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Les ouvrages récents sur la papauté ne manquent pas. Comme quoi l’invitation de Jean-Paul II à « tous les pasteurs et théologiens de nos Églises » à entrer en dialogue avec lui « afin que nous puissions chercher » les formes dans lesquelles la papauté pourrait être exercée (Ut unum sint, nos 95-96) a rencontré un large écho. En plus des actes d’un symposium théologique tenu au Vatican sous le patronage de la Congrégation pour la doctrine de la foi et publié sous le titre Il primato del Successore di Pietro (1997), on pense notamment aux ouvrages de P. Hünermann, dir., Papstamt und Ökumene. Zum Petrusdienst an der Einheit aller Getauften (1997) ; A. Acerbi, Il ministero del Papa in prospettiva ecumenica (1999) ; John R. Quinn, The Reform of the Papacy. The Costly Call to Christian Unity (1999), ouvrage que nous avons recensé dans un précédent numéro[1], P. Thion, dir., Changer la papauté ? (2000) ; R. Pesch, Die biblischen Grundlagen des Primats (2001) ; et H. Schütte, dir., Im Dienst der einen Kirche. Ökumenische Überlegungen zur Reform des Papstamts (2001). Cela, sans compter les numéros monographiques de certaines revues, en particulier les revues oecuméniques.
Cette production théologique, qui a en commun une préoccupation oecuménique similaire nous a même suggéré d’ouvrir une nouvelle chronique dans ces pages pour faire écho à cette recherche sans précédent, projet que nous avons finalement dû abandonner. Sans négliger les autres ouvrages, il demeure toutefois que s’il ne fallait retenir qu’un seul ouvrage parmi toute cette production, celui de Pottmeyer s’imposerait d’emblée. Pas étonnant que cet ouvrage, d’abord paru en anglais en 1998, ait par la suite connu une traduction en allemand, en italien et en français. De manière claire et synthétique, le théologien émérite de Bochum nous permet de parcourir, en sept courts chapitres, plus d’un siècle de débats sur la papauté. L’option de Pottmeyer est de montrer qu’il n’y a pas d’obstacles dogmatiques qui empêcheraient de penser les choses autrement et de sortir du centralisme dans lequel s’emprisonne aujourd’hui l’Église catholique, si bien qu’une réforme du mode d’exercice de la primauté n’induit ni une relativisation, ni une négation du dogme de Vatican I repris à Vatican II. Suivant l’A., si la définition de Vatican I demeure une définition valable et possible du ministère pétrinien et de son autorité — la seule jugée adéquate par la majorité des Pères de Vatican I, cela, dans un autre contexte — il faut aujourd’hui reconsidérer des manières différentes de formuler et d’exercer le ministère de Pierre, manières qui appartiennent également à la tradition catholique.
Pour établir sa thèse, Pottmeyer nous propose un parcours dynamique qui nous fait reprendre le débat un peu en amont du concile Vatican I en présentant, sous la forme de trois traumatismes, les défis lancés à l’Église catholique avant l’ouverture du concile : le gallicanisme, le système des Églises d’État et les idéologies qui montaient en puissance que sont le rationalisme et le libéralisme. Ce premier parcours est tout à fait capital puisque, comme on le démontre ici, la majorité conciliaire pensait en termes stratégiques (faire face aux divers traumatismes qui menaçaient l’Église) plutôt qu’en termes théologiques, et que, suivant les règles classiques d’herméneutique des déclarations conciliaires, n’est visé et condamné par une proposition que ce que l’on visait et désirait condamner. Chemin faisant, l’A. nous fait voir comment, à l’arrière-plan de la façon de concevoir la primauté à Vatican I, se trouve le concept moderne du pouvoir politique souverain qui s’étend à tout. Ce concept moderne de philosophie politique va passer dans le champ de la théologie et sera déterminant dans la définition de Vatican I. L’auteur retisse ainsi patiemment les liens qui existent entre la définition de Vatican I et les concepts de philosophie politique (en particulier celui de souveraineté) alors en vigueur pour penser l’état moderne naissant. Les emprunts du dogme à la pensée de Joseph de Maistre — idéologue de la restauration de la monarchie française — et, plus largement, au courant ultramontain dont un des protagonistes a été Félicité de Lamennais, conduisent à une conception moderne de la primauté, conception qui se construit par le développement de l’analogie entre l’Église et l’État moderne. Cela le conduit à conclure que le dogme de Vatican I témoigne davantage de l’accueil de la modernité dans l’Église que d’une reprise de la longue tradition chrétienne sur la question du ministère pétrinien. L’A. va même conclure qu’il s’agit là d’une « rupture avec la tradition et la façon de concevoir la primauté qui prévalait jusque-là » (p. 58), si bien qu’il peut conclure que, si la définition de Vatican I demeure une définition valable et possible du ministère pétrinien et de son autorité — la seule jugée adéquate, dans un autre contexte, par la majorité des Pères de Vatican I — il faut aujourd’hui prendre également en compte des manières différentes de formuler et d’exercer le ministère de Pierre, manières qui appartiennent également à la tradition catholique et dont témoigne la tradition plus ancienne à laquelle se référaient les opposants à la déclaration. Ces développements indiquent donc encore le poids des facteurs non théologiques dans les énoncés doctrinaux.
Malgré la victoire du parti en faveur de la définition de l’infaillibilité, le pire a été évité à Vatican I et le concile n’a pas avalisé l’infaillibilisme extrême que certains voulaient lui voir adopter, si bien que l’on n’adhère pas à une infaillibilité qui aurait eu pour effet de briser le lien organique entre le pape et l’ensemble des évêques et de l’Église. En ce sens, le travail des opposants a porté quelques fruits, surtout lorsque l’on interprète cette déclaration à la lumière du rapport Gasser, rapporteur de la Députation de la foi, ce que fait avec nuance et subtilité le professeur Pottmeyer.
Quoi qu’il en soit, Vatican I, interrompu pour les motifs politiques que l’on connaît, laissait en héritage une oeuvre inachevée qui allait bientôt être considérée comme une tâche. Très tôt, le dogme devait être interprété et les partisans d’un maximalisme ne manquèrent pas d’oeuvrer en ce sens, même si les interprétations officielles demeurèrent équilibrées et ouvertes. Ce travail d’interprétation devait être repris par Vatican II qui avait la chance de se tenir dans un climat plus serein et qui n’était pas grevé au point de départ par les mêmes traumatismes que Vatican I. Toutefois, l’interprétation maximaliste de Vatican I était tellement partagée qu’il ne lui a pas été facile de situer dans un cadre plus large et plus équilibré la définition de Vatican I. Bien plus, il n’est pas parvenu lui non plus à rompre avec le centralisme romain qui s’était construit depuis des siècles, à défaut de ne pas avoir pu donner une efficacité véritable — à travers une institutionnalité conséquente — à l’idée de collégialité qu’il a mise en avant, concept construit à partir de l’Église universelle plutôt qu’à partir de la communion des Églises locales. Ainsi, on se retrouve aujourd’hui avec une juridiction du collège des évêques qui est, à toute fin pratique, morte, puisqu’elle ne trouve pas moyen de s’exercer et dont l’exercice dépend entièrement du bon vouloir du pape.
Si Vatican II n’a pu achever la tâche laissée par Vatican I, il faut donc, aujourd’hui, proposer quelques voies pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes. Le dernier chapitre du volume aborde donc justement ce volet prospectif, proposant quelques suggestions pour le troisième millénaire.
Parmi les ouvrages récents sur la primauté, l’ouvrage de Pottmeyer se recommande de manière particulière. Il a le mérite de reprendre la question à sa racine en reprenant le débat sur plus d’un siècle ; de mettre en valeur les facteurs non théologiques qui ont grevé le débat et dont les conclusions n’ont pas de valeur au plan dogmatique ; de faire ressortir une autre manière de concevoir la primauté qui, elle aussi, appartient à la tradition ; de développer une herméneutique des énoncés conciliaires qui demeure un modèle dans le genre ; et de formuler quelques propositions pour dépasser les impasses actuelles.
Parties annexes
Notes
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[1]
Voir Laval théologique et philosophique, 57, 1 (février 2001), p. 190-192.