que manifester et communiquer les décrets éternels de sa volonté concernant le salut des hommes, « à savoir de leur donner part au bien divin qui dépasse toute pénétration humaine de l’esprit[39] ». Le saint Concile reconnaît que « Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées » (cf. Rm 1,20) ; mais il enseigne qu’on doit attribuer à la Révélation « le fait que les choses qui dans l’ordre divin ne sont pas en soi inaccessibles à la raison humaine, peuvent aussi, dans la condition présente du genre humain, être connues de tous, facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d’erreur[40] »[41].
Chose extrêmement importante pour nous : tant les textes des apologistes considérés que les textes conciliaires font place à deux autres principes universalistes dans l’économie du salut. En premier lieu, le genre humain tout entier a besoin d’une révélation divine qui, comme une source d’énergie indéfectible, lui ouvre la voie du salut éternel. En plus, Dieu s’est révélé dès l’origine du monde à toute l’humanité.
Tout ce qui précède nous guide graduellement vers une deuxième conception qu’on ne peut pas passer sous silence dans la perspective de notre recherche. Aux yeux de Robert et Boulenger, la Révélation divine s’accomplit en plusieurs phases nettement découpées. La révélation primitive ou patriarcale est la révélation faite par Dieu à nos premiers parents dès le moment de leur création et qui s’est transmise d’âge en âge jusqu’à Moïse. La révélation mosaïque comprend toutes les communications faites aux hommes en général et au peuple hébreu en particulier par l’intermédiaire de Moïse et des prophètes qui le suivirent. La Révélation chrétienne est la doctrine apportée au monde par Jésus-Christ en se présentant comme la dernière phase de la révélation divine ; elle est le couronnement des autres phases[42]. Vatican II proclame à plusieurs reprises et dans différents contextes une pareille doctrine qui pourrait se résumer en ces mots célèbres des Pères du Concile, composés de références scripturaires, que l’on retrouve dans le chapitre premier de la Constitution Dogmatique Dei Verbum. Nous ne citons ici que le passage qui nous semble le plus important :
Dieu, qui crée (cf. Jean 1, 3) et conserve toutes choses par le Verbe, donne aux hommes dans les choses créées un témoignage incessant sur lui-même (cf. Rom. 1, 19-20) ; voulant de plus ouvrir la voie d’un salut supérieur, il se manifesta aussi lui-même, dès l’origine, à nos premiers parents […]. Il prit un soin constant du genre humain, pour donner la vie éternelle à tous ceux qui, par la fidélité dans le bien, recherchaient le salut (cf. Rom. 2, 6‑7). À son heure il appela Abraham pour faire de lui un grand peuple (cf. Gen. 12, 2) ; après les patriarches, il forma ce peuple par l’intermédiaire de Moïse et par les prophètes, pour qu’il le reconnaisse comme le Dieu vivant et vrai, Père provident et juste juge, et qu’il attende le Sauveur promis, préparant ainsi au cours des siècles la voie à l’Évangile […]. Dieu « en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils » (Héb. 1, 1-2) […]. C’est donc lui qui […] par l’envoi enfin de l’Esprit de vérité, achève en la complétant la révélation.
Qu’on nous permette enfin de signaler qu’en parcourant ces textes sur la conception d’une triple révélation divine combinée avec l’affirmation manifeste d’une supériorité accordée à la révélation par Jésus-Christ, en raison de son caractère définitif, chaque lecteur rencontrera, en quelque sorte, un aspect de mutabilité relative dans la révélation divine. Cette dernière devient progressivement « meilleure » dans les deux premières phases pour atteindre sa plénitude dans la troisième. Même si Boulenger et les textes conciliaires ne traitent pas de cet aspect, du moins pas explicitement comme nous le faisons, il est néanmoins légitime de le faire ici. Méconnaître cette perspective de transformation relative serait injuste à l’égard de la conception de l’histoire du salut qui sous-tend la doctrine interreligieuse globale des deux apologistes et de Vatican II. Robert est le plus sensible à cet aspect, lorsqu’il suggère la manière d’interpréter la tension entre mutabilité et immutabilité à partir d’une série de révélations divines qui se réclament d’une origine commune. Dans sa solution, encore très classique, il distingue une partie naturelle et une partie positive dans la révélation divine, ce qui lui permet en même temps de souligner davantage la continuité entre les trois phases. La partie naturelle, qui est la plus importante, ne peut changer parce qu’elle contient les préceptes de la loi naturelle, laquelle est immuable ; la partie positive peut bien changer parce qu’elle n’a pour but que de préparer la venue du Messie. Pour lui, cette affirmation est mise en évidence à l’aide de l’exemple des lois et des cérémonies prescrites au peuple juif, issues d’une divine inspiration mais transitoires et qui sont abolies avec l’arrivée de Jésus-Christ[44]. Une telle interprétation du caractère progressif et évolutif de la révélation divine est aussi présente chez Boulenger[45] et dans les documents conciliaires de Vatican II, quoiqu’ils n’aient pas assimilé le diptyque thomiste composé par la division entre une partie naturelle et une partie positive de la révélation. Les Pères du Concile voient les développements et les changements dans la révélation divine, qui s’appliquent surtout pour le peuple juif mais pas uniquement pour lui, comme le résultat d’une véritable pédagogie divine qui s’adapte à la faiblesse humaine. Ainsi la révélation primitive et la révélation mosaïque sont considérées comme des préparations à l’Évangile qui méritent néanmoins vénération[46].
III. Anti-relativisme
La question qui se pose maintenant est de savoir si le fait que Dieu soit à la base de toutes les religions, qu’il se révèle à tous les hommes, qu’il veut le salut pour tous et qu’on peut reconnaître une certaine particularité à la Révélation divine, signifie que toutes les religions sont équivalentes. La réponse des deux apologistes ne laisse aucun doute. Robert et Boulenger réagissent fortement contre toute forme de relativisme ou d’indifférentisme religieux. Le mot clé est que la vérité est une et indivisible[47]. Or, dans les religions du monde, on constate des contradictions dans le dogme et la morale[48]. De cette épistémologie anti-relativiste résulte chez les deux auteurs l’affirmation logique et cohérente qu’une seule religion est « vraie » parce qu’elle possède la plénitude de la vérité et que, par contre, toutes les autres religions sont « fausses » parce qu’elles ne la possèdent pas[49].
Cette expression d’apparence froide et dure est vraisemblablement le facteur le plus important qui a contribué chez tant d’auteurs contemporains à croire que l’Église catholique a adopté pendant longtemps une position exclusiviste par rapport aux autres religions. D’après nous, cette vision étriquée de la conception interreligieuse de l’Église catholique s’explique par le fait que beaucoup de ces auteurs contemporains n’ont pas tenu suffisamment compte du contexte littéraire des principes énoncés en termes de « fausses » et de « vraies » religions. Si on relie ces expressions au texte qui les supporte, il devient clair que les apologistes n’affirment aucun genre d’exclusivisme dans le sens défini plus haut. Robert et Boulenger soulignent explicitement (par des remarques préliminaires ou finales) que l’affirmation qu’une religion est fausse, ne veut pas du tout dire que tout y est faux. Il peut y avoir sans aucun doute « du bon » dans une « fausse » religion. On ne peut pas perdre de vue qu’ils cherchent la religion que Dieu a révélée aux hommes. Or, si Dieu, comme nous l’avons déjà établi, est la vérité absolue et si la vérité est une, il faut que dans la religion véritable ou la religion de Dieu « tout soit bon ». Robert spécifie ce qu’il veut dire exactement avec cette phrase : pour mériter l’épithète « vraie religion », celle-ci doit « faire sien tout ce que contiennent de beau et de bon les autres cultes, rassembler dans une synthèse incomparable tous les traits épars de la beauté morale, toutes les grandes lignes des dogmes imprescriptibles qui se trouvent un peu dans les différentes religions mélangées de beaucoup d’erreurs, réunir tout cela, l’harmoniser, le fondre ensemble avec un cachet définitif, de façon à éclairer pleinement l’intelligence de l’homme et à satisfaire entièrement son coeur[50] ». Il faut donc supposer certains éléments de la Vérité dans les diverses religions « fausses ». Et Boulenger argumente dans le même sens, quand il remarque qu’il n’y a pas d’opposition totale entre la vraie religion et les fausses religions, ni que tout est condamnable dans les fausses religions[51].
Dans le cas de Robert et Boulenger, on peut encore tirer de leur enseignement sur la création et l’économie du salut déjà mentionné ci-haut, deux autres raisons pour lesquelles on peut supposer du bien dans toutes les religions. Tout d’abord parce qu’ils sont convaincus que les religions ont la même origine : le désir et le besoin naturel de formuler des réponses à toutes les questions existentielles[52]. Si les désirs et les besoins naturels par rapport à la religion sont les mêmes partout, il est donc tout à fait « naturel » que les diverses solutions données aux problèmes religieux offrent non seulement des divergences mais aussi des similitudes. Le même principe est admis par le Concile Vatican II quand il rappelle, dans le préambule de Nostra Aetate, les mêmes questions vitales que tous les hommes se posent et dont ils attendent une réponse des diverses religions[53]. Finissons notre tableau avec un dernier argument : lorsque les apologistes admettent, comme nous l’avons déjà établi, que toute l’humanité, suivant la volonté salvifique de Dieu, a reçu dès le début la révélation primitive, qui, avec les siècles, s’est retrouvée entachée de beaucoup d’erreurs à cause du péché de l’homme, il ne faut donc pas être surpris de rencontrer des ressemblances entre les diverses religions[54]. Entre autres, le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad gentes, permet de déduire un principe de base identique. Ici, l’oeuvre missionnaire est vue comme rien d’autre que l’achèvement du dessein du salut de Dieu, où tout ce qui se trouvait déjà de vérité et de bon chez les nations et religions du monde, par une secrète présence de Dieu, est purifié et élevé vers la perfection eschatologique[55].
IV. Christocentrisme
La constatation purement théologique et abstraite qu’on doit supposer des similitudes entre les religions n’empêche pas Robert et Boulenger d’insister sur le fait que le christianisme, et plus exactement la religion catholique, est la seule vraie religion voulue par Dieu et qu’elle est nettement supérieure aux autres religions et les transcende. Il n’y a pas lieu de résumer ici les exposés très étendus par lesquels Robert et Boulenger essaient de démontrer la « vérité » de cet autre principe théologique en faisant appel aux critères intra-religieux. Ce qui nous intéresse en revanche, c’est leur comparaison rapide et succincte du christianisme aux autres grandes religions afin de démontrer la supériorité du christianisme. Il est très révélateur pour notre hypothèse que les deux apologistes, quoiqu’ils veulent seulement, par leur approche, appliquer des critères négatifs, soient néanmoins attentifs à plusieurs aspects positifs des autres religions. Le signe majeur de cette attitude tient au fait que ces auteurs ne font pas que passer les religions en revue, d’un point de vue dichotomique, mais qu’ils tentent des comparaisons entre les avantages et les désavantages qui se retrouvent dans ces autres religions. De ces comparaisons résultent des jugements qui varient de plutôt négatifs jusqu’à globalement négatifs pour les religions non chrétiennes. Quelques exemples suffiront à démontrer cela.
Le paganisme. Robert et Boulenger estiment que le paganisme, ou les religions primitives[56], sont au plus bas de l’échelle. Au point de vue dogmatique, le paganisme n’a, pour ainsi dire, pas de valeur. Selon Boulenger, les mythologies, où on trouve consignée la doctrine du paganisme, sont d’abord un ensemble de fables plus ou moins ridicules. Ensuite, l’infériorité du paganisme se démontre par la multiplicité des dieux et l’imperfection de leur nature « où se mêlent la grandeur et la faiblesse, la vertu et le vice[57] ». Cette phrase montre que l’auteur, dans son appréciation négative, entrevoit pourtant des vérités partielles dans la doctrine du paganisme. Robert est moins nuancé. Il prétend que, dans le paganisme, on ne trouve, en effet, « aucune théologie, aucune doctrine précise, aucun enseignement doctrinal, aucune autorité chargée de maintenir la foi. Rien de plus incohérent et de plus contradictoire que l’idée de la divinité pour les païens. Même en son plein épanouissement, la religion polythéiste était un amas d’absurdités, où la poésie et l’art pouvaient puiser des thèmes intéressants, mais qui étaient dépourvus de toute valeur vraiment religieuse[58] ». N’ayant pas beaucoup de valeurs au point de vue de la doctrine, le paganisme ne vaut également pas grand-chose au point de vue moral : le paganisme manque de morale précise, exigeante, accentuée et immuable, contrairement à la morale chrétienne[59].
Peut-on conclure de ces éléments inférieurs que cette religion est absolument fausse et mauvaise ? Rien n’est moins vrai. Pour Boulenger, le paganisme avait au moins l’avantage d’entretenir chez les hommes « le sentiment religieux », de lui faire « lever les yeux vers le ciel », de lui faire « penser à sa destinée future ». En plus, les païens qui vivaient en rapport constant avec les puissances cachées, pouvaient trouver là des moyens efficaces pour lutter contre les mauvaises tendances de l’homme[60]. Pour Robert, le paganisme n’était pas une religion vaine et dépourvue de valeur. Étant à la fois une théurgie et une magie, il avait une grande influence sur l’imagination de l’homme, et, à cause de cela, il correspondait à ce « besoin irrésistible, besoin de la croyance à l’invisible, besoin de relation avec ce qui dépasse l’horizon borné de cette terre[61] ». Bien que le paganisme, vu comme religion primitive, soit traité de façon beaucoup moins élaborée dans Nostra Aetate, on retrouve ici la même disposition. Plus précisément, les Pères du Concile expliquent que « depuis les temps les plus reculés jusqu’à aujourd’hui », on peut trouver dans les différents peuples « une certaine sensibilité à cette force cachée qui se présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine, parfois même une reconnaissance de la Divinité suprême » qui pénètrent leur vie d’un profond sens religieux[62]. Ici, et aussi dans les cas suivants où nous prendrons le document Nostra Aetate comme point de départ des comparaisons, il faut dire avec insistance, sous peine de ne rien comprendre du vrai sens de la théologie interreligieuse de Nostra Aetate, que ce document conciliaire a un tout autre but que celui les apologistes. Plutôt que de présenter un traité apologétique ou polémique, c’est le point de vue des relations pratiques entre les religions du monde qui occupe l’avant-plan dans Nostra Aetate[63]. Voilà précisément pourquoi on retrouve surtout dans ce texte les éléments qui unissent les religions[64]. Que l’on ne s’y méprenne pas cependant : cela ne veut pas dire que les Pères du Concile ont occulté toutes les différences entre le christianisme et les autres religions.
Le bouddhisme. Le traitement du bouddhisme par Boulenger offre des analogies non moins perceptibles avec l’exposé parallèle de Robert. Tous deux essayent surtout de démontrer la fausseté de certaines doctrines et des préceptes moraux du bouddhisme. Lorsqu’on fait abstraction de leur discours, ils reprochent d’abord au bouddhisme son athéisme ou son agnosticisme[65]. Pour Bouddha, l’existence de l’être suprême reste une question oiseuse et insoluble, quoiqu’en pratique ses partisans soient polythéistes et idolâtres[66]. Bien plus, la première vérité fondamentale de la doctrine bouddhiste (toute l’existence est marquée par la douleur) a donné naissance à un pessimisme trop vécu. En plus, le bouddhisme, avec ses doctrines de la transmigration par métempsychose et du Nirvâna comme une sorte de béatitude passive et négative, a pour « conséquence fâcheuse » non seulement l’anéantissement de l’individu et de l’âme, mais aussi de placer l’idéal de la vie monastique dans la contemplation pure et la mendicité sans travail, ce qui résulte en une passivité sociale et une charité sans amour. En outre, le bouddhisme encourt le grave reproche d’exclure les laïques du bonheur éternel en réservant la possibilité de la délivrance aux moines. Enfin, la morale bouddhiste, parce qu’elle est proposée presque seulement aux moines, ne défendait aux laïques ni la polygamie, ni le divorce, « ni aucun péché de la chair autre que l’adultère au sens restreint de la société païenne[67] ».
D’autre part, Robert et Boulenger n’hésitent pas à reconnaître des aspects positifs dans le bouddhisme. Selon Boulenger, en inspirant aux hommes une grande crainte des châtiments futurs, la morale bouddhiste a pu atteindre de sérieux résultats[68]. Robert et Boulenger voient une certaine ressemblance entre le christianisme et la doctrine bouddhiste, déjà mentionnée ci-haut, qui dit que l’existence est douloureuse (même mauvaise) à cause de l’avidité et des passions de l’homme. Ainsi le chemin qui mène à la suppression de la douleur (quatrième vérité fondamentale du bouddhisme), tel que compris dans la morale bouddhiste pratiquée par les moines et fondée sur la pratique du renoncement aux biens de la terre, comporte selon les auteurs une série d’exercices et de règles excellents contre les passions humaines assez semblables à ceux qui sont en usage dans les ordres religieux chrétiens. Les auteurs entrent même dans les détails : entre autres la confession des péchés, la chasteté, la méditation, l’apostolat, la pauvreté, sont des prescriptions strictes pour les moines qui mènent à une vie fort austère et souvent vertueuse[69]. Dans Nostra Aetate, on repère, quoique d’une manière moins détaillée, une même tendance positive quand on estime que le bouddhisme, selon ses formes variées, reconnaît « l’insuffisance radicale de ce monde changeant » et qu’il enseigne « une voie par laquelle les hommes, avec un coeur dévot et confiant, pourront soit acquérir l’état de libération parfaite, soit atteindre l’illumination suprême par leurs propres efforts ou par un secours venu d’en haut[70] ».
L’islam. Cette religion présente, pour Boulenger et Robert, « le plus singulier mélange de vérité et d’erreur », quoiqu’ils la rangent déjà un peu plus haut que le bouddhisme en tant que religion monothéiste. Néanmoins, l’islam est, sur plusieurs plans, inférieur au christianisme. L’islam rejette la Trinité et l’Incarnation, et considère les chrétiens comme polythéistes[71]. Même si les docteurs musulmans dénient que leur religion soit fataliste, elle en a au moins toutes les apparences et elle finit sans aucun doute par l’être en pratique[72]. Elle enseigne une vie future matérielle et promet au-delà de la tombe des jouissances sensuelles dans le paradis[73]. Elle laisse la bride aux passions sexuelles, à l’orgueil et à l’égoïsme en permettant la polygamie et le concubinage à volonté[74]. Elle prêche « l’union dans la même main de la puissance civile et de la puissance religieuse[75] ». Elle est une religion violente parce qu’elle prescrit la guerre sainte contre tous ceux qui ne croient pas en Dieu ni en son prophète, « jusqu’à ce qu’ils paient le tribut et qu’ils soient humiliés[76] ». Elle est particulariste parce que la solidarité ne concerne que les musulmans entre eux[77]. La vie après la mort reste matérielle et sensuelle. Enfin, elle n’est pas originale, mais un simple amalgame du judaïsme et du christianisme[78].
Néanmoins, pour Robert et Boulenger, l’islam se distingue par certaines grandes valeurs. Ses dogmes fondamentaux, comme l’unicité de Dieu, la vie après la mort, un jugement général, sont des vérités incontestables et les deux apologistes attirent aussi l’attention sur le principe de l’exclusion de l’idolâtrie[79]. Aussi mentionnent-ils la reconnaissance de la mission divine de Jésus rangé parmi les prophètes[80]. Les deux auteurs se plaisent aussi à relever l’attachement des musulmans à la morale et au culte tel qu’il est exprimé dans les « cinq piliers » de l’islam (la foi en Dieu, la prière cinq fois par jour, le jeûne, l’aumône, le pèlerinage à La Mecque). Ces piliers offrent en effet des ressemblances avec le christianisme[81]. Pour Boulenger, surtout les prières et le jeûne du Ramadan sont des « pratiques excellentes[82] ». Il n’est pas difficile de trouver des ressemblances avec les passages sur l’islam dans Nostra Aetate. Dans le troisième article de ce document, les Pères du Concile défendent encore avec plus d’arguments que :
[…] l’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète […] ils attendent le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeune[83].
Le judaïsme. Le traitement le plus court, mais en même temps le plus positif, est réservé au judaïsme. Pour le judaïsme comme pour la religion mosaïque, les auteurs ne retiennent que de « bonnes » choses : cette « belle religion[84] » est vraiment révélée par Dieu, préface de l’Évangile et préparation à la religion définitive qu’est le christianisme[85]. Il suffit de reprendre ici leur vision sur les étapes historiques de la révélation chrétienne, élaborée plus haut, où la seconde phase comprend toutes les communications faites par Dieu aux hommes en général et au peuple hébreu en particulier par l’intermédiaire de Moïse et des prophètes après lui. Dans la déclaration conciliaire Nostra Aetate nous percevons un même écho :
L’Église du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dans les Patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tous les fidèles du Christ, fils d’Abraham selon la foi, sont inclus dans la vocation de ce patriarche et que le salut de l’Église est mystérieusement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude. C’est pourquoi l’Église ne peut oublier qu’elle a reçu la révélation de l’Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique Alliance, et qu’elle se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les gentils […]. L’Église a toujours devant les yeux les paroles de l’apôtre Paul sur ceux de sa race à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches, et de qui est né, selon la chair, le Christ […] les apôtres […] sont nés du peuple juif [86].
Boulenger et Robert réservent leurs critiques au judaïsme actuel (c’est-à-dire depuis la mort de Jésus-Christ), qui est dans l’erreur lorsqu’il n’admet pas son caractère préparatoire et ne reconnaît pas Jésus-Christ comme le Messie attendu[87]. Le même principe apparaît dans Nostra Aetate[88].
De l’analyse que nous venons de faire du traitement des principales religions non chrétiennes chez Robert et Boulenger, il ressort trois choses. La première, c’est que toutes les religions non chrétiennes, quoique imparfaites et comportant beaucoup d’erreurs, possèdent vraiment « du bon » ou des vérités incontestables. La seconde c’est que, plus concrètement, elles sont vraies dans tous les points où elles sont en accord avec la religion chrétienne (plus concrètement l’Église catholique), mais elles sont dans l’erreur sur tous les points où elles sont en désaccord avec la vraie religion. L’élément constitutif ou la norme de cette Vérité est la personne et le message de Jésus-Christ, c’est-à-dire la doctrine et la morale telles qu’on les trouve dans la sainte Écriture et la tradition orale. La troisième c’est que toutes les religions n’ont pas la même importance. Entre le paganisme, qui se trouve en dernière position sur l’échelle des valeurs, et le christianisme, qui se trouve en première position, s’échelonnent d’abord le judaïsme en deuxième position, après lui l’islam, et comme avant-dernier le bouddhisme.
Nous voici en présence des trois fondements théologiques du dialogue interreligieux qui inspirent les documents du Concile. Premièrement, le Concile reconnaît dans Nostra Aetate tout ce qu’il y a de vrai et de bien chez les non-chrétiens. Un passage en particulier est très connu : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes ». En second lieu, la normativité de Jésus-Christ est aussi sauvegardée quand le texte ajoute immédiatement que l’Église catholique annonce que le Christ est la voie, la vérité et la vie en qui les hommes trouvent la plénitude de la vie religieuse[89]. Finalement, l’idée de l’ordonnance des religions est aussi reproduite dans les textes de Vatican II, d’abord dans la Constitution dogmatique Lumen Gentium. Ici, l’opinion défendue est que ceux qui n’ont pas encore reçu le message évangélique, qu’ils en soient conscients ou non, sont ordonnés au « Peuple de Dieu » mais en diverses catégories. Le dessein de salut englobe d’abord les juifs ou « le peuple qui reçut les alliances et les promesses et dont le Christ est né selon la chair ». Le cercle du salut s’élargit ensuite, d’abord vers ceux qui reconnaissent le Créateur, et parmi eux, en premier lieu, les musulmans, et finalement vers la foule de ceux qui cherchent ailleurs à découvrir le vrai Dieu, comme dans le paganisme ou les religions primitives[90]. Le Concile ne cite pas explicitement le bouddhisme dans ce contexte, mais il est certain que cette religion, dans ses diverses formes, doit être rangée parmi les deux dernières catégories[91].
V. Ecclésiocentrisme
Au christocentrisme sur le plan de la vérité et du salut correspond un ecclésiocentrisme. Nos deux apologistes affirment, en s’appuyant surtout sur la sainte Écriture et sur la raison, que l’Église est nécessaire au salut (« hors de l’Église pas de salut »). Les textes scripturaires qu’ils utilisent pour élaborer cette thèse sont classiques. Boulenger fait seulement appel à la finale de Mc 16,15-16 : « Allez par tout le monde et prêchez l’Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné[92] ». Quant à Robert, lui aussi se base sur Mc 16,16 et ajoute encore plusieurs passages scripturaires classiques qui ont une signification semblable, comme par exemple Lc 10,6 : « Qui vous écoute m’écoute et qui vous méprise me méprise[93] ». La conséquence minimale de ces assertions, c’est l’obligation d’adhérer à l’Église, puisque le Christ condamne ceux qui s’y refusent. Dans l’avis des auteurs, la nécessité d’appartenir à l’Église découle aussi de la raison. Boulenger argumente que si Jésus-Christ est la vérité et si l’Église a le dépôt de la doctrine de Christ, alors l’Église s’impose comme une nécessité, « car toute vérité est, de sa nature, exclusive[94] ». Quoique le langage de Robert soit légèrement différent et quoiqu’en comparaison avec Boulenger, il donne beaucoup plus d’arguments de raison[95], la signification est tout à fait identique : « Pourquoi avoir fondé une Église, l’avoir présentée aux hommes comme l’unique moyen de salut, s’il [Jésus-Christ] les [les hommes] voit d’un oeil indifférent prendre ou ne prendre le chemin qu’il leur a tracé[96] ? ». Les mêmes principes sur la nécessité de l’Église pour le salut sont également défendus en termes généraux dans les textes officiels du Concile Vatican II. Qu’il suffise d’alléguer un extrait de Lumen Gentium pour en faire la preuve :
Seul, en effet, le Christ est Médiateur et voie de salut : or, il nous devient présent en son Corps qui est l’Église ; et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême (cf. Marc, 16,16 ; Jean, 3,5), c’est la nécessité de l’Église elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du baptême, qu’il nous a confirmée en même temps. C’est pourquoi ceux qui refuseraient soit d’entrer dans l’Église catholique, soit d’y persévérer, alors qu’ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient pas être sauvés[97].
Voilà un ensemble de déclarations parallèles sévères et intransigeantes qui donnent, pour ainsi dire, presque automatiquement naissance à la conviction que la théologie interreligieuse des deux apologistes et de l’Église catholique avant et même au temps de Vatican II était entièrement exclusiviste au point de vue du salut[98]. Cette conviction serait, d’après nous, juste, si le contexte littéraire ne donnait pas un tout autre sens aux différents passages qu’on peut résumer par le vieil adage « extra ecclesiam nulla salus ». Commençons par les apologistes afin d’estimer cette expression à sa juste mesure. Dans leurs manuels, ils traitent directement le problème de l’explication exacte de cet aphorisme en essayant de toutes leurs forces d’en modérer la sévérité. Parce qu’ils se basent pratiquement sur de pareilles prémisses et parce que leurs solutions sont comparables, même si leur manière de présenter ces solutions varie légèrement, on peut les traiter ensemble.
Ils font trois distinctions[99], d’abord entre l’âme de l’Église et le corps de l’Église. Le corps de l’Église, c’est la société visible des fidèles professant la même foi et communiant aux mêmes sacrements. L’âme de l’Église, c’est la grâce sanctifiante. En reprenant cette distinction entre l’âme et le corps de l’Église, ils font aussi une distinction entre nécessité de moyen et nécessité de précepte. Or, disent-ils, l’appartenance à l’âme de l’Église est de l’ordre de la nécessité de moyen et ne souffre pas d’exception. L’appartenance à son corps est une nécessité de précepte : il peut y avoir des exceptions. La troisième distinction qu’ils offrent au lecteur concerne la différence entre l’appartenance réelle ou visible à l’Église et l’appartenance de désir, invisible, de coeur, implicite à l’Église. Et qui appartient à l’Église d’une façon implicite ou de désir ? Tous ces hommes de bonne volonté qui, sans l’avoir formulé par des paroles ou même en être conscients, désirent conformer leur volonté à la volonté de Dieu, lequel désir est inhérent à l’acte de la charité. De l’avis des auteurs, loin de s’exclure l’une l’autre, ces trois distinctions se complètent. Ils résument en affirmant que le Seigneur veut que les hommes, pour être sauvés, appartiennent au moins implicitement au corps de l’Église. En d’autres mots : au point de vue du salut, l’appartenance à l’âme de l’Église est une nécessité absolue quoique l’appartenance au corps de l’Église n’est, dans un certain sens, que nécessité de moyen. Pour ceux qui, par une ignorance invincible et involontaire, ne connaissent pas l’Église, l’appartenance à l’Église n’est qu’une nécessité de précepte. La conclusion s’impose donc : Robert et Boulenger affirment que l’Église n’exclut pas de la vie éternelle tout homme qui, involontairement, n’accède pas matériellement à l’Église catholique[100]. Les auteurs admettent qu’il semble y avoir contradiction, mais ils sont convaincus qu’en réalité il n’y en a pas. C’est le seul moyen de réconcilier la bonté de Dieu qui veut que tout le monde soit sauvé et l’unicité et la particularité de Jésus-Christ et de son Église comme uniques médiateurs de salut.
Est-ce qu’on peut retrouver la même idée dans les textes conciliaires ? Par respect pour l’objectivité, on doit d’abord remarquer que le langage des Pères du Concile est un peu différent. On ne peut pas perdre de vue, comme G. Philips l’a déjà constaté, que le Magistère n’a jamais séparé le corps de l’âme de l’Église[101]. D’autre part, entre les interprétations de l’économie du salut des deux auteurs et l’enseignement de Vatican II, la concordance est frappante. Même si le Concile ne fait aucune allusion explicite aux distinctions entre nécessité de moyen et nécessité de précepte dans ce contexte, la signification de ces termini technici est claire[102]. Pour donner une base plus solide à notre argumentation, il suffit de rappeler une phrase célèbre de Lumen Gentium : « La divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires au salut à ceux qui ne sont pas encore parvenus, sans qu’il y ait de leur faute, jusqu’à la connaissance claire de Dieu et s’efforcent, avec l’aide de la grâce divine, de mener une vie droite[103] ».
La vue d’ensemble prouve non seulement combien le problème du salut est complexe mais prouve aussi que l’attitude des apologistes et du Concile Vatican II est nettement inclusiviste. L’idée maîtresse qui se dégage des textes cités est que la vérité ne correspond pas toujours avec le salut. Pour être sauvé, il n’est pas absolument nécessaire d’appartenir au corps visible de l’Église. Le dessein de salut s’élargit vers tous les hommes de bonne foi qui vivent au-delà des frontières visibles de l’Église, incluant les justes dans les religions non chrétiennes. Bien entendu, on ne peut pas passer sous silence que, dans l’ensemble des écrits des deux apologistes, comme dans les textes conciliaires de Vatican II, les solutions théologiques inclusivistes proposées sur la difficile phrase « hors de l’Église pas de salut », constituent plutôt une doctrine « marginale » et « mystérieuse[104] » qui, en aucun cas, n’est en mesure d’éteindre l’élan missionnaire[105]. Au contraire, il est raisonnable et même obligatoire de proclamer le christianisme : si certains de ceux qui n’adhèrent pas à l’Église participent et participeront à la vie éternelle, c’est toujours grâce au Christ, l’unique et seul médiateur du salut.
Conclusion
De ce que nous venons de passer en revue, il est permis de tirer les conclusions suivantes qui confirment nos thèses de départ. D’abord, l’attitude des apologistes n’est pas exclusiviste mais bien inclusiviste à l’égard des religions non chrétiennes. La thèse se résume comme suit : il y a de la vérité dans les autres religions et le salut s’élargit, sous quelques conditions, en dehors de l’Église catholique vers l’horizon des membres des autres religions. Et la norme pour la vérité et l’offre du salut est Jésus-Christ. Cette première thèse confirme la deuxième : les principes sur la relation entre l’Église catholique et les autres religions trouvés chez les apologistes ne sont aucunement en contradiction avec les principes promulgués dans les textes conciliaires de Vatican II. Et cela indique qu’en ce qui concerne le Québec, le paradigme interreligieux enseigné à Vatican II n’a marqué aucune rupture radicale avec le passé du point de vue de ses éléments constitutifs au niveau du salut et de la vérité.
Mais qu’on ne s’y méprenne pas. Nous n’avons nullement prétendu que la théologie traditionnelle de l’Église catholique sur cette thématique n’a pu être considérée d’un point de vue assez restreint dans certains temps et par certains auteurs. Il faut aussi encore souligner que nous n’avons pas voulu dire qu’il s’agit de simple concordisme entre les textes des manuels et ceux du Concile, ni que les apologistes étaient probablement déjà dans la même mentalité d’esprit que les théologiens de Vatican II. Ce n’est pas parce que certains extraits de textes concordent que, tout compte fait, le discours des manuels d’apologétiques et le texte de Vatican II sont des réalités équivalentes. Il y a quand même des différences. Le but du Concile n’était ni l’élaboration d’un système philosophique, apologétique ou polémique. Mais mis à part cela, on doit aussi prendre en compte des nouveautés dans le programme des textes conciliaires qui se caractérisent par un certain recadrage de l’enseignement traditionnel, entre autres par certains silences sur des aspects traditionnels ou par le développement d’autres aspects, et par des ajouts de nouveaux éléments. Parmi les nouveautés, il y a l’accent sur l’élaboration des relations pratiques par le dialogue, le travail commun, la compréhension mutuelle, perspectives qui ne sont pas celles des manuels apologétiques ici considérés. Autrement dit : à et depuis Vatican II, un nouveau climat théologique est né ; au lieu d’insister sur les différences qui séparent le christianisme et les autres religions, le Concile permet d’entrevoir plutôt les liens communs entre les religions, sans oublier — ce qui n’est pas sans importance — de redire avec insistance que seul Jésus-Christ est la voie, la vérité et la vie, en qui les hommes peuvent trouver la plénitude de la vie religieuse[106]. Et cette évolution se lit non seulement dans les textes conciliaires, où on insiste plutôt sur les convergences, mais aussi dans les manuels scolaires plus récents utilisés dans l’enseignement de la religion, où on a opté pour une conception analogue. Mais pour prouver « la vérité » de cette dernière hypothèse, qui est basée sur des données de recherche partielles, d’autres investigations complétant cette première étude — qui n’avait pour seul but que de déblayer le terrain — sont d’une nécessité de moyen et d’une nécessité de précepte.
Parties annexes
Notes
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[1]
Voir, par exemple, S. Leimgruber, « Die Behandlung des Islams im Religionsunterricht », Religionspädagogische Beiträge, 28 (1991), p. 42-49 ; U. Tworuschka, Weltreligionen im Unterricht oder interreligiöses Lernen ? Versuch einer vorläufigen Bilanzierung, dans J.A. Van Der Ven, H.-G. Ziebertz, éd., Religiöses Pluralismus und interreligiöses Lernen, Kampen, 1994, p. 174-175.
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[2]
Voir, entre autres, L. Hagemann, « Die Anderen als Anfrage : Die Pluralität der Religionen — Konvivienz oder Konkurrenz ? », Religionspädagogische Beiträge, 36 (1995), p. 60-61 ; J. Hick, « The Non-Absoluteness of Christianity », dans Id., P.F. Knitter, éd., The Myth of Christian Uniqueness : Toward a Pluralistic Theology of Religions, New York, 1988, p. 16-17 ; Id., The Rainbow of Faiths, London, 1995, p. 83 ; G. Klages, N. Heutger, Weltreligionen und Christentum im Gespräch. Die Weltreligionen im Unterricht, Hildesheim, New York (coll. « Hildesheimer Beiträge zu den Erziehungs- und Sozialwissenschaften », 2), 1977, p. 36-37 ; P.F. Knitter, « Interreligious Dialogue : What ? Why ? How ? », dans L. Swidler et al., éd., Death or Dialogue. From the Age of Monologue to the Age of Dialogue, London-Philadelphia, 1990, p. 30-31 ; Id., No Other Name ? A Critical Survey of Christian Attitudes toward the World Religions, Maryknoll, New York (coll. « American Society of Missiology Series », 7), 1985, p. 120-131 ; Id., One Earth Many Religions. Multifaith Dialogue & Global Responsibility, New York, 1995, p. 26-27 ; S.J. Samartha, « The Cross and the Rainbow. Christ in a Multireligious Culture », dans J. Hick, P. Knitter, The Myth of Christian Uniqueness, Maryknoll, New York, 1987, p. 69-70 ; S. Leimgruber, Interreligiöses Lernen, München, 1995, p. 30-31.
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[3]
En ce qui concerne la définition, le but et l’établissement de l’enseignement dans les Écoles Normales au Québec, voir L.-P. Audet, Histoire de l’enseignement au Québec, t. 2, Montréal, Toronto, 1971, p. 130-133.
-
[4]
Pour une définition plus détaillée de « l’enseignement secondaire » au Québec, voir ibid., p. 139-146.
-
[5]
Dans la grande majorité des manuels d’apologétique que nous avons examinés, on repère facilement le destinataire et le but qui sont explicitement mentionnés dans l’introduction ou l’avant-propos. Comme par exemple dans le manuel de A. Robert, où on peut lire : « Démontrer la crédibilité de nos dogmes, ou encore, faire la preuve du fait de la révélation divine, tel est l’objet de l’apologétique, et de ce manuel […]. Nos élèves de Rhétorique et de Philosophie, déjà bien au courant des vérités de la foi, sont on ne peut plus aptes à recevoir l’enseignement qui a pour but la justification de leurs croyances » (A. Robert, Leçons d’apologétique, Québec, 1917, p. x-xi).
-
[6]
Voilà une liste bibliographique d’autres auteurs, avec leurs manuels, qui se situent dans le domaine de l’enseignement apologétique dans les écoles du Québec pour la période considérée, mais qui sont moins connus ou qui ont publié des manuels plus restreints que Robert et Boulenger : M. Beaudet, Petit traité d’apologétique (École Normale Classico-Ménagère), Québec, 1926 ; E.-E. Cauly, Cours d’instruction religieuse, Paris, 1904 ; J. Devivier, Cours d’apologétique chrétien : ou exposition raisonnée des fondements de la foi, Paris, 191120 ; J. Laforest, Cours d’apologétique (voir infra, n. 10) ; E. Masure, La grand’route apologétique, Paris, 1938 ; J.-P. Poey, Nouveau manuel complet et pratique d’instruction religieuse à l’usage des maisons d’éducation (collèges et pensionnats), Lille, 1900 ; J.S. Raymond, Histoire apologétique de l’Église (Pour le Séminaire de St-Hyacinthe), St-Hyacinthe, 1899 ; A. Saint-Pierre, Apologétique : 12e année, s.l., 1950 ; E. Savignac, À la recherche de la vérité religieuse. Manuel d’apologétique à la portée de tous, Montréal, 1936. Mais le lecteur se demandera pourquoi on trouve dans cette liste autant d’auteurs français ou de manuels imprimés en France. La raison est simple : pendant la période que nous avons retenue, l’enseignement catholique dans le Canada français empruntait et utilisait beaucoup de l’enseignement en France, y compris des manuels scolaires (voir pour le cas des Frères des Écoles chrétiennes : P. Aubin, « La pénétration des manuels scolaires de France au Québec. Un cas-type : Les Frères des Écoles chrétiennes ; xixe-xxe siècles », Histoire de l’éducation, 85 [2000], p. 3-24). Il faut aussi ajouter que nous n’avons pas retenu les « catéchismes de défense » ou les « catéchismes de controverse ». Il est certain que ces livres ont un but extrêmement apologétique, comme on peut lire, par exemple, dans la circulaire au clergé de l’archevêque de Québec, L.N. Bégin, qui date du 8 février 1902. Ce dernier recommande l’utilisation du premier catéchisme de controverse publié au Québec, à l’occasion de son editio princeps, comme le moyen attendu pour défendre la foi contre les attaques, surtout par les protestants (voir Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, publiés par le cardinal E.‑A. Taschereau et l’archevêque L.N. Bégin, Québec, 1905, vol. 5, p. 250). Mais parce que ces manuels traitent seulement de quelques questions très spécifiques et éclectiques à l’égard de certaines doctrines catholiques, ils ne sont pas très pertinents pour notre propos. En plus, ce type de manuel n’est normalement pas destiné à l’enseignement religieux dans les écoles. Néanmoins, parce qu’une partie non négligeable de ces livres est réservée à l’explication de l’aphorisme « nulla salus extra ecclesiam », nous allons à l’occasion référer, en notes de bas de page, aux passages correspondants dans quelques manuels.
Arthur Robert était un homme très instruit sur la théologie, la philosophie et les autres sciences humaines. Son curriculum vitae est impressionnant. Il est né à Beauport le 22 octobre 1876. Il commence l’école secondaire au Petit Séminaire de Québec. Lorsqu’il termine ses études au Grand Séminaire de Québec, il reçoit l’ordination sacerdotale en mai 1901 et immédiatement après il est chargé du cours de théologie fondamentale au Grand Séminaire de Québec. En mai 1903, il obtient le titre de docteur en théologie de l’Université Laval. Entre 1905 et 1907, Arthur Robert part pour l’Europe où il est en contact avec le professeur Désiré Mercier, le futur cardinal de Belgique. Entre-temps, il obtient successivement le « Doctorat en philosophie de la propagande », le diplôme de l’Académie romaine Saint Thomas d’Aquin et la Licence en sciences sociales et économiques de l’Université de Louvain. De retour au Canada, il est agrégé au Séminaire de Québec et il obtient en 1913 le grade de « maître ès arts » de l’Université Laval. Il enseigne surtout la philosophie, la morale, la théologie dogmatique et l’apologétique. En 1917, il publie entre autres son manuel Leçons d’apologétique (réimprimé en 1920, en 1931 et en 1936). Après avoir été pendant trois ans (1918-1921) directeur du Petit Séminaire de Québec, il devient non seulement professeur titulaire de la chaire de morale générale mais aussi directeur et doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Laval de Québec, puis aussi directeur de l’École des sciences sociales de l’Université Laval. En 1933, il est fait chanoine honoraire du chapitre métropolitain de Québec et nommé protonotaire apostolique honoraire et titulaire durante munore. En 1938, il devient vicaire général du diocèse de Québec, supérieur du Séminaire de Québec et recteur de l’Université Laval. Il meurt le 21 mars 1939. (Voir pour les principales notes biographiques d’Arthur Robert : G.N. Trottier, Les écrits de Monseigneur Arthur Robert : bibliographie analytique, Québec, 1955, p. 1-3.)
Les éléments biographiques d’Auguste Boulenger ne sont pas encore bien connus dans les milieux scientifiques. On sait qu’il est né en 1868 mais on ignore la date de son décès. Il est certain qu’il était encore vivant en 1949, date de publication de son dernier livre important. Vers 1920, il était aumônier des collèges Mariette & Angellier à Boulogne-sur-Mer. Au moins depuis 1936, il porte le titre de chanoine honoraire d’Arras. Il a laissé derrière lui un ensemble d’ouvrages impressionnant et volumineux qui est principalement composé de livres destinés à l’enseignement religieux catholique dans les écoles secondaires et supérieures. Quelques titres, par exemple, en donnent un aperçu. Son magnum opus, est sans aucun doute son Histoire de l’Église, qui incorpore pas moins de trois tomes divisés en neuf volumes (t. 1 : L’Antiquité chrétienne, 3 vol. ; t. 2 : Le Moyen Âge, 3 vol. ; t. 3 : Les temps modernes, 3 vol.). Cette oeuvre, commencée vers 1931 et terminée seulement en 1949, était entièrement destinée à l’usage des séminaires (voir A. Boulenger, Histoire de l’Église. Tome I. Antiquité Chrétienne. Vol. 1. Les Temps Apostoliques, Lyon, Paris, 1931, p. 5). À part l’histoire de l’Église, Boulenger s’est aussi occupé de préparer plusieurs manuels sur la doctrine et l’apologétique catholique destinés à divers degrés de l’enseignement religieux. En 1913, il publie La Doctrine catholique. Cours supérieur (Manuel d’instruction religieuse à l’usage des maisons d’éducation et des catéchistes volontaires [Brevet d’instruction religieuse]), qui contient 4 parties (Le Dogme [Symbole des Apôtres], La morale, Les moyens de sanctifications, La Liturgie). En 1920 apparaît pour la première fois son très renommé Manuel d’apologétique. Introduction à la Doctrine catholique (qui a connu pas moins de huit éditions) et, en 1927, son Abrégé de la Doctrine chrétienne (cours moyen), qui a connu aussi plusieurs éditions. De plus, ses manuels pour l’enseignement primaire et secondaire ont été beaucoup utilisés en France, en Belgique et au Québec. Certains de ses ouvrages ont même été réimprimés au Canada, par exemple son Abrégé de la doctrine chrétienne : cours moyen 19397 ; La Doctrine catholique : première partie, 193611. Voir aussi pour ce dernier aspect R. Brodeur, Les catéchismes au Québec 1702-1963, Sainte-Foy, Paris, 1990, p. 310, 315, 316. La même chose vaut pour son Manuel d’apologétique, dont la 8e édition est réimprimée au Canada en 1939 et en 1946 (achevé d’imprimer ; École industrielle des sourds-muets, en vertu d’une entente avec la Librairie catholique Emmanuel Vitte).
-
[7]
Voir, par exemple, le programme d’études catholiques francophones de Québec de 1939 (pour les garçons), dans N. Baillargeon, « Les programmes de 1937 à 1941 », dans M. Allard, B. Lefebvre, éd., Les programmes d’études catholiques francophones de Québec. Des origines à aujourd’hui, Montréal, 1998, p. 617-623.
-
[8]
Voir C. Galarneau, Les collèges classiques au Canada français, Montréal, 1978, p. 192. Pour un aperçu des programmes et l’ordre des classes dans les collèges classiques, voir ibid., p. 167.
-
[9]
Voir J.S. Raymond, Histoire apologétique de l’Église (Pour le Séminaire de St-Hyacinthe), St.-Hyacinthe, 1899.
-
[10]
Voir J. Laforest, Cours d’apologétique. À l’usage exclusif du collège Sainte-Anne, s.l., 1951.
-
[11]
Voir K. Barth, Die kirchliche Dogmatik. Erster Band. Die Lehre vom Wort Gottes. Prolegomena zur kirchlichen Dogmatik, zweiter Halbband, Zürich, 19453, p. 337 et suiv.
-
[12]
Voir par exemple F.A. Sullivan, Salvation outside the Church ? Tracing the History of the Catholic Response, New York, Mahwah, 1992, p. 3-4.
-
[13]
Voir P. Schineller, « Christ and Church : A Spectrum of Views », Theological Studies, 37 (1976), p. 545-546, 552-562.
-
[14]
Voir entre autres K. Rahner, « Das Christentum und die nichtchristlichen Religionen », dans Id., Schriften zur Theologie, t. 5, Einsiedeln, Zürich, Cologne, 1962, p. 136-158.
-
[15]
Voir H. Küng, « The World Religions in God’s Plan of Salvation », dans J. Neuner, éd., Christian Revelation and World Religions, London, 1967, p. 37-66.
-
[16]
Voir T. Merrigan, « Religious Knowledge in the Pluralist Theology of Religions », Theological Studies, 58 (1997), p. 686-687.
-
[17]
Voir entre autres K. Rahner, « Die anonymen Christen », dans Id., Schriften zur Theologie, t. 6, Einsiedeln, Zürich, Cologne, 1965, p. 548.
-
[18]
Voir entre autres H. Küng, On Being A Christian, trad. de l’allemand par E. Quinn, London, 19772, p. 110-116.
-
[19]
Voir entre autres G. D’Costa, « Toward a Trinitarian Theology of Religions », dans C. Cornille, V. Neckebrouck, éd., A Universal Faith ? Peoples, Cultures, Religions and the Christ, Leuven (coll. « Louvain Theological & Pastoral Monographs », 9), 1992, p. 139-154 ; Id., « Christ, the Trinity and Religious Plurality », dans Id. et al., éd., Christian Uniqueness Reconsidered. The Myth of a Pluralistic Theology, Maryknoll, 1990, p. 16.
-
[20]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 15-16 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique : introduction à la Doctrine catholique, Lyon, Paris, 19378 (édition réimprimée au Canada en 1939), p. 34-63.
-
[21]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 49 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 131.
-
[22]
K. Rahner, « Weltgeschichte und Heilsgeschichte », dans Id., Schriften zur Theologie, t. 5, Einsiedeln, Zürich, Cologne, 1962, p. 122-123.
-
[23]
Voir Nostra Aetate, 2.
-
[24]
Voir ibid.
-
[25]
Qu’on nous permette de signaler que les deux apologistes complètent leur définition de la religion avec l’énumération d’autres éléments constitutifs. La similitude des deux manuels est remarquable. Selon eux, toute religion en général comporte un triple élément : un ensemble de dogmes ou croyances, un ensemble de préceptes ou devoirs fondés sur la distinction entre le bien est le mal ; un ensemble de rites et cérémonies, appelé culte. Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 130-131. Robert ajoute encore un quatrième élément, notamment le « ministère sacré ». Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 49-50. Ces distinctions étaient et sont très connues en histoire des religions. Il suffit de consulter les ouvrages de cette discipline publiés entre 1900 et aujourd’hui. Mais ces catégorisations ne nous permettent pas d’aller de l’avant par rapport aux idées interreligieuses proprement théologiques. Nous les avons retenues pour illustrer jusqu’à un certain point comment les deux apologistes se sont servis de concepts et de termes scientifiques. Notons enfin que la Déclaration conciliaire sur les religions non chrétiennes, Nostra Aetate, s’appuie sur le même triptyque en disant que toutes les religions proposent des doctrines, des règles de vie et des rites sacrés. Voir Nostra Aetate, 2.
-
[26]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 38-39, 44 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 77-88.
-
[27]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 44 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 99, 100-104, 113.
-
[28]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 42 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 106-111.
-
[29]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 47 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 101-102.
-
[30]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 47 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 120. Pour souligner le caractère tout à fait naturel et universel de cette aspiration de l’homme vers le bonheur éternel, Robert et Boulenger décrivent celui-ci comme un « animal religieux ». Voir aussi A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 51 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 136-137.
-
[31]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 40-42 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 90-96.
-
[32]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 41 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 150.
-
[33]
Nostra Aetate, 1.
-
[34]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 50-52, 66-67 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 131, 135, 141-149.
-
[35]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 52 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 145-146.
-
[36]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 72-73 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 150-151.
-
[37]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 73-77 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 148-150.
-
[38]
Pour qui veut se renseigner profondément sur l’origine et l’évolution de l’interprétation des termes « religion naturelle » et « religion surnaturelle » dans la théologie chrétienne, le livre très minutieux et irremplaçable d’Henri de Lubac (voir H. de Lubac, Surnaturel. Études historiques, Paris, 1946) donnera tous les détails désirés.
-
[39]
Voir Concilium Vaticanum I, Constitutio Dogmatica « Dei Filius », De fide catholica, Cap. 2 De revelatione, § 1786 (3005), dans H. Denzinger, A. Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum Definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Barcelone, Fribourg, Rome, 196332, p. 588.
-
[40]
Voir ibid., 1785 et 1786 (3004 et 3005).
-
[41]
Dei Verbum, 6.
-
[42]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 103-105 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 193-194.
-
[43]
Dei Verbum, 3 (nous soulignons).
-
[44]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 106.
-
[45]
Voir ibid., p. 197.
-
[46]
Voir par exemple le très large article 9 du texte conciliaire sur l’Église, Lumen Gentium.
-
[47]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 64-65, 229 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 172. Que ce principe de l’unité de la vérité dans toutes ses manifestations guidait et guide encore l’enseignement de l’Église catholique, c’est bien connu. Pour démontrer que le magistère catholique du Canada, dans le temps où nos apologistes écrivaient, a aussi utilisé pareil principe de base dans sa doctrine, il suffit de citer un bref passage de la circulaire au clergé (24 février 1928) de l’archevêque R.-M. Rouleau : « Dieu est unique comme il est un ou indivis […]. Elle [l’Église] ignore l’instabilité doctrinale, triste caractéristique des sectes dissidentes. Una fides. Il n’y a encore qu’une loi évangélique prescrivant des moyens de salut identiques » (Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, publiés par le cardinal R.-M. Rouleau et Mgr P.-E. Roy, Québec, 1925, vol. 13, p. 271). Nous avons aussi repéré un mandement de l’archevêque E.-A. Taschereau, qui date de 18 février 1882 et qui précède un peu notre cadre chronologique. Parce qu’il est quand même très révélateur pour notre présent propos, nous ne voulons pas passer sous silence l’idée centrale de ce texte. L’archevêque réagit avec vigueur contre « la fausse doctrine, que l’on peut plaire à Dieu en pratiquant une religion quelconque. Erreur monstrueuse qui sape la foi par la base […]. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit : Je suis la voie, la vérité et la vie […] il n’a donc pas laissé à chacun la liberté de se tracer une voie différente de la sienne, de se créer une vérité à sa guise, de vivre d’une vie autre que celle qui a sa source dans cette Église dont il est le fondement et le chef, et à laquelle il a donné tous les pouvoirs nécessaires pour conduire les âmes à leur fin dernière qui est le bonheur éternel » (Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, publiés par le cardinal E.‑A. Taschereau et l’archevêque L.N. Bégin, Québec, 1905, vol. 5, p. 297-298).
-
[48]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 65 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 172.
-
[49]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 229 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 191.
-
[50]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 230.
-
[51]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 191.
-
[52]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 47-51 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 136-138.
-
[53]
Il s’agit des questions suivantes : « Qu’est-ce que l’homme ? Quel est le sens et le but de la vie ? Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le péché ? Quels sont l’origine et le but de la souffrance ? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? Qu’est-ce que la mort, le jugement et la rétribution après la mort ? Qu’est-ce enfin que le mystère dernier et ineffable qui entoure notre existence, d’où nous tirons notre origine et vers lequel nous tendons ? » (Nostra Aetate, 1).
-
[54]
Il est intéressant d’ajouter que c’est un autre apologiste, nommément E. Savignac, qui met encore plus que Robert et Boulenger l’accent sur les deux dernières réflexions sur la présence du bien dans toutes les religions. Voir E. Savignac, À la recherche de la vérité religieuse, p. 71-72.
-
[55]
Ad gentes, 9.
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[56]
Boulenger entend sous le titre du paganisme ou religions primitives les religions polythéistes. Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 133-135, 175. A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 215. À d’autres endroits, on peut voir que Robert comprend avec le terme paganisme non seulement les religions grecques et romaines de l’Antiquité, mais aussi celles des Chinois, des Indiens, des Scythes, des Gaulois, des Germains, des « peuples d’Amérique et de ceux de l’Océanie ». Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 74.
-
[57]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 176.
-
[58]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 216. À un autre endroit, Robert extrait un passage du livre de l’abbé de Broglie, déjà cité plus haut, pour démontrer que selon lui les dieux du paganisme n’étaient que la divinisation des vices humains : « Le Grec et le Romain adoraient un Jupiter incestueux, un Mars dissolu, une Vénus impudique. La divinité du Persan était le soleil et les astres ; celle de l’Égyptien, le boeuf Apis. Le Germain, le Gaulois comme l’Indien rendaient un culte superstitieux aux idoles. Les principales fêtes en l’honneur des dieux, telles que les Saturnales, les Bacchanales, les Lupercales, n’étaient que des excès de débauches. Les plus honteuses turpitudes se dissimulaient à peine dans les temples d’Adonis, de Priape, de Junon, de Cybèle et des autres divinités païennes » (A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 204). Faut-il encore ajouter combien Robert rejette avec horreur ces conceptions de Dieu ?
-
[59]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 176, 216 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 176.
-
[60]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 176-177.
-
[61]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 216-217.
-
[62]
Nostra Aetate, 2.
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[63]
Voir J. Neusner, dans Declaration on the Relation of the Church to Non-Christian Religions of Vatican Council II, New Jersey, 1966, p. 84.
-
[64]
Voir aussi l’article premier de Nostra Aetate.
-
[65]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 218, 222 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 183-184.
-
[66]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 219 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 184-185.
-
[67]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 219 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 183-185.
-
[68]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 185.
-
[69]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 218-221 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 184-185.
-
[70]
Nostra Aetate, 2.
-
[71]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 222 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 188.
-
[72]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 188.
-
[73]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 222-223.
-
[74]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 184, 223 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 189.
-
[75]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 225.
-
[76]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 187.
-
[77]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 230.
-
[78]
Voir ibid., p. 224.
-
[79]
Voir ibid., p. 222 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 189-190.
-
[80]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 224 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 188.
-
[81]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 223.
-
[82]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 190.
-
[83]
Nostra Aetate, 3.
-
[84]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 228.
-
[85]
Voir ibid., p. 225 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 184-198.
-
[86]
Nostra Aetate, 4.
-
[87]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 225 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 190.
-
[88]
Nostra Aetate, 4.
-
[89]
Nostra Aetate, 2.
-
[90]
Lumen Gentium, 16.
-
[91]
Notons que le Décret sur les religions non chrétiennes défend, dans les articles 2, 3 et 4, une pareille position mais suit l’ordre inverse. Contrairement à Lumen Gentium, Nostra Aetate mentionne le bouddhisme dans un contexte semblable. Voir Nostra Aetate, 2.
-
[92]
Voir A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 388-389.
-
[93]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 250.
-
[94]
A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 389.
-
[95]
Voir ibid., p. 249-251.
-
[96]
A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 251.
-
[97]
Lumen Gentium, 14.
-
[98]
On peut prétendre la même chose dans le cas des évêques de Québec pour la période 1850-1950. À titre d’exemple, on peut évoquer ici le commencement de la lettre pastorale des évêques (22 septembre 1875) : « Quiconque veut être sauvé, dit le Symbole de Saint Athanase, doit tenir la foi catholique […]. Et pour arriver à la connaissance certaine de cette foi sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu […] il faut écouter l’Église dans laquelle Jésus-Christ lui-même enseigne et hors de laquelle on ne peut trouver qu’erreur, doute et incertitude, car elle est l’Église du Dieu vivant, la colonne et le soutien de la vérité » (Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, publiés par le Mgr H. Têtu et l’abbé C.-O. Gagnon, Québec, 1889, vol. 1, p. 320). Travailler avec pareilles formules exclusives n’est pas sans danger, comme nous l’avons montré plus haut, quand elles sont interprétées par des gens qui ne connaissent pas leur signification exacte. Évidemment, on peut comprendre l’utilisation de telles formules par les évêques, car ils veulent seulement, dans leur lettre, rappeler des principes de base pour leur clergé qui avait normalement les dispositions théologiques et l’expérience nécessaire pour en saisir la portée.
-
[99]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 251-255 ; A. Boulenger, Manuel d’apologétique, p. 390-391.
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[100]
Cette interprétation est répétée presque toujours dans les catéchismes, les petits catéchismes, les « notes des catéchistes », les « catéchismes de défense », les « Traité des devoirs du Chrétien » et les « guides du maître » utilisés dans l’enseignement religieux au Québec pendant la période de 1765 à 1965 (dates qui correspondent avec la limite chronologique de la collection des manuels scolaires québécois de l’Université Laval). Cette donnée donne encore plus de poids à notre première thèse de la présente étude. Il va de soi qu’il est impossible et même inutile de donner ici une liste exhaustive. Nous nous contenterons, juste à titre d’exemple, de fournir quelques titres : J.-P. Garneau, Catéchisme de controverse. Première partie, Québec, 1902, p. 80-83 ; A. Luche, Notes d’un catéchiste ou commentaire littéral sur le catéchisme des provinces ecclésiastiques de Québec, Montréal et Ottawa, Montréal, 19063, p. 274-276 ; L. Pagé, Catéchisme, Montréal, 1945, p. 124 ; F. Spirago, Catéchisme catholique Populaire. Édition canadienne, Montréal, 1950, p. 168-171 ; J.-B. De La Salle, Traité des devoirs du chrétien envers Dieu, ouvrage remanié par F.P.B., édition nouvelle, Montréal, 1875, p. 118-120 ; Mes cahiers d’enfant du bon Dieu. 5e et 6e Années. Guide du maître, s.l., 1952, p. 5, 11-13. Il pourrait être utile de faire référence ici à la lettre du Saint-Office (8 août 1948) à l’archevêque de Boston, Richard J. Cushing, texte qui donnait une pareille interprétation autorisée à l’encyclique Mystici corporis en matière de la possibilité du salut des non-chrétiens. Cette lettre montre que l’opinion défendue par les apologistes ici considérés était l’enseignement commun de l’Église catholique à l’époque : « Haec ep., 27 Jul. decreta […] dirigetur contra illum rigorismum, quo quaedam membra institutorum “St. Benedict’s Center” et “Boston College” illud adagium “Extra Ecclesiam nulla salus” […] in eum sensum interpretabantur, ut omnes homines non-catholici — solummodo catechumenis cum voto explicito ingrediendi Ecclesiam catholicam exceptis — a salute aeterna excluderentur. Inter quos rigoristas Leonard Feeney, contra monita auctoritates eccles. obstinatus, nominatum excommunicatus est 4 febr. 1953 » (Ep. S. Officii ad archiep Bostoniensem, 8 Aug. 1949, § 3866 [3873], dans H. Denzinger, A. Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum Definitionum et declarationum, p. 770).
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[101]
G. Philips, L’Église et son mystère au IIe Concile du Vatican. Histoire, texte et commentaire de la Constitution Lumen Gentium, t. I, Louvain, 1966, p. 194.
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[102]
Voir ibid., p. 187.
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[103]
Lumen Gentium, 16.
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[104]
Voir A. Beards, « Christianity, “Interculturality” and Salvation : Some Perspectives from Lonergan », The Thomist, 64 (2000), p. 197.
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[105]
Voir A. Robert, Leçons d’apologétique, p. 234-235. Voir aussi l’article 16 de Lumen Gentium.
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[106]
Voir la note 89.
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[*]
Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’une recherche postdoctorale sur le paradigme interreligieux dans l’enseignement de la religion catholique en Belgique et au Québec, recherche subventionnée par le Fonds de Recherche de la Katholieke Universiteit Leuven et le Fonds de Recherche Scientifique-Flandre (Belgique) (financement d’un « stay abroad »). Nous tenons aussi à remercier le professeur Raymond Brodeur et le chercheur Paul Aubin, qui nous ont guidé dans notre découverte de l’histoire de l’enseignement religieux du Québec. Nous remercions également le « Groupe de recherche sur l’histoire de l’enseignement religieux au Québec » de l’Université Laval pour son accueil.