Nombreuses sont les études portant sur cette période de l’histoire de la philosophie que nous désignons communément sous le nom d’« idéalisme allemand », mais un peu moins nombreuses sont celles qui portent sur l’idéalisme allemand en tant que tel, c’est-à-dire en tant que mouvement de pensée distinctif, et qui cherchent ou bien à exhiber l’unité philosophique commune entre les pensées de Kant, Fichte, Schelling et Hegel, ou bien à nier l’existence d’une telle unité. Au nombre de ces études interrogeant l’unité effective ou fictive de l’idéalisme allemand, on peut compter les études bien connues de R. Kroner, V. Delbos, W. Schulz, R. Lauth ; mais on ne saurait prolonger cette liste bien longtemps, puisque ce thème n’a manifestement pas mobilisé la réflexion de tous les spécialistes de cette période de l’histoire de la philosophie. Le présent ouvrage de Jean-Louis Vieillard-Baron s’inscrit dans le cadre de cette réflexion sur l’idéalisme allemand en tant que mouvement philosophique. Contre toutes les lectures « dualisantes », qui n’accordent à l’idéalisme allemand qu’une unité historique, et donc extérieure, Vieillard-Baron entend montrer ici que malgré toutes les oppositions et les malentendus, « l’idéalisme allemand forme une incontestable unité de langage philosophique » (p. 7), et qu’à proprement parler « on ne saurait douter de l’existence d’un noyau de pensée commun à l’idéalisme allemand » (p. 13). C’est dans l’avant-propos et l’introduction que Vieillard-Baron nous présente le contenu de ce noyau. Dans l’introduction, premièrement, Jean-Louis Vieillard-Baron passe en revue quelques-unes des thèses qui ont marqué historiquement la compréhension de l’idéalisme allemand, afin d’en montrer les mérites et les limites. Une chose semble évidente aux yeux de notre auteur, et sur ce point il est fort convaincant, c’est que toute thèse qui tente de situer l’unité de l’idéalisme allemand sur le terrain épistémologique ne fait pas le poids devant les interprétations qui mettent à l’avant-plan les divergences théoriques fondamentales entre Kant, Fichte, Schelling et Hegel. Par exemple, la thèse qui situe l’unité de l’idéalisme allemand dans l’exigence, communément partagée, pour la philosophie d’être systématique (V. Delbos), souffre selon Vieillard-Baron d’un formalisme théorique qui masque beaucoup trop les désaccords entre idéalistes sur le sens du système et de la scientificité (cf. p. 14). De même, la thèse qui pose l’unité de l’idéalisme allemand en une parenté « spéculative » commune avec l’idéalisme platonicien et, plus précisément, avec son affirmation de l’existence autonome des Idées au sein de l’esprit (R. Kroner), est selon lui trop abstraite, puisqu’elle ne convient en vérité qu’à Schelling et Hegel, dissimulant le fait que, par exemple, l’influence platonicienne est à peu près nulle chez Fichte (cf. p. 14-15). Même si Vieillard-Baron récuse l’opinion de R. Lauth, qui ne voit dans l’idéalisme allemand qu’une « unité philosophique factice » et, par suite, une étiquette « vide et pernicieuse » (cf. p. 15-16), il retient cependant une leçon de ce dernier, soit l’incompatibilité radicale ou la fracture irréconciliable entre « un idéalisme transcendantal (celui de Kant et de Fichte), essentiellement préoccupé de fonder a priori le savoir scientifique et l’action pratique, et un idéalisme spéculatif (celui de Schelling, Hegel), essentiellement tourné vers le problème de l’absolu » (p. 16). Bref, selon notre auteur, l’unité de l’idéalisme allemand semble fictive plutôt qu’effective sur le plan théorique. L’unité de l’idéalisme allemand se trouverait-elle plutôt sur le terrain pratique, dans un certain « rationalisme de l’agir » ? Sans réfuter cette thèse, soutenue par B. Bourgeois par exemple, Vieillard-Baron souligne au passage son accent trop exclusif « sur la raison pratique, sur l’agir, de telle sorte qu’elle est plus adaptée, au moins d’une façon immédiate, à l’idéalisme …
Jean-Louis Vieillard-Baron, Hegel et l’idéalisme allemand. Paris, Librairie philosophique J. Vrin (coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie », nouvelle série), 1999, 385 p.[Notice]
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Mathieu Robitaille
Université Laval, Québec