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Une biographie, comme l’étymologie du mot en témoigne, consiste à écrire la vie d’une personne. Il s’agit donc, pour celui qui s’impose une telle tâche, de faire en sorte que les gens qui n’ont pas connu cette personne puissent en saisir l’individualité et l’unicité essentielles qui la constituaient en tant que telle. Il faudra témoigner de ce qui exprimait qui était cette personne en propre et non seulement d’un point de vue anonyme, faute de quoi il serait d’emblée impossible de faire éprouver à quiconque l’être singulier d’une personne que l’on juge importante et qui, selon nous, mérite d’être rencontrée personnellement. Une biographie, en somme, est l’occasion d’une rencontre particulière avec quelqu’un.
Mais pourquoi donc se vouerait-on à rédiger des biographies ? Quel pourrait bien être le sens d’une telle entreprise ? Si l’on juge important de traduire la vie de quelqu’un en mots, de l’exprimer, autant que faire se peut, par le biais d’un livre, il faut bien que l’on juge d’emblée que cette personne peut apporter, de par la vie qu’elle a menée, quelque bienfait à tous ceux qui la connaîtront. Pour user d’autres mots, un biographe doit lui-même sentir que la personne qu’il tente de faire vivre par écrit a apporté, manifesté ou encore incarné de son vivant quelque chose qui ne doit pas être passé sous silence, dont tous doivent bénéficier, prendre connaissance. C’est au moment où l’on rencontre quelqu’un personnellement, intimement, que l’on constate à quel point il marque notre vie, l’influence et la façonne, d’une certaine manière. Cela signifie qu’une biographie est l’histoire d’un modèle, au double sens de ce selon quoi on façonne une autre chose et par implication, de celui qui façonne quelque chose, celui qui modèle.
Voilà justement, à ce qu’il nous semble, la tâche à laquelle s’est voué Dominique Lambert dans son livre portant sur la vie et l’oeuvre du chanoine Georges Lemaître. Comme on le sait, ce dernier fut l’un des plus grands cosmologistes et mathématiciens du vingtième siècle. Georges Lemaître s’est intéressé de près à certains des plus grands problèmes scientifiques et pour chacun son apport fut certain et important, ne serait-ce que du pur point de vue de l’avancement des sciences. Ce fut le cas en mathématiques, en relativité générale qu’il maîtrisait parfaitement (il fut disciple d’Arthur Eddingtion qui, aux dires mêmes d’Einstein, fut l’un des seuls à comprendre véritablement la théorie de la relativité), en cosmologie (on lui doit les fondations de la théorie du Big Bang contemporaine par la découverte de la possibilité mathématique de l’expansion à partir d’une singularité initiale). Dans ce dernier cas, il offrait un compromis entre les solutions d’Einstein et de De Sitter pour les équations de la relativité générale ; selon Dominique Lambert, la loi de Hubble aurait été anticipée par Lemaître, en algèbre, en mécanique classique (le problème des trois corps et celui de la nature des rayons cosmiques), en calcul numérique, pour ne nommer que ceux-là. Il nous semble que le parcours scientifique formidable du chanoine Lemaître dont nous ne saurions rendre compte pleinement — ce qui, il va sans dire, n’est pas le cas de Dominique Lambert qui, docteur en physique et en philosophie, décrit de manière exemplaire le cheminement scientifique de Mgr Lemaître en nous faisant vivre son parcours scientifique pas à pas et en manifestant clairement où le génie de ce grand personnage prend la relève et innove — témoigne en réalité d’un aspect encore plus fondamental et sur lequel nous ne saurions suffisamment insister : Mgr Lemaître fut un modèle.
Cet homme mena de front une carrière scientifique de premier niveau ainsi qu’une vie sacerdotale pleinement épanouie et dévouée, tout en étant enseignant à l’Université catholique de Louvain pendant de fort nombreuses années. Le livre de M. Lambert manifeste à quel point aux yeux de Mgr Lemaître lui-même il n’y avait aucune contradiction entre la vie du sacerdoce et la vocation scientifique. Dès l’âge de neuf ans, le chanoine Lemaître savait qu’il était voué au sacerdoce, ainsi qu’à la science. Ces vocations ne se tarirent jamais ; elles emportèrent plutôt dans leur courant et sillage une multitude d’étudiants, collègues et religieux. Georges Lemaître, comme en témoigne ce livre, fut un homme animé d’une profonde passion pour la connaissance et pour la foi, connaissance du monde qu’il a toujours cru être de la portée des facultés humaines et foi profonde qui, nous oserions le dire, peut-être même au risque de nuancer la position de M. Lambert en vertu de laquelle science et théologie pour Lemaître ont toujours été bien distinguées, pour ainsi dire tranchées, donnait sens à sa quête de connaissance du monde et à sa vie tout entière. Mgr Lemaître nous est apparu être un feu brûlant de passion, au point de négliger un certain ordre pédagogique dans ses cours, mais qui, à coup sûr, inspira ses étudiants. Il incarnait l’être en recherche, le chercheur, au sens profond du terme. Son dévouement pour ses étudiants, l’amour inconditionnel qu’il vouait à ses parents, ses implications dans le cadre de sa vie religieuse (son aide pour les étudiants chinois en Belgique, il fut même président de l’académie pontificale des sciences !) et même ses preuves d’un courage exemplaire (il fut artilleur pendant la Première Guerre mondiale ; pendant quatre ans, il fut au front, en première ligne, il reçut d’ailleurs pour cela, à juste titre, nombre de distinctions militaires) illustrent combien la personne du chanoine Lemaître tendait à une réalisation plénière de toutes ses potentialités. Voilà, nous semble-t‑il, l’apport le plus important du livre de M. Dominique Lambert et pour lequel nous recommandons fortement à tous de le lire. En effet, Mgr Lemaître fut un homme profondément passionné, d’un grand sens de l’humour, à la fois avide de connaissance et en proie à une quête profonde de spiritualité et sachant faire face avec grandeur aux dures épreuves de la vie ; en cela il fut un modèle et une inspiration pour les gens qui le côtoyèrent, il ne saurait qu’en aller de même pour nous tous.
Si l’on peut déplorer l’absence d’une bibliographie des oeuvres citées, il n’en demeure pas moins que la recherche est très fouillée et que la description des événements marquants de la vie du chanoine est fort bien appuyée de citations et références, ainsi que de nombreux témoignages de gens l’ayant connu. La bibliographie que renferme ce livre en est une des oeuvres complètes de Mgr Lemaître en fonction de leur année originale de parution. Le style d’écriture de ce livre est pratiquement littéraire et la présentation des apports et recherches scientifiques du chanoine est relativement accessible à tous. En bref, pour qui désire rencontrer un scientifique marquant du vingtième siècle doublé d’un ecclésiastique dévoué, ou une personne capable d’en inspirer tant d’autres, prière alors de parcourir ce livre.